14/06/2013 Propos recueillis par Michel Cabirol – LaTribune.fr
A la tête de Thales depuis près de six mois, Jean-Bernard Lévy a rapidement refermé la parenthèse du malaise, qui affectait la vie du groupe. Tout en poursuivant l'optimisation de l'entreprise, le PDG fixe également un ambitieux objectif de croissance, qui passe notamment par la conquête de contrats dans les pays émergents et la multiplication des implantations et des partenariats locaux. Quand Thales redevient multidomestique...
Vous êtes à la tête de Thales depuis maintenant près de six mois. Avez-vous terminé votre première phase de reconstruction avec la constitution de votre équipe et la mise en place de votre organisation ?
A mon arrivée, je me suis attaché à la réalisation de deux objectifs immédiats : rétablir le dialogue social et mettre en place une nouvelle organisation une équipe. Ces objectifs ont été atteints. Sur le plan social, le contact avec les organisations syndicales a été très rapidement renoué dans la confiance et le respect mutuel. Nous avons d'ailleurs signé fin avril deux accords - un sur le télétravail, l'autre sur la gestion anticipée de l'emploi - avec les quatre organisations syndicales représentatives de Thales. Il y a eu unanimité.
Mission accomplie également en matière d'organisation ?
J'ai annoncé dès le début du mois de février la constitution d'un nouveau comité exécutif, qui est maintenant au complet. Il rassemble douze personnes, dont dix étaient déjà chez Thales à mon arrivée. Il y a deux nouveaux venus : le secrétaire général Philippe Logak, et le directeur général des ressources humaines, David Tournadre. En matière d'organisation, j'ai modifié assez profondément la précédente. Pourquoi ? La situation n'était pas satisfaisant avec une fracture génératrice de divisions entre les responsables des produits et les responsables des clients. La nouvelle organisation rétablit une solidarité dans la responsabilité du produit vers le client.. Deuxième changement : structurer notre organisation à l'international en fonction des enjeux commerciaux de Thales dans les différents pays. Cette spécialisation de l'organisation en fonction des potentiels de croissance a été annoncée en février et mise en place le 1er avril.
Peut-on aujourd'hui dire que Thales est un groupe apaisé ?
La parenthèse du malaise est désormais refermée. Thales est en ordre de marche et nous nous concentrons sur notre développement.
Vous avez annoncé en début d'année un plan stratégique pour cet été. Comment allez-vous procéder pour trouver l'équilibre entre une amélioration de la rentabilité du groupe et son développement, qui impose des investissements ?
Je crois qu'il ne faut pas opposer mais concilier croissance et rentabilité. La croissance est l'un des deux grands moteurs de la rentabilité, l'autre étant la productivité. Thales s'est jusqu'ici beaucoup concentré sur sa productivité et a donc réalisé des progrès, qui se sont traduits par une amélioration des résultats en 2011, puis en 2012. Ils devraient encore s'améliorer en 2013. Une amélioration réalisée par des économies mais avec un chiffre d'affaires qui stagne. Il y a des limites à la rentabilité lorsqu'il n'y a pas de croissance. Ce qui est notre cas. De plus, nous devons rendre une partie de ces gains de productivité à nos clients parce que Thales est dans un monde très concurrentiel. C'est pour cela qu'il faut un relais pour les profits à venir : la croissance. Tout comme pour les efforts de productivité, Thales doit avoir la même énergie pour retrouver le chemin de la croissance. C'est le nouveau souffle dont nous avons besoin.
Quand comptez-vous tirer les fruits de cette nouvelle organisation ?
Ces efforts peuvent prendre un peu de temps avant de porter leurs fruits. Thales est dans une industrie de projets à cycle long. Dès à présent, nous recherchons toutes les opportunités de croissance. Notre effort pour aller chercher la croissance - je ne parle que de croissance organique - devra s'orienter vers les pays émergents. Il n'y a pas d'avenir pour Thales si nous n'arrivons pas à faire croître d'abord nos prises de commandes, et notre chiffre d'affaires dans les pays dont les économies sont elles-mêmes en croissance.
Les pays émergents sont-ils la nouvelle martingale de Thales ?
Ces dernières années, le chiffre d'affaires réalisé dans les pays émergents tourne autour de20 % à 22 %. Nous pouvons faire mieux. Comment? En allant au-delà du modèle traditionnel de l'exportation. Thales devra investir dans des implantations et nouer des partenariats, pour travailler, s'implanter dans et tisser des liens de confiance avec les clients, dans la durée. C'est l'un des objectifs de l'organisation qu'anime Pascale Sourisse, la directrice générale en charge de l'international.
Le Moyen Orient était une région où Thales détenait de positions fortes. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui alors que le groupe a actuellement des campagnes cruciales. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Thales a eu, par le passé, des positions commerciales fortes au Moyen-Orient qui se sont érodées. Notamment par manque d'implantation durable. De toute évidence, le Moyen-Orient est aujourd'hui une région à reconquérir pour Thales. Il faut effectuer un travail de fond à tous les niveaux : politique, commercial, partenarial et technique. Et quand je vois les succès d'Airbus au Moyen-Orient, je suis optimiste.
Quels sont les objectifs chiffrés de votre stratégie dans les pays émergents ?
Nous allons travailler sur des perspectives ambitieuses. Notamment parce que nous souhaitons aussi miser sur les activités civiles, qui est le second moteur de la croissance du Groupe. Assez vite, nous devrions voir nos activités civiles équilibrer, voire dépasser les activités militaires.
C'est une révolution chez Thales... Ce renversement est-il dû à la baisse des budgets militaires dans les pays occidentaux ?
Nous allons subir dans le domaine de la défense la baisse des budgets militaires dans les pays occidentaux. Mais nous avons des atouts pour résister. Nous sommes un systémier, un intégrateur de technologies dans les domaines électroniques, des systèmes d'armes, des systèmes de commandement, où il y a un renouvellement plus rapide des produits que dans les plateformes. Quoi qu'il en soit, nous nous devons d'être plus présents sur les marchés de défense en croissance. Nous avons identifié une quinzaine de pays dans le monde, qui ont à la fois une croissance économique et la volonté d'avoir une armée bien équipée.
Avec la publication du Livre blanc, êtes-vous rassuré sur le maintien de toutes les filières industrielles existantes en France ?
Nous nous interrogeons sur la compatibilité entre les engagements qui seront inscrit dans la Loi de programmation militaire (LPM) et le maintien de toutes les filières au sein de l'industrie de défense et de sécurité française. Nous cherchons à obtenir toutes les garanties sur un maintien des capacités technologiques existantes. Nous avons été rassurés par la volonté exprimée par le président de la République et les chiffres qu'il a annoncés. Mais bien sûr, nous restons dans l'attente de la programmation détaillée.
On évoque beaucoup une nouvelle phase de consolidation en Europe. Préparez-vous Thales à ce mouvement ?
Les restructurations de périmètre ne sont pas au cœur de la démarche stratégique de Thales. Le groupe a les moyens de son développement sans croissance externe. Mais si un jour, une initiative remplissait les conditions suffisantes en matières de cohérence stratégique, de prix, de compétitivité des filières concernées, elle serait bien entendu mise à l'ordre du jour.
Mais une opération du type EADS/BAE Systems pourrait-il mettre Thales en danger ?
Il faut être prêt à tous les scénarios possibles. Dans le cas que vous citez, EADS comme BAE Systems sont pour nous de grands partenaires et de grands clients dans plusieurs domaines d'activités. Je crois qu'en toutes circonstances, c'est la qualité et la compétitivité de nos produits, qui nous permettra de maintenir ces partenariats.
Donc Thales n'est en rien concerné par un mouvement de consolidation.
Dans de très nombreux domaines, Thales agit déjà dans une filière qui a été largement concentrée, et souvent à notre initiative. Nous serons des spectateurs attentifs s'il y a des consolidations qui voient le jour, et peut-être des acteurs si cela fait sens.
Pourtant on vous prête des envies. Voulez-vous monter dans le capital de DCNS ?
Rappelons juste deux vérités indiscutables : Thales possède 35 % de DCNS et une opération de concentration n'a de sens que si elle améliore la compétitivité des filières industrielles concernées et les perspectives d'exportation.
Mais j'imagine que vous avez déjà réfléchi à cet élément du dossier...
En tout cas, il faudrait que le conseil d'administration de Thales soit persuadé de la création de valeur. Pour cela, il faudrait que plusieurs éléments soient rassemblés : un acheteur, un vendeur, un prix, un régulateur qui soit d'accord.
Mais Thales est-il intéressé ou pas ?
Si l'Etat le moment venu déclare ses intentions, il est évident que le conseil d'administration de Thales regardera quelles sont les intentions de l'Etat.
Et sur Nexter, Safran et Finmeccanica ?
Sur le dossier Nexter, Thales n'a pas 35 % du capital. Et je n'ai pas en tête qu'il y ait des synergies technologiques et industrielles entre les deux groupes. Avec Safran, Thales a eu de longues discussions, désormais closes. J'en conclus que les différentes opérations évoquées entre les deux groupes ne présentaient pas de sens industriel. Enfin, sur Finmecanicca, nous sommes partenaires dans le spatial, avec un grand degré de confiance réciproque.
Quels sont les moteurs de croissance de Thales dans le civil ?
Thales a plusieurs moteurs de croissance dans le civil : sécurité, spatial, transport ferroviaire, transport aérien. Dans quelques années les activités civiles, de façon assez naturelle, représenteront plus de 50 % du chiffre d'affaires de Thales.
Et le transport ferroviaire ?
Le transport ferroviaire marche bien en ce moment avec une réelle présence mondiale. Au cours des six derniers mois, Thales a gagné de nombreuses affaires de métros. C'est le cas en Chine, au Brésil et au Canada. Le groupe a également gagné des contrats pour fournir des systèmes ferroviaires modernes en Egypte et en Afrique du Sud.
Quelles sont vos relations avec Dassault Aviation ?
Thales a deux grands actionnaires qui s'inscrivent dans la durée, l'Etat et Dassault Aviation. Ils sont liés par un pacte. Thales travaille avec ces deux grands actionnaires selon les dispositions contenues dans le pacte. Et nous sommes bien sûr le partenaire industriel fidèle de Dassault dans plusieurs programmes très importants, en particulier le Rafale.