29.01.2015 Aspirant Alexia Pognonec - Centre d’études stratégiques de la Marine
Le 18 novembre 2014, l'Ifremer[1] signait son deuxième contrat d’exploration dans la zone internationale des fonds marins, dite la « Zone ». Peu relayée par les médias, cette signature est pourtant une avancée majeure sur le chemin de l’exploitation sous-marine.
Le permis, relatif à l'exploration de sulfures polymétalliques dans la zone dorsale volcanique médio-atlantique, s'ajoute à un premier permis d'exploration de nodules polymétalliques attribué dès 2001 dans la zone de fracture Clarion-Clipperton (Pacifique nord). Octroyées par une structure spécifiquement dédiée à la gestion des ressources de la Zone, l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), ces autorisations confèrent à l'Ifremer un droit exclusif d'exploration des secteurs concernés pour une période de quinze ans. Ce droit conforte ainsi la position de la France en tant qu'acteur central dans l'expertise des grands fonds marins, pionnier dans leur découverte[2], tout en favorisant la possibilité d'une exploitation future de leurs ressources.
LE POSITIONNEMENT DANS LES EAUX INTERNATIONALES, UN ENJEU GEOPOLITIQUE MAJEUR.
Les matières premières minérales, vitales dans la production et le développement de nombreuses technologies de pointe, font l'objet d'une consommation toujours aussi forte de la part des Etats développés – 80 % des ressources – et exponentielle des Etats émergents. La consommation annuelle de la Chine en cuivre par habitant a ainsi connu une hausse de plus de 180 % entre 2010 et 2014, après avoir triplé depuis le début des années 2000. Cette dynamique est toutefois confrontée à l'amenuisement des réserves minérales terrestres et pose un véritable problème d'approvisionnement. La situation est identique pour les métaux dits rares ou stratégiques tels que le cobalt, le platine ou le titane. La dépendance croissante des Etats européens à l'importation de ce type de métaux – plus de 90 % –, la raréfaction des sites terrestres, ainsi que la hausse constante du cours de ces ressources appellent de la même façon une diversification des approvisionnements.
En mer, l'ensemble de ces facteurs génère une concurrence internationale de plus en plus visible pour l'accès à ces minéraux. D'autant que l'ensemble des zones sous-marines riches en sulfures polymétalliques pourrait être couvert par quelques dizaines de permis seulement.
Si dans les faits, seuls les Etats disposant d'une technologie avancée en matière sous-marine sont à même de conduire des activités dans les grands fonds marins, les rares Etats initialement en mesure de le faire (Etats-Unis, Russie, Japon, France notamment) doivent désormais affronter la concurrence de nouvelles nations (Chine, Corée, Brésil…). Cette évolution se traduit par une augmentation du nombre de dépôts de demandes de permis d'exploration auprès de l'AIFM (entre 2001 et 2006, 8 permis ont été accordés. depuis 2011, 18 permis supplémentaires ont été concédés).
Reste que le chemin à parcourir pour l'exploitation de grands fonds encore largement méconnus est encore long.
UNE MECONNAISSANCE ABYSSALE
D'un point de vue juridique, la Zone est constituée des fonds et sous-sols marins situés au-delà des limites de la juridiction nationale. Cet espace international, consacré patrimoine commun de l'humanité par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, est riche d'écosystèmes foisonnants et de ressources minérales. Malgré un potentiel d'exploitation important, son exploration reste l'un des grands défis de l'humanité depuis près d'un siècle, les connaissances à son sujet demeurant largement inférieures à celles sur l'espace. En effet, 95 % des grands fonds marins et de la biodiversité qu'ils abritent sont encore à découvrir.
Les permis d'exploration accordés par l'AIFM ont ainsi pour but de permettre aux Etats – ou aux entreprises qu'ils patronnent – d'étudier ces écosystèmes et de mieux comprendre la façon dont certains organismes s'adaptent à des conditions environnementales extrêmes. Il s'agit aussi d'identifier les sites, d'évaluer, localiser et cartographier les gisements présents, tout en approfondissant les connaissances scientifiques relatives aux processus de formation des minéraux afin de faciliter la localisation des dépôts les plus riches. C'est enfin au cours de cette phase que sont examinés les impacts potentiels, directs et indirects des activités sur l'environnement pour permettre de déterminer les méthodes d'exploitation les plus appropriées au milieu et d'en limiter au minimun les perturbations.
L’amélioration des connaissances en géologie et biologie marine a eu un impact décisif sur la compréhension des mécanismes d'apparition de la vie : il semble désormais acquis que certaines zones abyssales ont été le berceau du développement des premières biomolécules. Cette quête a révélé en parallèle de vastes potentiels d'application technologique, pharmaceutique et industrielle de ces zones sous-marines.
Un des enjeux majeurs est en effet de maintenir la place de la France – et plus largement des Etats européens – au premier plan de l'expertise scientifique des grands fonds marins et de l'innovation technologique associée. Cette recherche de compétitivité dans tous les domaines doit être au cœur de leurs ambitions, d'autant que si la France dispose du deuxième espace maritime mondial, les Etats européens dans leur ensemble se placent en première position de ce classement. Et cet indéniable atout géographique et stratégique peut sans nul doute se traduire en termes économiques.
Si le XXème siècle a été celui de la conquête de l'espace, la nouvelle frontière s'inscrit désormais sous les mers.
FOCUS
Sulfures polymétalliques :
Ressources minérales particulièrement riches en cuivre, zinc, plomb, cobalt et en concentrations en or et en argent.
Nodules polymétalliques :
Petites boules sombres de 5 à 10 cm de diamètre notamment composées de manganèse, fer, nickel, cuivre, cobalt, titane, aluminium, sodium, magnésium, silice et zinc.
[1] L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer. site web
[2] La France faisant partie des cinq premiers Etats à avoir investi dans la découverte des grands fonds marins en 2001 avec le Japon, la République de Corée, la Russie et l'Inde.