20/10/2014 Par François Cornut-Gentille*, Jean Launay* - FIGARO Vox Societe
FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que la France bombarde en Irak pour la troisième fois, les rapporteurs spéciaux du budget de la défense à la Commission des finances s'inquiètent du manque de moyens dont dispose l'armée.
Moins d'un an après son adoption par le Parlement, nos armées, et à travers nous la représentation nationale, s'inquiètent légitimement des risques pesants sur l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) qui définit les moyens du ministère de la défense sur la période 2014-2019. Certes, le budget de la défense pour 2015 prévoit bien des crédits à hauteur de 31,4 milliards d'euros pour la défense, conformément à la LPM. Seulement, sur ce montant, 2,3 milliards proviennent de ressources dites «exceptionnelles», c'est-à-dire de crédits hors budget dont le caractère «exceptionnel», loin d'être une faveur, constitue aujourd'hui un défi.
En effet, ces ressources, encore virtuelles à ce jour, devraient majoritairement provenir de la vente de la bande de fréquences hertziennes comprise entre 694 et 790 Mégahertz, communément appelée «bande des 700 Mhz», dont le ministère de la défense n'a plus l'utilité et qui sera donc attribuée aux opérateurs privés après un processus de mise aux enchères. Toutefois, cette vente dépend de la conclusion de négociations internationales et européennes qui visent à organiser la gestion du spectre hertzien et ces négociations ne seront pas achevées avant la fin de l'année 2015, pour des ventes effectives qui seront effectuées au plus tôt en 2016.
Il y a donc un trou de 2,1 milliards d'euros dans la raquette de la mission défense pour 2015. C'est ce décalage qui nous inquiète aujourd'hui. En effet, l'année 2015 doit être une année charnière sur le plan de l'équipement des forces armées. Des matériels indispensables (drones, avions ravitailleurs, système satellitaire de communication, équipements de l'armée de terre, etc…) doivent être commandés l'an prochain conformément à la LPM. Certains équipements et véhicules de transport dépassent aujourd'hui les cinquante années d'existence et ne sont plus sûrs pour nos militaires. Par ailleurs, le report de charges, c'est-à-dire les factures en cours de paiement à ce jour par le ministère de la défense, atteint déjà 3,4 milliards d'euros, un record et un seuil critique.
Il n'est donc plus possible de tirer sur la corde. En l'absence de ressources, et donc de commandes, le risque est non seulement d'affaiblir les capacités opérationnelles de nos troupes, au moment où celles-ci sont déployées sur de nombreux fronts (Mali, République centrafricaine, Irak) mais aussi les entreprises de défense et les PME qui travaillent avec elles. Or, les armées ont déjà payé un lourd tribut à la réduction du déficit public: en 2014, 65% des réductions d'effectifs au sein de l'Etat seront portés par le seul ministère de la défense, qui devra supprimer près de 33 600 postes d'ici à 2019.
Une solution est proposée par le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian: la création d'une société de projets financée par la vente d'actifs publics au sein d'entreprises de défense et qui fonctionnerait selon un principe inspiré du «leasing» ou du crédit-bail. Concrètement, cette société publique, avec peut-être une composante privée, pourrait acheter, pour le compte de l'Etat, du matériel militaire afin de lui louer contre le paiement d'un loyer. Cela permettrait d'attendre la perception effective des recettes «exceptionnelles» sans retarder l'effort d'équipement des armées. Mais les modalités de constitution, de dotation en capital et de gouvernance de cette société, ainsi que la nécessité de ne pas affaiblir la capacité de l'Etat à influer des décisions industrielles stratégiques, sont autant de difficultés sur lesquelles nous n'avons, à ce jour, aucune visibilité. Or, tout décalage dans la perception de ces recettes risque de compromettre le fragile équilibre dessiné par la LPM. C'est pourquoi l'élaboration d'un calendrier précis des différentes étapes envisagées par le Gouvernement est ainsi fondamentale.
Au-delà, nous souhaitons également que l'exceptionnel, en matière de moyens alloués à la défense nationale, ne remplace pas les crédits ordinaires, ainsi que l'a recommandé la Cour des Comptes à maintes reprises. A cet égard, puisque le produit de la vente des fréquences hertziennes sera bien effectif à un moment donné, pourquoi ne pas l'affecter directement au désendettement ou au budget de l'Etat et ouvrir, en attendant cette échéance, les crédits budgétaires correspondant pour le ministère de la Défense? L'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) autorise cette solution si une disposition expresse d'une loi de finances le prévoit. Une telle solution, qui assurerait les armées de percevoir les moyens qui leur ont été promis, aurait un impact neutre à long terme sur le déficit public. Pourquoi avoir également écarté la solution des investissements d'avenir qui auraient pu permettre au ministère de la défense de disposer des crédits nécessaires pour lancer certaines commandes essentielles, notamment dans le domaine du spatial?
Parce qu'il est question de préserver notre sécurité et l'intérêt général de la nation, de ne pas ternir la crédibilité de la France et de ses armées au niveau international, nous considérons qu'il est urgent d'apporter des réponses financières concrètes aux armées. L'incertitude crée de l'inquiétude. Or, nos armées ont besoin d'avoir la même confiance dans la loi de programmation militaire que celle que l'exécutif et le peuple leur témoignent, à juste titre, dans la conduite des opérations extérieures.
* François Cornut-Gentille et Jean Launay sont les rapporteurs spéciaux du budget de la défense au sein de la Commission des finances de l'Assemblée nationale.