6 février 2015 Le Fauteuil de Colbert
L’Echo du mois permet d’échanger, au travers d’une interview, avec des personnalités dont l’action s’inscrit dans les thèmes relatifs à la stratégie, à ses diverses variantes, à ses évolutions technologiques et à leur influence sur celle-ci.
L'amiral Pierre-François Forissier est né à Lorient en 1951. Admis en 1968 au Collège Naval de Brest, il intègre la promotion 1971 de l’Ecole Navale. Entré aux forces sous-marines en 1975, il y a effectué une carrière complète entre Toulon, Brest et Lorient en servant à bord de tous les types de sous-marins opérationnels. Il a commandé l’équipage rouge du sous-marin nucléaire d’attaque Rubiset l'équipage bleu du sous-marin nucléaire lanceur d’engins le Tonnant.
Également marin de surface, il a exercé comme jeune officier les fonctions d’officier en second de la 20ème division de dragueurs et du dragueur Glycinepuis, étant capitaine de frégate, celles d’officier de manœuvre du porte-avions Foch. Promu officier général en 2001, il a été amiral adjoint territorial au commandant de la région maritime Atlantique puis amiral commandant les forces sous-marines et la Force Océanique Stratégique (ALFOST) avant de devenir, en 2005, major général de la Marine. Il a été chef d’état-major de la Marine du 4 février 2008 au 12 septembre 2011.
Quatre SNLE de classe Ohio ont été reconvertis dans l’US Navy en SSGN. Les nouveaux SNA de classe Iassen de la Marine russe embarquent une grande variété d’armes. Les frontières entre plateforme de dissuasion et sous-marin d’attaque semblent de plus en plus ténues. L’ancien sous-marinier que vous êtes y voit-il une convergence vers un sous-marin très polyvalent ou une nécessaire redéfinition des missions de chacun ?
La mission de dissuasion, selon la doctrine française, est, pour la composante océanique, exclusive de toute autre. En effet cette composante constitue la capacité de frappe en second après une première attaque désarmante à l’encontre de la France. Le paramètre essentiel est alors le nombre de têtes nucléaires survivantes à la mer après une telle attaque. C’est ce qui conditionne la permanence à la mer et le nombre d’armes déployées sachant que la dissuasion n’est pas assurée par les SNLE à quai mais uniquement par ceux qui sont réellement en patrouille c’est-à-dire dont la position n’est ni connue, ni prévisible.
Enfin, il n’est pas envisageable d’embarquer des armes nucléaires à bord des sous-marins d’attaque sauf à renoncer à la doctrine française qui n’envisage pas l’utilisation tactique de ces armes qui sont réservées exclusivement à la frappe stratégique. Les frontières entre les deux types de plateformes sont donc parfaitement claires et pérennes.
Il est parfois reproché à la Marine de porter deux ambitions stratégiques aux logiques pas toujours compatibles. Son rôle à l’échelle de l’Archipel France est similaire à ceux de l’Armée de Terre et la Gendarmerie en métropole. Est-ce que cette double logique (intervention et sécurisation) peut conduire à scinder la Marine en deux (marine de guerre et marine garde-côtière) ?
Tout d’abord la Marine Nationale ne porte par elle-même aucune ambition sauf celle qui lui est assignée par les autorités politiques. Le choix d’avoir une Marine Nationale qui n’est pas seulement une armée de mer a été fait par trois pays européens, la France, le Portugal et le Danemark, essentiellement pour des raisons géographiques. Ces Etats ont en effet à intervenir dans des zones de responsabilités qui se caractérisent par une forte densité de trafic et des conditions de mer fréquemment difficiles qui nécessitent d’intervenir, par mauvais temps, avec des grands bâtiments de haute mer. Le coût de deux composantes maritimes de haute mer n’étant pas supportable par ces pays, c’est la Marine Nationale de chacun de ces états qui remplit ces deux types de missions. Il s’agit là d’une saine économie des moyens et d’une organisation optimisée qui nous est enviée par beaucoup et même par les USA qui, faut-il le rappeler, possèdent un corps de garde-côtes militaires qui a vocation, en temps de guerre, à réintégrer l’US Navy. Aujourd’hui, la limite entre temps de guerre et temps de paix étant devenue particulièrement floue une telle organisation a perdu l’essentiel de sa pertinence. Il serait absurde de l’adopter aujourd’hui en France et c’est une des raisons qui ont conduit notre pays à développer la notion de « fonction garde-côtes » qui privilégie la coopération inter-administration plutôt que la duplication organisationnelle.
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