"Les habitués l'appellent "le salon de lecture". Une pièce sans âme au cœur de la Piscine, le siège de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), boulevard Mortier, à Paris. C'est dans ce lieu secret que les représentants de grands groupes français peuvent accéder aux documents rassemblés par les services de renseignements sur leur secteur. "Ce sont des centaines de milliers de pages de documents internes de concurrents internationaux, offres commerciales, technologies, explique un familier de la DGSE. Les types envoyés par les boîtes, dont on ne sait pas trop quel est leur poste exact, passent des heures à potasser des piles de dossiers. La règle, c'est qu'aucun document ne sort de la pièce."
Bigre. La France se serait-elle convertie à l'espionnage à l'américaine, Big Brother dévoilé par l'ancien sous-traitant de la National Security Agency (NSA) Edward Snowden depuis juin ? Quelques semaines après ses révélations, Le Monde assurait, le 5 juillet, que la France disposait d'un outil de surveillance d'Internet similaire. Un "supercalculateur", situé dans le sous-sol du siège de la DGSE, assurait le quotidien, "stocke les interceptions d'une grande part des communications, mails, SMS, fax, ainsi que toute activité Internet des Français, et les flux entre la France et l'étranger".
La ROEM moins bien doté que la NSA
Où en est vraiment la France dans le renseignement technique, affublé du nom barbare de ROEM (renseignement d'origine électromagnétique)? "On a longtemps été à la traîne, car le renseignement humain était considéré comme plus noble dans la culture française", explique un ancien cadre de la DGSE. La France a désormais rattrapé une partie de son retard. "Elle est en première division sur ces technologies, dans le sens où nous maîtrisons tous les modes d'interception (mobiles, Internet, communications satellites…), assure Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Mais nous restons à des années-lumière des moyens de la NSA, ou même du Government Communications Headquarters britannique, le GCHQ."
De fait, le GCHQ emploie 6.000 spécialistes des écoutes, quand la direction technique de la DGSE ne s'appuie que sur 1.100 employés, auxquels il faut ajouter les spécialistes de la Direction du renseignement militaire (DRM), soit environ 700 personnes. Quant à la NSA, c'est un monstre : elle disposerait de 55.000 employés, avec un budget annuel de 10,8 milliards de dollars, selon Edward Snowden, soit quatorze fois plus que le budget de la DGSE (600 millions d'euros), aux attributions pourtant beaucoup plus larges.
Des antennes satellites en Dordogne et dans les Pyrénées-Orientales
"Le renseignement français fait du bon boulot avec ses moyens", veut se rassurer Louis Caprioli, ancien patron de l'antiterrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST), désormais conseiller au cabinet de gestion des risques GEOS. "Le renseignement français a le meilleur rapport coût-efficacité du monde occidental", appuie Eric Denécé.
La France dispose notamment d'un large réseau de stations d'écoute dotées d'antennes satellites, parfois surnommé Frenchelon, en référence au réseau Echelon américain (voir carte ci-dessus). Les sites les plus connus sont ceux de Domme (Dordogne) et Saint-Laurent-de-la-Salanque (Pyrénées-Orientales). Mais la DGSE profite aussi de stations à Kourou (idéalement placée pour écouter les Etats-Unis), en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et dans plusieurs bases à l'étranger (Abou Dhabi, Djibouti).
"Nous stockons bien évidemment tous les mots de passe"