Le drone MALE de Dassault est la version francisée du Heron TP israélien.
(SIPA)
23-11-11 par Vincent Lamigeon - challenges.fr
EXCLUSIF La commission des affaires étrangères et de la défense a annulé ce mercredi une grande partie des crédits alloués au drone franco-israélien de Dassault. Les sénateurs estiment que le
gouvernement a fait un choix financièrement désavantageux et militairement contestable.
Cette fois, la guerre des drones est déclarée. La commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a donné ce matin un coup de pied dans la fourmilière militaro-industrielle en
annulant une grande partie des crédits alloués au futur drone MALE (moyenne altitude longue endurance) de l’armée de l’air, pour lequel Dassault Aviation et l’industriel israélien IAI sont en
négociations exclusives avec le ministère de la Défense.
Concrètement, la commission a fait passer les crédits alloués à ce programme, un drone israélien Heron TP "francisé" par Dassault, de 318 millions d’euros à 209 millions d’euros sur le projet de
loi de finances 2012. Ce qui rend ainsi mathématiquement impossible l’achat de drones Heron TP, en attendant le vote de l’Assemblée nationale et l’éventuelle commission mixte paritaire.
Pourquoi cette coupe de 109 millions d’euros ? Le message des sénateurs est clair : cette somme représente la différence entre l’offre Heron TP du tandem Dassault-IAI (estimée à 318 millions
d’euros), retenue par Gérard Longuet, et l’offre, largement inférieure, de drones Reaper de l’industriel américain General Atomics (estimée à 209 millions d’euros), que le ministère de la défense
avait refusé d’étudier, malgré le soutien de l’état-major de l’armée de l’air et des troupes en Afghanistan.
33 voix pour, 2 voix contre
L’amendement voté en commission, qui dépasse clairement les clivages politiques (33 voix pour, une abstention, et seulement deux voix contre), prévoit également de limiter les investissements
destinés à traiter les obsolescences du Harfang, le drone du tandem EADS-IAI actuellement utilisé en Afghanistan, en les limitant à 29 millions d’euros, pour investir 80 millions sur les études
amont du programme de drone du futur.
Du côté des sénateurs, on assume sans ciller le coup de semonce : "Nous avons voulu envoyer un message fort, au-delà des courants politiques, explique à Challenges Daniel Reiner, vice-président
de la commission défense du Sénat. Le drone retenu est plus cher que le Reaper américain, le ministère a reconnu lui-même qu’il présentait des performances inférieures, et le retour industriel
pour Dassault est fortement contestable, IAI ayant montré à plusieurs reprises qu’ils étaient un partenaire très difficile. Sur ces trois sujets, nous n’avons obtenu aucune réponse convaincante
du ministère."
La décision de Gérard Longuet ne passe pas
De fait, le rapport de la commission et l’amendement adoptés sont sans concession pour l’offre Dassault-IAI. La décision de Gérard Longuet ? Elle est jugée "financièrement désavantageuse,
militairement contestable et industriellement hasardeuse". Le Heron TP? Il est jugé "moins performant que le Reaper block 5 et surtout moins adapté au besoin opérationnel des forces française".
L’appareil, écrivent les sénateurs, "est un drone de surveillance, qui n’est pas arrivé technologiquement à maturité", dont il est "très peu probable qu’il soit disponible avant la fin de l’année
2013". D’autre part, "les forces françaises seraient les seules à disposer au sein de l’OTAN", allusion au choix du Royaume-Uni, de l’Italie et peut-être bientôt de l’Allemagne de prendre des
drones Reaper.
La suite du document est du même acabit : "Les performances annoncées dans l’offre Dassault-IAI sont parfois surprenantes et contestées par les experts consultés", écrivent les sénateurs,
allusion très claire à un document Dassault-IAI que Challenges a pu consulter, et qui indiquait une supériorité très nette du Heron TP sur le Reaper.
Même sévérité sur le choix du ministère de la Défense de ne pas faire d’appel d’offres, la DGA n’ayant même pas fait de demande officielle ("letter of request") à General Atomics : "L’absence de
mise en concurrence entre ces deux entreprises non européennes, alors même que la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité (MPDS) vient à peine d’être transposée en droit
français pourrait porter préjudice aux intérêts financiers de l’Etat", écrivent les sénateurs.
Les députés sauveront-ils la mise de Dassault
Dans un article à paraître jeudi 24 novembre dans Challenges, le sénateur Jacques Gautier ne tourne pas autour du pot : "S’il fallait financer le bureau d’études de Dassault, mieux aurait fallu
poursuivre les études sur les drones de combat type Neuron, un vrai secteur d’avenir."
Concernant les drones de surveillances MALE, les offres officielles d’IAI-Dassault et General Atomics datant du printemps dernier, que Challenges a pu consulter, laissaient apparaître, en les
examinant sur des bases comparables (achat, entretien, francisation etc), un écart de 223 millions d’euros : le Reaper francisé était estimé à 407 millions, le Heron TP francisé à 630 millions,
soit un écart de 55%. Hors francisation, le Reaper apparaissait à 246 millions, le Heron TP à 430 millions, soit +75%.
Le Heron TP version Dassault a-t-il du plomb dans l’aile ? Pas sûr. Le financement de l’offre Dassault-IAI peut très bien être repêché par l’Assemblée nationale, autrement moins critique sur le
choix du ministère que le Sénat. C’est cette même assemblée qui aura, comme d’habitude, le dernier mot sur le budget 2012. N’empêche : le coup est rude pour Dassault et le ministre de la défense,
qui n’a toujours pas communiqué l’"étude minutieuse" de la DGA sur laquelle il affirme avoir basé son choix.
"Dans le contexte actuel de lutte contre la dette, il est inacceptable de choisir une offre plus chère de 100 millions d’euros, et moins performante", assène Daniel Reiner. Dassault et IAI apprécieront.