« C'est un scandale », résume un acteur de la politique spatiale française. La communauté spatiale française est très, très colère contre la décision du ministère de la Défense allemand de confier, avec la complicité des constructeurs de satellites Astrium (groupe EADS) et OHB, le lancement de trois satellites identiques d'observation gouvernementaux au nouveau lanceur américain Falcon 9, développé par à la société SpaceX avec l'aide de la NASA.
C'est aussi le concurrent le plus féroce de la gamme de lanceurs européens opérés depuis la Guyane (Ariane 5, Soyuz et le petit lanceur italien Vega). Et comble du comble, selon nos informations, Arianespace n'aurait même pas été consulté pour ce contrat.
La semaine dernière, le président du CNES, Jean-Yves Le Gall, qui était il y a peu le PDG d'Arianespace, s'était publiquement interrogé sur la décision allemande.
« Il s'est déroulé cet été un événement, à mes yeux, très important c'est que l'Allemagne a acheté à SpaceX trois lancements pour ses satellites d'observation ; c'est lourd de sens, non ?, a estimé Jean-Yves Le Gall, dans une interview accordée à la lettre AeroDefenseNews. Or, ces satellites auraient pu être lancés par Vega ou Soyouz en Guyane, deux systèmes de lancement dans lesquels l'Europe a lourdement investi. Et je suis convaincu que si nous avions pu proposer une solution de lancement dans laquelle l'industrie allemande était partie prenante, ces satellites ne seraient pas partis chez SpaceX ».
La préférence européenne jetée à la corbeille
Mais mercredi, Astrium et OHB System AG ont signé un contrat d'environ 344 millions d'euros pour le développement, la fabrication et le lancement d'un satellite radar ultra-performant pour le système de surveillance par satellite SARah. Et donc de confier à SpaceX le lancement des trois satellites. Ce qui est un véritable coup de hache dans les principes de l'Agence spatiale européenne (ESA), qui préconise que les États membres fassent jouer la préférence européenne pour le lancement des satellites gouvernementaux et institutionnels.
"Jamais la France n'aurait donné son autorisation à une telle décision"
Un principe aujourd'hui bafoué par l'Allemagne, qui a donné l'autorisation à Astrium, pourtant actionnaire d'Arianespace à hauteur de 28,5 %, et d'OHB de choisir le lanceur Falcon 9, rival de la gamme de lanceurs (Ariane 5, Soyuz et Vega), opérés depuis le Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou. « Jamais la France n'aurait donné son autorisation à une telle décision, explique-t-on à La Tribune. C'est en complète contradiction avec ce que dit l'Allemagne ».
Astrium a oublié d'évoquer Soyuz, voire le lanceur italien Vega, opérés depuis Kourou
Astrium, maître d'œuvre d'Ariane, a expliqué mercredi que son satellite SARah d'environ 3 tonnes était trop petit pour être lancé seul sur Ariane 5, conçue pour mettre sur orbite deux satellites à la fois, et trop gros pour un lancement double. Pourtant, selon nos informations, deux satellites pèseront chacun 720 kg tandis que le troisième pèsera 1,230 kg à la balance.
De plus, selon Astrium, il doit être placé sur orbite basse et non sur l'orbite géostationnaire où Ariane place le plus souvent ses charges. "Nous avons donc choisi le lanceur le plus adapté à la demande du client", a déclaré un porte-parole d'Astrium. Ce qui est vrai ( pour Ariane 5)... et faux. Car Astrium a oublié d'évoquer Soyuz, voire le lanceur italien Vega, opérés depuis Kourou qui étaient adaptés à cette mission, selon le président du CNES.
Pourquoi avoir donc choisi Falcon 9 ? Tout simplement, comme le rappelle de nombreux acteurs de la filière, pour une questions de prix de lancement . « Aujourd'hui Soyuz, c'est 100 millions de dollars par lancement, Falcon 9 c'est 50 millions de dollars », explique l'un d'eux. « Les Russes ont augmenté leur prix », constate un fin connaisseur de la filière spatiale. En outre, selon nos informations, Astrium en aurait profité pour recycler des réservations qu'il avait faite à SpaceX. Et le tour (la farce ?) est joué.
"La décision allemande est la démonstration qu'il faut faire Ariane 6"
La morale de cette triste histoire européenne, c'est que le futur lanceur de l'Europe, Ariane 6, est encore plus indispensable aujourd'hui compte tenu de la décision allemande, qui envoie un signal à tous qui n'osaient pas encore franchir le pas vers SpaceX. Au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, on ne souhaite pas commenter pas la décision de l'Allemagne de lancer sur SpaceX même si on sent beaucoup d'amertume. "La décision allemande est la démonstration qu'il faut faire Ariane 6, explique-t-on à La Tribune. Et le plus vite possible. Nous en sommes aujourd'hui encore plus convaincu".