20/06/2012 Par
Alain Ruello et David Barroux- LesEchos.fr
INTERVIEW JEAN-YVES LE DRIAN, MINISTRE DE LA DÉFENSE
Après les sommets internationaux et l'Afghanistan, Jean-Yves Le Drian s'attelle aux questions nationales. Confirmant un arbitrage du gouvernement sortant, le ministre de la Défense a
décidé de notifier à Thales le contrat Contact de radios tactiques du futur. Pas question en revanche de laisser l'Elysée trancher les dossiers industriels, comme ce fut le cas sous l'ère
Sarkozy. Il promet pour la rentrée un projet de « small business act » pour les PME, et une feuille de route sur sa politique industrielle d'ici à la fin de l'année.
Rapprochement entre Thales et Nexter, Thales et Safran, avenir de DCNS... De grands dossiers doivent être clarifiés. Quelle sera votre approche en matière de politique industrielle
?
Je suis le ministre des industries de défense. Les décisions se prendront donc dans mon bureau et sous l'autorité du Premier ministre. Ces sociétés sont très importantes au moment où nous voulons
redonner une ambition industrielle à la France. Elles le sont aussi en termes d'irrigation du territoire et d'exportations, qui représentent un tiers des 15 milliards d'euros de leur chiffre
d'affaires. Ma méthode consistera à rencontrer tous les responsables de ces entreprises, à prendre leur avis, pour établir moi-même une feuille de route. Cela peut se faire assez vite, il faut
que j'aie les idées claires d'ici à la fin de l'année. Le Livre blanc, quant à lui, arrête une politique de défense à partir d'un état de la menace, ce n'est pas le Livre blanc de l'industrie.
Le volet européen sera-t-il prépondérant ?
Je souhaite être un acteur efficace pour que nos grands groupes se consolident et reprennent une dynamique européenne. Nous sortons d'une période durant laquelle il ne s'est pas passé grand-chose
de ce point de vue. Entre la donne budgétaire nationale, les réorientations stratégiques des Etats-Unis et les pays émergents qui se dotent d'une industrie de défense, ma volonté principale est
de trouver des partenaires industriels européens. J'ai commencé à prendre des contacts préliminaires avec un certain nombre de mes collègues, britannique, allemand, italien, finlandais et danois.
Je vais continuer.
Pourquoi pensez-vous réussir là où beaucoup ont échoué ?
Les contraintes que j'ai évoquées étaient nettement moins présentes il y a deux ans. La nouvelle donne est là. Il arrive que l'affirmation politique fasse bouger les lignes. C'est ambitieux, mais
c'est une nécessité. Peut-être a-t-on eu auparavant des approches trop contradictoires les unes des autres. Je citerais l'exemple du traité franco-britannique de Lancaster House d'un côté, et du
triangle de Weimar de l'autre entre l'Allemagne, la France et la Pologne. Il faut tenir un discours clair vis-à-vis de tout le monde.
Prévoyez-vous une action spécifique pour les PME ?
Il faut aboutir à une nouvelle relation entre le ministère de la Défense et les PME. Le dispositif Rapid (« Régime d'appui pour l'innovation duale ») fonctionne bien. Plus globalement, il faut
mettre en place un « small business act » de défense à l'échelle française qui obéirait à trois objectifs : simplifier les candidatures aux marchés publics de défense ; réduire les délais de
paiement ; inciter les grands maîtres d'oeuvre à s'ouvrir davantage aux PME. J'envisage d'arrêter une feuille de route à la rentrée qui pourra faire l'objet d'un texte de loi.
Allez-vous conserver le délégué général pour l'armement ?
Laurent Collet-Billon est très compétent et je m'entends aussi bien avec lui qu'avec l'ensemble des hauts responsables, militaires ou civils, du ministère de la Défense. D'une manière générale,
j'ai trouvé un ministère bien tenu, aux personnels compétents, tous républicains, et d'abord au service de la nation.
Pourquoi ne pas jouer les « VRP » des industriels français à l'exportation, comme le font vos homologues anglais ?
A chacun son métier. La donne a changé en matière d'exportation d'armement. Le temps où l'on arrivait avec un industriel sous un bras, un avion ou un bateau sous l'autre, est révolu. Aujourd'hui,
ce qui est privilégié ce sont les partenariats avec les pays émergents d'Asie ou d'Amérique latine. Ce sont ces partenariats, qui portent sur l'innovation, les transferts de technologie ou encore
la formation, qui déclenchent des ventes. Mon action s'inscrira dans cette logique, celle d'être un vecteur politique en amont, et en ce sens, je serai très présent auprès des industriels pour
accompagner notre industrie de défense à l'exportation. J'ai d'ailleurs déjà pris beaucoup de contacts avec nos partenaires étrangers. J'ai expliqué ma conception aux Indiens, aux Malaisiens ou
aux Brésiliens, et à nombre de pays majeurs qui veulent établir un partenariat avec la France.
Etes-vous favorable à l'instauration de « golden share » dans les grands groupes de défense du pays ?
Cela peut être une bonne formule. Je suis très pragmatique. L'important c'est de rester souple.
Pourquoi ne pas avoir remis en cause l'attribution du contrat Contact à Thales décidée par le gouvernement précédent, alors que l'incertitude plane sur les budgets de la défense
?
J'ai trouvé cette affaire en gestation quand je suis arrivé. Le marché, de 1 milliard d'euros pour sa première phase, concerne le renouvellement des postes radio de l'armée de terre. Le projet,
d'une haute valeur technologique, est incontournable pour l'adaptation de l'équipement des fantassins et des véhicules de l'armée de terre qui sont une de nos priorités. Il présente un fort
potentiel à l'exportation, avec 2.000 emplois à la clef par an pour les sites de Cholet et de Colombes notamment, si les ventes à l'international sont significatives. Donc, on y va.
Attendrez-vous les conclusions du Livre blanc pour lancer les appels d'offres du programme Scorpion de modernisation de l'armée de terre ?
Non, il ne faut pas attendre pour arrêter la définition du programme et lancer l'appel d'offres, vers la fin de l'année ou au début de l'année prochaine dans la mesure du possible. Je rappelle
que les véhicules de l'avant blindé, les VAB, affichent près de quarante ans d'âge ! Le Livre blanc définira l'ampleur du programme.
Est-ce qu'on peut envisager une ouverture européenne ?
Ce n'est pas exclu, mais je n'en ai pas discuté pour l'instant.