Alex Cresswell, Executive Vice-President, Land and Air Systems - photo Thales
06/09/2016 par Alain Establier - « SECURITY DEFENSE Business Review » n°155
SDBR : En tant que Directeur-général adjoint des activités systèmes terrestres et aériens de Thales*, comment percevez-vous l’évolution du marché au sein de votre activité ?
AC : La meilleure façon de répondre à votre question est peut-être de rappeler ce que les événements dans le monde ont comme impact sur nos activités de défense et de sécurité, et de citer quelques repères plus spécifiques aux activités systèmes terrestres et aériens. La première réalité est l’importance des conflits régionaux, particulièrement au Moyen-Orient et en Afrique, qui amène certains pays (EAU, Qatar, etc.) à avoir des budgets de défense élevés, d’autant plus que la nature de la menace est asymétrique. Ces pays utilisent leurs équipements en situation de guerre, donc beaucoup plus qu’ils ne l’avaient imaginé lors de leur acquisition. En outre, certains pays du Golfe entrainent pour la première fois leurs forces militaires sous la supervision américaine. Dans ce contexte, le tempo du maintien en condition opérationnelle des équipements et des supports a changé, ce qui n’avait pas été envisagé dans les contrats d’origine signés avec ces pays. Deuxième facteur: nombre de pays occidentaux, conséquence des conflits afghans et irakiens, avaient diminué leurs dépenses et commencent timidement à les réajuster. Troisième facteur important, l’impact du cours du pétrole qui touche beaucoup de clients dont l’économie est basée sur l’exportation de pétrole et de gaz, en Extrême-Orient, au Moyen-Orient et quelques-uns en Afrique: leurs capacités à investir dans des dépenses militaires a donc diminué. Nos activités systèmes terrestres et aériens grossissent plus vite que le marché lui-même: détection, identification, engagement, des applications qui mettent en jeu entre autres l’optronique, les capteurs de radars, la gestion du trafic aérien (ATM) et les munitions à précision. Nous avons adapté notre stratégie à cette évolution du marché et aux besoins de nos clients.
Malgré ce contexte, Thales a présenté des résultats remarquables pour les activités systèmes terrestres et aériens. Comment est-ce possible ?
En effet, notre carnet de commandes n’a jamais été aussi haut et c’est identique pour les activités défense et sécurité du groupe Thales. Le carnet de commandes pour ces activités a doublé en 3 ans, ce qui montre une progression exceptionnelle. En conséquence, la progression de nos ventes entre 2015 et 2016 devrait atteindre 10%.
Quel a été l’enseignement de l’Afghanistan pour les activités systèmes terrestres et aériens?
Nous en avons retiré trois enseignements: l’importance de la protection de la mobilité, l’importance de la surveillance tactique et le besoin de précision des frappes. En matière de mobilité, les explosifs improvisés (IEDs) ont stoppé toute liberté de manœuvre et empêché d’adopter quelque tactique que ce soit. La première leçon reçue par les Américains, les Britanniques et les Australiens fut de ne pas pouvoir quitter leur base opérationnelle sans avoir perdu de soldats. C’est pourquoi a été fait un très gros effort d’investissement dans la détection des IEDs et la protection, pour pouvoir protéger la mobilité des convois. Dans ce domaine, nos deux véhicules fabriqués en Australie, Hawkei et Bushmaster, répondent à ce besoin de protection. La deuxième leçon afghane a été de prendre conscience de l’importance de la surveillance tactique. Les Américains essentiellement et un peu les Britanniques ont développé la surveillance tactique. Les Britanniques l’ont fait en utilisant la plateforme Hermes 450 d’Elbit Systems opéré par Thales, qui est devenu par la suite la base du Watchkeeper de Thales. Le troisième enseignement a été la précision des tirs, en liaison avec la surveillance tactique, pour arriver à ce qu’on nomme des «frappes chirurgicales». Dans un environnement peuplé, où l’ennemi utilise la proximité de lieux comme un hôpital ou une école pour se dissimuler, il est fondamental de pouvoir l’atteindre sans dégât collatéral.
Le groupe Thales couvre t-il le champ de ces trois enseignements ?
Nous avons parlé de la protection de la mobilité avec le Hawkei et le Bushmaster; j’ajouterais la protection des convois de véhicules légers avec notre système Eclipse. En matière de surveillance tactique, nous avons bien sûr le programme Watchkeeper mais nous avons aussi présenté, au salon Eurosatory de juin dernier, le Spy‘Ranger qui est un petit drone de surveillance et de reconnaissance pour les bataillons, de façon à voir de l’autre coté de la colline. Le Spy‘Ranger est en compétition pour le contrat de remplacement du DRAC du ministère de la Défense français, Thales ayant intégré sur l’avion son système de surveillance tactique. Dans le domaine du tir de précision, les produits de notre filiale TDA atteignent maintenant une précision inférieure au mètre (Sub-Metric), que ce soient les rockets à induction et guidage laser ou les mortiers que nous fabriquons. Thales et certains clients ont investi fortement pour développer une nouvelle gamme de produits, qui commencent à arriver sur le marché: Airbus Helicopter vient d’annoncer que Thales devenait partenaire privilégié pour la fourniture de rockets guidées de 68mm et 70mm. La rocket de 68mm est destinée aux marchés Export. De même, TDA s’est vu notifier par la DGA, début juillet, un contrat de plusieurs dizaines de millions d'euros afin de doter l'aviation légère de l'armée de Terre d'une capacité de roquette à induction à guidage laser.
TDA fabrique des rockets et des obus de mortiers. La prochaine étape sera-t-elle la fabrication de missiles ?
Comme je le disais, nous travaillons à élargir notre gamme de produits et en particulier avec un «light modular missile», qui est un des aspects de notre expérience afghane. La précision chirurgicale est importante, mais il faut être sûr que la cible soit la bonne cible: détecter, identifier, décider l’engagement. Ce protocole, pour être complet, doit être suivi d’un tir de précision grâce à un guidage partiel au laser: c’est la raison de notre recherche sur une arme à guidage laser semi-actif. C’est important du point de vue technologique, mais cela l’est encore plus du point de vue de l’opérateur. La munition semi-active, une fois tirée, reçoit le reflet de la cible illuminée et corrige elle-même sa trajectoire, l’illumination ayant été faite par une visée humaine. Cette technologie est utilisée dans les rockets guidées, dans les obus de mortiers guidés et nous allons l’utiliser dans des versions légères de missiles modulaires, pouvant être largués depuis un petit drone par exemple. Nous avons un contrat en ce domaine avec le MoD britannique.
L’avenir de TDA est-il assuré aujourd’hui ?
Oui, les effets de précisions sont un business pour le Groupe. Rien n’est jamais certain, mais les investissements faits pour développer des munitions plus précises donnent un avantage concurrentiel évident à TDA. Les activités systèmes terrestres et aériens comptent environ 10.000 personnes à travers le monde, la plupart hors de France, et le premier pays après la France, en importance, est l’Australie où nous avons un site qui produit beaucoup de munitions en format GOCO (Government Own Contractor Operated). Nous faisons donc en Australie des munitions «as a Service» (comme on peut faire de la sécurité informatique en mode SaaS).
Quels ont été les faits marquants récents pour les activités systèmes terrestres et aériens de Thales ?
Je citerais le contrat d’un montant de 125 M£ pour fournir à General Dynamics UK des systèmes de visée et équipements auxiliaires, destinés à la phase de production du programme Specialist Vehicle (SV) SCOUT du MoD, et un contrat de 54 M£ avec Lockheed Martin UK Ltd, pour fournir le système de visée stabilisée jour/nuit DNGS-T3 de ce même contrat. Le troisième gros contrat concerne notre participation à la vente d’avions Rafale à l’Egypte et au Qatar; nous sommes concernés par l’optronique du pilote, le POD de désignation d’objectif et par un sous-contrat avec MBDA sur l’électronique missile. Nous avons eu aussi un gros contrat de défense aérienne avec la Malaisie, qui a concerné notre site de Belfast pour les missiles sol-air et notre site de Limours pour le radar Ground Master 200.
Pourquoi le périmètre de la société commune avec Raytheon a t’il évolué ?
Au début des années 2000, nous avons créé une JV avec Raytheon dans le but de servir des contrats de commandement et de contrôle pour l’OTAN. ThalesRaytheonSystems a ainsi gagné un très gros contrat il y a 12 ans avec l’OTAN. L’autre objectif de la JV était de vendre des radars de surveillance à partir des installations californiennes, mais étaient exclus de la JV tous systèmes radar associés à des systèmes d’armes. Pendant ces 15 ans, la technologie de surveillance radar et la technologie de déclenchement de tirs ont convergé, et il était devenu très difficile de développer de nouveaux produits, obligatoirement convergents et intégrés, en respectant ces contraintes contractuelles. Aujourd’hui, les choses ont donc évolué et le périmètre de cette société commune sera exclusivement concentré sur le marché du commandement et de la conduite d’opérations aériennes et de défense anti-missiles balistiques pour les marchés OTAN.
Mettre en place une JV avec un partenaire étranger est-il toujours d’actualité pour Thales ?
L’activité du Groupe change en permanence du fait des opportunités du marché mondial. Mettre en place une JV est donc question de circonstances et d’opportunités. Par exemple, nous avons une JV dans les radars avec Bell Electronics India et une autre au Kazakhstan pour des radars Ground Master et Thales a bien entendu d’autres JV dans le monde.
Est-ce que le MCO est une offre de Services à part entière dans votre activité ?
C’est souvent une offre liée à la vente d’équipements et c’est parfois une offre à part entière. Il convient de plus en plus de considérer le maintien en condition opérationnelle (MCO) comme une fonction à part entière, comme vous le feriez avec les ressources humaines ou la supply chain, pour pouvoir en traiter tous les aspects. Par exemple, le contrat Marshall qui nous lie depuis 15 ans au Royaume-Uni, pour gérer l’infrastructure de la gestion du trafic aérien militaire, est un contrat de services de 22 ans avec reprise d’une partie de leur personnel militaire et civil; autre exemple, en Australie 30% de notre chiffres d’affaires provient du MCO et, au niveau des activités systèmes terrestres et aériens, 30% du CA provient soit du soutien aux forces, soit du Service, soit des deux ensemble…
Quels sont vos souhaits pour vos activités ?
Tout d’abord, continuer à maitriser la croissance, ce qui n’est pas toujours simple: mettre en place les organisations, les ressources, la supply chain et la logistique, livrer dans les délais, etc. Ensuite, continuer à prendre des commandes pour maintenir notre carnet d’ordres à son niveau actuel. Nous avons fait de gros investissements en 2015 et nous allons continuer en 2016, mais nous aimerions que nos clients investissent à nos cotés, par exemple en doublant notre mise, pour continuer cet effort de développement et peut-être nous permettre de créer des bases industrielles dans des pays où nous n’en avons pas encore.