04.09.2013 par Frédéric Pons – V.A.
Opérations. La France aborde la crise syrienne alors que l’outil militaire se dégrade. Un rapport parlementaire le confirme. La nouvelle loi de programmation militaire ne va rien arranger. La preuve par les textes.
Membres de la commission de la Défense nationale de l’Assemblée, Yves Fromion (UMP, Cher) et Gwendal Rouillard (PS, Morbihan, proche de Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense) viennent de livrer un rapport détaillé sur les capacités réelles de nos armées. Leur constat est inquiétant, alors que la France va peut-être s’engager dans une nouvelle intervention à longue distance. Ce rapport sera sans doute très commenté à la 11e université d’été de la Défense, organisée ces 9 et 10 septembre, à Pau, par les commissions parlementaires de la Défense. En voici quelques éléments, comparés [entre crochets] aux objectifs du projet de loi de programmation militaire 2014-2019, la douzième du genre depuis 1960, dotée de 189,3 milliards de crédits courants et de 6,1 milliards de « ressources exceptionnelles ».
La Marine
« Compte tenu du vieillissement de la presque totalité des équipements », la “rupture capacitaire” concerne de nombreux domaines. L’aviation de surveillance et d’intervention maritime est dans le rouge. En 2012, elle affichait un taux de disponibilité de seulement 39 %. Les Falcon 200-Gardian déployés dans le Pacifique seront prolongés jusque vers 2020. Mais, pour maintenir cette capacité, la Marine devra y affecter aussi des Falcon F50. Même inquiétude pour les chasseurs de mines, « dont le système de combat est très sensible à l’obsolescence ». Prolonger ces bâtiments au-delà de 35 ans « n’est pas envisageable », assurent les députés. Les pétroliers ravitailleurs à simple coque seront eux aussi maintenus au-delà de 35 ans, malgré la réglementation civile qui exige une double coque. Pour eux, le « risque de limitation capacitaire » apparaîtra dès 2020.
La situation des patrouilleurs était « préoccupante ». Elle va connaître « une aggravation supplémentaire » : « Outre-mer, le retrait des derniers patrouilleurs P400 prolongés en 2020 rendra la situation critique. L’acquisition de patrouilleurs légers pour la Guyane et de bâtiments multi-missions devient impérative pour atténuer la réduction capacitaire. » Certains vieux avisos vont être reconvertis en patrouilleurs de haute mer. Cette solution « ne permettra pas de combler totalement le déficit de moyens qui sera très délicat autour de 2025 ».
[La loi 2014-2019 prévoit de maintenir en activité des avisos et des patrouilleurs, dont certains auront quarante ans de service, presque deux fois leur durée de vie initiale. Le programme des nouveaux bâtiments de surveillance et d’intervention est reporté au-delà de 2020, comme les livraisons des nouveaux chasseurs de mines. En 2019, le nombre des frégates multi-missions tombera de huit à six. Aucun nouveau ravitailleur ne sera livré et la cible est abaissée de quatre à trois bâtiments. L’aéronautique navale baisse en puissance : 40 Rafale Marine au lieu de 58. La modernisation des Atlantique 2 ne concernera que 15 appareils, sur les 27 en parc.]
L’armée de terre
Elle devra garder plus longtemps que prévu ses vieux véhicules de l’avant blindés (VAB) et blindés AMX10 RCR, ossature des régiments depuis plus de trente ans, malgré leur faible disponibilité technique opérationnelle : 36 % pour les AMX 10, 57 % pour les VAB ! Les députés parlent d’une « rupture capacitaire annoncée » pour le combat débarqué, sauf si les nouveaux véhicules blindés multirôles (VBMR) et engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) sont bien livrés « à un rythme rapide », à compter de 2017 : « Pour un contrat opérationnel nécessitant 300 véhicules, la décroissance rapide des parcs ERC 90 et des VAB HOT, totalement obsolètes en 2020, et celle progressive des AMX 10 RCR créent un risque important de rupture capacitaire en 2020 au regard d’une opération EBRC qui ne doit souffrir aucun retard. »
L’aéromobilité de l’armée de terre (essentielle en Libye puis au Mali) se dégrade. Elle repose sur la trentaine de Puma encore en activité, dont la rénovation a été abandonnée, et sur le nouvel hélicoptère NH 90, indispensable pour la relève. Le parc de Puma, le plus ancien de l’armée de terre, est marqué par « une chute inexorable et une disponibilité technique opérationnelle moyenne médiocre ». En dépit des efforts des équipages, ce taux plafonnait à 48 % en 2012 !
[La loi 2014-2019 ne prévoit aucune livraison d’EBRC et seulement 92 VBMR. Pour le très attendu NH 90, la cible globale annoncée de 115 machines par le Livre blanc est déjà hors d’atteinte. Les “terriens” n’ont pour l’instant que 9 NH 90 en parc. Ils en espèrent 29 en 2019, sur les 95 commandes fermes annoncées.]
L’armée de l’air
Elle présente elle aussi son lot de misères, que les aviateurs tentent de compenser à force de travail. Très vieillissant, le transport tactique (C 160 Transall et C 130 Hercules) affiche 54,3 % de disponibilité : « Les capacités sont déjà déficitaires et le resteront jusqu’à un horizon 2030. » L’agenda de l’Airbus A400M a été ralenti, ce qui prolonge la vie de quatorze Transall, « mesure compensatoire absolument indispensable pour maintenir les compétences des équipages et garantir la transition sur A400M ». Le premier A400M de série vient à peine d’être livré à la base d’Orléans, quatre ans après la date prévue.
Avec 42,2 % de disponibilité en 2012, le transport stratégique s’appuie sur des Airbus A310 et A340 bien amortis et des avions ravitailleurs KC 135 et C 135FR dont l’âge (50 ans) et la fragilité « font peser un risque très important de rupture capacitaire en cas d’aléas techniques graves. Cette rupture pèserait sur l’aptitude à partir en opérations extérieures, sur la protection de l’espace aérien français et sur la tenue de la posture de dissuasion ».
La modernisation de l’aviation de chasse (225 avions prévus par le Livre blanc, dont 185 pour l’armée de l’air et 40 pour la marine) est au ralenti. Le format visé devrait permettre d’assurer les contrats opérationnels, mais, précisent les députés, « sous réserve de la mise en service des premiers Mirage 2000D rénovés dès 2018 et de pouvoir prolonger les Mirage 2000-5 au-delà de 2021 ».
[Ces objectifs seront difficiles à tenir. La cible des 50 A400M en parc s’éloigne. On compte à peine 13 livraisons jusqu’en 2019. À cet horizon, l’armée de l’air n’aura que 2 ravitailleurs modernes, au lieu des 12 prévus. Pour le Rafale, 26 nouvelles livraisons sont annoncées d’ici à 2019, moins que prévu, pour une cible finale de 180 appareils, avec un effort annoncé sur la modernisation des Mirage 2000-5 et 2000D. ]