Depuis les années 80, les politiques français misent sur une relance de la demande par la dépense publique. Ce qui accroît le déficit public. Or lorsque ce dernier devient trop important, on se rabat sur l’impôt. Aujourd’hui la dette atteint près de 100% du PIB et la croissance ne permet plus de faire face aux intérêts. Les engagements financiers de la France atteignent 2 fois le budget de la Défense, soit près de 60 milliards d’euros. Dans ce contexte, il a été décidé dès 2012 de rédiger un nouveau Livre Blanc, devant donner lieu à une loi de programmation militaire (LPM). L’objectif : adapter l’outil militaire et son industrie aux enjeux de la prochaine décennie. Nous allons nous interroger sur les conséquences industrielles de cette nouvelle réflexion stratégique.
Mise en perspective du dernier Livre Blanc et de la future Loi de Programmation Militaire (LPM)
Depuis la professionnalisation des armées de 1996, une succession de réformes ont rendu instable le format de nos armées. Les deux livres-blanc de 2008 et 2013 remettent à plat l’analyse stratégique militaire. Les réponses aux menaces restent identiques, mais c’est le format des forces armées qui est touché, avec une réduction systématique des matériels, effectifs et budgets lors des transcriptions en loi de finance pluriannuelles LPM.
EVOLUTION EN 20 ANS
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1994
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2008
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2013
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Forces projetables
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120 000 à 130 000 hommes
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30 000 à 50 000 hommes
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15 000 hommes
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Forces aériennes projetables
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Plus de 200 avions de combat
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90 avions de combat
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45 avions de combat
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Il est à noter qu’un programme de recherche dans une filière industrielle militaire se travaille sur plusieurs décennies et qu’il nécessite une stabilité budgétaire pour sécuriser les commandes et ainsi stabiliser le coût de production. D’autre part, le livre blanc fixe un contrat opérationnel qui détermine les effectifs et moyens lors d’un engagement dans une situation opérationnelle prédéfinie. Ainsi, si l’objectif donné aux armées pour un besoin sur un théâtre d’opération est de 15 000 hommes et 100 camions, le jour J, vous n’aurez que cette intervention possible. Cela s’appelle la Politique d’Emploi et de Gestion des Parcs (PEGP). Objectif : optimiser au maximum, ce qui entraine un travail en flux tendu dans un domaine où les choses ne peuvent fonctionner durablement comme tel.
Le programme Scorpion doit assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes, unités du combat au sol.
Cette fragilité politique concernant l’effort de défense vient frapper de plein fouet un pan industriel et technologique de la France. Et ce pan industriel, autant civil que militaire regroupe pour la partie militaire pas moins de 4 000 entreprises, plus de 165 000 emplois dont 20 000 hautement qualifiés, plus de 15 Mds d’euros de chiffre d’affaire dont 25 à 40 % sont des exportations. Les domaines concernés vont de l’aéronautique, la robotique, le spatial, les télécommunications à l’informatique, le cryptage, le transport. Le Livre Blanc de 2008 chiffrait ce lien civilo-militaire : « La France et l’Europe doivent favoriser les synergies entre la recherche civile et la recherche de défense et de sécurité. En effet, 60 % de la recherche financée par la Défense ont des retombées dans le secteur civil, contre 20 % seulement en sens inverse ». D’après Christian Mons, président du GICAT, la perte d’un milliard du budget d’investissement au ministère de la défense représente une perte de 10 000 emplois directs, et autant d’indirects. On sait également que pour 1€ investi par la France dans ses équipements de Défense, le retour d’après le GICAT est de 1,30€ à 1,70€ à termes pour les recettes de l’Etat.
Le Livre Blanc et la LPM sont-ils déjà caducs ?
Rappelons tout d’abord que la lenteur du vote de la loi de cadrage budgétaire pluriannuel issue du livre blanc de 2013 entraine un report de commandes d’environ 300 millions d’euros. D’autre part, d’ici à 2019, il va manquer chaque année 2 milliards d’euros à la DGA pour payer toutes ses factures. Au moindre gel de crédit, la Direction basculerait en cessation de paiements. Même si la DGA a l’habitude de jongler avec sa trésorerie, c’est la première fois qu’une loi de programmation militaire va démarrer avec un tel niveau de report de charges.
A ces contraintes de report, nous ajoutons deux habitudes inquiétantes pointés par de nombreux rapports parlementaires. La première est le recours à des recettes exceptionnelles difficilement maitrisables, et la seconde l’ajustement des gels de crédits par l’investissement, au titre de la réserve interministérielle. Les marges de manœuvre pour la mise en place d’une nouvelle LPM semblent bien réduites.
Repenser l’interaction armée/industrie en cercle vertueux pour la croissance et l’emploi
Dans un contexte de défis majeurs pour la France (relance de la croissance, baisse des déficits) il serait important de reconsidérer l’option, à contre-courant, d’augmentation du budget de la Défense. Celle-ci aurait un impact fort, dès lors que les investissements publics seraient ciblés et stratégiques. Ces derniers seraient concentrés dans des zones d’avenir moins rentables ou certaines technologies innovantes et chères, déchargeant les groupes industriels qui pourraient se concentrer sur l’amélioration de leurs exportations (baisse des prix et augmentation des cadences de production) et ainsi l’augmentation des emplois. Il en résulterait une baisse des contributions et soutien à l’emploi pour ce secteur.
N’oublions pas également que le système d’investissements publics dans l’industrie de la défense constitue un puissant outil de politique industrielle. En effet, la plupart des entreprises du secteur de la défense sont aujourd’hui privées. Ce qui signifie que le gouvernement ne peut légitimement pas intervenir dans les politiques d’innovation de celles-ci sauf s’il investit lui-même dans la recherche via des partenariats de développement, d’investissement comprenant un co-financement, via appel d’offre pour le respect les règles de la concurrence. Ces investissements dans la R&D permettent au pays de garder un certain contrôle sur ses technologies qui peuvent s’avérer déterminantes et sensibles.
En guise de conclusion…
Dans « Pilote de Guerre », Saint Exupéry s’interroge sur les raisons qui ont amené le pays au bord du gouffre. « Ce ne sont point les matériaux qui sont en cause, mais l’Horloger. […] Et les hommes ont tout sauvé. » Il faut redonner confiance en l’homme pour qu’il puisse exploiter ses qualités d’innovateur et de producteur en donnant un souffle aux entreprises, à commencer par celles du secteur militaire, à la pointe des technologies et au carrefour de si nombreux emplois en France.