20.06.2014 Tristan Barbageleta & Jean-Maxime Dick - portail-ie.fr
A l’initiative de l’Ecole de Guerre Economique et de l’Association des Entreprises Partenaires de la Défense et en partenariat avec l’ANAJ-IHEDN, s’est tenue la conférence « La défense comme outil de puissance de la France » à l’Ecole Militaire mercredi 18 juin. Etaient conviés à débattre quatre invités d’horizons divers, dont la lecture du sujet a ainsi pu se faire sous différents prismes.
Au-delà de la défense, la puissance comme priorité maximale.
En premier lieu, Marie Récalde, députée de Gironde et membre de la commission de la défense nationale a notamment mis l’accent sur l’importance vitale que représente le secteur de la défense pour notre économie nationale, notamment d’un point de vue local.
Christian Harbulot, directeur de l’EGE et associé du cabinet Spin Partners, dont le dernier ouvrage, Sabordage, est récemment paru, est allé au-delà de la dialectique puissance/défense. Proposant comme grille de lecture la doctrine japonaise de l’ère Meiji, « un pays riche, une armée forte », Christian Harbulot a mis en exergue la nécessité dépasser la notion de puissance afin ne pas s’en contenter mais de chercher son « accroissement ».
S’en est suivie une intervention du colonel Goya qui a particulièrement insisté au cours d’un exposé rappelant des dates clés sur l’utilisation des forces armées, sur la difficulté des milieux politiques à ne pas sombrer dans des « gesticulations » quant à l’usage de celles-ci. En effet, la tendance depuis les années 90 est à « l’engagement de moyens » sans doctrine précise, donnant lieu à des « errements » stratégiques.
La conférence s’est enfin achevée sur une intervention du président de l’ANAJ-IHEDN, François Mattens, soulignant l’importance du regard de la jeunesse sur la défense et le rôle de l’ANAJ dans la transmission et le « rayonnement de l’esprit de défense ».
La défense, un enjeu vital pour la France.
Il est indéniable que la défense est un outil de puissance, tant sur la scène nationale qu’internationale. Les récents débats sur le budget des armées ne font que souligner la vivacité d’un tel outil. Mais là où Marie Récalde a particulièrement porté son attention, c’est sur un aspect a priori moins visible. Car si la défense est une arme de la puissance, elle en est également une face de la crise économique. Ainsi, l’Etat doit faire montre d’une volonté d’acier pour maintenir notre potentiel technologique, notre potentiel industriel, et militaire. En effet, l’industrie de défense représente 65.000 emplois, elle s’exporte davantage que celle du luxe et cela va croissant. Le budget de la dissuasion nucléaire également, souvent décrié, ne comprend pas seulement l’entretien des ogives mais permet de participer à l’ensemble de l’activité, contribuant ainsi à la recherche et au développement. De fait, préserver et renforcer le secteur de la défense permettra de conserver notre autonomie nationale.
Toutefois, le risque d’un « Mai 40 administratif » et d’entrer dans une « spirale de la démobilisation » pour reprendre les paroles du Colonel Goya, n’est pas loin. Si la nécessité de maintenir au sommet de la hiérarchie des priorités le secteur de la défense, il n’en demeure pas moins que les effectifs des forces armées fondent, que les matériels s’usent et que le moral s’affaisse. A titre d’exemple, selon Michel Goya, la division Daguet, mobilisée lors de la Guerre du Golfe, représentait 10% du potentiel militaire français. Aujourd’hui, mobiliser une division est un véritable casse-tête.
Il fait remonter à l’attentat du Drakkar la rupture de la France dans l’utilisation de ses forces armées et d’un manque de vision stratégique globale. Si les années 60 ont été marquées par un usage rationnel de celles-ci, les décennies qui ont suivi ont vu leurs missions se transformer. Misions de sécurité intérieure ou encore d’interposition, autant d’engagements de moyens qui ne permettaient pas de répondre à la question « pour quoi nous battons-nous ? ». Si l’opération Serval semble avoir annoncé la fin d’un usage en demi-teinte par la classe politique, le théâtre centre-africain risque de faire de l’intervention au Mali une exception.
Cependant, compte tenu du contexte actuel, il ne suffit plus de « maintenir » ou « préserver » le secteur de la défense, mais plutôt d’aller au-delà afin de ne pas simplement chercher à être puissant et s’en contenter.
Aller au-delà de la préservation de notre défense comme outil de puissance : chercher l’accroissement de la puissance.
Il est important de revenir sur le concept de puissance, trop longtemps dévalorisé ou trop cadré. En France la puissance est soit associée à la dissuasion nucléaire, soit perçue comme une notion rétrograde. Or aujourd’hui, et plus que jamais, celle-ci reprend tout sens et se doit même d’aller au-delà, comprenant non plus sa conservation, sa défense, mais son « accroissement ». C’est ce qui fait la force de pays comme le Brésil, la Russie ou encore la Chine, qui ne perçoivent pas que la défense dans la « construction de leur puissance » mais « voient plus loin ». Ils associent défense de leur souveraineté à l’accroissement de leur puissance et c’est là que réside leur force.
La France doit donc définir une stratégie claire pour entrer dans cette logique. Car actuellement, un tournant décisif est en train de se franchir, tant dans le monde « immatériel », celui que l’affaire Snowden nous a révélé, que dans le monde matériel. En effet, d’une part, ce monde immatériel est en train d’être intégralement conquis par les Etats-Unis, et aucun objectif français n’indique où nous devons nous positionner dans ce monde, ni quelle doctrine mettre en œuvre pour ne pas être relégué au rang de spectateurs. D’autre part, cette même « totale puissance » est en train de subir de cuisants revers dans le monde matériel. A ce titre, la situation irakienne d’aujourd’hui illustre les « lourdes fissures stratégiques » de sa doctrine, dont les premiers signes d’essoufflement sont apparus suite à la chute de Saigon.
Malheureusement, si la question de la défense comme outil de puissance est posée, il y un « interdit en France » qui ne permet pas d’aller plus loin, brouillant la réflexion quant à une stratégie plus globale. Jean-Yves Le Drian note « qu’il n’y pas de menaces à nos frontières, cependant les menaces, elles, n’ont pas de frontières ». L’accroissement de la puissance ne devrait pas en avoir non plus, et ce afin de ne pas se limiter uniquement à la préservation de la souveraineté. Ainsi, comme a pu le conclure Christian Harbulot, il faut donc bien inscrire ce débat au rang de « priorité maximale ».
Pour aller plus loin dans cette réflexion : la semaine de l'IE
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