Du Mali à la Syrie: les deux crises majeures dont s'est emparée la France en 2013 sont vécues à fronts renversés dans les ministères. Gérée avec brio, dynamisme et enthousiasme par le ministère de la Défense et les armées françaises, l'intervention déclenchée au début de l'année contre les groupes islamistes au Mali avait suscité des réticences et même parfois, au début, une certaine indifférence au Quai d'Orsay. Vis-à-vis de la Syrie, c'est l'inverse: depuis le début de la crise, la Défense est en retrait sur le dossier, accaparé par les diplomates du Quai d'Orsay, qui poussent avec énergie et conviction vers des frappes militaires contre le régime de Bachar el-Assad.
Effacé au Mali, Laurent Fabius s'est transformé en chef de guerre avec la crise syrienne. «C'est lui le véritable va-t-en-guerre du gouvernement. Il a convaincu François Hollande et imposé la ligne des durs et des faucons», explique un officier général proche des cercles de pouvoir. Pourquoi? Certains évoquent un désir de revanche. «Écrasé» par le ministère de la Défense pendant la crise malienne, le ministre des Affaires étrangères aurait voulu «reprendre la main» en Syrie. Ceux qui le côtoient dans les réunions évoquent aussi son «approche humanitaire» du dossier, la nécessité de défendre à tout prix les droits de l'homme lorsqu'ils sont bafoués.
Paris met aussi en avant la lutte contre la prolifération et l'impératif de restaurer «la dissuasion», mise à mal par l'utilisation d'armes chimiques. Avec, derrière le rideau syrien, une autre crise, qui se profile à l'horizon, celle de la bombe nucléaire iranienne.
Enfin, la détermination du chef de la diplomatie française s'appuie sur un impératif de «cohérence». «C'est un dossier que nous avons hérité de la présidence Sarkozy, mais dont Laurent Fabius s'est tout de suite emparé. Depuis le début, c'est lui qui pousse les Américains à agir. Que sa prise de position soit courageuse ou imprudente, elle a au moins le mérite d'exister. Nous nous sommes mis en avant très tôt sur ce dossier. La crédibilité de la France était en jeu», rappelle un diplomate.
Le ministre a toujours été à l'avant-garde sur le dossier: d'abord en reconnaissant la coalition nationale de l'opposition, ensuite en proposant d'armer les rebelles. Le «basculement» constitué par l'attaque chimique du 21 août à Damas aurait fait naître chez lui la conviction qu'il ne peut désormais y avoir reprise du processus politique sans imposer un «coup d'arrêt» à Bachar el-Assad.
Manque de visibilité
Au ministère de la Défense, la prudence est davantage de mise sur cette affaire, depuis le début. La proposition d'armer les rebelles avait déjà, lorsqu'elle avait été faite, suscité des interrogations. Aujourd'hui, certains regrettent que d'autres solutions, notamment des sanctions supplémentaires vis-à-vis du régime syrien, n'aient pas été suffisamment explorées par les Affaires étrangères.
À peine sorti de la crise malienne, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a repris son bâton de pèlerin pour tenter de rallier ses partenaires européens à la position officielle de la France. Comme il l'avait fait un an plus tôt à Chypre, il a multiplié les contacts avec ses homologues lors de la réunion de l'Union européenne à Vilnius, le week-end dernier. Mais cette partie est plus difficile à jouer. «Depuis deux semaines, Laurent Fabius ne prône qu'un discours de guerre. Comment s'étonner que les pays européens non interventionnistes soient réticents? On aurait peut-être pu faire autrement, davantage mobiliser nos alliés autour d'une solution diplomatique», analyse un responsable proche du dossier.
Les mêmes divisions se perçoivent dans les armées. Certains estiment qu'il n'y a d'autre solution que de réagir au franchissement de la «ligne rouge» constituée par l'utilisation d'armes chimiques. D'autres redoutent «le jour d'après» les frappes militaires. «La prudence et la réticence de certains sont nourries par le manque de visibilité politique pour la suite. Mais aussi par la peur que la France, en soutenant les rebelles, se fasse l'allié du démon», commente un officier général.
Malgré les doutes, les états majors se préparent à l'intervention, afin d'être opérationnels si des frappes sont ordonnées par le pouvoir politique. La participation de la France aux côtés des Américains devrait être, prédit un général, «un peu plus que symbolique», basée sur l'action des Rafale, équipés de missiles de croisière Scalp. François Hollande a affirmé que seules des «cibles militaires» seraient visées. L'action des armées françaises aux côtés des Américains devrait par ailleurs être menée de manière «autonome et souveraine». De quoi, espère-t-on à Paris, réconcilier tout le monde.