[1] 80% des habitants de la planète vivent à moins de 100km du littoral
Guerre de Libye
L'intervention militaire de 2011 en Libye est la concrétisation de ce rapprochement. Les deux pays mènent conjointement 80 % des raids aériens contre l'armée de Mouammar Kadhafi. C'est leur première opération militaire commune, certes dans un cadre différent, depuis l’opération de Suez en 1956.
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Cols Bleus : Des choix ont été faits pour le design des porte-avions qui ne vont pas dans le sens d'une plus grande interopérabilité, notamment pour les groupes aériens. Pouvez-vous commenter?
CEMM : L’interopérabilité peut prendre plusieurs formes et son niveau le plus abouti ne constitue pas un but en soi. C’est un moyen. Nous avons chacun nos contraintes et nos cultures. Ainsi, certains roulent à droite, d’autres à gauche. La question n’est pas de savoir de quel côté rouler mais de rouler de conserve vers la même direction et de coordonner les interactions. Il en va de même avec les outils navals.
En l’occurrence, le porte-avions, quel que soit son design, est un outil majeur mais indissociable d’un groupe aéronaval. De nombreuses combinaisons sont possibles à l’intérieur de celui-ci : au sein de l’état-major, dans la complémentarité des bâtiments ou des aéronefs, quelles que soient les nationalités. Le détachement d’un Lynx britannique sur le Surcouf en début d’année 2013 est un bel exemple d’intégration réussie. Les pilotes britanniques s’étaient vus confier les mêmes responsabilités et les mêmes règles d’engagement que ceux que l’on donne à nos pilotes français. Le moins que l’on puisse dire est que cela a été concluant. C’est ainsi que je vois la coopération de nos outils.
FSL. : Il est sans aucun doute vrai que le chasseur rapide français, le Rafale, ne sera pas en mesure d’opérer à partir de la nouvelle classe Queen Elizabeth. Mais ce serait percevoir l’interopérabilité des porte-avions franco-britanniques par le petit bout de la lorgnette. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
Tout d'abord, les porte-avions de classe Queen Elizabeth n’assumeront pas uniquement un rôle de plate-forme pour les appareils à réaction rapides. Ils posséderont également une capacité de manœuvre littorale. Cela signifie que même si les chasseurs rapides français ne peuvent pas opérer actuellement depuis un porte-avions de classe Queen Elizabeth, les hélicoptères français devraient, eux, pouvoir bénéficier de ce soutien.
Mais il y a un aspect plus important à souligner. Nous devons également prendre en compte l'interopérabilité future - et j’entends par là loin dans l'avenir - car un élément clé de ces plates-formes est leur longévité. Les porte-avions de classe Queen Elizabeth auront une durée de vie de plus de 50 ans. Notre horizon professionnel s'étend donc sur de nombreuses décennies à venir pour l’aviation navale qui opérera depuis ces terrains d'aviation flottants. C'est une longue période, qui offre donc de nombreuses opportunités pour une plus grande interopérabilité dans les années à venir. Peut-être pourrais-je préciser ma pensée en ces termes : étant donné que le dernier commandant de la nouvelle plate-forme HMS Queen Elizabeth ne naîtra qu’aux environs de 2023 - soit rejoindra la marine aux alentours de 2044 - la technologie qui sera alors à notre disposition ne connaît pour limite que notre imagination.
Cols Bleus : Une coopération efficace passe par l'action sur le terrain des hommes et des femmes de vos états-majors et de vos équipages. Pouvez-vous faire nous dire comment cela se passe concrètement aujourd'hui entre les deux marines?
CEMM : Les échanges entre marins des deux bords de la Manche s’intensifient. Là encore, les résultats sont encourageants. 3 officiers britanniques travaillent à l’état-major de la marine dans des fonctions de direction, dont un dans mon propre cabinet, 5 sont en ce moment en opérations au sein du CTG français, notamment à bord du Charles de Gaulle. Ces officiers sont employés exactement comme leurs homologues français. Les relations de confiance sont très fortes.
En réalité, nous constatons à chaque fois que l’adaptation des officiers britanniques chez nous est immédiate : nous avons la même approche du combat, les mêmes procédures, ce qui facilite grandement les choses.
FSL : Oui, absolument. Permettez-moi de vous donner quelques exemples spécifiques. Tout d'abord, nous avons 14 postes d'échange. Pourquoi les mentionner ? En partie parce que ces échanges ont une réelle importance stratégique: ils influencent la communication politique au niveau intergouvernemental. Ils sont également stratégiques dans un autre sens. Ces postes d'échange se situent non seulement au niveau tactique et opérationnel, mais aussi aux plus hautes fonctions des états-majors. Par exemple, un capitaine de frégate français est l’un de mes officiers à l’état-major de la marine, ici, au ministère britannique de la Défense, et je compte sur lui pour m'aider à concrétiser les avantages stratégiques potentiels pour la Royal Navy et la Marine Nationale.
Un deuxième exemple est l’embarquement, l'année dernière, d'un Lynx de la Royal Navy pour une mission de l’escadron 815 de l'aéronavale à bord d’une frégate française, le FS Surcouf. Ce n'était pas une opération de façade. L'intégration d'un équipage de la Royal Navy a eu lieu lors d'un déploiement opérationnel exigeant au Moyen-Orient où le navire était engagé dans des opérations de lutte contre la piraterie. Notons par ailleurs que, dans l’autre sens, un observateur français est en cours de déploiement depuis le HMS Diamond
Je m'attends à ce que ces types d’échanges deviennent réguliers et systématiques.
Alors, quelle est l’utilité de toute cette activité ? Elle contribue à nous apporter une réelle interopérabilité, tout en nous aidant à promouvoir une prise de conscience culturelle instinctive et mutuelle. Elle n'est pas simplement utile, elle est essentielle
CORSICAN LION
Du 17 au 26 octobre 2012, près de 5 000 militaires, répartis sur 11 bâtiments de surface et un sous-marin, ont participé à Corsican Lion, le plus important entraînement naval de l’année à l’échelle européenne. Il s’agit du premier déploiement amphibie de la force expéditionnaire interarmées franco-britannique (CJEF). L’intervention au Mali, soutenue par les Britanniques, a démontré la qualité de notre coopération.
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Cols Bleus : En termes d'activité, de préparation opérationnelle et d'opérations, on a beaucoup parlé de la CJEF (Combined Joint Expeditionnary Force). L'ambition étant posée, pensez-vous être au rendez-vous des différents jalons, et de l'échéance, dans le domaine des opérations aéro-maritimes?
CEMM : Oui, comme je le disais à l’instant, les objectifs identifiés lors de CORSICAN LION sont en bonne voie de réalisation. Nous rencontrons parfois des difficultés, dues aux contraintes budgétaires ou opérationnelles dans nos marines respectives, mais cela ne remet pas en cause l’avancement du projet. S’il l’on veut obtenir la validation du concept lors de l’exercice GRIFFIN STRIKE en 2016, nous avons le devoir de saisir toute occasion de s’entraîner ensemble, ce que nous faisons d’ores et déjà.
FSL : L'ambition de parvenir à un degré élevé de coopération et, autant que possible, à l'interopérabilité dans les porte-avions et l'aéronavale, est clairement exprimée dans les accords de Lancaster House. Mais, comme nous en avons déjà discuté, je perçois l'interopérabilité et la coopération comme quelque chose de beaucoup plus poussé que la simple utilisation de porte-avions alliés pour lancer des avions ; Il s'agit d'améliorer la planification conjointe à long terme et, le cas échéant, d’une mise en commun et d’un partage (du « pooling and sharing ») afin de parvenir à une utilisation plus efficace de nos capacités, tant individuellement que collectivement. Bien sûr, pour le Royaume-Uni, nos calendriers seront inévitablement assujettis au programme de mise en service du HMS QUEEN ELIZABETH, mais en attendant, nous travaillerons avec l’aéronautique navale pour assurer une capacité CJEF validée dès 2016.
CJEF
Les deux gouvernements ont décidé de créer une force expéditionnaire commune interarmées (en anglais, Combined Joint Expeditionary Force - CJEF). Le but de cette force est de permettre, d’ici 2016, de disposer d’une capacité conjointe pouvant être engagée dans des opérations bilatérales, mais également dans le cadre d’une coalition internationale (OTAN, UE ou ONU). Il y a aussi un objectif, à terme, de créer un état-major de force commun déployable (en anglais, Combined Joint Force Headquarters – CJFHQ)
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Cols Bleus : Pensez-vous que le couple Marine Nationale-Royal Navy devrait servir de modèle ou de moteur potentiel pour l'émergence d'une force maritime européenne? Si oui, de quelle manière?
CEMM : Je crois qu’il faut utiliser la méthode des petits pas. Plutôt que de chercher à bâtir d’emblée une force commune à 28, il faut construire des briques, qui pourront ensuite s’agréger à d’autres. La coopération franco-britannique est une brique essentielle, qui pourra effectivement servir dans le cadre d’un projet plus ambitieux, auquel nous aspirons tous. Notons cependant que de nombreuses choses se font déjà. La plupart des marines européennes travaillent toutes avec les mêmes procédures, qui sont les procédures de l’OTAN. Dès lors que la volonté politique est commune, nous savons travailler ensemble. Dans le bas du spectre, l’opération européenne ATALANTA de lutte contre la piraterie en océan Indien en est le meilleur exemple.
FSL : Eh bien, l'idée d'une force maritime européenne est, bien sûr, un concept politique plutôt que militaire, il ne serait donc pas approprié pour moi de m’étendre sur le sujet. Mais ce que je peux dire, d'un point de vue militaire, c’est que le partenariat franco-britannique forme le cœur des activités maritimes européennes. Il s’est, par exemple, manifesté dans les rôles de premier plan assumés par la France et le Royaume-Uni dans l’exécution de l'opération Atalanta. Notre patrimoine commun nous donne également un important rôle à jouer dans de nombreuses régions du monde. Par exemple, nous souhaitons développer notre coopération dans l'Atlantique, dans la ceinture tropicale qui s'étend du golfe de Guinée aux Caraïbes, et au début de cette année, le HMS PORTLAND et le FS BIROT ont opéré ensemble au large du Ghana. Et, comme la Libye l’a illustré avec force, les politiciens de nos deux nations reconnaissent l'utilité de la force militaire et ont été prêts à prendre des décisions difficiles quant au moment de sa mise en œuvre.
Cols Bleus : En pratique, l'OTAN est historiquement l'organisation de référence. Comment voyez-vous le positionnement de votre marine et du couple FR-UK dans les opérations maritimes de l'OTAN dont le commandement est désormais centralisé à Northwood? Quelle conséquence peut-on anticiper sur le développement d'une identité plus strictement européenne dans ce domaine?
CEMM : Il ne faut pas confondre but et moyens. L’OTAN est un moyen. Une force maritime européenne est un moyen. Ces moyens sont compatibles. C’est tout l’intérêt du standard commun, les procédures OTAN, qui permettent de relier différentes unités ou états-majors avec de faibles préavis. La question de l’objectif est quant à elle une question politique. C’est elle qui détermine les moyens qui sont mis en commun, et donc la coalition engagée pour arriver à ces objectifs. Il n’y a à mon sens pas de concurrence, mais bien une complémentarité.
FSL. : Ce qui est clair, c'est que, avec le rééquilibrage des États-Unis dans le Pacifique, notre principal partenaire stratégique attend de la Grande-Bretagne et de la France qu’elles convainquent les autres pays européens d’assumer conjointement le poids de la défense et de la sécurité en Europe et dans son voisinage. Au sens stratégique large, peu importe que nous agissions sous la bannière de l'OTAN ou de l'UE. L'effet stratégique obtenu sera le même. Par exemple, l'opération OCEAN SHIELD, une mission de l'OTAN, et l'opération ATALANTA, une mission de l'UE, ont toutes les deux le même objectif : tenir en échec l'anarchie que constitue la piraterie dans l'Océan Indien.
Nous partageons ce fardeau non seulement par notre participation aux opérations maritimes de l'OTAN et de l'UE, mais également par notre leadership au sein de l'OTAN. Cela signifie que nous partageons une « voix maritime » qui résonne à travers toutes les zones internationales de la planète. Le commandement maritime de l'OTAN en donne une bonne illustration, depuis que la France a rejoint la structure intégrée de l'OTAN, puisqu’il possède un commandant britannique permanent et un commandant adjoint français (tous deux au niveau 3*). Cela donne à nos deux marines une autorité professionnelle en partenariat dans les cercles maritimes de l'OTAN.
Cols Bleus : La France et le Royaume Uni entretiennent chacune une relation bilatérale forte avec l'US Navy pour des raisons historiques ou dictées par les circonstances de l'engagement opérationnel. Comment voyez-vous le binôme FR-UK dans ce jeu à 3?
CEMM : Chacun des trois pays entretient des relations fortes avec les deux autres. C’est effectivement le cas entre la marine nationale et l’US Navy. Nos frégates de défense aérienne se sont encore vues récemment confier la responsabilité de la défense aérienne de groupes aéronavals américains et vice-et-versa. L’estime mutuelle est donc très haute et l’interopérabilité très forte.
Ces interactions sont essentielles. Nos trois pays partagent des ambitions politiques mondiales et une même vision du rôle des océans dans leur défense. Il est donc nécessaire qu’ils puissent s’allier et s’appuyer les uns sur les autres.
La relation entre les marines française et britannique s’inscrit dans cette ligne.
FSL : Pour moi, c'est un exemple d’« un pour tous et tous pour un ». Notre relation mutuelle avec les États-Unis est un facteur critique qui rend possible la relation entre la France et le Royaume-Uni. Un exemple récent classique est le soutien apporté par les États-Unis dans certains domaines très pointus, par exemple, la surveillance des zones et les avions ravitailleurs au cours des opérations en Libye en 2011. Nos capacités sont imbriquées sur le plan opérationnel. Une bonne illustration serait une frégate ou un destroyer britannique déployé dans le cadre du groupe aéronaval français dans un théâtre d'opérations commandé par les États-Unis. Et, comme je l'ai déjà évoqué, à la suite de son rééquilibrage vers le Pacifique, les États-Unis attendent à la fois du Royaume-Uni et de la France que nos deux nations l’aident à assumer la charge de l'OTAN.
Cols Bleus : Amiral, pour terminer, quel est l'intérêt de votre marine à cette coopération bilatérale franco-britannique? Quels bénéfices en retirez-vous ?
CEMM : Essentiellement un intérêt opérationnel, notamment en cette période de crise économique qui tend à limiter le nombre de nos bâtiments et d’aéronefs. Il faut se serrer les coudes et essayer de multiplier les effets de nos différents outils.
Le tandem franco-britannique est un vieux couple, qui connaît des hauts et des bas. J’ai le sentiment que nous traversons une période favorable au développement d’une « Entente formidable », comme cela a été dit lors de la signature de Lancaster House. En quelque sorte, cette crise économique est une occasion de faire avancer encore cette entente de manière pragmatique. Saisissons-là !
FSL : Dans l'ère moderne, le partenariat et l'interopérabilité sont des précurseurs à une action d’envergure et de conséquence. C'est l’enjeu stratégique, et nous préparons aujourd’hui le mortier de l'interopérabilité pour cimenter ensemble les briques de notre partenariat.
Alors, si vous me demandez mon message global, ce sera le suivant : les accords de Lancaster House ont suscité une vague d'ambition, d’autorité et d’opportunité sur laquelle nous surfons maintenant ensemble. Cela signifie que j’attends avec impatience un partenariat toujours plus profond entre la Royal Navy et la Marine Nationale, pendant que nous développons nos structures, nos capacités et notre compréhension culturelle mutuelle afin d'être en mesure de travailler et de lutter plus efficacement aux côtés les uns des autres.