30 décembre 2011 by Nicolas Gros-Verheyde (BRUXELLES2, bilan 2011, exclusif)
Dans cette fin de l’année, B2 a pu s’entretenir avec Arnaud Danjean, le président de la sous-commission Défense du Parlement européen, pour dresser un panorama des enjeux en matière de défense après une année riche en « surprises stratégiques » et rebondissements. L’eurodéputé français estime que l’année finit mieux qu’elle a commencé pour la politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC). Mais qu’il reste encore beaucoup de travail. L’Europe doit aujourd’hui apprendre à s’assumer toute seule et à prendre leurs responsabilités. L’approche globale voulue par les rédacteurs du Traité de Lisbonne n’est pas encore pleinement d’application. Car il reste encore une timidité à aborder et développer le volet sécuritaire de l’action européenne.
• Comment voyez-vous cette année ?
Le processus de la PSDC est toujours vivant. C’est déjà un résultat. Le bilan est sans doute moins maigre qu’on aurait pu le penser en début de présidence. Nous avons eu le rapport de juillet (NB : un rapport qui doit beaucoup à Pierre Vimont, le directeur du Service diplomatique et de son conseiller, Yves de Kermabon qui ont poussé dans ce sens) ainsi qu’un débat lors du dernier conseil. Ce débat a prouvé qu’il y avait une réelle volonté politique – ce dont on pouvait douter encore il y a quelques mois. Des Ministres ont pris le relais, pas seulement Français mais aussi Polonais et Allemand. Le poids des contraintes budgétaire et stratégique reste là. La crise libyenne a préempté certains débats. Aujourd’hui on se réveille avec nos vraies contraintes : l’effort de rationalisation (avec le pooling and sharing) est inévitable et la donne stratégique. Les Etats-unis sont nos alliés. Mais ils ont le regard tourné ailleurs. Gates l’a dit, Panetta également, Obama était en Asie récemment. Aujourd’hui, la défense européenne doit s’assumer toute seule.
• Quand vous dites « s’assumer toute seule », comment le voyez-vous ?
Les Etats-Unis sont notre ultime allié, à la fois l’allié avec lequel on va s’engager sur un conflit de haute intensité et de longue durée – comme en Afghanistan – et l’allié ultime pour la défense de notre territoire. On voit mal aujourd’hui un engagement massif extérieur ou une mobilisation maximale sur le territoire. Mais il y a des crises de moyenne intensité aux marges du continent européen (comme monde arabe…) ou sur le territoire européen ; et, là, la réponse ne peut qu’être qu’européenne. Aujourd’hui, les Etats-Unis nous disent clairement : « débrouillez-vous » ! Politiquement, diplomatiquement et, le cas échéant, militairement, les Européens doivent prendre leurs responsabilités.
• Les Américains estimant que le Moyen-Orient ou l’Asie requiert toute leur attention, il y aurait alors une certaine répartition des tâches ?
Dans l’arc de crise (qui court de l’Asie à l’Afrique), on peut en effet se dire que les Européens doivent prendre en charge le Sahel, l’Afrique, le monde arabe. Les Américains seront là, au besoin, mais en soutien, comme pour la formation des soldats somaliens. Ce sont les Européens qui forment. Et les Américains paient les salaires ou assurent certaines fonctions logistiques. La question, maintenant, est de savoir : est-ce que l’UE est prête à donner corps à la fameuse approche globale ?…
• Cette approche globale, c’était un des objectifs du Traité de Lisbonne. Cela n’est pas encore au point ?
Non. L’approche européenne ne paraît, pour l’instant, pas si globale. Les instruments communautaires « classiques » – le développement et instruments financiers – restent privilégiés. Dès qu’on aborde l’aspect sécuritaire, sans parler de l’aspect militaire, on voit tout de suite soulever certaines questions : faut-il utiliser la PSDC ou non ? Déployer quelques experts ou du matériel plus lourd, via des missions PSDC ou via l’instrument de stabilité ? Il y a un vrai débat qui n’est pas commencé, qu’il faut entamer. On le voit bien sur le Sahel, pour la Corne de l’Afrique…
• On a eu deux documents stratégiques du SEAE ?
Oui. Pour l’instant, il y a beaucoup de mots. Mais sur le volet sécuritaire, rien n’est tranché. C’est une très bonne chose que ces priorités soient inscrites sur le planning. Mais je suis un peu inquiet sur la mise en œuvre. Or, sans l’aspect sécuritaire surtout dans les zones comme la « Corne de l’Afrique » et le « Sahel », on ne pourra espérer avoir une approche globale.
(NDLR : Une question fondamentale. Lors de la dernière rencontre avec Catherine Ashton, les Nigériens et Mauritaniens ont réclamé en priorité à l’UE, des véhicules, des capacités de transmission, voire des armes, et n’étaient pas vraiment preneurs de la formation des juges que voulaient proposer les Européens).
• A vous entendre, l’UE est trop timide ?
Oui. L’important, maintenant, est d’agir. La balle est dans le camp de l’UE. La timidité de la Haute représentante sur les opérations n’est pas justifiée. Elle doit proposer des choses. Pour le Sahel, on peut avoir une mission PSDC, éventuellement avec une phase transitoire au début. Car une mission PSDC a une certaine lenteur de mise en œuvre et de génération de force. Catherine Ashton a raison sur ce point : trouver 50 personnes aujourd’hui de haute compétence n’est pas simple. Mais, spontanément, Me Ashton n’a pas pris la mesure de la dimension « sécurité et défense commune ». Elle insiste beaucoup sur la diplomatie préventive, la médiation…, moins sur les capacités de sécurité et de défense de l’UE. On l’a bien vu sur la Libye ; la planification n’a pas été vraiment engagée. Me Ashton nous a dit : les États membres n’étaient pas tous volontaires. Au Parlement européen, nous lui répondons : « Il ne faut pas prendre prétexte des hésitations des États membres pour ne pas faire ou faire a minima ; il ne faut pas sur-anticiper les réticences des États membres ».
• Il y a eu des évolutions entre les Conseils de juillet et de décembre ?
La petite « explication de texte » avec les Britanniques en juillet n’a pas été inutile. C’est ce qui a permis de déboucher, en décembre. A minima, sans doute, mais on a débouché. A Paris, il y avait certains doutes sur le fait de ne pas avoir le Royaume-Uni à bord, deux ans après Lisbonne. Mais une des bonnes surprises de la discussion a été de la voir se terminer à 26 (même si existaient des réticences parmi les États membres).
• Que retenez-vous de cette discussion ?
Il ne faut pas avoir peur de poser des questions de vérité à un moment du processus, on peut rechercher le compromis minimal à 27. Mais il y a un jour où il faut poser ses responsabilités. Si, demain, il y a une crise majeure, on risque de retrouver dans la même situation qu’en Yougoslavie, il y a 20 ans. On n’est vraiment pas passé loin dans le cas de la Libye. On ne peut pas faire comme si tout était réglable à 27. Il faut que chacun prendre ses responsabilités.
• L’Europe de la Défense – comme l’Europe économique – semble fonctionner davantage à plusieurs vitesses, n’est-ce pas dangereux ?
L’Europe à plusieurs vitesses existe depuis le début. Il existe plusieurs vitesses en matière migratoire, en matière de défense (avec l’opt-out du Danemark), en matière agricole — rééquilibrage —, régionale…). En matière de sécurité et de défense, on est à plusieurs vitesses, de façon objective. Ce n’est pas un argument pour empêcher ceux qui veulent avancer d’avancer. Ceux qui vont de l’avant vont permettre d’imprimer le tempo.
• Et le Royaume-Uni ?
Le Royaume-Uni est pragmatique. S’il y a des opérations qui marchent, si c’est pertinent, bien conduit, les Britanniques en seront. Ils nous rejoindront. Je crois beaucoup à la vertu des opérations menées en commun. Les Britanniques ont sans doute mal mesuré la portée du discours de Gates et du changement de cap américain – L’Europe n’est plus la préoccupation principale des Américains. Ce qui, combiné à la contrainte budgétaire, va peser énormément à l’avenir.