Pourquoi Sodexo est-il dans la défense ?
Parce qu'au même titre que d'autres secteurs (éducation, santé, etc..) c'est un marché d'externalisation. Et le groupe considère que le marché défense représente un très fort potentiel. Cette activité constitue aujourd'hui 4 % du chiffre d'affaires global du groupe, soit environ 700 millions d'euros. Nous avons par ailleurs une société commune avec Serco en Australie, Serco Sodexo Defense Services (SSDS) dont le chiffre d'affaires en 2013 s'élevait à environ 290 millions d'euros. Depuis quatre ans, la part des activités défense a doublé pour passer de 2 % à 4 % du chiffre d'affaires de Sodexo. C'est un marché prometteur qui reste encore à développer, notamment en Europe où l'externalisation commence à se mettre en place. Cette activité au sein de Sodexo bénéficie pleinement de la présence internationale du groupe dans 80 pays. Nous sommes maintenant actifs sur le segment de la défense dans 25 pays. D'une façon générale, la défense a toujours fait partie de l'ADN du groupe. Le fondateur de Sodexo Pierre Bellon a ainsi commencé par fournir les premiers services à la Marine nationale à Marseille.
Quelles sont les ambitions de Sodexo dans la défense ?
Nous souhaitions définitivement nous positionner comme le spécialiste des services de soutien à la défense. Nous estimons le marché mondial du soutien dans la défense à peu près à 50 milliards d'euros. Bien sûr ce marché est globalement beaucoup plus important mais l'externalisation du soutien n'est pas encore généralisée. Actuellement Sodexo Defense s'intéresse aux bases américaines en Europe dans la mesure ou leur gestion est totalement externalisée. Ce marché est évalué à plus de 10 milliards d'euros par an. Nous avons restructuré notre activité en Europe pour répondre aux prochains appels d'offres avec le concours de Sodexo USA.
Combien visez-vous de chiffre d'affaires à cinq ans ?
Sur cinq ans, nous comptons doubler notre chiffre d'affaires dans la défense. Pour y parvenir, le groupe s'est organisé par segments de marché, dont la défense. Ce qui permettra à cette activité de capitaliser sur notre connaissance des clients de Sodexo dans le monde entier et d'être encore plus pertinents dans notre positionnement d'expert des services de qualité de vie pour réussir l'objectif de doubler notre chiffre d'affaires.
Quels sont vos plus grands clients ?
La Grande-Bretagne et les États-Unis sont nos deux principaux clients dans la défense. Pourquoi ? Parce que cela fait 30 ans que les Britanniques externalisent les services. Les États-Unis où nous gérons notamment des bases pour le Corps des US Marines ont quant à eux un potentiel immense. La Grande-Bretagne et les États-Unis représentent chacun un tiers des 700 millions de chiffre d'affaires. Le dernier tiers regroupe le reste du monde, y compris la France, qui externalise progressivement.
Et la France, que représente-t-elle pour Sodexo ?
Pour le moment, le chiffre d'affaires est modeste. Avec un an et demi d'existence juridique, Sodexo Defense Services est, en France, une entité récente, mais qui a démarré très fortement en particulier avec le gain du contrat Balard. Après trois ans d'activité, nous visons un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros par an.
Que représente le marché du soutien en France ?
Le marché de soutien est évalué en France dans le domaine de la restauration et des services à environ 1 milliard d'euros, dont seulement un petit tiers est externalisé. Le Commissariat aux armées travaille actuellement à mieux structurer l'externalisation du soutien aux militaires français. Avec pour objectif d'économiser des crédits et de réinjecter ces gains dans les capacités militaires de l'armée française.
Comment pouvez-vous changer votre image en France, et notamment dans le domaine de la défense, où Sodexo est plutôt perçu comme un acteur de la restauration collective et non comme une société en capacité de gérer des dossiers complexes multi-services?
Sodexo dispose d'une expérience pratiquement sans équivalent dans le domaine de l'ingénierie et de la construction. Par exemple sur la base de l'Otan de Kandahar en Afghanistan, Sodexo a construit en cinq mois des infrastructures tel qu'entrepôts de plusieurs milliers de mètres carrés, deux restaurants (DFAC) destinés à accueillir 10.000 militaires par jour. Cela a nécessité la mise en place de chaines logistiques complexes (air, mer, terre) Nous avons servi le premier petit-déjeuner cinq mois après la notification du contrat. Si notre métier historique est la restauration, nous nous sommes structurés pour conquérir des marchés plus techniques nécessitant des compétences en ingénierie pour concevoir, construire et opérer... Et lorsque le client nous fait confiance, nous lui devenons indispensables ! En France, ces compétences restent méconnues mais les contrats Balard et Telsite contribuent à notre notoriété.
Avec Balard, le ministère de la Défense va-t-il vraiment économiser de l'argent ?
Bien sûr. Il faut comparer ce qui peut l'être. Beaucoup de choses, souvent erronées, ont été dites sur ce projet. Balard sera un centre interarmées, le ministère de la Défense économisant déjà le soutien des bâtiments qui seront vendus. Et je rappelle que nous avons obligation de restituer le site de Balard au bout de 27 ans comme neuf. À l'évidence, les coupes budgétaires des ministères ciblent en priorité le soutien, notamment aux bâtiments. Nos études montrent que l'externalisation de la restauration, de l'hébergement et de la gestion des loisirs permet d'économiser 20% par rapport à ce qui se fait aujourd'hui dans les armées. En outre, les militaires sont gagnants en termes de qualité de services qui contribuent à leur qualité de vie. L'expérience montre que tous les pays qui se sont lancés dans l'externalisation ne sont jamais revenus en arrière. Ils ont constaté qu'ils faisaient des économies d'échelle et que la privatisation n'impactait pas la continuité de la mission.
Pouvez-vous donner un exemple où un pays a fait des économies en externalisant ?
L'Australie. Sur les sept dernières années d'externalisation, l'armée australienne a économisé 18% de son budget. Elle a investi cet argent pour acquérir des armements, comme les NH90, les hélicoptères de transport d'Airbus ou à investi dans des capacités opérationnelles. Ces économies sont parfaitement traçables. Malgré un budget de la défense australien global en baisse, le ministère de la Défense dispose de plus de capacités opérationnelles grâce à l'externalisation. Nous apportons des réponses à leurs problèmes. Dans le cadre des réductions budgétaires, nous fournissons des services de haute qualité, et généreront des économies substantielles.
Que représente Balard pour Sodexo ?
Ce contrat emblématique est très important pour Sodexo. Nous y travaillons beaucoup avec nos partenaires Thales et Bouygues, qui est le maître d'œuvre. Ce contrat représente pour SDS un chiffre d'affaires entre 27 et 30 millions d'euros par an, ce qui s'est considérable pour un seul site. Nous avons été sélectionnés pour offrir 15 prestations de services différentes qui nécessiteront l'emploi d'environ 500 collaborateurs. Balard est pour Sodexo une formidable vitrine de notre savoir-faire en matière de services. 60% de notre palette de services y sont déployés. Nous gérons totalement le site avec la restauration, le nettoyage des locaux, l'accueil et le gardiennage, la gestion d'un hôtel de 750 chambres, la gestion des espaces verts, la gestion des déchets et toute la partie logistique, l'approvisionnement, la levée des drapeaux, la gestion de la piscine à l'intérieur d'un complexe sportif.
Avez-vous des objectifs de performances ?
Des pénalités assez élevées nous sont applicables si nous n'atteignons pas les ratios de performances exigés, qui se situent d'ailleurs à un niveau d'exigences très élevé. Mais Sodexo a montré son savoir-faire en matière de bases de défense comme celle de Brest, l'école de Bourges, l'école d'hélicoptères de Dax...
Mais avec Balard, vous passez un cap dans la chaine de valeur...
C'est vrai que Sodexo gérait il y a peu encore en France des services focalisés sur la restauration, l'hébergement et les loisirs. Nous sommes désormais prêts à répondre à des appels d'offre portant sur la gestion globale d'une base. Notre objectif est clairement d'accompagner en France la transformation des armées dans le cadre des réductions budgétaires qui vont orienter la défense vers une externalisation optimisée. Nous avons les compétences requises grâce à notre longue expérience en Grande-Bretagne où Sodexo travaille depuis 30 ans avec le ministère de la Défense britannique, mais aussi en Australie, Etats Unis et dans plusieurs pays du Moyen Orient. . Nous pouvons apporter beaucoup, beaucoup d'idées à ce sujet. Depuis deux ans, nous essayons d'être force de propositions auprès du ministère de la Défense, pour contribuer de façon innovante à la transformation du soutien des armées.
Ce qui est le cas avec le contrat Telsite que vous avez remporté auprès du ministère de la Défense ?
Oui en quelque sorte. Nous avions deux problématiques à résoudre pour gagner ce contrat. Il fallait travailler avec une PME bretonne, qui réalise 1 million d'euros de chiffre d'affaires annuelle, et intégrer dans notre proposition des retombées économiques pour la Polynésie. Pour que cette PME puisse construire la base-vie sur l'atoll de Mururoa qui coûtera plusieurs millions d'euros, Sodexo a dû apporter le financement. Nous avons donc aidé cette PME conformément aux objectifs que le ministère de la Défense a défini : faire accéder des PME à des marchés stratégiques en apportant des processus, des standards, un support financier, des techniques de gestion de projets et de maitrise des risques associées aux opérations sur un site extrêmement isolé.
Sodexo accompagne-t-il les armées françaises dans des opérations extérieures ?
Nous sommes présents depuis longtemps auprès des armées françaises en particulier sur les opérations extérieures. Nous avons commencé au Kosovo. Nous les avons accompagnées en Afghanistan où Sodexo a également travaillé avec l'Otan et l'armée américaine. En 2009, nous avons participé à la construction de la base-vie du Groupement Tactique Interarmées français de Surobi (FOB Tora) pour accueillir et soutenir 300 hommes dans la vallée de la Kapisa. Ce fut une expérience difficile mais enrichissante. Nous l'avons opérée et démobilisée au moment du retrait de la France d'Afghanistan. D'une manière générale, nous savons accompagner les armées, y compris dans des délais de projection contraints en opérations extérieures. Il existe très peu de sociétés françaises capables de se projeter aussi vite avec les armées. C'est le point fort de Sodexo, qui est déjà prépositionné dans 80 pays. Ce qui n'est pas le cas de la plupart de nos concurrents.
Comment assurez-vous la sécurité de vos équipes ?
C'est un sujet qui n'est pas simple. Nous privilégions les contrats opérés sur l'emprise de nos clients (armée française TORA, ISAF Kaboul et Kandahar), mais, quand une société comme la nôtre opère dans des régions à risques, elle peut avoir à recourir à des sociétés de sécurité privées qui protègent les hommes et les convois. Il n'existe malheureusement pas de sociétés françaises de ce type en raison de la législation en France. C'est pourtant un marché de 3 milliards d'euros par an qui s'accroit chaque année et est capté par les seules entreprises anglo-saxonnes. Nous savons aussi dire non quand nous évaluons un facteur risque trop élevé. Ainsi, par exemple, dans le cadre de la mission des Nations-Unies en Centrafrique, nous avons refusé de répondre à un appel d'offre pour des raisons de sécurité. Nous ne prenons pas à la légère la sécurité des hommes.
Le marché des Nations-Unies est-il accessible pour un groupe comme Sodexo ?
C'est un marché extrêmement décevant pour toutes les sociétés françaises. Cela fait plusieurs années que nous travaillons, et en particuliers depuis quatre ans en partenariat avec Thales, pour pénétrer ce marché... on s'arrache les cheveux ! Nous avons tout essayé. L'armée française a fait un travail extraordinaire au Mali mais les sociétés françaises n'en profitent pas. Pas un seul contrat, à l'exception d'un petit pour la réfection des aéroports de Gao et Tessalit, alors que les sociétés françaises sont très présentes en Afrique à l'image du groupe Bolloré, l'un des premiers logisticiens du continent. Pourtant avec 480 millions d'euros environ, la France est le troisième contributeur au budget des Opérations de Maintien de la Paix (OMP) des Nations-Unies.
Pourquoi les entreprises américaines sont-elles mieux servies ?
Les États-Unis sont les premiers contributeurs. Au contraire des Français, les Américains assurent leur contribution par des retours économiques : « on vous donne tant et en contrepartie on veut tant de contrats ». Mais les Nations-Unies font peu de cas de l'engagement de la France et des moyens déployés au Mali ou ailleurs. La France doit taper du poing sur la table pour faire changer cela.
A combien s'élève le marché de soutien des Nations-Unies ?
Pour les OMP, il représente environ deux milliards d'euros par an. Sur ce montant, la France représente 1,1%, soit 20 millions d'euros sur la partie soutien et sur la partie équipement. C'est un désastre qui illustre une triste réalité.
Quels sont les pays les plus avancés en termes d'externalisation et où est présent Sodexo?
Royaume-Uni, Australie et Etats-Unis ! En Australie, nous avons géré pour le compte de l'armée australienne les terrains et les infrastructures de manœuvres et d'entrainement au tir, aussi bien terrestre qu'aérien. Nous assurions la sécurité des terrains et la coordination des tirs en partenariat avec eux. Nous allons très, très loin dans le service. On nous a également confié à l'étranger des projets d'externalisation que la France ne donnerait pas à des sociétés privées. L'armée française n'est pas prête à externaliser certaines prestations telles que la gestion des munitions ou encore la préparation des équipements des forces combattante dans le cadre de missions de projection. L'Australie, comme la Grande-Bretagne, nous ont pourtant confié ce type de missions.