10.07.2014 Par Hélène Sallon - Le Monde.fr
Le système de défense anti-missile israélien « Dôme de fer » (« kipat barzel », en hébreu) a intercepté, depuis le début de l’opération « Bordure protectrice », des dizaines de roquettes tirées par les mouvements palestiniens depuis la bande de Gaza, dans le sud du pays ainsi que sur les principales villes israéliennes : Tel-Aviv, Jérusalem ou même Haïfa, à 160 kilomètres au nord de l’enclave palestinienne. Ce système, unique au monde, est l’un des éléments centraux du système de défense développé par Israël depuis le milieu des années 1990.
UNE TECHNOLOGIE DE POINTE...
Le Dôme de fer recourt à de petits missiles guidés par radar, pouvant anéantir en plein vol des roquettes de courte portée − de 4 à 70 kilomètres – et des obus d’artillerie et de mortier. Chaque batterie du Dôme de fer comprend un radar de détection et de pistage, un logiciel de contrôle de tir et trois lanceurs équipés chacun de vingt missiles d’interception. Le système repère la trajectoire de la roquette depuis son lancement. Si elle doit s’abattre sur une zone habitée, il tire un missile pour l’intercepter en vol. Selon les statistiques de l’armée, son taux de réussite oscille entre 75 et 90 %.
... QUI A UN COÛT ÉLEVÉ
Chaque batterie coûte 500 000 dollars et chaque missile, 60 000 dollars. Le tout pour détruire une roquette dont le coût de production n’est souvent que de 1 000 dollars. La mise en place du système, décidée en 2005, avait d’ailleurs été retardée, pour mieux former le personnel, mais aussi parce qu’il semblait exagérément cher. Israël aurait investi un milliard de dollars dans le développement et la production de ces batteries, confié au groupe d’armement public Rafael Advances Defence Systems.
Les Etats-Unis le financent en partie. Lors de sa visite à Sderot, en juillet 2008, Barack Obama, encore sénateur à l’époque, avait été ému par la situation des habitants de cette localité du nord de Gaza. Elu président la même année, il a obtenu à peine un an après le vote au Congrès d’une aide de 205 millions de dollars (160 millions d’euros), en plus des trois milliards d’aide militaire octroyée chaque année à Israël. Le Pentagone a prévu un financement de 220,3 millions de dollars pour l’exercice budgétaire 2014 et table sur 176 millons en 2015, après 204 millions de dollars en 2011 et 70 en 2012. En dépit des sommes investies, les Etats-Unis n’ont aucun droit sur la technologie du système.
SIX BATTERIES DÉPLOYÉES DANS LE PAYS
La première batterie a été installée en mars 2011 dans la région de Bersheeva, à 40 kilomètres de la bande de Gaza et à portée des roquettes Grad de conception russe. Trois autres ont été installées près des villes côtières d’Ashkelon et Ashdod, au sud de Tel-Aviv, et près de Nétivot, à 20 kilomètres de la bande de Gaza. Une cinquième batterie a été installée fin 2012 à Tel-Aviv. Une batterie supplémentaire a été déployée depuis. Ces batteries sont semi-mobiles. Les lanceurs sont posés sur des bases de conteneurs.
Une batterie serait à elle seule en mesure de défendre efficacement une ville comme Ashkelon (100 000 habitants). Selon les experts militaires, un total de 13 batteries est nécessaire pour assurer la couverture complète du territoire israélien. Face à des salves simultanées de projectiles, le système risque en effet de saturer en raison du nombre limité de batteries disponibles.
Le commandement des batteries est confié à un chef de batterie, qui se réfère à un commandement central. Le temps de prise de décision pour une interception est court, environ deux minutes entre le lancement et l’impact d’un projectile, note Joseph Henrotin, rédacteur en chef de la revue Défense et sécurité internationales (DSI). Cela explique que l’interception se fasse près du point d’impact, une fois que le système s’est verrouillé sur la cible.
POLÉMIQUE SUR L’EFFICACITÉ DU DÔME DE FER
Selon les Israéliens, le système aurait permis, pendant l’offensive israélienne « Pilier de défense » sur la bande de Gaza en novembre 2012 d’intercepter 85 % des roquettes venues de l’enclave palestinienne. Quelque 1 500 roquettes avaient été tirées depuis la bande de Gaza. Cette estimation avait été contestée à l’époque par l’expert militaire du quotidien Haaretz, Reuven Pedatzur, qui avançait pour sa part un taux proche de 5 %. Le spécialiste s’appuyait sur les évaluations du professeur américain Theodore Postol, du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Le Pentagone a procédé à ses propres études et conclu que le système n’était pas dénué d’efficacité.
La question de l’efficacité du système est complexe, pointe Joseph Henrotin. « Il y a des batteries meilleures que d’autres. La réussite dépendant également de l’entraînement des personnels, de la capacité à identifier les cibles et à réagir rapidement. cela explique que le taux d’interception soit variable d’un jour à l’autre », indique le spécialiste. Le système est sans cesse perfectionné pour améliorer l’algorithme de traitement des trajectoires au niveau de la station radar ou sa capacité à répondre à des salves simultanées.
90 % DE RÉUSSITE PENDANT L’OPÉRATION « BORDURE PROTECTRICE »
Une roquette tombe près de la ville de Sdérot, dans le sud d'Israël, mercredi 9 juillet. Une roquette tombe près de la ville de Sdérot, dans le sud d'Israël, mercredi 9 juillet. | REUTERS/RONEN ZVULUN
Selon le journaliste militaire d’Haaretz Amos Harel, le système de défense antimissile Dôme de fer a, entre lundi 7 et mercredi 9 juillet, enregistré un taux de réussite de 90 % lorsqu’il a été activé. Le système n’est activé que lorsque les projectiles se dirigent vers des zones habitées, a indiqué Peter Lerner, le porte-parole de l’armée israélienne. Quarante-cinq projectiles ont ainsi été interceptés entre lundi soir et mercredi, soit 27 % des 180 roquettes tirées par les mouvements palestiniens de la bande de Gaza. Vingt projectiles supplémentaires ont été interceptés dans la journée de mercredi et la nuit suivante sur les 80 tirés depuis la bande de Gaza.
UNE PROTECTION « MULTICOUCHES »
« Depuis le milieu des années 2000, les Israéliens ont un système intégré de surveillance anti-balistique et antiaérien multi-couches », indique Joseph Henrotin. Ce système intégré s’appuie sur des avions de détection aérienne avancée de type RG 550 Eitam, des stations de radar volantes et des radars au sol. « Toutes les informations sont centralisées en temps réel dans un même centre de commandement, poursuit le spécialiste en stratégie militaire. Le Dôme de fer a son propre système de radars, relié également au centre. Il dispose d’un meilleur radar de détection en termes de trajectrométrie. »
D'autres dispositifs d’interception complètent ce système. Depuis 2010, les Etats-Unis et Israël développent le système de défense « Baguette magique » et son missile « Fronde de David » (« kala David »). Ce système est dirigé contre les missiles de courte portée (supérieure à 70 km mais inférieure à 250 km), les roquettes de longue portée, les gros calibres (dont les ogives peuvent aller jusqu’à une demi-tonne) et les missiles de croisière. Ce système est toujours en développement. Il a toutefois été intégré à l’une des batteries du Dôme de fer. Il est davantage destiné à être déployé dans le nord d’Israël pour intercepter les roquettes du mouvement chiite libanais Hezbollah, de plus longue portée que celles des mouvements palestiniens de la bande de Gaza.
Le système « Arrow » (« la flèche » ou « hetz » en hébreu), opérationnel depuis 2000, protège Israël des missiles balistiques d’une portée supérieure à 250 kilomètres. Washington finance la moitié de son coût annuel. Le programme « Arrow II » a été développé par Boeing et Israel Aerospace Industries (IAI), à partir de 1995, pour éliminer les missiles balistiques conventionnels à plus longue portée, en particulier iraniens (d’une portée de plus de 1 600 km). Pour contrer une éventuelle attaque nucléaire de Téhéran, Israël a développé un intercepteur qui peut localiser et entrer en collision avec des missiles balistiques au-delà de l’atmosphère terrestre : « Arrow III ». La conception, confiée à IAI et Boeing, a été lancée en 2008. Il devrait être opérationnel en 2015, estiment les autorités israéliennes.
La défense israélienne ne se résume pas à ces dispositifs mais comprend tout un spectre d’action, souligne Joseph Henrotin : frappes aériennes sur les lanceurs et les tunnels de contrebande, interception de livraisons d’armes, ainsi qu’une dimension passive : le respect des mesures de sécurité par la population israélienne en cas de tirs de projectile, notamment les abris antiaériens installés dans les sous-sols de la plupart des immeubles du pays.