01.10.2014 Vincent Lamigeon, grand reporter à Challenges - Supersonique
Il aurait pu venir d’Iran, de Russie, de Corée du Nord. Mais il est venu de l’allié britannique, celui avec lequel la France a signé en grande pompe les traités de collaboration de défense dits de Lancaster House en 2010. Lui ? Un Scud incroyable, inattendu, tellement grossier qu’on se demande si c’est bien un ministre des affaires étrangères britannique qui l’a dégainé. Interrogé par la BBC qui évoquait l’engagement britannique en Irak et le nombre supérieur d’escadrons de chasse en France par rapport à au Royaume-Uni, Philip Hammond a répondu hier d’un tacle dénué de toute subtilité diplomatique : « Vous ne trouverez personne qui s'y connaît dans ce domaine qui dira que l'armée de l'air française constitue une force plus redoutable que la Royal Air Force ».
Quelle mouche a donc piqué Hammond ? Difficile à dire, tant l’attaque relève plus du coup de menton de cour de récré que d’une analyse argumentée. Le constat qu’il dresse, même en excluant toute fierté cocardière, est éminemment contestable. Si l’armée de l’air britannique reste un acteur de premier plan, au savoir-faire et à l’expérience redoutables, elle traîne avec elle un boulet redoutable : l’incapacité latente de l’Eurofighter Typhoon, commandé à 160 exemplaires, de mener des frappes au sol.
La meilleure illustration est le fait que les appareils envoyés par la RAF en Irak sont de bons vieux Tornado, des appareils dont la version initiale a volé pour la première fois il y a 40 ans (14 août 1974), et dont les premières livraisons à la RAF datent de 1979. Le rapport du NAO, la Cour des Comptes britanniques, sur l’Eurofighter en 2011 soulignait que les véritables capacités multi-rôles de l’Eurofighter attendraient 2018… soit la possible fin de production de l’avion au rythme de production actuel.
L'autre différence, et de taille, entre les deux armées de l'air est que l'une a la capacité nucléaire, pas l'autre. La France dispose des Rafale et Mirage 2000N, équipés de missiles ASMPA, qui complètent la Force océanique stratégique de quatre sous-marins lanceurs d'engins (SNLE) équipés de missiles M51 (et les six sous-matins nucléaires d'attaque). Le Royaume-Uni, lui, n'a plus de composante aéroportée de sa force de dissuasion depuis 1993, se reposant uniquement sur les sous-marins de classe Vanguard équipés de missiles Trident.
Cela n’empêche évidemment pas la RAF d’afficher des équipements qui font saliver l’armée de l’air française : une dizaine de ravitailleurs A330 MRTT sur les quatorze commandés ont déjà été livrés, quand la France se débat encore avec des antiques C-135 dont certains datent d’Eisenhower et tarde toujours à commander ses nouveaux appareils ; une dizaine de Reaper (General Atomics), capables de tirer de l’armement (459 tirs effectués à fin décembre 2013) quand la France se contente de deux Reaper non armés et d’une poignée de vieux Harfang.
Mais on comprend mal l’intérêt d’une telle saillie télévisée, à l’heure où les deux pays tentent de collaborer ensemble sur les drones ou les missiles. A moins que la sortie ne soit une énième tentative de disqualifier le Rafale à l’export, en Inde ou au Qatar par exemple. Comme se demandent judicieusement certains sur la twittosphère, les Anglais auraient-ils inventé le fair-play pour les autres ?
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