09/05/11 par Alain Ruello LES ECHOS
Cinquante ans après sa naissance, la Direction générale de l'armement poursuit sa mue, avec une ligne directrice : renforcer son expertise tout en se rationalisant. En 2014, les ingénieurs
représenteront 60 % des effectifs, contre 40 % actuellement. Nommé il y a près de trois ans, son délégué, Laurent Collet-Billon insiste sur la professionnalisation des équipes en charge des
programmes, le coeur des missions de la DGA. Sans oublier la stratégie industrielle, dans laquelle Thales pourrait jouer un rôle central.
La DGA a 50 ans, et vous la dirigez depuis bientôt trois ans. Ou en êtes-vous de sa réforme ?
J'ai énormément simplifié l'organisation dans une optique de professionnalisation accrue des équipes et de renforcement de ses compétences de gestion et de son expertise technique. Quand j'ai
pris mes fonctions, j'avais annoncé la couleur : une vision pragmatique autour de 4 axes stratégiques : investisseur avisé pour la défense, partenaire des armées au quotidien, expert référent,
moteur d'une construction européenne réaliste. Je voulais qu'on en finisse avec les dérives sur les délais et les coûts. Les industriels ont compris le message. Un contrat comme celui qui a été
conclu en 2003 pour l'A400M ne passerait plus aujourd'hui. Sur le plan financier, nous investissons tout l'argent prévu pour les équipements des armées ; ainsi, l'an dernier, sur 10,2 milliards
d'euros de paiements à l'industrie de défense, nous avons réussi à ne laisser que 1 237 euros dans les caisses. Si j'utilisais une image, j'appliquerai celle d'une société d'ingénierie.
Aujourd'hui, la DGA compte 40 % d'ingénieurs. En 2014, nous serons à 60 %.
Dans son livre, Hervé Morin estime qu'il va manquer 20 à 30 milliards pour équiper les armées d'ici à 2020. La France tire-t-elle des chèques en blanc pour entretenir sa défense, comme
l'affirme l'ancien ministre de la défense ?
Je m'en tiens à la trajectoire financière décidée par le Président de la République, à savoir 377 milliards pour les lois de programmation militaires 2009-2014 et 2015-2020. Avec ce montant de
crédits, il ne manque pas 30 milliards. L'exécution budgétaire a connu quelques aléas, par exemple parce qu'il a fallu réintégrer des commandes nationales de Rafale faute de contrat à
l'exportation. Mais globalement, notre gestion en commun avec l'Etat Major des Armées est parfaitement en ligne avec les plans d'équipements. Travailler en liaison étroite avec les clients est
plus indispensable que jamais dans nos industries de programmes. La programmation budgétaire triennale 2011-2013 est claire.
Pas de « bosse budgétaire » en train de gonfler ?
Nous investissons de manière responsable avec l'Etat Major. Si cela nous conduit à des engagements financiers ingérables, alors nous ne lançons pas les programmes en question.
Et si les 750 millions de ventes des fréquences hertziennes ne sont pas au rendez-vous cette année ?
Il y a une énorme demande de fréquences compte-tenu du développement des communications mobiles, notamment de données et d'images. Et l'Arcep finalise l'appel d'offres. Nous n'avons donc aucune
raison à ce stade de douter du calendrier.
Sur la plan industriel, Gérard Longuet a évoqué un « grand projet national » au service duquel l'Etat pourrait mettre ses participations. Quels sont les contours de ce grand projet ?
Fait-t-il de Thales le pivot d'un futur grand groupe français à dominante militaire ?
Je ne peux pas m'exprimer à la place du ministre de la Défense. Ce qui est certain, c'est que nous traitons actuellement le dossier de la rectification des frontières entre Thales et Safran sur
le périmètre suivant : toutes les activités et compétences de navigation inertielle et de génération électrique chez Safran, et toutes celles d'optronique chez Thales. Nous avons bien délimité
les périmètres concernés, y compris au niveau industriel. Aujourd'hui, le travail des deux groupes et de leurs banques conseil va maintenant consister à mettre au point les modalités pratiques, à
valoriser le tout et voir comment équilibrer l'échange d'actifs.
Les discussions ont échoué il y a un an. En quoi le contexte est-il plus favorable aujourd'hui ?
Il y a un an, le périmètre en discussion comprenait l'avionique civile de Thales à la demande de Safran. Safran reste intéressé mais, à ce stade, ni Thales, ni son actionnaire Dassault, n'y sont
ouverts. Il y a donc beaucoup plus de chances que les négociations aboutissent si un équilibre industriel et économique est trouvé sur ce périmètre plus restreint mais plus simple. On peut
espérer une décision de principe à l'été.
Dans le naval militaire, comment la DGA voit-elle l'évolution de l'actionnariat de DCNS ?
Nous demeurons fermement partisans d'une évolution de la participation de Thales dans DCNS de 25 % à 35 %. Tout est prêt pour cela. Quand à franchir les 51 %, j'y suis également favorable à titre
personnel, parce que, globalement, l'industrie de défense française est encore trop éparpillée au regard de ce qui se passe dans d'autres pays et cela n'est pas favorable aux capacités
d'investissements de cette industrie. Maintenant, c'est au gouvernement de trancher le moment venu. Le rapprochement avec les activités correspondantes de la filiale de Thales au Pays Bas
pourrait faire de DCNS le pilier naval de Thales.
Et dans le terrestre, un rapprochement Nexter Thales est-il envisagé ?
C'est une des solutions. Ce n'est pas la seule, puisqu'on peut envisager un rapprochement avec Renault Trucks Défense ou Panhard. Quoiqu'il en soit, il est souhaitable qu'une option soit
clairement arrêtée quand on lancera l'appel d'offres VBMR pour le remplacement des Véhicules de l'avant blindé, c'est à dire en 2012 (le programme vise plus de 2.000 blindés à construire, NDLR).
Luc Vigneron, le PDG de Thales, a été l'objet d'attaques très dures depuis sa nomination. On dit que vos rapports sont difficiles. A-t-il le soutien du ministère de la Défense ?
La question ne se pose pas comme cela. Luc Vigneron a le soutien de son conseil d'administration où siège l'Etat. Si l'Etat n'était pas satisfait, il le ferait savoir. L'Assemblée générale de
Thales a lieu prochainement. Il n'y a pas de motion prévoyant son départ. Quand à moi, ce n'est pas avec Luc Vigneron que j'ai des rapports quelque peu rugueux, c'est avec l'industrie en général
dès lors qu'il s'agit de questions de respect des coûts, des délais et des performances de certains programmes. Il faut arrêter de croire que l'Etat peut tout assumer.
La réorganisation entreprise chez Thales est-elle une source de soucis pour la DGA ?
L'organisation de chaque industriel n'est pas mon sujet, si elle n'est pas à l'origine de retards constatés sur les programmes ou de problèmes liés à l'exportation. Sur ce dernier sujet, il faut
être très vigilant. En 2010, nos prises de commandes ont été inférieures de moitié à ce qu'elles étaient en 2009. Même si l'explication principale est que nous n'avons pas concrétisé comme prévu
certains gros contrats, c'est loin d'être satisfaisant. Nous travaillons avec les grands groupes. Mais aussi avec les PME pour voir comment les aider.
Quel est le retour d'expérience de la guerre en Libye ? Des manques ont-ils été identifiés ?
La disponibilité des matériels engagés est excellente. Par ailleurs, les armements utilisés, missile de croisière Scalp ou Air sol tactique AASM notamment, offrent les niveaux de performance
attendus. Le matériel de reconnaissance donne également satisfaction. C'est encourageant, car ce qu'on avait prévu il y a des années est au rendez-vous. J'ajoute qu'il faut deux fois moins de
personnes pour mettre en oeuvre un Rafale qu'il n'en faut pour un F-16. Quant aux manques qui sont apparus, nous allons faire une analyse précise rapidement avec l'Etat Major des armées.
On peut sans risque avancer que l'absence de drones se fait sentir. Quand le ministre va-t-il choisir entre l'achat de Reaper à l'américain General Atomics ou la modernisation des Harfang
d'EADS ?
Nous allons d'abord tirer tous les enseignements de l'opération Harmattan, puis proposer une solution au ministre d'ici à la fin du semestre, en intégrant nos réflexions sur l'emport d'armement
notamment.
Où en est la mise en oeuvre du traité franco-britannique ? Etant donné l'ambition affichée, qu'est-ce qu'il reste pour la coopération avec l'Allemagne ou l'Italie ?
Les discussions avancent tout à fait normalement. Nous avons des équipes de programmes communes. Un grand point d'avancement est prévu à la rentrée. Et cela ne signifie pas que nous laissons
tomber nos autres partenaires l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne... Avec l'Italie par exemple nous allons proposer prochainement au ministre des pistes de coopérations. Le traité franco-britannique
a servi d'électrochoc, qui a permis de faire bouger les lignes.