17 février 2014, par François Chauvancy – Défense et Sécurité
Livre vert de défense : une initiative audacieuse et courageuse
Pour la saint-valentin, donc la journée de célébration de l’amour, la sénatrice Leila Aichi, sénatrice de Paris, avait organisée au Sénat ce 14 février une conférence associant Armées et Verts. L’armée de terre était très présente avec son chef d’état-major.
Leila AÏCHI est aussi secrétaire du bureau de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Elle a suivi une session de l’IHEDN qui montre à nouveau l’utilité de cet outil irremplaçable pour faire comprendre par tous les enjeux de la défense.
Le thème principal était celui de l’Europe de la défense mais il s’agissait aussi de diffuser le Livre Vert de la défense. Sans aucun doute un premier contact exceptionnel entre verts qu’il soit « écolo » ou « kaki »! Alors, le Livre vert de la défense est-il une passerelle entre écologistes et forces armées ? Sans doute. Un rapprochement salutaire entre verts écolo et vert kaki a semblé possible même si une partie des Verts reste dans un antimilitarisme/ pacifisme à l’ancienne – l’âge sans doute -comme ils l’ont montré lors ce colloque.
Conférence donc où les uniformes « terre de France » étaient nombreux mais où les officiers des autres armées étaient en civil. Je ferai donc ce commentaire personnel : comment s’étonner que les armées soient « oubliées » si les officiers hésitent à venir en tenue dans l’une des institutions de la République ? Ont-ils peur d’être visibles dans la Cité ? Ont-ils oublié qu’ils sont une des expressions de l’autorité de l’Etat ? Ne pas être en tenue militaire dans une enceinte institutionnelle, n’est-ce pas un déni de son état d’officier ? Etre officier n’est toujours pas un métier. Il est un engagement et il doit être visible par tous les citoyens.
Pour en revenir au colloque, les deux tables rondes ont rassemblé beaucoup de personnalités, sans doute trop car cela a nui à un débat de fond. Ce colloque devra donc avoir une suite (pourquoi à l’Ecole militaire) même si l’ambiance peut être chaude (mais nous sommes aussi dans le contexte du réchauffement climatique…).
L’Europe de la défense est donc aujourd'hui face à une disparition de la vraie guerre et de la vraie paix avec le constat pourtant non partagé que les défis sécuritaires concernent toute l’Europe. Il faut redéfinir le processus décisionnel de l’engagement militaire, reformuler la responsabilité commune de l’engagement militaire. Jamie Shea, secrétaire adjoint de l’OTAN, a remarqué qu’il fallait aussi redéfinir la justification de l’armée en France et dans les différents Etats européens.
Le Livre vert de la défense rédigé par EELV et diffusé lors de ce colloque a aussi apporté des éléments de réflexion sur une vision verte, pas toujours éloignée de la vision kaki, concernant le questionnement sur le rôle de la défense nationale et de la défense européenne dans le dérèglement climatique.
Le lien entre le colloque sur l’Europe de la défense et le Livre vert
En effet la défense européenne intégrée est un axe privilégié par EELV. Daniel Cohn-Bendit (DCB), présent à la tribune en est le chantre. Je crois que les militaires (c’est au moins mon cas) ont apprécié ses interventions courageuses et franches. Parler franchement, même si nous avons des positions différentes une armée fédérale n’est pas vraiment l’avenir pour beaucoup de militaires - est toujours enrichissant. Faire intervenir DCB devant nos stagiaires de l’Ecole de guerre ou devant les auditeurs du centre des hautes études militaires (CHEM) serait aussi vivifiant.
D’ailleurs le Livre vert propose une meilleure formation des officiers et des soldats aux questions d’écologie et d’environnement. Il ne s’agit pas de faire une guerre plus propre (sans mauvais jeu de mot, bien que…) mais sans aucun doute de faire prendre conscience qu’un engagement militaire doit prendre en considération dans sa planification ou sa mise en œuvre les conséquences sur l’environnement dans la phase de sortie de crise et de reconstruction ce qui me semblait déjà le cas pourtant.
DCB défend donc toujours cette armée fédérale européenne, hypothèse non suivie dans le livre vert sauf par des propositions indirectes. Comme le sénateur Jacques Gautier, Patricia Adam a d’ailleurs rappelé la réalité. L’Europe de la défense n’existe pas. On ne peut parler que d’une défense européenne. La confiance en nos alliés européens montre ses limites dans les conflits récents. La crédibilité d’une intervention s’appuie sur la capacité à être projetée rapidement avec des forces entraînées, disponibles. Cependant elle a souligné avec force sa honte sur le terrain, au contact de nos soldats qui disposent de moyens souvent surannés et qui ne répondent pas aux besoins alors qu’elle voit les moyens dispendieux donnés aux forces européennes civiles au profit du développement.
Dans cette approche de la défense européenne, Bertrand Badie a conclu sur le divorce aujourd'hui entre les ressources pour la défense et l’efficacité recherchée. L’Europe n’est plus le champ de bataille mais comment gérer la guerre des autres ? Enfin et surtout les conflits doivent prendre en compte les différences socio-culturelles et non plus essentiellement politico-militaire. Le Livre vert de la défense permet de prolonger cette réflexion.
Livre vert de la défense et propositions
Le LVD (115 pages), qu’il faut lire (il mériterait un colloque en lui-même), est une réflexion intéressante, réaliste même si parfois le lien entre environnement et opérations militaires ou la défense nationale semble artificiel dans une première lecture. Il a le mérite de montrer que les questions de défense nationale ne peuvent être séparées des questions d’environnement et vice-versa. Il propose 20 recommandations dont quelques-unes sont évoquées ci-après.
Je retiens que les missions des armées devraient changer (traduire par « changer la priorité des missions existantes ») et les missions retenues doivent disposer des moyens nécessaires. L’accent est porté sur la prévention certes comme dans le Livre blanc de la défense. Le Livre blanc de 2013 l’évoque mais est assez générique dans sa mise en œuvre. Cette fois il est proposé de créer un ministère délégué à la prévention au sein du ministère de la défense. Son positionnement ne serait pas au ministère des affaires étrangères, ce qui me semble une approche particulièrement intéressante.
Demander une plus grande implication des armées dans la protection de l’environnement est sans aucun doute une mission défendable. Les exemples évoqués durant le colloque ou dans le LVD (formation locale contre les braconniers, lutte contre la pêche illégale, contre les orpailleurs en Guyane) mettent surtout en évidence qu’aujourd'hui les délinquants disposent d’armes de guerre (RPG7 contre des éléphants, tirs de kalachnikov contre les forces de sécurité).
Cela amène une question de fond : comment réagir ou agir contre ces groupes armés dont une partie des trafics contribue aussi au financement des mouvements terroristes ? Une autre question qui pourrait être posée concerne nos soldats : en quoi protéger telle ou telle espèce animale par des opérations s’apparentant à des opérations de guerre peut-il valoriser le risque de perdre sa vie « au nom de la France » ?
Le recours à la force doit donc être posé et il ne l’est pas dans ce LVD. La réponse de type policière est-elle la bonne réponse que ce soit face aux pirates et aux destructeurs de l’environnement ? Pour ma part, celui qui utilise une arme de guerre pour empêcher son arrestation doit comprendre les risques ultimes qu’il encourt. Je pourrai appuyer cette affirmation avec cette peur évoquée par Bertrand Badie qui se réfère à « l’altérophobie » dominante aujourd'hui.
Je l’ai comprise comme la confrontation entre des acteurs qui ne respectent pas les mêmes règles et méprisent l’autre au point que les règles de régulation des conflits normalement applicables ne peuvent plus l’être et aboutissent à la haine et à une violence extrême contre lesquelles nous nous trouvons démunis. Pour DCB, la réponse est pourtant claire. Oui les forces armées ont des missions de police et donc avec tous leurs moyens.
Dans le contexte de la défense européenne abordée par le LVD, je pose une autre question : celle de l’immigration devant les dérèglements climatiques, bien évacuée dans ce LVD. Il est évident aujourd'hui que le droit international imposerait l’accueil des réfugiés climatiques. En outre, la possibilité d’atteindre l’Europe reste acceptable malgré les risques mortels évoqués à travers les médias.
Il faudra cependant choisir : l’Europe est-elle prêt à interdire son territoire aux migrations issues du dérèglement climatique ou veut-elle les accepter avec la baisse vraisemblable du bien-être des Européens car il faudra bien partager des ressources limitées. Une des recommandations du LVD de créer un statut de « réfugié politique écologique » apporte le débat sur la place publique et donc sur les choix de société.
Le rôle du parlement européen est naturellement aussi évoqué. Ainsi, une recommandation qui fera plaisir à Arnaud DANJEAN, président de la sous-commission Sécurité et défense au Parlement européen et intervenant au colloque préconise de transformer cette sous-commission en une « commission pleine et entière ».
D’autres points particuliers dans le LDV me semblent aussi intéressants à étudier. Le concept de sécurité énergétique est largement évoqué avec ses conséquences sur les armées. Je soulignerai que j’avais justement lancé un groupe de travail à l’Ecole de guerre en 2008 sur ce thème. Quatorze mémoires avec des propositions précises avaient été diffusés au sein du ministère de la défense. Je n’avais reçu qu’une seule réaction un an et demi après, un jeune capitaine travaillant sur un sujet approchant ce domaine. Faire adhérer l’institution hors du simple prisme budgétaire annuel n’est pas vraiment facile.
J’en avais aussi déduit plus tard l’hypothèse de la construction de bases neuves et vertes dans le cadre de la réforme des BDD, permettant à la fois économie, sécurité et respect de l’environnement tout en soutenant le secteur du bâtiment (cf. mon billet du 5 août 2012). Pour autant, le LVD demande la création d’un groupe de travail au sein du ministère de la défense sur ce thème de la sécurité énergétique.
Que constate enfin ce LVD ?
Le LVD évoque une unité de projection que ce soit au profit des populations européennes ou nationales. Elle pourrait être le corps européen qui n’est pourtant qu’un état-major en temps de paix. Une autre idée plus pragmatique que je propose, certes une vision plutôt nationale et qui n’est pas d‘aujourd'hui, c’est la mise à disponibilité au niveau des grandes régions économiques d’unités militaires interarmes et spécialisées. Disposant des moyens techniques de leurs armes d’appartenance (génie, transport, transmission…), leur mission serait d’intervenir au profit des populations notamment en cas de catastrophe naturelle d’abord sur le territoire national, première mission d’une armée d’ailleurs clairement exprimée par ce LVD, sans que cela n’exclue l’intervention extérieure.
Cela fait appel à des ressources humaines certes mais sans doute plus efficaces pour les populations sinon moins coûteuses. Le LVD critique d’ailleurs cette « miniaturisation de l’armée française » qui se fait au profit du développement de la haute technologie militaire et au détriment de capacités humaines militaires disponibles et nécessaires. Comment aider les gens si la ressource humaine est rare ?
Enfin une dernière recommandation qui m’est chère est celle de la compréhension socio-culturelle des théâtres d’opération – non seulement militaires mais aussi économiques pour moi- où nous sommes engagés ou serons engagés dans les quinze années à venir comme le rappelle le LVD, c'est-à-dire au milieu des populations. Cette lacune – ce domaine n’est pas traité par le renseignement militaire – doit être comblée pour prévenir, persuader et bien sûr choisir la stratégie adéquate.
J’avais proposé fin 2009 la réponse à cette problématique au sein des armées avec l’organisation adaptée. Le centre interarmées d’actions sur les perceptions, unité militaire créée à Lyon en 2012, devait intégrer cette capacité notamment au profit des actions civilo-militaires largement soutenues par ce LVD. Les réformes, les réticences en partie intellectuelles mais aussi face à un emploi moins technique, plus persuasif, moins conventionnelle des armées, a affaibli malheureusement le projet initial qui était une réponse anticipatrice à une partie des évolutions souhaitées par le LVD.