Airbus Group a failli à être le détonateur d'un big bang dans l'industrie spatiale
Cela aurait pu être le big bang de l'industrie spatiale française... mais il a fait finalement pschitt à la fin de l'été 2013. Au cœur de ce big bang, Airbus Group (ex-EADS), qui souhaitait vendre son activité de construction de satellites, jugée pas assez profitable et surtout évoluant dans un contexte commercial trop compliqué, pour se concentrer exclusivement dans les services en s'offrant Eutelsat, selon plusieurs sources concordantes. Au début de l'été, le directeur général délégué à la stratégie et au marketing d'Airbus Groupe, Marwan Lahoud, fait la tournée des cabinets ministériels concernés et de la direction générale de l'armement pour prendre la température sur ce projet, un serpent de mer qui ressort régulièrement depuis plus d'une décennie.
Marwan Lahoud ne rencontre ni veto, ni feu vert des autorités politiques - on décidera après avoir vu le dossier, est semble-t-il le mot d'ordre des cabinets ministériels consultés - tandis que la DGA, fidèle à sa stratégie de consolidation pour éviter le saupoudrage des budgets de R&T (Recherche et Technologies), est quant à elle plutôt favorable à un tel regroupement des forces. Cela renforce sa stratégie de Base industrielle et technologique de défense, la fameuse BITD.
Le projet remonte même à l'Elysée intéressé, qui demande à voir pour être convaincu. Seul le CNES préfère voir deux constructeurs européens s'affrontaient que de voir une concurrence frontale entre un groupe français face à un américain (Loral, Boeing...). En tout cas, le projet porté par Marwan Lahoud est encouragé. Un projet qui ne laisse pas insensible certains, à commencer le ministère de la Défense et l'Elysée, qui aimeraient s'approprier un grand projet industriel. Même si tout le monde reste à ce stade encore prudent.
Dissensions au cœur d'Airbus Group
Pour l'heure, Thales n'est pas dans la boucle mais des fuites vont évidemment mettre au parfum le groupe dirigé par Jean-Bernard Lévy... qui attend alors de rencontrer les dirigeants d'Airbus Group, notamment Tom Enders et Marwan Lahoud, pour en discuter. Au sein des cabinets, l'impatience grandit au coeur de l'été. A chaque rencontre avec les dirigeants de Thales, ils sont interrogés sur le déroulement du projet. "Alors, avez-vous rencontré Airbus Group ?". La réponse des responsables de Thales ne manque pas de surprendre : "non".
Car des dissensions sur cette opération au sein du haut management d'Airbus Group et les profondes restructurations à venir du groupe européen, notamment de ses activités spatiales, ont semble-t-il eu raison de ce changement de cap préconisé par certains au sein d'Airbus Group dans le spatial. Même si certains observateurs et acteurs concernés estiment que ce projet a été simplement mis en sommeil en attendant qu'Airbus Group digère la restructuration à la hache de ses activités spatiales exigée par Tom Enders.
François Auque en partie opposé
Le patron des activités spatiales (ex-Astrium), François Auque, est opposé en partie à cette opération. Il considère que la construction de satellites donne un avantage stratégique au groupe dans les services et la défense... Pas question donc de lâcher cette activité. En revanche, il n'est pas opposé à l'acquisition d'Eutelsat en vue de renforcer les activités de services, qui ont été développées et boostées par Eric Béranger et de mettre la main sur une société très, très lucrative. Mais si Airbus Group entre dans le capital d'Eutelsat, il est fort probable que les autres opérateurs concurrents ne fassent plus appel à Airbus Space Systems.
Une réflexion s'engage alors au sein du groupe. Une discussion animée à laquelle le tout nouveau président du conseil d'administration, Denis Ranque, participe aussi activement conformément à ses prérogatives. Il est opposé à la cohabitation dans le groupe entre Eutelsat et un constructeur de satellites et retoque le projet de François Auque. Finalement de vendeur, Airbus Group passe à une position d'acheteur des activités de satellites. Ce qui pourrait alors renforcer la profitabilité des activités de fabrication de satellites au sein du groupe et éviter une guerre des prix meurtrière pour les marges des deux constructeurs de satellites, estime-t-on au sein du groupe.
Eutelsat opposé à l'opération
Jean-Bernard Lévy rencontrera séparément en septembre Tom Enders et Marwan Lahoud, qui lui diront... qu'il n'y a pas de projet. "On touche à rien", expliquent-ils au PDG de Thales. Ce qui n'est pas tout à fait vrai. De toute façon, Thales Alenia Space, la filiale spatiale du groupe d'électronique, a rouvert une nouvelle fois ce dossier mais l'a rapidement refermé. Et Eutelsat ? Lui aussi mis dans la confidence à la suite de fuites, l'opérateur européen de satellites est vent debout contre cette opération. D'autant qu'il connait l'opposition de François Auque à lâcher la construction de satellites. Pas question pour lui de se lier les mains dans un groupe qui gèrerait une flotte de satellites et leur fabrication. "Ce sont deux métiers différents", explique-t-on au sein du groupe européen.
A minima, certains ont même poussé un échange d'actifs entre les deux groupes, à l'un les télécoms, à l'autre l'observation. "C'est un schéma qui ne tient pas la route", assurent plusieurs sources à La Tribune. Début 2013, le patron de TAS Jean-Loïc Galle avait proposé que "chacun se spécialise sur certaines briques", ou travaille sur des briques communes. "La France ne peut pas se permettre de disperser ses fonds entre deux sociétés qui font exactement la même chose", avait-il alors estimé. Le patron d'Astrium, François Auque, avait rapidement fermé la porte en début d'année 2013, une porte qui s'est pourtant rouverte l'été dernier... et pourquoi pas en 2014.