24.04.2013 Par Guillaume Belan (FOB)
S’il est encore bien tôt pour dégager les retours d’expériences de l’engagement français dans l’opération Serval au Mali, quelques leçons peuvent cependant être dégagées. L’exercice à chaud est évidemment incomplet et périlleux, mais reste intéressant, particulièrement dans cette période de choix budgétaire et capacitaire. FOB se plonge dans ce délicat travail, à travers plusieurs thèmes. Le premier : les forces étaient-elles prêtes ?
Une opex sans préparation spécifique : une première !
Le théâtre malien s’est ouvert dans une période de désengagement français. Liban, Côte d’Ivoire ou encore Afghanistan : l’ensemble des opérations extérieures françaises se fermaient. Outre un désengagement humain et logistique, l’une des conséquences de ces retraits est que les préparations dédiées aux déploiements fermaient également leurs portes. Dans le langage militaire, cela s’appelle une MCP ou mise en conditionavant projection. L’armée de terre avait développé des MCP différenciées selon les théâtres : on ne se prépare pas de la même manière si l’on va au Liban ou en Afghanistan, la mission et l’environnement n’ont rien à voir. Pour l’Afghanistan par exemple, un entraînement de 6 mois dans une FOB (base avancée) spécialement créée pour cette mission (Camp de Canjuers) était imposé.
Or, depuis le durcissement des opérations vécues à partir de 2007,l’armée française n’est jamais partie en opération sans cet entraînement spécifique. Le temps politique a toujours laissé le temps aux militaires d’anticiper et de se tenir fin prêt.
Pour le Mali, rien de tout cela ! Bamako était à quelques heures de tomber aux mains des djihadistes. Serval a été lancé dans l’urgence, pas le temps pour une MCP! 5 heures après la décision présidentielle, les premières Gazelles frappaient les pick-up d’AQMI. Une première dans l’histoire militaire moderne française !
Une armée mature et décomplexée
Or force est de constater que les troupes françaises se sont remarquablement comportées. Pourquoi ? Première explication, l’expérience afghane était encore « chaude ». Toutes les unités de l’armée de terre y sont passées, parfois même plusieurs fois.
Et l’Afghanistan, surtout après 2008, a été un théâtre exigeant. Beaucoup de soldats y ont connu leur baptême du feu.
Plus largement, l’armée de terre française, de par les engagements de ces dernières années, est devenue une armée professionnelle mature et décomplexée ! Car souvenons-nous, il n’y a pas si longtemps, une dizaine d’années, soit avant l’Afghanistan, aucun soldat français, ou presque, n’avait connu le feu ! Les Balkans, premier théâtre d’opération important depuis la guerre froide, avec des conditions d’engagements tellement contraignantes, a suscité bien plus de frustrations que de réels combats… L’Afghanistan puis la Côte d’Ivoire et enfin la Libye sont venu changer cela. Les invariants d’une guerre, les fondamentaux oubliés d’engagements ont été retrouvés ! Le soldat a recouvré son métier : mener des opérations avec usage du feu.
Deuxième explication : les formations des écoles de l’armée sont bonnes ! La force déployée au Mali a été un amalgame d’unités qui ne se connaissaient pas, une construction imposée par l’urgence, qui a parfaitement marché ! Un escadron Licorne, une compagnie Epervier et une compagnie d’infanterie d’alerte Guépard, qui n’avaient jamais travaillé ensemble ont parfaitement mené une action coordonnée. Un montage complexe, mais rapide, avec de bons résultats ! D’autant plus que les matériels (postes radio…) n’étaient souvent pas les mêmes entre les unités…
Reconnaissons là, la qualité de la formation française. Un « cadre » de l’armée française, sur une durée de vie professionnelle de 35 ans, ne passe pas loin d’un tiers de sa carrière, soit entre 5 à 10 ans à l’école ! Serval est un bon révélateur : cette formation n’est pas vaine !
À l’heure de la réflexion sur une rationalisation des diverses formations et écoles, c’est une des leçons à méditer…
Par ailleurs, les États-majors français commençaient à envisager l’éventualité d’une opération au Mali. Celle-ci ne devait pas se réaliser dans ces conditions d’urgence, mais la mission EUTM était en marche et les responsables militaires sentaient venir ce théâtre. Pour preuve, la doctrine française était quasiment prête ! Tous les soldats à l’heure de partir pour Tombouctou avaient dans leurs bagages un Cahier du Retex sur « Les rebellions touarègues au Sahel » (publié en janvier) pour bien appréhender le théâtre et les acteurs ainsi qu’un ouvrage de doctrine d’engagement en zones désertiques (publiés par le CDEF). Bref, de quoi lire pour savoir faire et comprendre à quoi s’attendre…
Enfin, rappelons que l’opération Sabre au Sahel était active depuis des années. Très discrètement mais aussi très massivement (plusieurs centaines de forces spéciales lors de l’opération Serval, soit le plus fort engagement de l’histoire des FS), les unités du COS étaient à l’œuvre dans la région…