01.02.2012 Recueilli par Dominique Albertini – Liberation.fr
Un premier succès à l'exportation semble se dessiner pour le Rafale, avec la possible vente de 126 appareils à l'Inde. Le point sur l'industrie militaire française avec Renaud Bellais, économiste spécialiste de l'industrie de la défense.
Pourquoi le Rafale a-t-il tant tardé à trouver preneur à l'export ?
Cet avion est bien classé techniquement et opérationnellement. Son problème est que le marché de l'armement est très politique. En Corée du Sud ou à Singapour, il s'est heurté aux choix de ces
pays de privilégier leur partenariat de défense avec les Etats-Unis. Bien sûr, les considérations commerciales comptent aussi, même si on ne dispose pas de toutes les informations à ce sujet.
Peut-être que l'effort de prix et les conditions de financement n'étaient pas suffisants, ou encore les transferts de technologie aux acteurs locaux.
Qu'est-ce qui a emporté la décision en Inde ?
Un peu comme les pays du Golfe, l'Inde cherche un équilibre géostratégique et industriel. Elle ne veut pas être dépendante des Russes ou des Américains. De plus, elle est un partenaire historique
de la France, équipée en avions Mirage depuis trente ans. Cette continuité est aussi un élément de sécurité pour elle.
L'exemple indien peut-il convaincre d'autres pays de s'équiper en Rafale ?
Il est certain que cela réduit les incertitudes d'autres acheteurs potentiels. Un avion, on l'achète pour vingt-cinq ou trente ans, pendant lesquels il faut une continuité dans la maintenance
technique. Le fait que l'Inde soit équipée en Rafale garantit que, même dans l'éventualité où la France cesserait un jour de le produire, un autre pays aura les compétences techniques pour
assurer cet entretien.
Pourquoi est-il si important de vendre le Rafale à l'étranger ?
Depuis les années 1970, cette stratégie d'exportation vise à pérenniser l'outil industriel. Les besoins de la France sont de très faible volume. Le nouveau programme d'équipement n'arrivera pas
avant 2025-2030. Pour préserver les compétences du constructeur Dassault d'ici-là, il faut exporter.
Dans ces conditions, il ne fallait donc pas croire le ministre Gérard Longuet quand il menaçait d'interrompre la production si le Rafale ne trouvait pas preneur
?
Il me semble qu'il s'agissait plus d'un message à Dassault. Un moyen de lui dire : soyez plus souples à l'exportation, arrêtez de faire du chantage à l'Etat. Il n'est pas dans l'intérêt de l'Etat
d'interrompre la production. D'autant que Longuet a une vraie vision industrielle. Je ne pense pas qu'il soit prêt à sacrifier quarante ans d'investissements dans une technologie de pointe.
Quel est le poids de la France sur le marché mondial de l'armement ?
Elle fluctue entre la 4e et la 5e place au classement des exportateurs, derrière les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. A son arrivée au ministère de la Défense, en 2007,
Hervé Morin avait fixé l'objectif d'un doublement des exportations d'armes, de 4,5 à 9 milliards d'euros. Il s'agissait de compenser la baisse des commandes nationales, en portant les
exportations à 50% de l'activité. Celles-ci ont fortement augmenté jusqu'à 2010, profitant des besoins de pays dont les équipements remontaient aux années 1980. Mais elles sont retombées près de
leur point de départ l'an dernier. La crise a fait baisser les dépenses militaires, tandis que les Américains se sont montrés, eux aussi, de plus en plus agressifs à l'export.
La France a-t-elle la bonne approche dans ces négociations d'Etat à Etat ?
Pendant longtemps, l'appareil d'Etat n'a pas eu de vision marchande dans le domaine. La perspective était opérationnelle plutôt que technologique et industrielle. Depuis 2000, beaucoup d'efforts
ont été faits pour une approche plus globale. Nicolas Sarkozy a mis en place une logique de «war room», coordonnant les acteurs de Bercy, de la Défense et des Affaires étrangères.
Qui sont ses principaux clients ?
D'abord les pays européens. Dans le reste du monde, les pays du Golfe, la Russie, de plus en plus, et l'Inde. Et de nouveaux partenaires : l'Australie et la Corée.