En 2014, Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, compte notamment sur 1,5 milliard d'euros provenant du Programme d'investissement d'avenir (PIA) et 210 millions de cessions immobilières.
2014, première annuité de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019. Premier test grandeur nature sur la fiabilité de la parole du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, qui avait estimé dans La Tribune que "l'ensemble de la loi de programmation militaire est blindé". Notamment sur les ressources exceptionnelles, les fameuses REX, une des clés de la réussite ou pas de la LPM avec les annulations de crédits. "Certains beaux esprits me disent qu'aucune loi de programmation n'a été entièrement réalisée : je le sais, mais j'espère être le premier à réussir !", a-t-il averti avant le vote de la LPM fin 2013. Un défi à la mesure de Breton têtu.
Près de 1,8 milliard d'euros de ressources exceptionnelles en 2014
Le ministre est sûr de lui. Il est sûr d'obtenir en 2014 les REX prévues pour 2014. Tout comme il avait atteint son objectif en 2013. "Nous avons déjà identifié l'origine des 1,8 milliard d'euros de ressources exceptionnelles pour 2014 (programme d'investissements d'avenir, cessions d'actifs, cessions immobilières…). Je n'ai aucune inquiétude sur ce dossier", avait-il assuré en novembre dernier à "La Tribune". Soit. En 2014, Jean-Yves Le Drian compte notamment sur 1,5 milliard d'euros provenant du Programme d'investissement d'avenir (PIA) et 210 millions de cessions immobilières.
Il faudra aussi que le ministre trouve aussi les 500 millions supplémentaires de REX obtenues in extremis fin 2013 après l'annulation de 720 millions d'euros de crédits budgétaires par Matignon mais qui restent encore à flécher. "Cette loi de programmation est cohérente et équilibrée, et n'a de sens que si elle est réalisée totalement : enlevez une pierre de l'édifice et vous le ferez s'écrouler. Je suis conscient de cette fragilité", avait expliqué le ministre, qui peut faire jouer la clause de sauvegarde des ressources exceptionnelles en cas d'échec des solutions initiales.
Ainsi d'autres ressources exceptionnelles pourront être mobilisées si le produit ou le séquencement des ressources exceptionnelles prévues est insuffisant. "Il y a un engagement politique", assure-t-on dans l'entourage du ministre. Par ailleurs, Jean-Yves Le Drian pourra bénéficier jusqu'à 900 millions d'euros de REX supplémentaires si le produit des ressources exceptionnelles est supérieur aux prévisions. "Cela nous permettrait de nous protéger contre les aléas de la LPM", précise-t-on au sein du ministère.
Une usine à gaz ?
Toutefois, les techniciens de la cuisine budgétaire se grattent la tête pour trouver la bonne tuyauterie pour faire dériver ces recettes vers l'Hôtel de Brienne. "Faire passer des crédits de plan d'investissement d'avenir sur des programmes d'armement n'est en effet pas aisé", a même reconnu cet automne le secrétaire général pour l'administration du ministère de la Défense, Jean-Paul Bodin. Car l'affectation des REX, celles notamment en provenance du PIA et des cessions d'actifs, sur le compte chèque du ministère de la Défense est tout sauf une sinécure.
C'est même une usine à gaz très, très imaginative pour inventer la tuyauterie pour que ces REX atterrissent comme prévu dans le budget du ministère. Le ministère de la Défense et Bercy doivent bien déterminer les flux, les mécaniques et la technique financière. Car la LOLF (article 21) exige qu'il y ait une relation directe entre recettes enregistrées sur le Compte d'affectation spéciale (CAS) et dépenses qu'elles financent. "Cette caractéristique rend particulièrement délicate la gestion de l'aléa inhérent à ce type de ressource", note le sénateur Yves Krattinger, rapporteur du projet de la LPM au nom de la commission des finances du Sénat.
Et la Cour des comptes se montre toujours particulièrement vigilante sur les REX. Elle a mis en cause à plusieurs reprises la régularité de l'imputation de certaines dépenses sur le CAS. Car les CAS sont "susceptibles d'abus et parfois dénoncés comme abritant des opérations de débudgétisation", regrette le sénateur de Franche-Comté.
Des contraintes très fortes
Clairement ces recettes exceptionnelles doivent financer certains programmes et pas d'autres. Et encore moins les dépenses de fonctionnement. Le fléchage exigé par la LOLF doit être très fin. Par exemple, le produit des cessions de bandes de fréquences compté comme recette exceptionnelle sera retracé par le CAS "Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien".
Ainsi, le surplus éventuel de recettes tirées des cessions immobilières du ministère ne pourrait normalement venir financer les dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux services de télécommunications du ministère de la défense si le produit de la cession de bandes de fréquences ne correspondait pas aux prévisions portant sur son montant et/ou son calendrier.
Un fléchage des REX très précis
Par conséquent, le ministère sera obligé de dépenser ces REX en ne finançant que des dépenses d'investissement et de fonctionnement liées aux services de télécommunications utilisant le spectre hertzien ou visant à en améliorer l'utilisation, y compris le transfert de services vers des supports non hertziens. Ou encore en finançant des dépenses d'investissement et de fonctionnement liées à l'interception ou au traitement des émissions électromagnétiques, à des fins de surveillance ou de renseignement, à l'image du programme d'écoute électromagnétique CERES, prévu par la LPM.
C'est aussi le cas pour les recettes immobilières. La programmation 2014 tient compte d'un montant global de 200 millions d'euros, en cohérence avec la trajectoire financière des investissements immobiliers du ministère. En 2014, le ministère de la Défense a prévu 342 millions d'euros de produits de cession, dont 284 millions pour les emprises parisiennes. C'est aussi sans compter sur la politique du gouvernement en matière de logements sociaux (Loi Duflot I), qui peut réduire des recettes essentielles à la LPM.
Le flou du PIA vers les dépenses de défense
Pour les recettes provenant du PIA, le ministre travaille avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et le CNES. Les fonds versés au CEA pourront notamment être consacrés à des études et développements portant sur la chaufferie nucléaire du Barracuda, programme dont la phase de réalisation a été lancée en 2006. Le ministère travaille aussi sur des opérations portées par le Centre national d'études spatiales (CNES) dont la maîtrise d'ouvrage du programme MUSIS (multinational space-based imaging system for surveillance, reconnaissance and observation) lui a été déléguée dès 2009.
Mais curieusement le programme 402 "Excellence technologique des industries de défense" n'est pas mentionné par le projet annuel de performance (PAP) pour 2014, selon le rapport du sénateur Yves Krattinger. Pourtant les dépenses prévues sont comptabilisées pour leur grande part (1,5 milliard) comme des dépenses d'investissement de l'Etat et non comme des dotations en fonds propres comme la LOLF l'exige.
Des risques d'annulation de crédits
En dépit de la sanctuarisation des crédits de la défense, des risques d'annulation de crédits pèsent sur la Loi de programmation militaire. Sans compter les reports de charges qui s'élèvent à fin 2013 à 3,6 milliards d'euros. Curieusement, le ministre de la Défense est absent du Conseil stratégique de la dépense publique qui réunit, outre le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici (Economie et Finances), Bernard Cazeneuve (Budget), Marisol Touraine (Affaires Sociales et Santé), Michel Sapin (Travail) et Marylise Lebranchu (Réforme de l'Etat et Fonction Publique).
En 2014, Bercy doit trouver 15 milliards d'économies, dont 9 milliards sur les dépenses de l'Etat. Puis, la moitié des quelque 50 milliards d'euros d'économies prévues de 2015 à 2017 se fera par des réformes structurelles et l'autre moitié sera trouvée pour 20 milliards sur l'Etat et la branche maladie de la Sécurité sociale et 4 milliards sur les retraites et la branche famille, selon le ministre du Budget. Le budget du ministère de la Défense ne devrait pas être épargné. Et c'est bien ce que tous les industriels craignent.
Car "l'exécution est le point clé de cette LPM", déjà très contraignante, avait souligné en septembre dernier lors des universités de la Défense, le numéro deux de Thales, Patrice Caine. Et grands patrons des groupes de défense avaient signé une tribune dans laquelle ils estimaient que cette LPM "devra recréer une relation de confiance avec l'industrie qui passera par le respect des engagements pris et par une sincérité budgétaire, corollaire d'une visibilité à moyen et long terme indispensable à la survie de nos outils de production, et des emplois qui y sont associés".