14.05.2013 DGSE
Le Livre blanc 2013.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été rendu public par le président de la République le lundi 29 avril 2013. Ce document fixe les orientations stratégiques des quinze prochaines années et servira de socle à la future loi de programmation militaire (2014-2019).
Le renseignement est une priorité du Livre blanc, soulignée à plusieurs reprises par le président de la République, notamment lors du lancement des travaux du Livre blanc le 13 juillet 2012 : « ce qui est ici en cause, c’est la faculté de notre pays de conserver sa liberté d’appréciation et de décision ».
Les six services de renseignement ont été constitués depuis 2008 en communauté du renseignement dont la gouvernance est organisée autour du Coordonnateur national du renseignement (CNR). L’académie du renseignement, créée en 2010, a véritablement contribué à l’émergence d’une culture partagée au sein de la communauté française du renseignement.
Le Livre blanc confirme le rôle central du renseignement dans la stratégie de défense et de sécurité nationale et préconise :
- le principe de mutualisation des moyens pour le renseignement ;
- le renforcement de la gouvernance du renseignement ;
- un effort particulier en faveur du renseignement intérieur ;
- un effort d’investissement majeur dans tous les domaines du renseignement.
LIVRE BLANC DEFENSE ET SECURITE NATIONALE 2013
Extrait CHAPITRE 6 : LA MISE EN ŒUVRE DE LA STRATEGIE
A. La connaissance et l’anticipation
La fonction connaissance et anticipation a une importance particulière parce qu’une capacité d’appréciation autonome des situations est la condition de décisions libres et souveraines. Cette fonction recouvre notamment le renseignement et la prospective. Elle permet l’anticipation stratégique qui éclaire l’action. Elle est également une condition de l’efficacité opérationnelle des forces et contribue à l’économie des moyens que celles-ci utilisent pour remplir leurs missions.
Cette capacité nous permet de nous engager en toute connaissance de cause dans des actions qui sont de plus en plus coordonnées, voire menées en commun, avec nos partenaires et alliés. Allant de la collecte de l’information à la préparation éclairée de la décision politique et opérationnelle, une bonne connaissance de l’environnement stratégique et tactique est indispensable à la prévention des risques et des menaces comme à leur neutralisation lorsque la prévention a échoué.
Le renseignement joue un rôle central dans la fonction connaissance et anticipation. Il irrigue chacune des autres fonctions stratégiques de notre défense et de notre sécurité nationale. Il doit servir autant à la prise de décision politique et stratégique qu’à la planification et à la conduite des opérations au niveau tactique. Au-delà, il éclaire notre politique étrangère et notre politique économique. Un effort particulier doit donc lui être consacré pour la période à venir, qui devrait concerner à la fois les ressources humaines et les capacités techniques de recueil et d’exploitation des données. Le renseignement d’origine humaine (ROHUM), le renseignement électromagnétique (ROEM) et le renseignement image (ROIM) sont complémentaires et indissociables. C’est la combinaison des informations recueillies par ces trois voies qui donne au renseignement sa valeur.
Conformément aux recommandations formulées par le Livre blanc de 2008, la gouvernance des services de renseignement a été réorganisée autour du coordonnateur national du renseignement (CNR). Conseiller du Président de la République et exerçant certaines de ses missions pour le compte du Premier ministre, il coordonne l’action des services de renseignement et s’assure de leur bonne coopération. Son rôle doit être conforté, notamment en matière de mutualisation des moyens et dans le domaine budgétaire.
Également instauré en 2008, le conseil national du renseignement, qui se réunit sous la présidence du Chef de l’État, doit assurer le pilotage stratégique du renseignement. À l’avenir, il arrêtera une stratégie nationale du renseignement dont les grandes lignes seront rendues publiques. Document de référence, cette stratégie confortera la légitimité des activités de renseignement.
La coopération interservices a également été favorisée par l’émergence d’une « communauté du renseignement », composée de six services : deux à compétence générale, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et quatre services spécialisés, la direction du renseignement militaire (DRM), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et le service de traitement du renseignement et d’action contre les services financiers clandestins (TRACFIN). L’expérience des quatre années passées a montré que cette communauté favorise la confiance entre ces services et permet une meilleure organisation de leurs échanges. Créée en 2010 et placée auprès du Premier ministre, l’académie du renseignement a notamment pour mission de concevoir, d’organiser et de mettre en œuvre des activités de formation initiale et continue au profit du personnel des services de renseignement. Elle concourt au renforcement des liens et à l’émergence d’une culture partagée au sein de la communauté française du renseignement.
Cette communauté constitue l’ossature d’un dispositif plus global associant, en tant que de besoin, de nombreux autres services de l’État.
Compte tenu de l’évolution des menaces, un effort particulier doit être porté sur le renseignement intérieur. Un renforcement de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est nécessaire, au regard du haut niveau de priorité de certaines des missions qui lui sont confiées, notamment pour la prévention d’actes de terrorisme sur le territoire national. Une réflexion sera engagée sur l’organisation de cette direction, les moyens humains dont elle dispose et sa place dans l’organisation du ministère de l’Intérieur. Cette réflexion intégrera les conditions d’une meilleure articulation entre le renseignement intérieur et le recueil d’informations opérationnelles par l’ensemble des services en charge de missions de sécurité nationale, notamment la gendarmerie.
La France doit veiller à maintenir son dispositif d’acquisition et de traitement du renseignement à la hauteur de ses ambitions internationales et des menaces auxquelles elle est confrontée. Elle doit consacrer les ressources nécessaires à la poursuite des efforts entrepris pour détenir les capacités de recueil et d’exploitation indispensables à l’autonomie d’appréciation des situations. Elle doit également poursuivre la mutualisation des moyens techniques d’acquisition du renseignement, principe clé pour l’équipement des services, comme elle doit veiller à la consolidation des compétences humaines qui y sont associées.
Parmi ces moyens, les capacités spatiales tiennent une place privilégiée, qu’elles soient nationales ou partagées avec nos partenaires européens. Les satellites permettent en effet d’acquérir de l’information sur toute la surface du globe et d’assurer la veille et l’alerte à un niveau adéquat. Un effort de mutualisation des moyens doit permettre également de fournir des produits nécessaires à la planification et à la conduite des opérations. Le cycle de vie des satellites impose leur renouvellement régulier, qu’il conviendra de prendre pleinement en compte. Le développement des capacités d’observation spatiale sera rationalisé afin de coordonner les projets militaires et institutionnels à utilisation duale et de faciliter, dans la mesure du possible, la complémentarité avec des moyens utiles disponibles sur le marché.
Le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) constitue une composante essentielle de ce dispositif. La première localisation d’un site d’intérêt ou la première perception d’une menace est très souvent obtenue par un moyen de recueil électromagnétique. La capacité spatiale est nécessaire pour détecter, localiser et caractériser les défenses de nos adversaires potentiels. Dans le domaine du renseignement d’origine image (ROIM), les capacités spatiales sont une priorité. Elles permettent d’identifier, de préciser la localisation, de discriminer et de cibler la réalité matérielle des risques et des menaces. Les capacités spatiales sont également nécessaires pour une évaluation souveraine de la menace balistique, pour l’alerte précoce, et donc pour la dissuasion.
Le coût du renseignement d’origine spatiale et l’intérêt politique d’une compréhension partagée des situations devraient conduire les Européens ayant des capacités dans ce domaine à un effort beaucoup plus systématique de mutualisation. La France est disposée à appliquer au renseignement spatial une approche reposant sur des interdépendances mutuelles.
L’acquisition du renseignement repose également sur la mise en œuvre combinée de plates-formes aériennes, terrestres et navales, dédiées ou non, qui permettent l’acquisition d’informations en temps réel.
L’analyse des besoins fait notamment ressortir la nécessité pour la France de se doter à l’avenir d’une capacité pérenne pour plusieurs types d’équipements. Les drones de moyenne altitude longue endurance (MALE) équipés de capteurs ROIM et ROEM permettent de détecter, localiser et suivre des cibles potentielles. Pour leur part, les drones tactiques, assurent l’appui direct en renseignement des forces présentes sur les zones de crise. Sont également indispensables des avions légers de surveillance et de reconnaissance ainsi que des pods de reconnaissance de nouvelle génération. Les opérations récentes confirment l’importance de ces capteurs aériens.
L’importance nouvelle de la cybermenace implique de développer l’activité de renseignement dans ce domaine et les capacités techniques correspondantes. Cet effort a pour objet de nous permettre d’identifier l’origine des attaques, d’évaluer les capacités offensives des adversaires potentiels et de pouvoir ainsi les contrer. Les capacités d’identification et d’action offensive sont essentielles pour une riposte éventuelle et proportionnée à l’attaque.
Les activités de renseignement et les opérations secrètes grandissent en importance, dans un contexte stratégique marqué par le rôle accru d’acteurs non-étatiques. L’accroissement des moyens que ces évolutions imposent doit être accompagné de manière concomitante par un renforcement des capacités de pilotage stratégique et d’évaluation de l’exécutif sur le renseignement, et par l’extension du rôle de la délégation parlementaire au renseignement[1]pour permettre au Parlement d’exercer dans ce domaine, conformément à la Constitution, son contrôle sur la politique du Gouvernement. Cette vigilance est indispensable pour maintenir et renforcer la légitimité d’une activité qui apporte une contribution croissante à la sécurité de la Nation.
En complément du recueil et de l’exploitation d’informations confidentielles et du fait notamment du développement d’Internet, la fonction connaissance et anticipation s’appuie de plus en plus sur l’exploitation des sources ouvertes, tant dans le cadre de l’analyse stratégique qu’au cours d’une crise. Il convient donc de disposer d’outils spécifiques d’analyse des sources multimédias - en particulier pour l’assistance à la gestion de crise -, et de développer des outils de partage des sources ouvertes au niveau ministériel et interministériel.
La prospective, dont l’objectif est de détecter les grandes tendances pouvant conduire à des crises et ruptures potentielles, devait, selon le Livre blanc de 2008, faire l’objet d’un effort « significatif et prioritaire ». Malgré la qualité des organismes concernés et l’expertise reconnue des acteurs, l’État s’est insuffisamment mobilisé pour conférer à cette fonction la place qui correspond à son importance.
Dans les ministères concernés sera institué un mécanisme de coordination interne des travaux de prospective, destiné à identifier les besoins, à arrêter un programme de travail et à valider les conclusions et les recommandations. La cohérence des travaux sera assurée par un processus interministériel animé, sous l’autorité du Premier ministre, par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il aura pour mission de définir les priorités et les orientations stratégiques, d’élaborer un plan de travail interministériel annuel et d’assurer la coordination des travaux de prospective conduits dans les ministères concernés. Le SGDSN coordonnera les travaux de validation des recommandations prospectives de portée interministérielle et s’assurera de leur prise en compte dans les processus décisionnels.
La démarche prospective de l’État doit pouvoir s’appuyer sur une réflexion stratégique indépendante, pluridisciplinaire, originale, intégrant la recherche universitaire comme celle des instituts spécialisés. Malgré les progrès accomplis ces dernières années, la recherche stratégique française continue de souffrir d’une masse critique insuffisante. Son rayonnement au niveau international reste de ce fait limité. L’effort visant à valoriser la réflexion stratégique et à soutenir la recherche intéressant la défense et la sécurité sera poursuivi.
Le renforcement des moyens de la recherche ne produira cependant tous ses effets sur la capacité d’anticipation de l’État que si celui-ci s’ouvre davantage à la réflexion indépendante. L’État ne peut que bénéficier d’un recours accru à l’expertise de la recherche académique, mais aussi des organisations non gouvernementales et des entreprises. De leur côté, des chercheurs universitaires apporteront une contribution mieux adaptée aux besoins de l’État si la possibilité leur est offerte de faire l’expérience de responsabilités administratives. Cette ouverture réciproque est la condition d’une amélioration de notre capacité d’anticipation qui requiert liberté d’esprit, curiosité et aptitude à remettre en cause les vues dominantes
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[1] La délégation parlementaire au renseignement, créée par la loi du 9 octobre 2007, est composée de quatre députés et de quatre sénateurs. Les présidents des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées respectivement des affaires de sécurité intérieure et de défense en sont membres de droit. Les autres membres de la délégation sont désignés par le président de chaque assemblée de manière à assurer une représentation pluraliste. La fonction de président de la délégation est assurée alternativement, pour un an, par un député et un sénateur, membres de droit.