En Géorgie, de l'homme de la rue au responsable politique, chacun regarde les événements d'Ukraine avec un triste sentiment de familiarité. Le scénario semble quasi identique à celui de 2008, lorsque Moscou s'est lancé dans une guerre de cinq jours contre le pays. Tout y est: de la détermination du Kremlin à empêcher une ex-république soviétique de se rapprocher du camp occidental, à l'instrumentalisation des minorités ethniques et du séparatisme régional, celui de l'Ossétie du Sud pour ce qui les concerne, l'une des deux provinces sécessionnistes géorgiennes avec l'Abkhazie.
«L'erreur serait de croire que Moscou agit pour défendre les Russes, ethniques ou porteurs d'un passeport russe, en Crimée aujourd'hui ou comme en 2008 dans les provinces séparatistes géorgiennes», prévient le politologue Thorniké Gordadzé, de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), à Paris. Et celui qui a été ministre chargé de l'intégration euroatlantique de la Géorgie (2012) d'attirer l'attention sur le fait «que la Russie veut intervenir militairement en Ukraine, en prétextant la menace pesant sur la vie des citoyens russes, alors qu'aucun cas d'agression n'a été répertorié. D'ailleurs, depuis l'indépendance du pays en 1991, les Russes d'Ukraine n'ont jamais connu de problèmes particuliers».
En Ukraine comme en Géorgie en 2008, la propagande de Moscou fait croire aux minorités «russes» qu'elles ont affaire à des pouvoirs centraux «fascistes», en réduisant «Maïdan» à ses franges d'extrême droite, ou en faisant du très pro-occidental ex-président géorgien Mikhaïl Saakachvili (2004-2013) un petit Hitler du Caucase.
Le début d'intervention russe en Ukraine permet de relativiser les erreurs de Saakachvili en 2008. «À l'Ouest, nous oublions de simplement lire les déclarations de M. Poutine, qui est constant dans ses positions, lorsqu'il dit que la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle a été l'effondrement de l'URSS et qu'il veut aujourd'hui créer une Union eurasiatique», rappelle Lawrence Sheets, analyste à l'International Crisis Group. Poutine pense essentiellement «géopolitique». De la Géorgie à l'Ukraine, il poursuit son grand objectif: replacer la Russie sur le devant de la scène internationale et recréer pour ce faire une sphère d'influence autour d'elle.
En 2008, la Géorgie avait eu le tort de s'être trop rapprochée de l'Otan. Dmitri Medvedev l'a d'ailleurs reconnu en novembre 2011, lors d'une visite à Tskhinvali, la capitale d'Ossétie du Sud, lorsqu'il a dit que sans la guerre de 2008 «l'arrangement géopolitique serait différent aujourd'hui et nombre de pays que l'on a tenté artificiellement de faire glisser dans l'Alliance de l'Atlantique Nord en seraient déjà membres». En 2013, les manifestants de Maïdan ont eu le tort de refuser la décision d'un seul homme, leur président, de renoncer à signer l'accord d'association avec l'Europe.
En suscitant et entretenant des conflits séparatistes, «Poutine essaie de se créer des leviers pour peser sur les gouvernements d'ex-républiques soviétiques afin qu'ils demeurent pro-russes», explique Thorniké Gordadzé. Moscou cherche moins l'indépendance de la Crimée, ou son rattachement à la Russie, qu'à entretenir une instabilité permanente en Ukraine, comme elle le fait en Géorgie depuis son indépendance en 1991, pour être certaine qu'elle ne rejoindra pas le camp occidental.