21/02/2013 Michel Cabirol – LaTribune.fr
Troisième et dernier volet de la saga du Rafale aux Emirats Arabes Unis, le temps des fâcheries. Si l'année 2010 a été compliquée, celle de 2011 le sera encore plus. Le Rafale ne sortira des turbulences qu'en 2012.
Après une année 2010 où les relations franco-émiraties se sont nettement rafraichies, 2011 commence bien pour les chances du Rafale aux Emirats Arabes Unis. La France a lâché fin janvier en rase campagne Air France en augmentant les droits de trafic aux compagnies émiraties (Emirates et Etihad) vers Roissy notamment. Au grand dam de la compagnie tricolore qui voit ses rivales arrivées en force en France. Mais Paris a voulu à tout prix éviter une nouvelle crise avec les Emirats pour ne pas compromettre à nouveau les chances du Rafale. Les équipes du Team Rafale (Dassault Aviation, Thales, Safran) peuvent reprendre le chemin d'Abu Dhabi pour reprendre les négociations là où les Emiratis les avaient abandonnées. Moqué en France pour son incapacité à être vendu à l'export, cet avion de combat, un concentré de la haute technologie française, devrait forcément l'être un jour. En 2011 ? Pourquoi pas aux Emirats arabes unis, où l'équipe France y croit à nouveau au début de l'année 2011. "Nous espérons de bonnes nouvelles cette année. Les discussions continuent avec les Emirats Arabes Unis", estime le nouveau ministre de la Défense, Alain Juppé dans une interview accordé en janvier au "Monde".
D'autant que les industriels ont réussi à réduire les surcoûts de développement à 3 milliards d'euros environ (contre une estimation initiale de 4 à 5 milliards). "Avant la Libye, la feuille de route technologique incluait un moteur plus puissant. Aujourd'hui, la motorisation actuelle (la version de l'armée de l'air française, ndlr) a montré toute sa pertinence", confirmera en juillet, le successeur d'Alain Juppé, Gérard Longuet. En février, les négociations progressent et sont "un peu plus actives", estime pourtant prudemment le directeur général international de Dassault Aviation, Eric Trappier, le jour de l'ouverture à Abu Dhabi du Salon IDEX. Mais encore une fois les relations tumultueuses entre les deux pays vont reprendre le dessus. Lors de l'inauguration d'IDEX, le prince héritier Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan ignore ostensiblement le stand Thales, pourtant situé entre celui de Dassault Aviation et de Safran, deux stands sur lesquels le prince s'arrête. Le groupe d'électronique, l'un des très grand fournisseurs d'équipements civils et militaires des Emirats ,a pourtant toujours joui d'une très bonne image dans le pays.
Crise entre Thales et Abu Dhabi
Que se passe-t-il entre Thales et les Emirats ? Une crise majeure couve entre Abu Dhabi et le groupe d'électronique, l'un des principaux partenaires industriels du Rafale, une information révélée à l'époque par La Tribune, qui s'est procuré à l'époque un télex diplomatique explosif. Les diplomates sont très inquiets sur la relation entre les deux pays. "Les prises de position (de Thales, ndlr) - sur les offsets (les compensations pour obtenir un contrat à l'export, Ndlr) notamment - sont incompréhensibles pour les autorités émiriennes. Elles peuvent impacter négativement les intérêts du groupe aux EAU, et indirectement sur certains projets, nos intérêts globaux", dont la vente de Rafale , s'alarment les diplomates en poste à Abu Dhabi. Ce constat est confirmé par plusieurs sources contactées à l'époque par La Tribune. "Cette attitude paraît de plus en plus intenable sauf à accepter des dommages durables", explique l'ambassade d'Abu Dhabi. Dans la foulée de ces révélations, le PDG de Thales, Luc Vigneron, s'envolera très vite pour Abu Dhabi... pour éteindre l'incendie et finalement signer l'accord cadre sur les nouvelles règles d'offset mises en vigueur par les autorités émiriennes depuis septembre 2010. Un dossier personnellement suivi par Cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan, qui a fait plier Thales.
Quelques mois passent, les négociations tournent au ralenti. Mais au cours de l'été 2011, les négociations entre Paris et Abu Dhabi reprennent très activement. "C'est un classique des Émirats de négocier pendant le ramadan", sourit alors un bon connaisseur de ces dossiers. Cela avait été le cas pour les Mirage 2000-9 achetés en 1998 à Dassault Aviation. Ainsi, l'équipe de négociations de Team Rafale et du missilier MBDA ont été "convoqués" par les autorités émiraties, qui mènent depuis le début le tempo des discussions, pour reprendre les négociations passées par des hauts et des bas depuis trois ans. Avec cette nouvelle phase de négociations, les Émirats ont semble-t-il changé d'attitude avec Paris. "Ce qui est nouveau, c'est qu'Abu Dhabi veut maintenant le Rafale", explique-t-on alors à La Tribune. Qu'est-ce qui a fait changer les Emiratis ? La Libye, plus précisément les performances du Rafale lors de l'opération Harmattan. Les observateurs du Golfe, qui ont disséqué les performances opérationnelles du Rafale en Libye ont été favorablement impressionnés. Du coup, les Émiratis sont dans un état d'esprit complètement différents et les négociations sont beaucoup "plus raisonnables" qu'auparavant, explique-t-on à La Tribune. Et certains se risquent à nouveau sur un calendrier pour une signature d'ici à la fin de l'année. Notamment lors du salon aéronautique de Dubaï prévu en novembre. Gérard Longuet, qui va être binetôt mis sur la touche sur ce dossier, l'assure quant à lui en octobre sur la chaîne LCI : "il y aurait une très forte probabilité que le contrat soit conclu".
Le prix du Rafale énerve énormément Abu Dhabi
Sauf qu'à nouveau un galet se glisse dans les négociations, qui se sont nettement durcies au fil de l'été. La question du prix fâche déjà à Abu Dhabi. La visite expresse à Paris (moins de 12 heures), fin septembre, du prince héritier d'Abu Dabi, qui a rencontré Nicolas Sarkozy à l'Élysée, s'est plutôt mal passée. Mal préparée, cette rencontre, censée tout remettre en ordre, ne fait pas avancer d'un pouce le dossier du Rafale. Bien au contraire. Mal briefé, le chef de l'Etat, pensant que le dossier Rafale était enfin réglé, aborde cette rencontre avec un angle de politique régionale, évoquant entre autre la question de la Palestine. Cheikh Mohammed repart de Paris sans avoir les réponses qu'il attendait. D'autant qu'il se plaint d'un gros écart de prix entre ses estimations et celles de Dassault Aviation. C'était pourtant l'une de ses trois demandes personnelles à Nicolas Sarkozy : obtenir un prix raisonnable. Ses deux autres souhaits : disposer d'un avion plus performant que le Mirage 2000-9 et que la France finance une partie des coûts non récurrents du Rafale.
Le débriefing de la visite de Cheikh Mohammed à l'Elysée est violent , rapporte un observateur. Conséquence, quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy décide de confier le dossier au ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé. "Il fallait une personne de poids pour remettre le dossier à l'endroit", explique-t-on à La Tribune. Mais c'est trop tard. Abu Dhabi boudeur, mettra quant à lui très longtemps pour désigner un nouveau patron des négociations. Et décide de mettre à l'épreuve les Français avec l'Eurofighter. La crise va éclater quelques mois plus tard sur la place publique en plein salon de Dubaï. En outre, ils sont furieux contre la façon dont la France mène les négociations : trop d'interlocuteurs étatiques après le départ du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, au ministère de l'Intérieur ainsi que l'attitude "arrogante" de Dassault Aviation, selon des sources concordantes. Des progrès ont pourtant été réalisés après la visite express fin septembre à Paris de Cheikh Mohammed. Mais pas suffisamment pour Abu Dhabi visiblement. "Depuis la reprise en main par Alain Juppé du dossier Rafale aux Emirats , tout le monde en France marche dans le même sens pour vendre le Rafale, sauf Dassault", murmurait-on au premier jour du salon de Dubaï dans les allées.
Entrée en piste de l'Eurofighter
C'est même une douche glacée pour le camp français le dimanche lors de l'inauguration du salon aéronautique, le Dubaï Airshow. Les Emirats arabes unis, jusqu'ici en négociations exclusives avec Dassault Aviation pour l'acquisition de 60 Rafale, révèlent avoir demandé au consortium Eurofighter (BAE Systems, EADS et l'italien Finmecannica) de lui faire une offre commerciale. Une annonce qui prend complètement au dépourvu tous les industriels et officiels français présents au salon. Interrogés au Dubaï Airshow par La Tribune, ils minimisent ce coup de théâtre. Ils assurent pour la plupart qu'il s'agit d'une tactique des EAU pour faire baisser le prix du Rafale, jugé trop cher. Le ministre de la Défense confirme officiellement que "cette demande de cotation apparaît plus comme une mesure d'animation de la procédure". Il veut encore croire que "la France est proche du point final d'une négociation très bien engagée. Selon la position que l'on occupe, chaque froncement de sourcils peut rapporter ou coûter quelques centaines de millions d'euros", précise-t-il.
Ce qui a le don d'énerver encore plus les Emiratis, qui à la fin du salon, publient de façon très inhabituelle un communiqué cinglant. "Grâce au président Sarkozy, la France n'aurait pas pu en faire plus sur le plan diplomatique ou politique pour faire aboutir un accord sur le Rafale", déclare dans un communiqué le prince héritier d'Abu Dhabi. "Malheureusement, Dassault semble ne pas avoir conscience que toutes les bonnes volontés politiques et diplomatiques du monde ne peuvent permettre de surmonter des termes commerciaux qui ne sont pas compétitifs et à partir desquels on ne peut travailler". Résultat, les négociations sont au mieux gelées pour une longue période, au pire Abu Dhabi n'achètera jamais le Rafale.
Le forcing de Nicolas Sarkozy avant l'élection présidentielle
Une situation irrattrapable. C'est sans compter sur l'énergie de Nicolas Sarkozy, qui tente de réanimer les négociations. Trois mois après la crise augüe entre les Emirats et Dassault Aviation, l'avionneur serait à nouveau proche d'un accord avec les Emirats en février 2012 pour la vente des 60 Rafale. Incroyable. Une visite de Nicolas Sarkozy est même prévue le 12 février à Abu Dhabi, puis reportée début mars même si certains observateurs estiment que ce serait encore un peu tôt. Plutôt fin mars, début avril. Tous attendent désormais le feu vert du cheikh Mohammed bin Zayed. Car lui et lui seul décidera quand il signera ce contrat. Peu importe la pression de Paris et du candidat Sarkozy. "Quand, c'est la question que tout le monde se pose", rappelle alors une source contactée par La Tribune. Une chose est sûre, les relations se sont complètement détendues entre Paris et Abu Dhabi depuis la crispation de novembre. Et les visites sont nombreuses et régulières, le PDG de Dassault Aviation, Charles Edelstenne, et son patron des affaires internationales, Eric Trappier, y étaient encore en février. Des gesticulations qui n'aboutiront pourtant à aucun contrat au final. Car il aurait été incroyable que les Emirats fassent un geste pour Nicolas Sarkozy donné perdant avant l'élection présidentielle. Ce dernier s'est pourtant battu jusqu'au dernier moment pour convaincre les EAU de signer un contrat dans le courant du premier trimestre 2012.
Pour Nicolas Sarkozy, c'est un échec. Le président voulait constituer une équipe de France unie, qui parle d'une seule voix à l'exportation pour gagner les grands appels d'offres internationaux civils et militaires, notamment ceux concernant le Rafale. Pour ce faire, il avait nommé un pilote, Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, en qui il avait toute confiance, et créé un outil, la war room, censée impulser une stratégie et une cohérence à ce qu'il appelait l'équipe de France. Le bilan est plutôt mitigé au bout de cinq ans mais au moins, la France parlait d'une seule et même voix à ses interlocuteurs. Sauf qu'avec le départ de Claude Guéant au ministère de l'Intérieur, la cacophonie est revenue dans cette équipe de France privée de capitaine. Abu Dhabi, qui avait relancé les négociations en plein été sur un rythme intensif, y compris lors du ramadan en août, entendaient depuis quelques semaines plusieurs sons de cloche au gré des visiteurs venus vendre les qualités et les prouesses du Rafale. Les Emirats avaient trop d'interlocuteurs, l'industriel mais aussi beaucoup trop d'étatiques, confirme-t-on au ministère de la Défense, qui stigmatise plutôt l'Etat et ses chapelles trop nombreuses. Un pilote a fait défaut.
Calme plat en 2012
A partir du deuxième trimestre, il ne se passera plus rien... ou presque pendant six mois en raison de la fin de la campagne présidentielle et de la mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale. Fin mai, c'est même la panne pour le Rafale aux Emirats. Plusieurs sources concordantes industrielles et étatiques confirment que les négociations sur la vente de 60 Rafale sont alors au point mort. "La France a redécouvert que le client n'avait pas forcément besoin de ces avions de combat tout de suite mais plutôt à un horizon un peu plus lointain", explique-t-on à La Tribune. Seul fait notable positif, l'avion de combat se dote du nouveau radar RBE2 à antenne active de Thales, ce qui se fait de mieux actuellement. Seuls les avions de combat américains sont équipés avec.
On reparle enfin du Rafale aux Emirats en octobre. Le message s'adresse clairement aux Emiratis. De retour d'une visite aux Emirats, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian indique le 24 octobre dans une interview à Aujourd'hui en France/Le Parisien que les négociations pour la vente de 60 Rafale n'avait pas été abordée en raison d'une dégradation des relations entre la France et les Emirats. Selon lui, "ce dossier empoisonnait nos rapports. Les Rafale attendront. Cette discussion viendra ultérieurement", explique Jean-Yves Le Drian. "Mon objectif était de rétablir la confiance" car il y a "un effilochage" des relations entre les deux pays "depuis dix-huit mois". Conséquence, selon lui, "les EAU, qui effectuaient 70 % de leurs dépenses militaires en France, ont fait passer ce pourcentage à 10 %", affirme-t-il. Mais la visite de François Hollande mi-janvier à Abu Dhabi relance enfin le Rafale. Inch allah.