18 mai 2011 par Nicolas Gros-Verheyde BRUXELLES2
Le rapport qu’a adopté le Parlement européen mercredi dernier (11 mai) prône une nouvelle dynamique en matière de politique européenne de défense. C’est atypique dans le moment et cela mérite un détour approfondi, d’autant que (une fois n’est pas coutume), ce rapport recèle nombre de propositions concrètes.
Rédigé par l’Italien Roberto Gualtieri (S&D), et amendé de façon assez consensuelle par les principaux groupes (sauf le groupe de la Gauche unie démocratique – GUE), le rapport dresse, en effet, un constat sans concession de la politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces propositions (que nous avons rassemblées en dix points) sont plutôt réalistes mais, en même temps, elles peuvent sembler audacieuses, vu l’atonie du moment. Le Parlement s’affirme ainsi comme un gardien du temple, une des seules institutions européennes à revendiquer, haut et fort, une politique de défense européenne — alors que les autres acteurs du jeu institutionnel (Commission, Haut représentant, Conseil) semblent plutôt en retrait, voire absents — et à demander l’application de tout le Traité de Lisbonne, l’esprit et la lettre…
Un constat sans concession
Loin des rapports qui se gargarisent des bons résultats, le Parlement européen met le doigt où cela fait mal. Il note ainsi :
- Le « contraste marqué entre les 200 milliards d’euros consacrés chaque année par les États membres à la défense, le manque de moyens dont dispose l’UE et les conférences prolongées à grand-peine sur la constitution d’une force pour les opérations militaires de l’UE ».
- « En plus de douze ans, la méthode de constitution d’une force n’a de fait produit aucune amélioration quantitative ou qualitative au niveau des capacités militaires disponibles pour les missions de la PSDC »
- Les « mauvais résultats obtenus par l’objectif global civil pour 2010 sur le plan des capacités civiles ». Il y a un « contraste entre les unités de personnel mises à disposition sur le papier par les États membres et celles effectivement disponibles pour les missions, et les progrès limités sur le plan de la formation des ressources humaines ».
- Coté industriel, la « redondance généralisée de programmes de défense dans l’Union ». Il existe « plus de vingt programmes axés sur les véhicules blindés, six programmes différents axés sur les sous-marins d’attaque, cinq programmes axés sur les missiles sol-air et trois programmes axés sur les avions de combat ». Ce qui a pour conséquence « l’absence de réalisation d’économies d’échelle, le gaspillage de ressources économiques limitées et les prix exagérément élevés du matériel de défense européen (…) entretient la fragmentation de la base industrielle et technologique de défense européenne, freine la compétitivité de tout le secteur industriel européen lié à la sécurité ».
- Côté opérations, la mission EUTM Somalie a été « l’unique intervention nouvelle ces deux dernières années ».
- Enfin, « plus d’un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’on n’observe encore aucun signe apparent d’une approche communautaire exhaustive post-Lisbonne dans le cadre de laquelle les obstacles procéduraux et institutionnels classiques seraient levés ».
Les idées fortes du Parlement
Le Parlement milite pour une PSDC forte qui ne soit pas seulement l’addition des coopérations des Etats. Il prône une autonomie stratégique pour l’UE et une ambition nouvelle pour la PSDC. Et il demande au Haut représentant d’avoir une démarche « proactive ». Ces idées transcendent le rapport, faut-il préciser et se retrouvent exprimées à diverses reprises, parfois de façon différente.
L’Europe de la défense n’est pas la coalition des politiques de défense
« Une coalition de volontés ne peut remplacer la PSDC, cela aboutit à une renationalisation des politiques » a expliqué Roberto Gualtieri l’auteur du rapport. « Les coalitions de volontaires ou la coopération bilatérale ne sont pas des solutions viables pour remplacer la PSDC. Aucun État européen n’a les moyens de jouer un rôle significatif en matière de sécurité et de défense dans le monde du XXIe siècle ».
Une ambition stratégique
« L’Union européenne est appelée à améliorer son autonomie stratégique afin de maintenir ses valeurs, de défendre ses intérêts et de protéger ses citoyens ». « Des capacités militaires crédibles, fiables et disponibles sont une condition indispensable à une PSDC autonome ».
Le Parlement souhaite que le Conseil européen adopte une « stratégie de politique étrangère européenne adaptée aux évolutions du système international ». Une réponse commune aux événements en Libye est « indispensable » pour la crédibilité de la politique de voisinage au sud comme l’élaboration d’une stratégie pour la région du Sahel et la Corne de l’Afrique. Ce qui serait une occasion concrète pour l’UE de « prouver sa capacité d’action face aux défis tant en matière de sécurité que de développement ».
Un « nouvel élan aux missions »
C’est le terme même du rapport du Parlement. Les missions représentent le banc d’essai du mandat de la PSDC et un test important pour la crédibilité de l’Union en tant qu’acteur international. Le PE recommande notamment de préparer une « opération PSDC à moyen et long terme en Libye dans les domaines de la réforme du secteur de la sécurité, du renforcement institutionnel et de la gestion des frontières ».
Me la Haute représentante, agissez !
Sans mettre en cause directement la Haute représentante, le Parlement émet une critique structurée de son action (ou plutôt) de son inaction en matière de défense. Le rapport ne se fait pas faute de rappeler ainsi que : 1° « la VP/HR est soumise au vote d’approbation du Parlement européen et celui-ci adopte par codécision le budget de l’action extérieure de l’UE ». 2° Les pouvoirs et les responsabilités de la VP/HR « ne représentent pas seulement une « double casquette », mais constituent une fusion de fonctions et de sources de légitimation » qui la placent « au centre du processus de construction de la cohérence entre les divers instruments, acteurs et procédures de l’action extérieure de l’UE ». Et le Parlement d’inviter la HR à considérer sa fonction « de manière proactive ».
soldats finlandais en exercice dans le grand nord (crédit : ministère finlandais de la Défense)
Les dix propositions du rapport
Le Parlement ne se contente pas d’un rapport à charge ou à décharge, il met en avant son pouvoir de propositions, reprenant certaines revendications précédemment contenus dans des rapports (un Livre Blanc, un conseil des Ministres de la Défense…) et en avançant de nouvelles (le Conseil de gestion de crises, la tenue d’un Conseil européen…).
1. Appliquer le Traité de Lisbonne, la lettre et l’esprit…
Le Parlement revendique la tenue d’un Conseil européen extraordinaire sur la sécurité et la défense européennes.
Il souhaite voir aussi renforcer le rôle des ministres de la défense dans le cadre du format associé au Conseil « Affaires étrangères. Il réitère (sans trop de conviction) sa nécessité de rédiger un livre blanc de la sécurité et de la défense européennes.
Enfin, il voudrait voir les dispositions du Traité de Lisbonne entrer en vigueur. Il veut ainsi que soient élaborées des « lignes directrices politiques sur la clause d’assistance mutuelle » et que soit institué le fonds de lancement pour les activités préparatoires dans la conduite des opérations militaires.
2. Un QG permanent d’opérations
Il faut doter « l’UE d’une planification civile et militaire et d’une capacité de conduite permanente ou d’un poste de commandement opérationnel (PCO) ». C’est une vieille antienne des eurodéputés. Mais le rapport enfonce le clou, avec détermination et conviction. « Le Centre opérationnel actuel, même s’il représente un premier pas dans la bonne direction, est insuffisant et inadapté au degré d’ambition d’un PCO permanent et doit devenir un centre permanent et capable de gérer des missions plus importantes ». Le Parlement préconise ainsi le « regroupement du PCO militaire avec le poste de commandement civil afin de rendre possible la mise en œuvre l’ensemble des opérations militaires et civiles en profitant au maximum des synergies possibles tout en respectant les chaînes de commandement civiles et militaires spécifiques ».
3. Un Conseil de gestion des crises
Le PE souhaite qu’un « conseil de gestion des crises » se réunisse régulièrement. Ce conseil ne serait pas une nouvelle structure en soi. Il serait composé « de la CMPD, de la CCPC, de l’EMUE, du SITCEN, des unités de consolidation de la paix, de prévention des conflits, de médiation et de politique de sécurité, de la présidence de la PSC, des bureaux géographiques et des autres structures thématiques concernées (…) avec la participation des structures d’aide humanitaire, de protection civile et de sécurité intérieure de la Commission en fonction des circonstances ».
Ce conseil serait placé « sous l’autorité de la VP/HR et du secrétaire général exécutif » et les réunions seraient « coordonnées par le directeur général (de) la réponse aux crises ». Il aurait deux tâches principales : la « planification d’urgence unifiée à l’égard des scènes et des scénarios de crise potentiels », « gérer concrètement la réponse aux crises, à travers une plateforme de crise, en coordonnant, tant à Bruxelles que sur le terrain, l’emploi des divers instruments financiers et des capacités dont dispose l’Union ».
Cette structure devrait être dotée d’un « système efficace d’alerte et d’urgence », ainsi qu’une « grande salle opérationnelle unifiée ». Celle-ci serait située « au siège du SEAE, capable d’assurer une surveillance 24 heures sur 24, sept jours sur sept, évitant ainsi l’existence de chevauchements opérationnels, qui cadrent rarement avec la nécessité de disposer d’un système adapté de surveillance et de réaction rapide aux crises ». Une coordination devrait être assurée avec le centre européen pour l’intervention d’urgence.
4. Des missions mieux financées, mieux évaluées, plus intégrées…
Mieux financées. Le PE souhaite une révision du mécanisme Athena, afin de « rationaliser et d’augmenter la part de coûts communs (qui se situe actuellement à environ 10 %) en vue d’une répartition plus équitable des coûts des opérations militaires ».
Mieux évaluées. Le rapport souhaite des « mécanismes formels institutionnalisés plus solides, qui évaluent, à intervalles réguliers et en fonction de critères communs, le déroulement des missions sur le terrain ».
Plus intégrées. « Chaque mission (doit être) intégrée dans une stratégie politique bien définie (à moyen et à long terme). (…) Ces missions ne se substituent à une véritable politique ».
Mieux coordonnées. Le Parlement prône le « renforcement de la coordination sur le terrain entre les différents acteurs : différentes missions opérant sur une même scène, entre les missions PSDC et les autres acteurs et instruments de l’Union, entre les projets de coopération au développement et les missions PSDC, entre l’UE et les autres acteurs internationaux agissant dans le même domaine ».
5. Du personnel mieux formé
Le Parlement propose « un mécanisme communautaire pour renforcer les capacités civiles, surtout par la formation et l’augmentation du personnel civil du Collège européen de sécurité et de défense».
6. Revoir le concept des Battlegroups
Il faut « revoir sérieusement le concept et la structure de ces groupes (tactiques), qui n’ont jusqu’à présent pas été utilisés ». Le Parlement avance deux pistes : 1) la spécialisation de l’un des deux groupes tactiques dans des capacités de niche et/ou des capacités adaptées à des conflits de faible intensité qui exigent des missions hybrides (civiles/militaires) ; 2) imputer les coûts opérationnels y afférents au mécanisme Athena (dont la révision est prévue sous la présidence polonaise).
La spécialisation des battlegroups dans certaines fonctions pourrait être une solution pour le Parlement (Crédit : Ministère suédois de la défense, entraînement du Battlegroup suédois, mars 2011)
7. Un partenariat sur la recherche avec l’Agence de défense
Le Parlement milite sans ambages pour le renforcement de l’Agence européenne de défense, « la mieux à même, au niveau de l’Union, de relever et d’améliorer les capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises et de promouvoir et de renforcer la coopération européenne dans le domaine de l’armement ».
Il souligne aussi la nécessité d’une « coopération étroite » entre l’Agence et la Commission européenne en vue de renforcer les capacités à double usage (civil et militaire) et souhaiterait notamment que les fonds communautaires de la recherche puissent « aller davantage en faveur de projets de sécurité et de défense ». Ainsi il souhaite la mise en place d’un partenariat solide entre tous les participants pour la préparation du 8e programme-cadre en vue « d’investir dans des domaines technologiques présentant un intérêt commun ».
8. Compléter l’organigramme du SEAE
Le Parlement préconise certains ajustements dans l’organigramme actuel du SEAE. Il regrette notamment que celui-ci « ne comprenne pas toutes les unités chargées de la planification et de la programmation des interventions en cas de crise, de la prévention des conflits et de la consolidation de la paix dans les structures de la PSDC ». Et il édicte trois demandes.
1° « Renforcer l’unité de planification opérationnelle des missions civiles de la CPCC ».
2° « Intégrer dans les structures de gestion des crises et de consolidation de la paix du SEAE le service des instruments de politique étrangère chargé de la planification et de la programmation des mesures de réponse aux crises ». Les douze postes AD et cinq postes AST d’ex Relex/A2 ont été intégrés dans l’unité 2 des nouveaux instruments de politique étrangère. Le Parlement a posé une réserve budgétaire dans le budget de la Commission. Et celle-ci ne « sera supprimée que si cette condition est réalisée ».
3° « Créer un centre de services partagés pour la gestion des missions PSDC ». Ceux-ci sont en effet dispersés entre l’ unité 3 « Opérations PESC des instruments de politique étrangère » de la Commission (anciennement, Relex/A3) et l’unité de « soutien aux missions » de la CPCC. Le Parlement souhaite (logiquement) que ces unités soient réunies. Ce nouveau service, « en s’occupant des responsabilités en matière de personnel, de logistique, d’achats et de finances des missions civiles PSDC et en déchargeant les chefs de mission d’une partie de leurs tâches administratives, garantirait une plus grande efficacité, en mettant en commun les fonctions administratives, à partir du processus de sélection et de recrutement du personnel, et en centralisant l’acquisition et la gestion de l’équipement».
9. Développer les compétences du PE
Le Parlement veut aussi défendre, et étendre, ses compétences en matière de politique extérieure, estimant que l’exception contenue dans le Traité doit être interprété de façon restrictive, notamment en matière d’accords internationaux ou quand les intérêts de sécurités intérieure et extérieure sont mélangés. Il se veut également vigilant sur son rôle de contrôle budgétaire en matière de missions.
Accords internationaux. Le Parlement veut ainsi être tenu informé des accords internationaux négociés ou conclus dans l’intérêt de l’Union européenne. Le rapport cite un cas particulier : « les accords relatifs à l’échange d’informations confidentielles ». L’accord du Parlement est nécessaire — rappelle-t-il également — « pour conclure des accords internationaux, y compris ceux qui concernent essentiellement la PESC, à la seule exception de ceux qui la concernent exclusivement ». C’est une antienne régulière du Parlement et les Etats membres y sont réticents. On sait que la bataille ne cessera pas demain et se terminera, un jour, devant la Cour de Justice de l’UE.
Sécurité intérieure et extérieure. Le Parlement considère que divers secteurs comme le terrorisme, le crime organisé et la cyber-sécurité, ont des implications dans les deux dimensions de la sécurité, interne et externe. Dans ce cas, il estime que toutes les initiatives qui auraient un double impact ne pourraient « être lancées (que) dans le cadre de la compétence ordinaire intérieure communautaire », c’est-à-dire avec une base juridique « identifiée », la règle de la majorité qualifiée au Conseil, avec codécision au Parlement européen et contrôle judiciaire de la Cour de justice
Contrôle des missions. Le Parlement réitère enfin sa revendication « d’allouer une ligne budgétaire à chaque mission PSDC », afin de mieux contrôler les dépenses. Au passage, il s’inquiète des « coûts élevés des mesures axées sur la sécurité des missions dans EUJUST LEX Irak et EUPOL Afghanistan, confiées à des sociétés de sécurité privées ». La question devrait revenir lors du débat budgétaire.
10. Une présence de l’UE au Conseil de sécurité de l’ONU
Le Parlement souhaite que le Haut représentant assure la représentation de l’UE et de convaincre les Etats membres de « convenir d’un système de rotation qui garantira à l’Union un siège permanent au CSNU ».
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