4 avril Par Edouard Pflimlin, chercheur associé à l’IRIS, et Yann ROZEC, diplomé d’IRIS Sup’
Le Japon a adopté mardi 1er avril de nouveaux principes concernant les exportations d’armes. La situation économique difficile du Japon et l’arrivée au pouvoir du conservateur Shinzo Abe avaient créé un contexte favorable à un éventuel assouplissement des règles encadrant sévèrement les exportations depuis cinquante ans. Désormais, le Japon pourra vendre des armes, y compris à l’ONU, afin de contribuer à la sécurité de ses intérêts et participer à des coopérations internationales (1). Les restrictions sont dorénavant réduites uniquement aux pays en guerre et ou sous embargo des Nations Unies.
Edictés en 1967, trois principes régissaient les exportations japonaises : aucune vente ne peut être destinée aux pays du bloc communiste, aux pays sous embargo du Conseil de Sécurité de l’ONU et aux pays en guerre(2). En 1976, le Collateral Policy Guideline déclare que le gouvernement du Japon « ne promouvra pas les exportations d’armes, quelle que soit la destination » (3). Dans les faits, il s’agissait d’une interdiction complète des exportations. Très contraignantes, ces règles ont été peu à peu remises en question.
A partir de 1983, le Japon a cependant accepté de livrer de la technologie de défense aux États-Unis seulement. La coopération industrielle et les possibilités d’exportation vers les USA ont été envisagées notamment dans le cadre de l’avion de combat FSX et aussi dans le cadre du programme d’Initiative de défense stratégique (IDS plus connu sous le nom de "Guerre des étoiles") avec la coopération pour la défense antimissiles.
20 ans plus tard, en 2004, la suppression de ces principes a été envisagée, notamment par le directeur de l’Agence de Défense S. Ishiba, mais finalement, seule une exception générale avait été accordée au profit des Etats-Unis (4). Le point 7 de la Politique japonaise en termes de contrôle des exportations d’armes incluait les exportations de technologies dans les restrictions, si bien que les transferts de technologies ne pouvaient être destinés qu’aux seuls Etats-Unis (5). Le développement conjoint du missile antimissile SM-3 avec les Etats-Unis a marqué un premier pas en ce sens puisqu’une dérogation est négociée pour une vente export vers des pays alliés (6). En 2011, le précédent Premier ministre japonais, M. Yoshihiko Noda, s’abritant derrière le contexte de lutte contre le terrorisme, a assoupli une première fois ces règles. « La principale caractéristique de ces nouveaux standards était d’autoriser l’exportation dans les cas impliquant les opérations de maintien de la paix et les efforts de coopérations internationales ainsi que les cas de développement et de production internationaux de systèmes d’armes » (7). Cette atténuation permet la vente de dix patrouilleurs aux Philippines dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la piraterie.(8)
Ces nouvelles lignes directrices en matières d’exportations d’armes sont un pas de plus vers une normalisation du Japon, telle que souhaitée par le Premier ministre Shinzo Abe.
Perspectives offertes
Ce dernier est désireux d’étendre les liens de la défense japonais au-delà des États-Unis à d’autres pays asiatiques. Le Japon fournit déjà la Garde côtière des Philippines avec des navires de patrouille et négocie la vente à l’Inde d’avions amphibies de recherches et de sauvetage US-2, construits par le conglomérat industriel ShinMaywa.
Ce nouvel assouplissement des conditions d’exportation devrait donc offrir de nouvelles opportunités pour l’industrie de défense japonaise et les alliés de Tokyo.
Désormais, le Japon pourrait par exemple autoriser ses poids lourds de l’industrie de défense Mitsubishi Heavy Industries, Kawasaki Heavy Industries ou IHI à livrer des équipements militaires à des gouvernements luttant contre la piraterie maritime ou à équiper des armées de nations amies d’Asie du Sud-Est. Outre les Philippines, il pourrait ainsi être question de l’Indonésie, du Vietnam ou d’autres pays riverains de la mer de Chine méridionale qui s’inquiètent, comme le Japon, des ambitions maritimes grandissantes de la Chine. Tokyo pourrait notamment leur vendre des navires d’occasion.
Les nouvelles règles vont permettre le développement et la production d’armes en partenariat avec les Etats-Unis et des pays européens, ainsi que l’exportation d’équipements militaires à des fins pacifiques et humanitaires, comme dans le cas de missions de maintien de la paix de l’ONU.
Le Japon produit déjà un grand nombre de ses armes sous licence de sociétés de défense des États-Unis et il développe en commun avec ceux-ci la dernière version du missile antimissile SM-3 mais il a peu de systèmes intégrés domestiques. Aussi des sociétés de défense japonaises voient des opportunités dans des développements en commun avec des entreprises étrangères ou pour fournir des composants.
Le gouvernement de M. Abe a fait valoir que les restrictions doivent être assouplies pour permettre au Japon de participer à des projets de développement d’armes de nouvelle génération, qui sont complexes, coûteux et internationaux. Un exemple souvent cité est le F-35 Joint Strike Fighter, développé par les États-Unis en partenariat avec huit autres pays, que le gouvernement de M. Abe a d’ailleurs ajouté à une liste d’exceptions à l’interdiction d’exportation d’armes qui a été publiée l’an dernier. Tokyo en a acheté une quarantaine d’exemplaires.
Des exportations très encadrées
Les projets de coopération devraient se multiplier. Toutefois, des contraintes demeurent. Une procédure encadre les exportations et la coopération. Dans le nouveau régime, les ministères de la défense, des affaires étrangères et du commerce effectueront normalement les contrôles. Le Conseil de sécurité nationale (NSC), un organisme lancé en décembre 2013 pour accélérer la prise de décision en matière de défense et de politique étrangère, décidera d’autoriser les exportations lorsque les transactions sont considérées comme importantes et nécessitent de la prudence. Le gouvernement publiera aussi des rapports annuels sur les équipements approuvés pour l’exportation par les ministères mentionnés et dévoilera certaines informations sur les affaires traitées par le NSC.
Par ailleurs, Tokyo précise toutefois qu’il ne vendra pas d’armes létales comme des tanks ou des avions de chasse. Le gouvernement Abe n’aura donc pas les mains totalement libres. Selon un récent sondage réalisé en février par l’agence de presse Kyodo, près de 67 % des Japonais seraient opposés à des exportations d’armes. Il y aura un travail de conviction et de persuasion à mener s’il veut aller encore plus loin.
Hormis son opinion publique, celle de son grand voisin, la Chine, importe. Pékin s’inquiète, a déclaré mardi 1er avril 2014 Hong Lei, porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois. « Nous espérons que la partie japonaise pourra tirer des leçons de l’histoire et prêter attention aux inquiétudes de ses voisins asiatiques quant à la sécurité », a-t-il souligné. Du côté de la Corée du Sud, c’est le maximum de « transparence » qui est jugé indispensable dans la mise en œuvre des nouvelles lignes directrices.
Au total, si le Japon doit tenir compte de son opinion et de celles de certains de ses voisins, « les nouvelles conditions permettront au Japon de développer conjointement des armes avec ses alliés et de donne à son industrie de défense accès à de nouveaux marchés et de la technologie de pointe », souligne à juste titre la BBC. C’est d’ailleurs avec Londres et les entreprises du Royaume-Uni que sont envisagées des coopérations en matière d’industrie de défense.
La visite début avril 2012 du Premier ministre britannique David Cameron, qui a rencontré à Tokyo son homologue Yoshihiko Noda, a ouvert la voie à une coopération industrielle sur certains projets d’armement. Un cadre de coopération en matière d’équipement de défense signé entre les deux nations en juillet 2013 le confirme. La première collaboration attendue concerne la protection chimique, bactériologique, radiologique et nucléaire. Plus largement, certains experts estiment que cet accord pourrait ouvrir la voie à des exportations d’armement plus conséquentes.
La France, qui a marqué à plusieurs reprises son intérêt stratégique pour l’Asie, envisage aussi une coopération en matière de défense. Elle a d’ailleurs été discutée lors de la visite du président François Hollande au Japon en juin 2013. La visite attendue de Shinzo Abe en mai en France pourrait être l’occasion d’annoncer des coopérations dans différents domaines (hélicoptères, propulsion sous-marine et drones sous-marins notamment).
(1) « New arms exports principles, guidelines are adopted by Abe cabinet », Japan Times, 1er avril 2014.
(2) Site du ministère des Affaires Etrangères du Japon, Japan’s Policies on the control of Arms exports, MOFA.
(3) Japan’s Policies on the control of Arms exports, MOFA
(4)Guibourg DELAMOTTE, La politique de défense du Japon, Presses universitaires Françaises, Paris, 2010, p. 255.
(5) Site du Ministère des Affaires Etrangères du Japon, Japan’s Policies on the control of Arms exports, MOFA.
(6)John GREVATT, « Japan moves closer to standart missile 3 export accord », Jane’s Defense Weekly, 27 mai 2011.
(7) « Noda administration bids farewell to arms export ban », The Asahi Shimbun, 28 décembre 2011
(8) « Japan grants PH soft loan for 10 patrol boats », Manila Standard Today, 14 février 2013.