M. le président Guy Teissier. Mon général, comme chaque année, nous attendons votre analyse sur le projet de loi de finances. Les perspectives nous semblent plutôt encourageantes, avec l’acquisition de drones, l’étude d’une commande d’avions ravitailleurs dont nous avons bien besoin et la montée en puissance – relative, avec onze appareils par an – du Rafale. Nous avons néanmoins quelques inquiétudes relatives à la rénovation du Mirage 2000D et à celle de nos radars métropolitains. Nous souhaiterions avoir votre sentiment sur ces différents points.
L’audition de cette année revêt un caractère particulier, l’armée de l’air étant en première ligne dans l’opération Harmattan en Libye. Nous avons pu, grâce à vous, nous rendre à Solenzara pour y rencontrer certains de vos personnels engagés sur ce théâtre. Nous en avons apprécié les prouesses, la technicité, la disponibilité, la compétence et la résistance.
Le contexte stratégique et industriel est en pleine mutation, comme l’illustre le rapprochement franco-britannique, ou encore la volonté du Président de la République de mettre à jour notre Livre blanc. Pourriez-vous, mon général, nous donner votre vision des défis que devra relever l’armée de l’air dans les prochaines décennies ?
M. le général d’armée aérienne Jean-Paul Paloméros, chef d’état-major de l’armée de l’air. C’est avec fierté et plaisir que je me présente devant vous pour la troisième fois. Cette année, mon audition revêt effectivement une dimension particulière, l’armée de l’air ayant connu un niveau d’engagement sans précédent, voire exceptionnel, sur de nombreux théâtres, dont le théâtre libyen. Je tiens à souligner, comme vous venez de le faire, la compétence, l’abnégation et la détermination de nos militaires, et en particulier celles de nos aviateurs. Ils ont été au rendez-vous des missions fixées par le chef de l’État. Ils sont aussi au rendez-vous d’une réforme indispensable, mais ô combien difficile.
Voilà environ un an, peu de temps après vous avoir présenté nos capacités en Provence, je déclarais qu’« une armée de l’air moderne, tournée vers l’avenir, est loin d’être un luxe. C’est, à mes yeux, un atout indiscutable pour une Nation qui veut compter sur la scène internationale ». Les événements qui se sont déroulés depuis ont largement illustré ces propos. Si notre pays a pu imposer sa voix dans le concert des nations et être un élément moteur de la mobilisation internationale qui a permis au peuple libyen de prendre en main son destin, l’action de l’armée de l’air y a été essentielle. Notre pays aurait-il pu réunir autant de nations autour de la résolution 1973 de l’ONU s’il n’avait pas disposé d’une armée de l’air capable, dès les premières décisions, dès les premières heures, d’imposer non seulement une zone d’interdiction aérienne au-dessus du territoire libyen, mais aussi d’empêcher les forces de Kadhafi d’intervenir à Benghazi, sauvant ainsi vraisemblablement cette ville du carnage ? La puissance aérienne a démontré par cette opération, si tant est qu’il en était encore besoin, toute sa justification et toute sa pertinence dans les crises actuelles.
C’est par cette dimension opérationnelle que je souhaite débuter mon propos, pour faire écho au niveau d’engagement exceptionnel de nos aviateurs dans le vaste éventail des missions qui leur sont confiées. Dans un deuxième temps, je dresserai un état des lieux, comme vous m’y avez invité, de la réforme de grande envergure qui touche notre institution, et d’abord ses hommes et ses femmes. Enfin, je terminerai en évoquant les perspectives de modernisation de l’armée de l’air, de ses capacités actuelles et futures, à l’aune du retour d’expérience des opérations et du projet de loi de finances 2012.
À ce jour, environ 4 000 aviateurs et une centaine d’avions et d’hélicoptères de l’armée de l’air sont engagés hors du territoire métropolitain dans le cadre d’opérations extérieures (OPEX) ou de prépositionnement de forces. Cette aptitude à la projection s’est particulièrement illustrée lors de notre implication dans l’opération Harmattan en Libye. Mais nous en avons la démonstration au quotidien depuis dix ans en Afghanistan, jour pour jour, et bien plus encore en Afrique et sur d’autres théâtres.
Lorsque je me suis rendu devant votre commission pour expliquer et donner quelques éléments d’éclairage sur l’opération que nous avions engagée en Libye, j’ai souligné que notre action devait s’inscrire dans la durée.
Dès le 23 février, il nous a fallu évacuer nos ressortissants. Nous l’avons fait dans l’ordre, grâce à nos avions de transport stratégique et à la capacité d’anticipation de nos politiques et de nos militaires. Que serait-il advenu si nous avions tergiversé et attendu ?
La campagne de renseignement menée en amont des opérations a permis d’établir un ordre de bataille : grâce aux Mirage F1 équipés du pod ASTAC et du C160 Gabriel, les moyens aériens y ont joué un rôle prédominant, qu’on n’a sans doute pas suffisamment souligné. Ainsi, dès le premier jour, le 19 mars, nous avons pu lancer les premiers raids avec des Mirage 2000-5, des Mirage 2000D ainsi que des Rafale. Cette capacité dite « d’entrée en premier » a été déployée avec un bon degré de maîtrise des risques et sans une appréhension trop forte de la menace, que nous avions pu évaluer à sa juste mesure. Cela nous a évité des opérations lourdes de destruction des menaces aériennes, qui auraient sans doute fragilisé les opérations elles-mêmes. Deux atouts ont permis cette performance : le maintien d’une posture permanente en France et l’aptitude à passer très rapidement, voire instantanément, du temps de paix au temps de crise sur nos bases aériennes. Ces dernières ont ainsi justifié leur vocation d’« outils de combat », que ce soit au service de la posture permanente de sûreté ou d’opérations extérieures comme celle-ci.
Je tiens à souligner un autre facteur clé du succès des opérations : la maîtrise de la violence, qui est demeurée en permanence proportionnelle aux objectifs politiques recherchés, ce qui n’était pas aisé. En somme, la puissance aérienne a permis un emploi précis, retenu et dosé de la force au travers d’une large palette d’effets, allant du tir d’opportunité à la frappe conventionnelle, y compris stratégique, avec des missiles de croisière. Nous sommes donc très loin des bombardements massifs d’antan : 100 % de nos tirs ont été des tirs de précision, effectués dans le strict respect des règles d’engagement et avec le souci constant d’épargner la population que nous étions venus sauver.
Par ailleurs, et cela me semble intéressant pour les choix à venir, l’empreinte humaine générée par l’armée de l’air est restée en permanence limitée – avec une moyenne d’une vingtaine de personnes par avion de chasse –, quelles que soient les plateformes de déploiement à partir desquelles nous avons été amenés à opérer. L’emploi de l’arme aérienne a ainsi permis de répondre à des objectifs politiques ambitieux pour un coût financier et humain maîtrisé. En Crète, encore aujourd’hui, 310 aviateurs sont déployés pour servir seize avions de chasse. Ce ratio me paraît satisfaisant et favorable ; il est en tout cas inférieur à celui de la plupart de nos alliés.
Je précise que ces opérations ont été menées dans une période de transition, caractérisée par des réformes profondes, en particulier de notre soutien. Cette expérience démontre que les bases de défense fonctionnent correctement et qu’elles ont pu apporter le soutien nécessaire.
Dès le début de l’opération, j’avais demandé à l’armée de l’air de se préparer à durer. C’est ce qu’elle a fait. Aujourd’hui encore, nos avions volent au-dessus de la Libye, une vingtaine de sorties étant effectuées quotidiennement, soit pour renseigner, soit pour intervenir. Évidemment, le rythme des interventions a baissé. Mais nous sommes toujours présents et ce jusqu’à la fin des opérations.
L’opération Harmattan a démontré la forte capacité de notre armée de l’air à travailler avec ses partenaires étrangers. Nous avons accueilli et soutenu nos amis qataris et émiratis. Nous avons également travaillé de manière constructive avec nos partenaires européens du commandement européen du transport européen (EATC) créé voici à peine un an.
Cet engagement de haute intensité ne doit pas nous faire oublier les autres théâtres d’opérations et prépositionnements, auxquels nous continuons à participer avec la même constance et la même efficacité : l’Afghanistan, les Émirats Arabes Unis, où cinq de nos Rafale sont déployés en permanence, Djibouti, le Tchad, où nous maintenons également des avions de combat. J’observe que le nombre et la diversité des théâtres d’opérations sur lesquels nous sommes engagés ont évidemment un prix, notamment en termes humains. Le fait d’être présents sur tout l’arc de crise, tel qu’il avait été défini par le Livre blanc, implique des efforts de reconstitution de notre potentiel.
Ces missions opérationnelles menées hors de notre territoire ne peuvent pas nous faire oublier la contribution de l’armée de l’air aux missions permanentes. Dans le même temps nous devons assurer, et c’est même une priorité, notre contribution à la dissuasion nucléaire.
J’avais insisté l’an dernier sur la rénovation de notre composante, qui est maintenant terminée. L’ASMP-A équipe un escadron de Mirage 2000N et de Rafale. La réduction d’un tiers du format des armes est aujourd’hui effective. L’ensemble de ces avions, que ce soit les Rafale de Saint-Dizier ou les Mirage 2000N d’Istres, contribuent directement aux opérations en Libye, ce qui prouve leur polyvalence et leur aptitude à mener aussi bien des missions nucléaires que des missions classiques. Ces moyens sont certes prévus, préparés, entraînés pour la dissuasion nucléaire, pour cette mission d’excellence, mais ils sont également utilisables et utilisés pour des missions conventionnelles. Il en est d’ailleurs de même de nos ravitailleurs. Ainsi ne peut-on plus dire aujourd’hui que la composante aéroportée est strictement dédiée à la mission de dissuasion nucléaire. Le fait qu’elle soit utilisable dans un vaste spectre de missions participe à l’optimisation de nos moyens et de nos outils. C’était ce que nous souhaitions. L’opération Harmattan a été l’occasion de le démontrer.
Une autre de nos missions permanentes est celle de la police du ciel. Cette année n’a pas échappé à la règle. Il en va de la sûreté de notre pays et de son espace aérien. À l’aune de l’anniversaire du 11 septembre 2001, une telle mission, qui fait appel en permanence à 900 aviateurs, reste une priorité.
Ces nombreuses opérations ne doivent pas cacher la véritable préoccupation qui est la mienne – au-delà de la préoccupation humaine : le maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos appareils, qui garantit la disponibilité de nos équipements et le moral de nos équipages. Cette « bataille du MCO », nous l’avons en partie gagnée. J’en veux pour preuve le fait que depuis près de sept mois, nous volons en permanence en Libye et en Afghanistan et sur tous les théâtres que j’ai rappelés, avec une disponibilité de l’ordre de 95 %.
Cet effort a évidemment un prix et une influence sur l’entraînement et la régénération de nos forces. Ainsi nos jeunes ont-ils moins volé que nous ne l’avions prévu : de 110 à 130 heures pour les pilotes de chasse, alors que nos objectifs sont de l’ordre de 180 heures, conformément aux standards de l’OTAN. Dans le cadre des perspectives pour 2012, je considère qu’il est prioritaire de donner à nos jeunes pilotes les moyens de s’entraîner et de se préparer aux opérations futures avec le même niveau de compétence que leurs anciens, même si l’expérience de ces derniers est déjà pour eux un facteur de motivation. À cet effet, nous avons besoin des crédits de MCO prévus dans le décret du recomplètement du budget OPEX, dit « décret d’avance sur les OPEX ». Notre demande est de l’ordre de 120 millions d’euros. Mais il ne faut pas se leurrer, la régénération doit s’inscrire sur un plus long terme, c’est-à-dire au-delà de 2012. À ce stade, j’évalue à une cinquantaine de millions d’euros l’effort supplémentaire qui sera demandé. Il conviendra de le confirmer en 2012.
Il est clair que les résultats d’aujourd’hui sont directement la conséquence des efforts que nous avons consentis hier et du soutien que vous nous avez apporté pour gagner la bataille de la disponibilité et du MCO. D’importantes réformes ont été menées, dont le déplacement d’un certain nombre d’instances comme celui de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) vers Bordeaux, ou la concentration des moyens en pôles de compétences. Mais nous n’aboutirons que si nous menons une politique constante, en particulier en ce qui concerne les ressources financières et humaines.
J’en viens à l’état des lieux de la réforme. On aurait tort d’oublier que toutes ces opérations sont vécues par notre personnel sur un fond de restructurations profondes.
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, l’objectif de déflation est de 15 900 aviateurs pour un format cible qui sera inférieur à 50 000, dont un quart travaillera d’ailleurs à l’extérieur de l’armée de l’air dans des missions de soutien interarmées, soit 25 % du format initial de l’armée de l’air en 2008. Entre 2008 et 2011, nous avons supprimé 7 360 postes. En 2012, la déflation annuelle des effectifs de l’armée de l’air sera de 2 200 postes ; elle sera atteinte, je m’en porte garant.
Ces efforts, qui sont considérables, se traduisent de manière visible. Ne serait-ce que sur la période 2008 – 2010, c’est-à-dire sur trois ans, la diminution des effectifs de l’armée de l’air s’est concrétisée par une économie nette de masse salariale que j’estime à 300 millions d’euros, en intégrant dans ce décompte les mesures d’incitation au départ. Et l’année 2011 n’échappera pas à la règle.
Nous terminerons la gestion 2011 pour l’armée de l’air à 17 millions d’euros près, c’est-à-dire à 0,5 % de la masse salariale qui nous était fixée. J’y vois le signe d’une gestion particulièrement rigoureuse, notamment de la part de la direction des ressources humaines. Ce résultat n’est pas dû au hasard : nous avons pris des mesures en matière d’effectifs, d’avancement et même de recrutement afin de respecter les termes de la réforme. L’armée de l’air croit en cette réforme ; elle a confiance et tient ses engagements. Bien entendu, les aviateurs en attendent les dividendes.
La réforme se traduit aussi par la fermeture de nombreuses implantations, qui engendre progressivement des économies de fonctionnement. Ces économies sont reversées au budget de soutien de l’ensemble des implantations de défense et non pas strictement au budget de l’armée de l’air. Ce n’est qu’un changement de référentiel.
En 2011, la base de Reims a été complètement fermée et celle de Taverny l’a été en grande partie. En 2012, l’effort sera encore plus grand puisque nous fermerons quatre bases principales : Brétigny, Cambrai, Metz et Nice, ainsi que trois bases outre-mer : la Réunion, Papeete et les Antilles. Ainsi, en l’espace de quatre années, nous aurons fermé 12 bases aériennes.
Les hommes et les femmes de l’armée de l’air consentent des efforts considérables pour mener à bien cette réforme. Ils en attendent légitimement des effets positifs et concrets. Il faut que l’outil de travail suive et soit à la hauteur de la motivation et de l’engagement de nos hommes et de nos femmes. Cette modernisation doit se traduire dans leurs conditions de vie. De nombreuses avancées ont eu lieu : nouvelles grilles indiciaires et diverses mesures, que je ne cesse de faire valoir auprès de mes troupes. Les militaires doivent pouvoir vivre en harmonie avec leur société. Cela implique que nous soyons vigilants.
La réforme passe aussi par la modernisation de notre armée de l’air et de ses équipements. Nous essayons de la conduire en fonction du retour d’expérience des différentes et nombreuses opérations que nous menons. Nous avons la chance de passer au filtre de la réalité nos visions de l’avenir et nous ne nous en privons pas.
Nous retenons de ce retour d’expérience que nous devons être attentifs au maintien des compétences et à la satisfaction des nouveaux besoins, en particulier dans le domaine du renseignement, des systèmes d’information et de communication ou de la maintenance aéronautique. Nos hommes et nos femmes doivent être capables d’analyser les informations qui affluent à différents niveaux. Les nouveaux systèmes d’information exigent des experts pour assurer leur sécurité, de plus en plus souvent mis en danger par les cybercriminels. La maintenance aéronautique suppose non seulement des moyens financiers, mais encore des bras et des têtes. En ce domaine aussi, il nous faudra veiller au niveau de compétence requis et au nombre de spécialistes à conserver au sein de notre institution.
S’agissant des équipements, les opérations en Libye ont montré, dès le 19 mars, la polyvalence du Rafale. Je me suis récemment rendu en Inde pour en faire la démonstration à mes homologues indiens, et j’ai été surpris de découvrir qu’ils n’étaient pas au fait de notre performance opérationnelle, en tout cas pas de celle du Rafale. Les faits ont d’ailleurs confirmé que cet avion pouvait assurer des missions défensives, offensives et de reconnaissance, comme aujourd’hui à partir de la Sicile, avec des armements très divers : armements guidés laser, armements tirés à distance de sécurité comme nos armements sol-air modulaires et missiles de croisière. C’est le seul avion au monde capable de réaliser une telle prouesse aujourd’hui et nous avons tout lieu d’en être fiers. Il faut le faire savoir.
Pour ce qui est des perspectives d’avenir, le Livre blanc prévoit que la composante aérienne projetable se compose à l’horizon 2020 d’un parc unique d’avions polyvalents de type Rafale et Mirage 2000. À l’aune du retour d’expérience, cet objectif confirme sa pertinence : toutes les flottes de l’armée de l’air et de l’aéronavale ont été et sont employées pour les opérations en Libye et en Afghanistan. Actuellement, trois de nos Rafale et trois de nos Mirage 2000D sont positionnés en Afghanistan, ce qui préfigure bien le format de l’armée de l’air du futur.
Je considère que la rénovation à mi-vie du Mirage 2000D, bien que repoussée pour des besoins budgétaires, demeure une opération indispensable pour maintenir la cohérence de notre outil de combat aérien. Cette rénovation, d’un coût unitaire modeste, fera du Mirage 2000D un aéronef polyvalent, qui pourra assurer, entre autres, les indispensables missions de police du ciel dans notre espace aérien.
Enfin, au-delà de l’analyse qualitative, le retour d’expérience des opérations démontre toute la nécessité de disposer d’une flotte de combat en quantité suffisante pour tenir dans la durée. C’est l’objet de l’analyse des formats que nous devons continuer à conduire, les éclairages fournis par le Livre blanc prouvant leur pertinence.
Notre flotte se compose d’environ 250 avions de combat en ligne. Nous avons engagé la réduction prévue par le Livre blanc – un tiers de l’aviation de combat sur cinq ans – et nous sommes un peu en avance sur cet objectif. Précisons que, sur ces 250 appareils, certains Mirage F1CT et Mirage 2000C, utilisés en Libye, seront retirés du service dès le début de l’année 2012.
Les opérations actuelles confirment le caractère primordial de la fonction stratégique connaissance et anticipation. Les drones y jouent un rôle incontournable, ainsi que nous l’avions prévu depuis de nombreuses années.
Notre armée de l’air peut s’enorgueillir d’une forte expérience acquise grâce aux systèmes intérimaires en Afghanistan et en Libye : 100 % des drones disponibles – et donc 100 % de l’escadron de Cognac – sont aujourd’hui déployés au-dessus du ciel libyen à partir de la Sicile, ou en Afghanistan. C’est pour nous une expérience irremplaçable, qu’il nous faudra entretenir.
Le système de drones futur est en cours de définition. Le système intérimaire, qui doit nous conduire à ce drone à l’horizon 2020, a lui-même été retenu par notre ministre sur la base du drone Heron TP de la société israélienne Israeli Aerospace Industries (IAI). Il faudra donc l’importer et, si nécessaire, le franciser. Mon souci est évidemment d’éviter toute rupture capacitaire en la matière car nos compétences n’y résisteraient pas. Des hommes et des femmes ont dépensé beaucoup d’énergie pour développer et maîtriser cette capacité, notre devoir est de faire en sorte qu’ils puissent continuer dans cette voie.
La fonction connaissance et anticipation est aussi soutenue par d’autres moyens : le Transall Gabriel, spécialisé dans la guerre électronique, dont on nous livrera un exemplaire rénové cette année ou encore quatre nacelles de reconnaissance nouvelle génération RECO-NG adaptées sur Rafale, qui permettent d’obtenir de l’information en temps quasi réel, ont montré leur efficacité durant les opérations libyennes – elles sont d’ailleurs toujours utilisées.
Comme vous l’avez-vous-même souligné, monsieur le président, en Libye, 80 % des missions de ravitaillement en vol sont effectuées par des avions ravitailleurs américains. Il est évident que le lancement du programme de ravitailleur polyvalent MRTT est impératif, sous peine de perdre des capacités opérationnelles tant dans le domaine de la projection des forces que dans celui de la dissuasion nucléaire, qui s’appuient aujourd’hui sur nos vénérables C135 entrés en service il y a quarante-sept ans – ce qui fait courir à cette flotte un risque réel de rupture capacitaire et entraîne en tout cas un coût certain d’entretien. Je recommande vivement que cette future acquisition soit patrimoniale pour éviter certains écueils identifiés par nos amis britanniques et pour disposer d’une autonomie totale sur une flotte stratégique car ces appareils sont indissociables de la composante nucléaire aéroportée.
L’année écoulée a également montré combien les capacités de transport stratégiques étaient cruciales. Je pense à nos Airbus A340, dont le contrat de leasing se termine en 2015 et qui doivent être remplacés par les MRTT, et qui nous ont permis de rapatrier non seulement nos ressortissants de Libye, mais encore ceux du Japon après le séisme.
Vous avez évoqué la lenteur relative de la montée en puissance du Rafale. Nous devrions néanmoins pouvoir ouvrir le troisième escadron Rafale en 2012 à Mont-de-Marsan ; en tout cas, nous nous y employons. Pour le quatrième, il nous faudra évidemment attendre beaucoup plus longtemps.
En dehors de ce programme Rafale qui nous tient à cœur, la rénovation des Mirage 2000D, le programme de drones MALE et le MRTT sont les trois priorités sur lesquelles l’armée de l’air doit faire porter son effort.
Toutefois, la modernisation de l’armée de l’air passe également par la mise en service de l’A400M. À ce sujet, je suis tout à fait d’accord avec le délégué général pour l’armement (DGA) : on ne saurait concevoir que l’A400M arrive dans les forces sans disposer d’un soutien technique à la hauteur des ambitions que permet ce programme. Sachez que l’utilisation de l’A400M nous aurait permis de diviser par quatre le besoin de flux de transport nécessaire au soutien de l’opération Harmattan.
En attendant, l’armée de l’air percevra en 2012 cinq avions Casa CN235, qui nous permettront de préserver a minima les compétences tactiques de nos équipages, de les faire voler pour les endurcir et de les préparer à l’arrivée de l’A400M.
Parmi les autres motifs de satisfaction de l’année 2011 et du PLF 2012, je citerai les systèmes sol-air nouveaux comme l’Aster 30 ou le SAMP-T, lequel a déjà fait la démonstration de son bon fonctionnement et sera déclaré opérationnel dans les jours à venir. Ce système présente des capacités d’interception contre les missiles balistiques tactiques. Encore faut-il lui adjoindre une capacité de surveillance, dans le domaine spatial par exemple, avec le démonstrateur SPIRALE ou encore les radars longue portée ; pour détecter, identifier et suivre les missiles balistiques en question. Il s’agit également d’un système polyvalent, dans la mesure où il peut détruire non seulement des aéronefs, des missiles de croisière, voire des drones, mais également des missiles balistiques tactiques, à condition évidemment de s’inscrire dans un ensemble de moyens cohérents.
Je vous ai tracé le portrait d’une armée de l’air au service de notre pays, qui fait face aux missions les plus exigeantes partout où cela est nécessaire, une armée de l’air qui n’est pas figée dans des dogmes dépassés, qui s’adapte aux évolutions du monde et qui est au rendez-vous des réformes, une armée de l’air parmi celles qui comptent dans le monde.
Il nous appartient aujourd’hui de continuer la modernisation de notre institution, à l’aune des ambitions politiques que notre pays souhaite afficher. Nos femmes et nos hommes constituent incontestablement notre plus grande richesse. Ils consentent depuis de nombreuses années des efforts pour atteindre les objectifs des différentes réformes. Ils sont en droit d’en toucher les dividendes, car jamais ils n’ont baissé les bras, ayant su constamment se mobiliser pour donner le meilleur d’eux-mêmes au service de leur pays.
Alors que se termine dans quelques mois cette législature, je souhaite ici remercier en toute modestie cette commission, ses membres, et en premier lieu son président, pour le soutien indéfectible que vous avez apporté à nos armées, à notre armée de l’air et à son personnel. Nos succès d’aujourd’hui sont aussi vos succès.
M. le président Guy Teissier. Merci beaucoup, mon général.
Nous espérons que, dans un peu plus d’un an, l’A400M sera en dotation dans l’armée de l’air. Êtes-vous prêts à le recevoir, tant sur le plan des infrastructures que sur ceux de la formation et de la maintenance ?
Vous avez évoqué la fermeture, l’année prochaine, de plusieurs bases. Or s’agissant de Nice, je ne connais que le Mont Agel, qui n’est pas vraiment une base, mais plutôt un sémaphore perché au sommet d’une colline.
Si les bases de la Réunion, de Papeete et des Antilles doivent fermer, à partir d’où l’armée de l’air pourra-t-elle intervenir dans ces zones ? La base de la Guyane sera-t-elle suffisante pour intervenir aux Antilles, notamment pour effectuer des patrouilles en mer ? Dans la zone l’océan Indien, il n’y aura strictement plus rien : à partir de quel endroit l’armée de l’air va-t-elle opérer avec la compagnie du 2e RPIMA actuellement basée à la Réunion ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. S’agissant de l’A400M, l’état de préparation de l’armée de l’air est satisfaisant. Nous faisons beaucoup d’efforts.
L’arrivée d’un nouvel avion est l’occasion de moderniser profondément les bases pour se projeter dans l’avenir. Au reste, le personnel ne comprendrait pas que ce ne soit pas le cas. Il n’y a pas de commune mesure entre les investissements réalisés en termes d’infrastructures et de soutien logistique et le coût des programmes eux-mêmes. À Orléans, nous avons essayé de construire la base du XXIe siècle, pour rendre les gens plus heureux d’y vivre – il s’agit d’une base répondant à des normes de développement durable et réalisée à partir d’un projet lancé il y a déjà cinq ans.
La formation devrait être en place. J’insiste tout particulièrement sur la simulation, qui nous permettra de gagner des heures de vol précieuses et d’accélérer ainsi la formation des pilotes. Ces besoins devraient être opérationnels en septembre 2013.
S’agissant du MCO, la situation est plus délicate. Comme vous l’a dit M. Laurent Collet-Billon, le DGA, la négociation, qu’il lui appartient de mener, est très difficile. Il est essentiel que ce soutien soit en place dès le début du programme. Il faut savoir que nous travaillons sur le sujet, la main dans la main avec les Britanniques. C’est l’occasion de mettre en commun nos intelligences et de renforcer notre pression sur les industriels pour qu’ils nous proposent les meilleures solutions possibles. Je suis sûr que ce travail en commun nous permettra de dégager une synergie : une des idées forces de ce programme est de partager tout ce que l’on peut. Nos deux pays ont donc une belle occasion de montrer l’exemple.
Monsieur le président, il y a bien une base aérienne à Nice – la base aérienne 943 –, laquelle comprend deux sites. Le premier se trouve à Roquebrune-Cap-Martin. Pour des raisons liées au foncier, nous n’aurons aucun mal à négocier notre départ. Le second site est celui du Mont Agel, lequel fait partie de notre dispositif de surveillance, dispositif qui, au demeurant, se réduit progressivement au fil des progrès de la technologie et de la capacité d’information. Nous conserverons le radar de Nice-Mont Agel, dont la position privilégiée permet de surveiller la Méditerranée, en le « télé-opérant », c’est-à-dire en le modernisant. C’est tout l’enjeu de la rénovation du système de commandement et de conduite des opérations aériennes – SCCOA. Une telle mesure était absolument indispensable.
Nous devrons par ailleurs continuer à rénover notre système de radars et à abaisser le seuil de détection pour assurer la protection optimale de notre espace aérien avec des technologies modernes, moins coûteuses en matière de soutien que nos radars anciens. Je vous incite à vous rendre à Drachenbronn ou même à Nice pour voir ce que sont des radars anciens, que notre personnel a grand mérite à entretenir.
Nous devrons en revanche fermer la base de Nice, mais en nous assurant de l’avenir des personnels, qui ne sont pas très nombreux – 500 ou 600 personnes –, tout en faisant en sorte de continuer à y entretenir des capacités et le radar qui y est associé.
S’agissant de l’outre-mer, une clarification me semble nécessaire. À la Réunion, la fermeture de la base aérienne n’entraînera pas la suppression du Transall qui est déployé sur place ; simplement, celui-ci sera soutenu par une base de défense. Mais il n’y aura plus de base aérienne en tant que telle, avec des moyens de soutien dédiés.
En revanche, nous partirons complètement des Antilles. Nous y opérerons depuis la Guyane, sur un quota d’heures de vol mis à la disposition du commandant supérieur des forces armées aux Antilles, et à partir de déploiements qui se feront à la demande. Ce volet de la réforme de l’outre-mer nous fait perdre une capacité instantanée de réaction.
Quant à la fermeture de la base de Papeete, elle se traduira par le transfert des capacités d’hélicoptères vers la marine nationale – qui interviendra en l’occurrence avec des Dauphins.
M. Jean-Claude Viollet, rapporteur. Je tiens à saluer le travail exceptionnel de l’ensemble des personnels de l’armée de l’air, tous métiers confondus. La préparation des appareils en opération nécessite en effet un engagement particulier de leur part. La question de la régénération, que vous avez évoquée, se pose aussi pour le personnel. Certains métiers, comme les armuriers ou les interprètes image, connaissent d’ailleurs une certaine tension, augmentée par la multiplicité des points de déploiement et par le caractère disparate des flottes, qui sont parfois des micro-flottes. Ainsi, pour 75 ou 76 Mirage 2 000D, on ne compte pas moins de dix appareils différents. La question de l’homogénéisation de la flotte est donc nécessaire pour préparer l’avenir et faire des économies.
La rénovation du Mirage 2000D, qui doit être engagée en 2013, ne sera pas effective avant 2017, ce qui est bien tardif. Comme nous l’avions demandé l’an dernier par un amendement, le pod ASTAC sera intégré, même hors rénovation et dans l’urgence – il n’est que temps, car le Mirage F1CR est sur le point de quitter le service. La rénovation du Mirage 2000D, avec notamment l’installation d’un pod de désignation laser, doit lui assurer la capacité air-air qui lui permettra de tenir la posture permanente de sécurité. Pouvez-vous nous donner des précisions complémentaires sur la rénovation ?
Pour ce qui est du MRTT, le premier des appareils devrait être livré en 2017, au lieu de 2010, et le dernier en 2024. Nos appareils, déjà cinquantenaires, auront encore pris de l’âge. Les études de levée de risque ne peuvent pas attendre 2013 : pour ce qui concerne les systèmes de communication, les réseaux informatiques, la navigation autonome ou des questions plus complexes et stratégiques comme celle de savoir s’il faut ou non mixer le fret et les passagers, ces études devraient être engagées dès maintenant et des crédits suffisants devraient être inscrits à cet effet dans la loi de finances de 2012.
Comme je l’ai par ailleurs indiqué récemment au ministre, la base d’Istres devra disposer des infrastructures nécessaires lorsque le MRTT arrivera – ce qui représente plusieurs centaines de millions d’euros de travaux, qui ne sauraient être financés sur une année et pour lesquels des crédits d’études devraient également être prévus.
M. Bernard Cazeneuve. Quelle est votre vision du fonctionnement des bases de défense, pierre angulaire de la réforme ? De combien de bases de défense l’armée de l’air doit-elle disposer ? Existe-t-il un modèle économique permettant de mesurer les coûts de chaque base de défense mutualisée et, plus globalement, les économies générées par cet outil ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. Le Mirage 2000D était, jusqu’à l’arrivée du Rafale, notre fer de lance, en particulier en Afghanistan. L’adaptation à cet appareil des systèmes nécessaires, comme le système Rover, qui permet une relation directe entre les forces au sol et le système aérien et en améliore considérablement l’efficacité, a créé des micro-flottes qu’il convient aujourd’hui d’harmoniser. Les opérations en Libye ont confirmé que nous avions eu raison de procéder à ces aménagements à mesure que les moyens humains et financiers étaient disponibles. L’étape suivante est la décision de rénovation profonde à prendre dans le cadre du Livre blanc, qui doit être concrétisée dans la prochaine loi de programmation militaire.
L’Inde est très satisfaite de ses Mirage 2000 et a engagé leur rénovation, ce qui représente un contrat très important pour notre industrie – 1,4 milliard d’euros dans un premier temps, à quoi s’ajouteront les armements adaptés. Il convient donc de profiter de cette rénovation pour dégager toutes les synergies possibles avec les industriels. Je rappelle à ce propos que l’Inde envisage également l’acquisition d’un avion multirôle pour lequel le Rafale et l’Eurofighter sont en compétition.
En termes de concept d’emploi, le MRTT a bien vocation à être un avion multirôle : au-delà du transport de fret et de passagers et du ravitaillement, il doit peut-être se voir confier d’autres missions – jouant par exemple un rôle de nœud de communications sur les théâtres d’opérations, afin de fournir une information en temps réel. Il y a là une occasion à saisir. Je rappelle en outre que cet appareil remplacerait trois flottes différentes : les A340, dont le contrat de leasing prendra fin en 2015, les A310, dont l’efficacité est limitée, malgré la compétence des personnels, et les C135. Une telle homogénéisation représente une véritable modernisation en termes tant de capacités que de systèmes de maintenance – cette dernière étant désormais de type civil. L’A330, que nous avons vu en Espagne, donne toute satisfaction à l’Australie et ne manquera pas de satisfaire bientôt le Royaume-Uni.
Les bases de défense interarmées fonctionnent incontestablement. Une quinzaine de ces bases, à vocation plus spécifiquement aérienne, sont pilotées par des aviateurs. Les cultures se croisent et l’on n’a pas relevé à ce jour de difficultés particulières, sinon pour les systèmes d’information. Il conviendra bien entendu de veiller à ce que chaque armée conserve son identité au sein de cet environnement interarmées. Le fonctionnement de ces bases dépend avant tout de la volonté des hommes et des femmes qui leur sont affectés et de leur commandement de tirer le meilleur de ce que chacun peut apporter.
Des économies de plus de 10 % avaient déjà été réalisées dans les budgets des trois armées au cours des deux ou trois années précédant la création des bases de défense, au prix d’une pression considérable. Ces bases, dont beaucoup ont aujourd’hui moins d’un an d’existence, devront certes générer davantage de synergies, mais il faut leur en laisser le temps. Nous devons être très vigilants dans la recherche d’un équilibre, car le fonctionnement de ces bases conditionne l’efficacité de nos forces. Il conviendra notamment de veiller aux conditions de vie et de travail de notre personnel, même si cette responsabilité est désormais collective sous l’égide du chef d’état-major des armées et ne relève plus de chacun des chefs d’état-major. Je suis au demeurant agréablement surpris par la dynamique qui s’engage.
J’avais par ailleurs souhaité que, lorsque cela serait possible, les commandants de bases aériennes soient aussi commandants de base de défense. Je suis satisfait de constater que les opérations ont montré, notamment à Saint-Dizier, l’efficacité de cette unicité de commandement, qui est facteur de cohérence. L’opérationnel doit toujours primer sur le soutien.
M. Michel Grall. Quelle est la situation de l’exportation des Rafale ? Le groupe Dassault ayant besoin, pour maintenir sa chaîne de production, d’une cadence minimale de onze appareils par an, des exportations insuffisantes pourraient-elles peser sur votre budget d’équipement ?
M. Damien Meslot. L’ancien ministre de la défense, Hervé Morin, avait indiqué lors d’une visite à la base aérienne de Luxeuil qu’en cas de réalisation du contrat de vente de Rafale actuellement en cours de négociation avec la Suisse, les avions vendus pourraient être basés à Luxeuil pour l’entraînement de leurs pilotes. Pouvez-vous confirmer cette information ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. L’acquisition par la Suisse d’un avion de combat moderne se confirme, mais les conditions exactes doivent encore en être précisées et je ne suis donc pas en mesure de vous confirmer cette information. D’autres pistes sont également envisagées. Il est certain, en tout cas, que le partenariat avec l’armée de l’air française est un critère important pour les Suisses dans cette affaire et donc un atout considérable pour nous.
Pour ce qui est de l’export du Rafale, le meilleur critère est celui des capacités opérationnelles de cet appareil, qui inspirent confiance aux prospects. Il va cependant de soi qu’en la matière, d’autres critères entrent également en jeu.
Le volume de commandes nécessaires a été évalué à 11 appareils par an. Ce calcul ne concerne pas seulement Dassault, mais d’autres industriels, comme Safran, Thales ou MBDA, ainsi que de nombreux sous-traitants qui représentent toute une chaîne de compétences. L’armée de l’air s’investit totalement dans cette mission. Nos armées doivent en effet savoir démontrer leur savoir-faire et proposer des partenariats aux pays identifiés comme des prospects. Ceux-ci sont du reste très confiants dans notre aptitude à les former et à les soutenir. Quant aux considérations financières et politiques, elles ne sont pas de ma compétence.
M. Yves Vandewalle. Je m’associe à l’hommage que mes collègues ont déjà rendu au remarquable professionnalisme de l’armée de l’air, en particulier en Libye, où l’action militaire a été menée avec un grand discernement au service d’objectifs politiques clairs.
Quelles sont, notamment en matière d’armement, les capacités militaires du drone Heron TP, que le Gouvernement a choisi pour succéder au Harfang ?
Par ailleurs, quelles suites seront données au démonstrateur SPIRALE, dont M. Yves Fromion et moi-même avons pu constater les performances ?
Mme Françoise Hostalier. Nous admirons tous la manière dont l’armée de l’air a assumé et assume encore l’opération Harmattan et rendons hommage à tous ses personnels.
Cette opération s’est déroulée au moment même où s’opérait la création des bases de défense, ce qui a pu se traduire par quelques déséquilibres. Au vu d’un premier bilan, préconisez-vous une réorientation et la redistribution de certains moyens pour renforcer la sécurité de notre territoire ?
Le retour d’expérience de la coopération avec le Royaume-Uni a-t-il modifié ou invite-t-il à modifier certaines mesures des traités de coopération entre nos deux pays ?
Quel est enfin le retour de la magnifique campagne de recrutement à laquelle a récemment procédé l’armée de l’air ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. Dans la répartition actuelle des responsabilités, le drone Heron TP relève aujourd’hui de l’état-major des armées et des services du DGA. Une équipe pluridisciplinaire doit se rendre prochainement en Israël pour en savoir plus et des études ont été lancées pour connaître le potentiel d’évolution de cet équipement. Nous avons réussi à convaincre l’ensemble des acteurs que les drones futurs devaient pouvoir être armés en tant que de besoin et avec des armements adaptés. Il conviendra de savoir quelles adaptations devront être apportées à ces systèmes pour les intégrer à notre dispositif, comme nous l’avons fait lors de l’acquisition du SIDM – baptisé Harfang –, auquel ont été adaptés de précieux systèmes tels que la Satcom pour les liaisons satellitaires. Ce drone a ainsi pu être utilisé en Afghanistan et en Libye et toutes les études montrent qu’ils pourraient être utilisés ailleurs si cela s’avérait nécessaire. Ces technologies rares répondent donc à un besoin fondamental et nous serons très exigeants en la matière – c’est notre métier. Nous devons obtenir au minimum le même niveau de service qu’aujourd’hui : il a suffi de quelques jours, en Sicile, pour intégrer le Harfang, ce qui a permis de diffuser l’information à tous les acteurs du terrain.
Le démonstrateur SPIRALE relève quant à lui plutôt du commandement interarmées de l’espace, mais l’armée de l’air porte une attention toute particulière à l’espace, domaine dans lequel elle possède de grandes compétences et tient à garder un rôle moteur. Le succès du démonstrateur nous permet de nourrir quelques ambitions en la matière. Bien qu’il semble difficile de transformer le démonstrateur SPIRALE en outil opérationnel, comme cela a pu être le cas pour d’autres démonstrateurs, de tels outils sont nécessaires pour connaître les menaces balistiques de toute nature. Avant même toute action, une telle connaissance est indispensable pour nous éviter d’être tributaires d’informations issues d’autres sources.
Madame Hostalier, vous m’interrogez pour savoir si la concomitance des opérations et de la restructuration entraînera une redistribution des moyens prévus par une réforme dont les objectifs ont été définis en 2007-2008. Je vous répondrai qu’il semble que nous ne pourrons tenir les termes de cette réforme – comme le fait d’ailleurs très rigoureusement l’armée de l’air – que si cette dernière s’accompagne d’une modernisation. Nous avons atteint des objectifs chiffrés mesurables. L’étape suivante fera sans doute l’objet d’un débat en 2012 ou 2013, mais, si les aviateurs ne touchent pas les fruits de cette modernisation, ils se sentiront un peu lésés. Certains éléments de modernisation déjà acquis ne sont certes pas négligeables, mais il ne faut pas s’arrêter là, sous peine de perdre une partie des fruits de notre investissement. Du reste, la réforme ne sera pas achevée en 2012 et la réduction des effectifs court jusqu’en 2016.
Il faudra veiller à préserver, voire à développer, les compétences nécessaires, en rééquilibrant notre effort. Cela ne concernera peut-être que de petits effectifs, car les capacités tiennent parfois à un petit nombre d’hommes très compétents, comme le montrent les exemples de l’escadron de drones et de l’escadron de sauvetage et de combat de Cazaux. Ce dernier, sollicité à la fois en Afghanistan et en Libye, ne dispose cependant plus à Cazaux que de deux hélicoptères, ce qui est insuffisant pour entraîner le personnel. Des décisions devront donc être prises rapidement.
La relation entre l’armée de l’air française et la Royal Air Force est ancienne et nous célébrerons bientôt, avec mon homologue britannique, l’action des forces aériennes françaises libres depuis le Royaume-Uni. La coopération, bien que prometteuse, est difficile, car nous disposons de peu d’équipements communs hormis les missiles de croisière – puis, demain, l’A400M et, souhaitons-le, les MRTT que nous partagerons et qui représenteront une masse critique intéressante. Nous menons aujourd’hui même un exercice de projection de forces en Écosse et harmonisons nos procédures. La coopération est pragmatique et elle progresse. Il sera cependant difficile de la concrétiser à court terme dans de grands projets très visibles, et il convient donc de travailler sur le long terme. Le projet de drones à l’horizon 2020 est en ce sens intéressant, malgré les difficultés d’interfaçage liées au fait que le Royaume-Uni s’équipe actuellement de drones américains. Au-delà du domaine opérationnel, dans lequel la convergence est relativement facile, il sera donc nécessaire de rapprocher les calendriers politiques et budgétaires.
Le niveau de modernisation des deux armées de l’air est très différent. Le Royaume-Uni a modernisé une bonne partie de sa flotte de transport et acquiert actuellement des ravitailleurs de nouvelle génération et une dizaine de drones du type Reaper. Par ailleurs, alors que la France mise exclusivement sur le Rafale et le Mirage 2000D, le Royaume-Uni prévoit d’utiliser trois avions : le Tornado, l’Eurofighter et, malheureusement, le F35 JSF américain. Pourquoi, comme je n’ai pas manqué de le demander à nos amis indiens, acheter cet avion de combat à caractère plutôt offensif si l’Eurofighter est annoncé comme un appareil polyvalent ?
Quant à la campagne de recrutement, nous en sommes très satisfaits. Il faut en effet préparer l’avenir en attirant tous les talents – nous avons ainsi souligné que l’armée de l’air était « toute une armée ». La campagne visait également, en termes de communication interne, à mettre en valeur tous les hommes et les femmes de l’armée de l’air, du pilote à celui qui le soutient.
M. Christophe Guilloteau. Je vous remercie, mon général, de votre appréciation sur le travail de notre commission. Nous nous passionnons tous ici pour ce que représente la défense dans notre pays. Mon département a la chance d’abriter la base du Mont Verdun, très impliquée dès le 19 mars dans l’opération Harmattan – dont nous n’avons du reste qu’à nous louer, car elle a permis d’éviter en Libye une situation difficile.
À ce propos, quand selon vous le travail sera-t-il « fini » ? Avez-vous déjà procédé à un retour d’expérience pour identifier d’éventuelles difficultés autres que celles qui ont été constatées sur les avions ravitailleurs ?
M. Yves Fromion. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur la qualité et la performance des équipements engagés dans l’opération Harmattan – qu’il s’agisse des pods RECONG et de désignation laser ou encore des armements délivrés ? Il semble en effet que nous n’ayons pas disposé de certains équipements, notamment lors de l’utilisation de bombes à inertie ou en béton. Quels enseignements tirez-vous de l’adaptation des armes à des opérations de ce type ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. Il faut en effet, monsieur Guilloteau, que les opérations se terminent, mais cela suppose d’avoir des certitudes quant à la stabilisation de la situation en Libye. Au-delà des deux poches de résistance pour lesquelles les opérations évoluent positivement chaque jour, il nous faut nous assurer que rien, dans l’ensemble du pays, ne puisse compromettre la sécurité du territoire libyen et de la population. C’est à ce moment seulement que nous aurons atteint les objectifs qui nous ont été fixés.
J’en tire deux conclusions partielles. Tout d’abord, tout le monde est d’accord, au plus haut niveau, pour fixer des critères déterminant la fin des opérations – c’est, selon moi, une question de jours ou de semaines. Par ailleurs, et c’est là une autre étape, il faut réfléchir à l’avenir : la Libye aura besoin de soutien pour reconstruire sa sécurité, dans le cadre d’une négociation beaucoup plus vaste où la France voudra peut-être – mais ce n’est pas de mon ressort – jouer un rôle.
Le retour d’expérience est un processus continu. Ainsi, l’opération Harmattan a démontré la capacité d’autonomie et à « entrer en premier » évoquée notamment dans le Livre blanc. De fait, peu de pays étaient prêts à engager instantanément leurs forces le 19 mars. La France l’a fait grâce à ce processus continu et aux compétences rares qui nous ont permis de contrôler les opérations en temps réel et à distance, notamment depuis Mont Verdun et Paris, en disposant de tous les outils nécessaires.
Il faut également souligner que nous n’avons pas eu à lancer de programmes en urgence opérationnelle pour l’adaptation de différents armements, comme nous l’avions fait lors de l’opération au Kosovo. C’est là une belle réussite de notre programmation. Le Rafale polyvalent a été disponible en temps voulu, ce qui est une performance, l’adaptation des pods de reconnaissance et des armements guidés par laser remontant à quelques mois seulement. Je répète souvent que « la guerre, c’est demain », ce qui suppose que nous soyons prêts à la faire tout de suite. Nous ne devons donc pas prendre de retard dans l’adaptation de nos équipements, même si cela conduit parfois à la création de micro-flottes.
Tous nos choix se sont révélés pertinents. Ainsi, la polyvalence que nous recherchions pour le Rafale n’était pas seulement celle de ses missions, mais également celle de ses effets : le développement de la famille d’armements air-sol modulaires a permis l’intégration à moindre coût d’une famille de munitions permettant de développer à la fois des armements plus lourds et plus légers, destinés à des objectifs différents. Plus les séries sont longues et l’exportation importante, plus faibles seront les coûts. Il faut cependant souligner que la miniaturisation, certes indispensable, a un prix souvent élevé. Nous avons ainsi testé de nombreux systèmes, comme les bombes à béton, efficaces lorsqu’elles font mouche – ce qui est le cas dans 50 % des cas –, mais qui exigent un système de guidage centimétrique.
Pour résumer, c’est l’entraînement quotidien et exigeant de nos équipages qui paie. C’est non seulement le nombre d’heures de vol, mais aussi tout notre système de formation qui se concrétisent ici, ce qui doit nous inciter à continuer à nous battre pour la disponibilité de nos appareils et pour la conduite d’exercices dans des conditions réalistes, notamment en nous entraînant avec nos partenaires, en particulier Britanniques.
L’armée de l’air était prête au bon moment et a réussi à durer. Je ne vous ai pas caché les difficultés liées à la régénération des forces au terme de près de sept mois d’efforts qui s’ajoutent à notre déploiement sur de nombreux théâtres, mais, avec les compétences dont nous disposons aujourd’hui et avec votre soutien, nous pourrons mener à bien ces missions. Les quelques dizaines de millions d’euros nécessaires porteront leurs fruits, comme le font aujourd’hui les budgets investis voilà quelques années.
M. Pierre Forgues. On dénombre en France près de 600 aéronefs militaires à démanteler, dont la déconstruction doit respecter des conditions très strictes de protection de l’environnement. La société tarbaise Tarmac Aerosave, première en France dans ce domaine, est aujourd’hui la seule dans notre pays à pouvoir respecter ces conditions, définies dans le cadre d’un projet expérimental mis en œuvre voici quelques années à Tarbes. La ministre de la défense m’avait assuré voici trois ou quatre ans que Tarbes participerait à la déconstruction des avions militaires, mais je n’ai pas eu depuis lors de nouvelles de ce dossier. Pouvez-vous m’indiquer ce qu’il en est aujourd’hui et quel sera le processus dans les prochaines années ?
M. Michel Voisin. Qu’en est-il, dans le contexte de l’opération menée en Libye, du renouvellement des stocks d’armes, compte tenu de l’obsolescence de certaines d’entre-elles ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. Monsieur Forgues, je ne dispose pas ici d’éléments très concrets sur le dossier de Tarbes, mais je vous les fournirai dès que j’en aurai pris connaissance, dans les prochaines heures. Il est cependant évident que nous devons assumer d’un bout à l’autre la responsabilité de la vie de nos équipements, ce qui suppose des compétences – et je sais en effet qu’il en existe à Tarbes. Le bon sens invite à ne pas disperser ces compétences car, même si les problèmes posés par cette déconstruction sont sans commune mesure avec ceux qui se posent pour d’autres équipements, elle suppose des technologies qu’il convient de maîtriser dans le temps. Il s’agit là d’un champ de compétences d’avenir, auquel sont liés des métiers et qui doit permettre de récupérer des matériaux. Il ne doit pas être résolu simplement par la délocalisation.
Contrairement à ce qui a parfois été prétendu, nous n’avons jamais risqué d’être en rupture de stock. Ces stocks ont en effet été gérés selon une vision à long terme et une politique de renouvellement continue et diversifiée, portant à la fois sur les armements guidés laser, les A2SM et les missiles de croisière. Je précise à ce propos qu’en termes de stock, une bombe ne se résume pas au corps de bombe, mais suppose aussi des fusées de proximité et, le cas échéant, un kit de guidage, c’est-à-dire un ensemble à gérer d’une manière cohérente. Pour avoir reçu tous les jours sur mon bureau, tout au long des opérations, l’état des stocks, je puis vous assurer que je n’ai jamais été inquiet à ce propos, même s’il a toujours fallu réfléchir aux moyens de reconstituer ces stocks – car il faut toujours préparer l’avenir.
Les chiffres envisagés pour le décret d’avance OPEX sont de l’ordre de 60 millions d’euros pour un recomplètement nécessaire et suffisant de ces équipements, en tenant compte des besoins nouveaux pour définir des investissements d’avenir. Le projet de loi de finances prévoit ainsi l’acquisition d’armements air-sol modulaires en version métrique infrarouge, qui permettent même de traiter des cibles en mouvement : il s’agit là d’une mesure d’avenir, qui répond à la question de M. Fromion sur la diversification de nos effets. J’espère que nous poursuivrons l’effort de cohérence entre la formation des hommes et l’acquisition de tous les matériels, notamment des armements, nécessaires pour mener à bien nos missions. Posséder des avions de combat sans les équipements nécessaires n’a pas de sens.
M. Daniel Boisserie. À en croire les médias, il semble que vous vous soyez bel et bien trouvés en rupture de stock de bombes à guidage laser, redoutablement efficaces, et ayez été dépannés par les Américains.
Si les informations que j’évoque sont exactes, ces bombes vous ont-elles été prêtées ou données ? Quelle en est l’incidence sur le budget de 2011 ou sur celui pour 2012 ?
M. le général Jean-Paul Paloméros. Je me suis toujours présenté devant votre assemblée avec un impératif d’honnêteté et de franchise. Si nous avions été en rupture de stock, je vous l’aurais dit.
J’ai indiqué précédemment comment nous avons su gérer nos équipements grâce aux lois de programmation, cadre indispensable pour donner une perspective d’avenir à notre outil de défense. La question des armements est très sensible lorsqu’on en a besoin, mais cesse instantanément de l’être lorsque les opérations s’achèvent. Un chef d’état-major doit rappeler qu’il est inutile de disposer de systèmes coûteux et de s’entraîner autant que nous le faisons si l’on ne dispose pas des stocks d’armes nécessaires.
Nous n’avons pas eu besoin de faire appel aux Américains pour leur demander de nous donner, de nous prêter ou de nous vendre des bombes. Les chiffres dont je dispose me permettent de vous assurer qu’il n’y a pas de difficulté en la matière. Il n’en faut pas moins nous demander comment nous reconstituerons demain nos stocks, et cela d’autant plus que notre industrie n’est pas toujours capable de produire certaines bombes. C’est là certes un autre problème, mais il touche à notre souveraineté : faut-il savoir produire des bombes pour être un pays souverain ?