octobre 7, 2012 by Marquis Seignelay - alliancegeostrategique.org
La nouvelle a fait le tour du monde : le « porte-avions » de la Marine populaire de libération a été mis en service le 26 septembre 2012 ! Cette entrée du navire en service actif est l’occasion de proposer quelques petites choses pour tenter d’apprécier la portée de l’événement. Ce qui est surprenant, c’est que l’attention des médias a été focalisée sur l’entrée au service actif d’un navire qui n’est capable de rien, ou presque, sur le plan opérationnel : le poids de la puissance aéronavale chinoise embarquée sur pont plat n’est donc pas actuel. Bien au contraire, la période allant des années 2015 à 2025 semble constituer un tournant aéronaval dans le monde et c’est bel et bien cela qu’il faut préparer. D’autre part, rien n’a été dit sur le nom du navire alors que la Chine ne baptise pas ses unités les plus importantes à la légère. Bien souvent, ces noms sur la mer valent au moins un discours adressé au monde, si ce n’est plus.
La Chine vers la puissance aéronavale embarquée : des années 80 vers 2011
Hervé Coutau-Bégarie, dans l’un de ses ouvrages phares, « Le problème du porte-avions » (1991), abordait la question dans le chapitre II consacrait aux porte-aéronefs sous le sous-titre « les velléités chinoises » :
« On parle depuis le début des années 80 de l’acquisition de porte-avions par la marine chinoise : les premières rumeurs faisaient état de l’achat de 5 porte-aéronefs du type Invincible qui auraient été construits sous licence. L’intention chinoise d’acheter des Harrier a évidemment donné crédit à ces rumeurs. Mais cette évaluation des possibilités chinoises s’est révélée beaucoup trop ambitieuse et ce programme n’a reçu aucun commencement d’exécution en dehors de l’acquisition de la coque du Melbourne ferraillé par les Australiens : les ingénieurs chinois l’ont minutieusement examiné avant de commencer la démolition : ils en ont certainement tiré d’utiles enseignements, mais la technologie du Melbourne datait des années 50.
La marine chinoise n’a pas pour autant abandonné tout espoir d’acquérir des porte-aéronefs : le débat continue dans les revues navales, un auteur demandant la construction de porte-avions légers dans la première décennie du XXIe siècle, d’autres suggérant d’acheter aux États-unis l’un des deux Essex modernisés encore en réserve [27]. La conjoncture budgétaire et internationale semble rendre de tels projets chimériques, mais le besoin subsiste, notamment sur le flanc sud, face au Vietnam : les avions basés à Haïnan peuvent couvrir les îles Paracels, mais pas l’archipel des Spratley, situé beaucoup plus au sud, où Pékin a récemment entrepris de renforcer sa présence. D’après des rapports américains, dont les conclusions ont récemment été rendues publiques, l’état-Major de la marine chinoise aurait poursuivi des études dans deux directions : à long terme, un porte-avions classique de 48 000 tonnes, avec des avions conventionnels : l’amiral Zheng Mingh, directeur du matériel de la marine chinoise, aurait étudié de très près les rapports sur les essais du Tbilissi soviétique ; à court terme, la conversion d’un roulier en porte-aéronefs de fortune, sur le modèle de ce que la Royal Navy a réalisé avec l’Argus. Un navire actuellement armé par le ministère des communications, le Huayuankou, pourrait faire l’objet d’une telle transformation. Des entretiens sur ce thème ont eu lieu en avril 90 à Pékin [28]. Mais même un porte-avions modeste risque d’être hors de portée de la Chine au moment où l’économie connaît une dépression qui risque d’être durable et où le maintien de l’ordre passe au premier rang des missions des forces armées. La marine chinoise ne disposera pas de porte-avions avant le XXIe siècle ».
Le long périple de l’ancien Varyag
Un petit retour en arrière s’impose : « Racheté en [1998] au chantier ukrainien par l’intermédiaire d’un homme d’affaires chinois, la coque, à environ 70% d’achèvement, a été remorquée en 2002 à Dalian ». Il s’agit du Varyag qui est la seconde unité de la classe Kuznetsov et celle-ci ne compte pas d’autres navires. Il est question que la coque vendue à la Chine devienne un casino-flottant (un croiseur porte-aéronefs, le Kiev, tête de série de sa classe, a connu un tel destin en Chine. Un navire de la même classe, le Minsk, est devenu un musée).
Il y eu des chancelleries qui ne furent pas dupes de la finalité du projet puisque la Turquie bloqua le passage de ses détroits (des Dardanelles et du Bosphore). C’est à se demander si l’initiative d’Ankara n’avait pas été influencée. La coque eu alors quelques difficultés à quitter la mer Noire. Les détroits turcs ont la particularité d’être sous la juridiction de traités internationaux (comme, par exemple, la convention de Montreux, c’est une des formes de désarmement naval) qui prohibent le passage de navire porte-avions. Le pont plat quitte donc finalement l’Ukraine en 2001 et arrive en Chine, à Dailan, en 2002. Mais, le navire qui est livré n’est doté d’aucun engin de propulsion.
© Inconnu. Le porte-aéronefs Kuznetsov.
Porte-aéronefs et non pas porte-avions
Le Kuznetsov et l’ex-Varyag sont plus des porte-aéronefs que des porte-avions -et la différence est fondamentale. Première chose, les soviétiques les ont conçu comme des « croiseurs porte-aéronefs ». Il s’agissait de pouvoir s’affranchir de la convention de Montreux par un artifice juridique. Hors, Coutau-Bégarie le relevait, avec une certaine malice, dans le café stratégique numéro 4 consacré à la géostratégie maritime, quand il posait cette question : « avez-vous déjà vu un croiseur de 40 000 tonnes ? » L’auteur évoquait le cas des croiseurs porte-aéronefs de classe Kiev. A titre d’exemple, les croiseurs lance-missiles à propulsion nucléaire de la même classe que le Pierre le Grand déplacent 26 000 tonnes à pleine charge. Et pourtant, ce sont les derniers croiseurs de bataille du monde.
De plus, la stratégie navale soviétique s’appuyait sur des bastions. Ces zones, au nombre de deux, étaient sous la responsabilité des flottes du Nord et du Pacifique. Il s’agissait pour la marine russe de construire, par diverses actions opérationnelles, des zones interdites à toutes les menaces dans l’optique de sécuriser les vecteurs nucléaires (SNLE principalement) qui pouvaient y patrouiller.
Une parenthèse doit être ouverte car il est régulièrement évoqué la création d’une sorte de bastion en Chine autour de l’île de Hainan. Une base souterraine pour sous-marin y a été aménagée. Qui plus, le porte-aéronefs chinois pourrait être amené à y patrouilleur selon l’analyse de quelques personnes afin de protéger cette zone, le flanc sud de la Chine, qui est assez vulnérable. Coutau-Bégarie relevait déjà cet état de fait au début des années 90. Parenthèse refermée.
Donc, il y avait nécessité de navires de défense aérienne car l’attaque anti-navires se faisait par avions à long rayon d’action (Tu-95 et 142, par exemple) et croiseurs sous-marins lance-missiles à propulsion nucléaire (les fameux Oscar I et II dont le Koursk était l’un des représentants). En outre, il n’y avait pas de projection de puissance dans la doctrine navale russe car elle était essentiellement défensive.. Mais pas seulement, soit dit en passant puisque la doctrine navale soviétique des années 70 et 80 prévoyait de mener une guerre des communications contre les routes alliés à partir des différentes bases avancées de l’URSS dans le monde. Alors, ces deux navires (ainsi qu’une classe de quatre autres croiseurs porte-aéronefs : les Kiev) sont des croiseurs lance-missiles en tout premier lieu. Le navire tête de série, le Kuznetsov qui est en service dans la Marine russe, permet d’appréhender la chose. Ils (exemple de la classe Kuznetsov) ont donc :
- une batterie principale composée de missiles : « 12 missiles anti-navires SS-N-19 Shipwreck (« Granit » de 555 km de portée) situés sous le pont d’envol au milieu de la piste (la phase de tir interromprait donc les opérations aériennes). La défense anti-aérienne du bâtiment est assurée par 4 groupements de 6 silos à 8 missiles surface-air SA-N-9 (15 km de portée), 4 systèmes anti-aériens CADS-N-1 (2 canons de 30mm et 8 missiles SA-N-11 -8 km de portée- chacun) et 6 canons anti-aériens multitubes de 30mm. Deux lance-roquettes anti sous-marins complètent le tout » ;
- et d’une batterie secondaire qui repose sur un groupe aérien embarqué : « Le groupe aérien du Kouznetsov se compose généralement de trente aéronefs dont des chasseurs embarqués Su-33, des avions d’entraînement Su-25UTG et des hélicoptères anti sous-marins Ka-27, de guet aérien Ka-31 et de transport d’assaut Ka-29. A l’origine, il était également prévu d’embarquer des chasseurs à décollage vertical Yak-141 Freestyle avant abandon du programme à la chute de l’URSS. Le Mig-29K a quant à lui été testé mais n’a pas été retenu face au Su-33« .
Le problème pour la Chine, c’est que le navire a été livré sans sa batterie principale. Cette dernière prend une place considérable à bord, ce qui fait que le groupe aérien est plutôt limité (30 machines, officiellement) par rapport au tonnage du navire (60 000 tonnes, contre 32 aéronefs et 40 000 tonnes pour le Charles de Gaulle). Le vaisseau n’est pas non plus optimisé, à l’origine, pour les opérations aériennes puisqu’il fallait composer avec un navire hybride (croiseur/porte-aéronefs) avec deux batteries aux solutions architecturales presque contradictoires.
CATOBAR versus STOBAR
De plus, les deux navires russes (et six avec les quatre Kiev) relèvent de la filière aéronavale des STOBAR (Short take-off but arrested recovery). C’est-à-dire que les aéronefs à voilure fixe décollent à la seule force de leur réacteur et avec l’aide d’un tremplin et ils reviennent apponter sur le navire avec l’aide de brins d’arrêt. Il n’y a pas de catapultes et c’est une différence vraiment fondamentale d’avec la filière CATOBAR (Catapult Assisted Take Off Barrier Arrested Recovery) qui compte comme seuls membres les Etats-Unis, la France et le Brésil. Si la filière STOBAR simplifie l’architecture des navires, elle implique que l’avion embarqué soit inférieur en performances à son homologue terrestre. La chose est simple à constater : un Su-33 qui décolle du Kuznetsov ne le fait pas avec son plein chargement de munitions et de carburant, comme il aurait pu le faire depuis une base terrestre. La masse maximale de l’appareil est de 33 tonnes. A contrario, et avec la filière CATOBAR, un Rafale qui est catapulté du Charles de Gaulle a les mêmes performances que celui de l’Armée de l’Air qui décolle d’une base terrestre : ils sont tout les deux aussi chargés. Sauf que le Rafale M est catapulté, à l’heure actuelle, avec une masse maximale de 21 tonnes. Cette symétrie des performances entre l’avion catapulté et son homologue terrestre est vraie dans l’US Navy depuis les années 50. Dans la pratique, cela aboutit à ce que le groupe aéronaval CATOBAR ait une portée très supérieure au groupe aéronaval STOBAR.
Une refonte modeste pour l’entrée en service
Si l’ex-Varyag arrive finalement en Chine en 2002, il n’entre en cale sèche qu’au cours de l’année 2005. Ce long retard reste à expliquer : était-ce pour cacher la finalité de l’opération ? Les deux porte-aéronefs musée et casino ne suffisaient-ils pas pour faire illusion ?. Finalement, le navire ne quitte sa cale que pendant l’année 2011.
6 années de travaux, c’est à la fois beaucoup et à la fois très peu. Il fallait, au moins, motoriser le navire. Par la suite, les chinois l’ont un peu adapté à leurs besoins, comme c’est expliqué par Mer et Marine :
« Doté de matériels chinois en plus de ses équipements d’origine russe, l’ex-Varyag, qui devrait porter le nom de Shi Lang, mesure 304 mètres de long et affiche un déplacement lège de 46.000 tonnes, son déplacement à pleine charge étant estimé à environ 60.000 tonnes. Doté à l’avant d’un tremplin incliné à 12 degrés, il disposera comme le Kuznetsov d’une piste oblique avec brins d’arrêt. Par rapport à son aîné, divers aménagements ont été réalisés. Ainsi, la capacité du hangar aurait été augmentée, pour permettre à cet espace d’accueillir 22 avions, contre 18 suivant les plans originaux. Le groupe aérien embarqué du Shi Lang devrait comprendre des avions multi-rôles J10 et des intercepteurs J15, version chinoise du Su-33 russe. On rappellera d’ailleurs que Moscou a suspendu la livraison de 50 Su-33 après avoir découvert que le chasseur avait été copié par les Chinois. Il conviendra également de voir comment sera traitée la problématique de l’alerte lointaine, indispensable pour tout déploiement aéronaval lointain, alors que la marine ne dispose d’aucun avion de guet aérien embarqué ».
Il semblerait que la batterie principale n’ait pas été renouvelée. Mais les chinois n’auraient pas mené les travaux nécessaires pour optimiser les opérations aériennes à bord du navire. Ainsi, la Russie refond actuellement l’ancien Gorshkov, navire de la classe Kiev, pour l’Inde. Donc, à titre de contre-exemple par rapport aux travaux menés sur le frère jumeau du Kuznetsov, le Liaoning de la marine chinoise, voici l’ampleur de la refonte Gorshkov : « Long de 283 mètres pour un déplacement de 45.000 tonnes en charge, le porte-avions, qui sera rebaptisé Vikramaditya, mettra en œuvre 20 avions MiG-29 K et 12 hélicoptères ». Le Su-33 a beau être légèrement plus grand que le Mig-29K, il y a 12 aéronefs d’écart entre les deux navires. Tout est relatif puisque la place à bord des BPC français pour les hélicoptères le montre, mais c’est à relever.
© Inconnu. L'INS Vikramaditya, porte-aéronefs refondu par la Russie et qui doit être livré en 2013 à l'Inde.
Un navire d’essais, d’expérimentations et d’apprentissage des arts aéronavals
Le navire sert donc à pratiquer de nombreux essais à la mer depuis 2011, et il a surtout fait l’objet d’une mise en service, plutôt que d’une refonte aussi ambitieuse que celle choisie par l’Inde pour un autre croiseur porte-aéronefs.
Pékin présente son porte-aéronefs (puisque ce n’est pas un porte-avions) comme un navire-école. Il y a un décalage entre ce qui se passe en Asie et ce qui est perçu dans divers endroits de l’Occident. Ce décalage en sera que plus dommageable pour ceux qui perçoivent très mal la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises.
Dans un premier temps, l’apprentissage de l’outil aéronaval fondé sur un porte-aéronefs sera très long pour la Chine. Comme le faisait remarquer Coutau-Bégarie, il est nécessaire de distinguer deux notions différentes :
- le groupe aérien embarqué, qui va de paire avec le navire porte-aéronefs ou porte-avions,
- le groupe aéronaval.
Groupe aérien embarqué incomplet
Le groupe aérien embarqué n’est pas une notion qui va de soi. Par exemple, dans le colloque du CESM consacré au centenaire de l’aéronautique navale française, Coutau-Bégarie notait qu’il avait fallu attendre les porte-avions Foch et Clemenceau pour que la notion s’impose en France. Entre temps, bien des compétences qui avaient été acquises depuis le début de la guerre d’Indochine jusqu’à la Crise de Suez avaient été perdues. Les chinois peuvent difficilement passer à côté d’une telle unité organique qui permet de générer, diffuser et de régénérer les compétences opérationnelles.
Pékin a pris les devants. D’une part, la Chine a conclu un accord aéronaval avec le Brésil, en 2010, relatif à la formation des futurs pilotes embarqués chinois. D’autre part, il y a de nombreuses installations terrestres en Chine qui permettent le début de la formation du groupe aérien embarqué et des personnels méconnus mais ô combien indispensables pour sa mise en œuvre (rien que la gestion du pont d’envol est tout un art).
La marine chinoise bénéficierait d’une très bonne préparation avant de percevoir son navire-amiral : mais la pratique sur le porte-aéronefs demeure indispensable…
De plus, si la Chine prépare la constitution d’un groupe aérien embarqué et sa mise en œuvre à la mer sur son pont plat, il est à noter que ce groupe est incomplet. Par exemple, il n’y a pas d’aéronefs dédié à l’éclairage de l’escadre ou à la coordination et au soutien des activités aériennes (comme le relevait Mer et Marine dès 2011). Ce groupe est donc sans aéronef de guet aérien (AEW dans la terminologie anglo-américaine) et c’est un manque crucial car c’est l’absence de ce genre d’appareils qui a coûté bien des pertes aux anglais lors de la guerre des Malouines (sans compter qu’il semblerait que la Royal Navy ait été incapable de débusquer et suivre le 25 de Mayo, le porte-avions Argentin -il rentrera au port de lui-même après le torpillage du croiseur argentin Belgrano). Pékin préparerait diverses solutions pour palier au problème : des hélicoptères d’alerte lointaine auraient été développés pour le ou les porte-aéronefs et un avion de guet aérien serait également en développement… Par ailleurs, à quoi peut bien servir un tel appareil, si ce n’est pour équiper un porte-avions dotés de catapultes ?…
C’est sans oublier les hélicoptères de sauvetage qui sont, eux aussi, indispensables pour parer à toutes les éventualités. De même que les hélicoptères logistiques sont nécessaires pour faire durer le navire à la mer grâce aux liaisons qu’ils permettent de faire rapidement entre navires et entre l’escadre et la terre.
© Wendell Royce McLaughlin Jr. Planes of Carrier Air Wing 7 (CVW-7) fly by USS George Washington (CVN-73) during the ship's maiden deployment to the Mediterranean and Persian Gulf, May 20–November 17, 1994. Official US Navy photograph. Le CVN 73 George Washington est aujourd'hui prépositionné au Japon. Sur cette photographie, le groupe aérien embarqué était au grand complet : intercepteurs (F-14C Tomcat), chasseurs-bombardiers (F/A-18 Hornet), bombardiers (A-6 Intruder), avions de guerre électronique (EA-6B Prowler) et de guet aérien (E-2C Hawkeye).
Absence de groupe aéronaval chinois
Outre le couple porte-aéronefs/groupe aérien embarqué, il faut pouvoir l’escorter. Ce n’est pas une mince affaire que d’articuler une base aérienne flottante (tout comme il faut protéger une base aérienne déployée à l’étranger… ou en France !) avec, au moins, un escorteur dédié à la lutte anti-sous-marine et un autre à la lutte anti-aérienne. Ainsi, il est impensable de nos jours de déployer un porte-aéronefs ou un porte-avions sans sous-marin nucléaire d’attaque pour assurer sa protection (sauf quand la nation détentrice du pont plat ne possède pas de SNA, mais alors elle déploie rarement son porte-aéronefs de manière indépendante). C’est l’escorte minimale pour protéger le porte-aéronefs. En la matière, il est difficile de dire que la SNA regorge de SNA (une demi-douzaine) par rapport au nombre de sous-marins classiques qu’elle met en œuvre. Mais le « hic » est que, historiquement, le sous-marin diesel-électrique est inapte à escorter une escadre.
Et c’est sans compter sur le nécessaire train logistique pour faire durer le navire à la mer : il faut autant ravitailler le pont plat que ses aéronefs que son escorte. Tout comme l’escorte doit pouvoir être relevé si besoin est par de nouveaux navires. Cela implique d’avoir une flotte de surface bien dimensionnée par rapport au besoin -même si le navire n’est pas destiné à être projeté loin de sa base. Par exemple, quand le Charles de Gaulle œuvrait au Sud du port de Toulon, l’escorte de SNA était insuffisante.
Le porte-aéronefs chinois se prépare à entrer en service depuis l’année 2011 : c’est-à-dire que son équipage prend en main le navire et le porte vers l’état opérationnel en qualifiant les systèmes les uns après les autres. Si le navire est livré en fin d’année 2012 (le 23 ou le 25 septembre, peu importe), c’est qu’il aura fallu au moins une année pour le prendre en main depuis ses premiers essais à la mer.
Dans le même temps, le navire a commencé les essais aéronautiques dont les objectifs sont autant de qualifier les hommes que les machines et l’intégration des deux aussi bien sur le pont d’envol que dans les airs. Il faudra probablement une bonne année pour prendre en main tout cela.
Mais il faudra encore une bonne année, si ce n’est plus, pour adjoindre au pilier du groupe aéronaval son escorte et un train logistique efficace. La Chine s’est essayé à la projection de forces à l’occasion des opérations de lutte contre la piraterie au large de l’Afrique. Si le fait de déployer quelques frégates dans le temps au large de la Corne de l’Afrique peut passer pour un effort « modeste » et « non-alarmant » sur la puissance navale chinoise, il faut bien comprendre que Pékin fait dans ce cadre ses armes pour projeter loin de ses côtes des unités navales…
Enfin, il sera intéressant d’observer comment la Chine couplera sa force aéronaval terrestre constitué d’appareils d’attaque à long rayon d’action avec son groupe aéronaval : complémentarité ou rivalité ?
Groupe Aéronaval Chinois (GAC) : vers 2022 ?
Bernard Prézelin, l’auteur actuel de « Fottes de combat », estimait en 2011, que cinq année, au minimum, serait nécessaire à la Chine pour construire un groupe aéronaval crédible (par rapport à ce qui se faisait pendant l’opération Harmattan). Il faudra certainement quelques années de plus car il sera nécessaire à la marine chinoise d’apprendre de nombreux exercices, voire d’interventions militaires. Par ailleurs, il est bon de noter que la Chine semble développer une coopération aéronavale avec le Brésil : est-ce que ce sera la seule ?
Dire que le groupe aéronaval chinois ne sera crédible que vers l’an 2022, ce n’est ni exagéré, ni une sous-estimation. La Chine se donne les moyens de préparer l’aventure avant la perception du navire afin de gagner du temps sur les enseignements à tirer de la mer. Elle parviendra à construire l’outil qu’elle ambitionne de se doter, à n’en pas douter. Donc, il serait surfait de craindre que le navire puisse actuellement, et dès sa livraison (comme s’il pouvait être livré « prêt à l’emploi en guerre »), être la pièce maîtresse d’un dispositif naval offensif.
Un outil pour la guerre des archipels ?
Coutau-Bégarie proposait une utilité au futur navire porte-aéronefs ou porte-avions chinois en 1991 : « La conjoncture budgétaire et internationale semble rendre de tels projets chimériques, mais le besoin subsiste, notamment sur le flanc sud, face au Vietnam : les avions basés à Haïnan peuvent couvrir les îles Paracels, mais pas l’archipel des Spratley, situé beaucoup plus au sud, où Pékin a récemment entrepris de renforcer sa présence ». C’est une possible utilisation du navire, qu’il serve d’école ou non, qui a encore été avancé cette année. Si les tensions qui règnent entre le Japon et la Chine autour de l’archipel des Senkaku focalisent aujourd’hui l’attention, elles ne doivent pas faire oublier les conflits territoriaux qui perdurent sur le flanc sud de la façade maritime chinoise.
Un navire bien encombrant pour la diplomatie navale chinoise ?
C’est sur le plan de la diplomatie navale que le navire produit ses premiers effets car il est l’objet du fantasme d’une « Chine impéraliste ». Tout du moins, il montre que la Chine entend aussi projeter sa puissance aérienne par la voie des mers, au moins au large de ses côtes.
Mais en attendant le nécessaire apprentissage, il n’est pas un instrument de combat, ce qui va compliquer les bénéfices politiques à retirer de ses croisières. Cela pourrait même fragiliser sa position : un navire inapte au combat ne va pas dans un théâtre d’opérations où pourrait se dérouler des actions offensives de moyenne ou haute intensité. Et donc, le moral chinois pourrait recevoir un coup terrible en cas de crise régionale puisque le fleuron de la flotte resterait au port ou loin des combats, dans une sorte de « fleet in being« . La diplomatie navale peut être à double tranchant.
© Inconnu. Maquette de porte-avions nucléaire soviétique, l'Ulyanovsk, qui était construit à 20% lors de la chute du mur de Berlin. Il a été déconstruit sur cale par la suite. Il pourrait inspirer le projet 085 chinois.
Deux porte-aéronefs et un porte-avions supplémentaires à percevoir pour la Marine chinoise ?
Le décalage entre la situation opérationnelle du porte-aéronefs chinois d’aujourd’hui et la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises dissimulent ce qui pourrait se passer en 2022. Ce navire demeurera très certainement un navire-école (tout comme il sera le centre d’un groupe aéronaval école, à vrai dire) car tant qu’il flottera, il sera une inappréciable source d’enseignements opérationnels pour la Chine. Si jamais il devait ne plus naviguer pour bien des raisons, alors ce serait autant de temps perdu.
Mais si Pékin tient son calendrier, alors la marine chinoise pourrait sereinement faire entrer en service d’autres porte-avions à partir de 2022. Deux projets seraient actuellement menés en Chine :
- le projet 085 : « Les autorités chinoises envisageraient la réalisation d’un porte-avions à propulsion nucléaire. Ce grand bâtiment de 93.000 tonnes pourrait être mis en service à l’horizon 2020 [...]. En ce qui concerne le porte-avions nucléaire, sa conception et sa réalisation pourrait être confiées aux chantiers Jiangnan, près de Shanghai. Ses dimensions seraient très proches de celles de l’ex-porte-avions nucléaire russe Ul’yanovsk, soit plus de 300 mètres de long. Mis sur cale à Nikolaev en fin 1988, ce navire avait été finalement démoli en 1992, alors que sa coque était à 20% d’achèvement ».
- Le projet 089 qui compterait deux navires : « Les autorités chinoises envisageraient la réalisation d’un porte-avions à propulsion nucléaire [...] viendrait compléter le dossier « 089 », portant sur la construction dans les 5 à 8 ans [à partir de 2007] de deux porte-avions classiques de 64.000 tonnes. Dotés de deux catapultes, ils pourraient mettre en oeuvre 30 à 40 avions J-10. Ces bâtiments seraient dérivés du Varyag, le sistership non achevé du porte-avions russe Kuznetzov ».
Les équipages du premier groupe aéronaval auront constitué le noyau dur de la puissance aéronavale chinoise. C’est à partir de ce noyau qu’elle grandira. Les actuelles agitations autour de la livraison du navire font oublier le fait que bien des échos annoncent la construction de porte-avions en Chine. S’ils étaient livrés en 2022, alors la Chine ferait un pas de géant dans le club des puissances aéronavales.
C’est cet accroissement soudain de la puissance aéronavale chinoise à l’horizon des années 2020 que peuvent craindre les nations asiatiques.
Le temps long de la construction hauturière de la marine chinoise est bien adapté à celui de la mer qui est, aussi, un temps long, Pékin pourrait prendre de vitesse bien des rivaux. Il doit être clair pour tout le monde que l’acquisition d’un porte-avions et sa préparation pour qu’il devienne la pièce centrale d’un outil stratégique relève du long terme puisque :
- quelques années sont nécessaires pour concevoir le navire dans un bureau d’études.
- La durée de construction généralement constatée d’un tel navire et pour l’armer de tout ses systèmes est de 5 à 7 ans.
- Enfin, 5 à 10 ans années sont nécessaires pour le transformer en un outil opérationnel (à force d’entraînements et d’échanges avec les marines alliés) capable d’opérer avec un groupe aéronaval.
Nous sommes en 2012, et autant dire que si, effectivement, la Chine construit une escadre école pour accueillir deux porte-aéronefs de plus, et avec, peut être, le premier porte-avions (à propulsion nucléaire) sur la tranche des années 2020-2025, alors elle prendra bel et bien toute l’Asie du Sud-Est de court.
Développement horizontal de la puissance aéronavale en Asie
Ce n’est pas vraiment une projection saugrenue puisque :
- les programmes indiens d’acquisition de porte-aéronefs accumulent les retards : les navires (un, voire deux Air Defense Ship/Indigenous Aircrafts Carrier et l’INS Vikramaditya (ex-Gorshkov soviétique) n’arriveraient en flotte en 2013 (Vikramaditya) et les deux autres vers 2017-2020. Actuellement la marine indienne ne met en œuvre que l’INS Vikrant, navire qui accuse son âge.
- La Russie maintient le Kuznetsov en service, mais elle n’a pas encore retrouvé les capacités nécessaires pour le remplacer, voire augmenter sa flotte de ponts plats. La démonstration la plus flagrante de cet état de fait est que la Chine aura réussi l’exploit de refondre et mettre au service un ancien porte-aéronefs soviétique (classe Kuznetsov) avant que Moscou réussisse à en faire de même pour honorer le contrat d’acquisition passé par l’Inde pour un autre ancien porte-aéronefs soviétique (le Gorshkov, donc, de classe Kiev). Mais Moscou devrait percevoir un second porte-avions (en plus de ses deux premiers BPC et de son Kuznetsov qui serait alors toujours en service) vers 2020 et ils seront complétés par les modernisations et réactivations des croiseurs lance-missiles classe Pierre le Grand.
- la Corée du Sud aura toujours ses trois Dokdo (et pourquoi pas des F-35B à mettre dessus?).
- Le Japon aura alors au moins quatre porte-aéronefs (avec, peut être, des F-35B, même si Tokyo dit ne pas s’y intéresser à l’heure actuelle) : les deux destroyers porte-hélicoptères 16DDH et deux autres navires de ce type, mais plus volumineux et grands : les deux 22DDH.
- Les Etats-Unis auront toujours un porte-avions basé au Japon, en sus des autres naviguant de la mer d’Arabie jusqu’au Pacifique en passant par l’océan Indien (soit trois navires autour du Rimland, en plus du navire basé au Japon).
Dans une telle mêlée, deux ou trois porte-aéronefs et porte-avions chinois en plus de l’actuel, ce n’est pas difficile à justifier.
Le problème naval américain ?
Il demeure donc essentiellement les Etats-Unis dans la région pour contre-balancer la puissance navale chinoise en devenir, et dans une moindre mesure, l’Inde. Ils sont directement impactés par le potentiel défi et cela ne fait qu’accentuer leur problème naval : avec un navire stationné au Japon, un ou deux patrouillant dans le Golfe Persique et un autre faisant la jonction entre l’océan Indien et l’Asie du Sud-Est, il n’y a pas tellement de navires américains face à un, deux ou trois, voire quatre ! (à l’orée 2020) navires chinois jouant à domicile. Les navires de la marine de l’armée populaire de libération ont cet avantage d’être directement sur zone quand les navires américains passent un bon tiers de leur temps en transit.
Si Pékin armait deux, trois ou quatre porte-aéronefs et porte-avions entre 2020-2025, que feront les Etats-Unis qui disposent, en moyenne, d’autant de porte-avions dans la zone ? Les valeurs respectives des groupes aéronavals de chacun ne seront pas les mêmes, certes. Mais comment se posera le problème naval américain si Pékin allait jusqu’à lancer un porte-aéronefs ou porte-avions de plus que ce que peuvent aligner les Etats-Unis dans la zone ? C’est une chose que l’URSS n’avait pas osé faire : dépasser quantitativement l’US Navy dans la projection de puissance via les ponts plats. D’un autre côté, et à moins d’un affrontement de haute intensité, la Chine pourrait rapidement se convertir à la « diplomatie du porte-avions » et donc envoyer ses porte-avions faire sentir l’influence de Pékin dans toutes les zones jugées stratégiques par la capitale chinoise.
© Inconnu. Repris sur le site de DSI : "Une vue d’artiste tirée d’internet et montrant le 22DDH, nouveau type de « destroyer porte-hélicoptères » aux côtés d’un Hyuga. La JMSDF japonaise, qui devait recevoir 4 Hyuga, a décidé que les deux derniers bâtiments seraient substantiellement plus gros (plus de 24 000 tonnes contre 18 000 pour les Hyuga) et plus long (248 m, largeur de 39 m). Tokyo n'a toutefois pas encore montré d’intérêt pour le F-35B".
Des noms de navires pour l’ambition
C’est justement la volonté des Etats-Unis qui est mesurée par Pékin.
Sur le plan naval, il faut bien comprendre que la Chine ne donne pas, par hasard, des noms à ses navires. Par exemple, le navire-école chinois qui sert à former les officiers d’une marine océanique en construction porte un nom bien particulier : le Zheng He. C’était aussi le nom d’un amiral chinois du XIVe siècle. La particularité de ce marin est qu’il est soupçonné d’être l’un des premiers à avoir découvert l’Amérique du Nord dès le XIVe siècle (mais d’autres pistes portent à croire que ce serait une découverte viking qui daterait du Xe siècle -l’Europe est sauvée). Mais plus encore, du temps de cet amiral, la marine chinoise était une force océanique capable de croiser depuis la Chine jusqu’au Golfe Persique et de soumettre ces côtes à l’influence chinoise.
Dans un premier temps, donc, ce premier porte-aéronefs chinois etait baptisé « Shi Lang« . C’est le nom d’un amiral chinois qui servit sous les dynasties des Ming et des Qing, soit au XVIIe siècle. Une des réussites militaires de cet amiral a une résonance toute particulière, encore aujourd’hui : il réussi à soumettre l’archipel de Taiwan. Donc, et alors que Pékin niait toujours, pour la forme, que l’ancien Varyag soviétique allait devenir un navire militaire, il était attribué d’un nom à la symbolique très forte. Il semblait bien trouvé puisqu’il permettait à Pékin de matérialiser une volonté politique très forte de faire entendre raison à cet archipel pour qu’il rejoigne « une seule Chine, deux systèmes » -ou trois systèmes pour l’occasion. C’était une réaffirmation politique qui aurait fait écho à bien des discours. Mais c’était aussi un risque calculé car si la Chine montait progressivement d’un cran dans le cadre de cette crise larvée, elle le faisait très progressivement sans déstabiliser la région. Les Etats-Unis auraient alors reçu très clairement le message puisque l’archipel de la Chine nationaliste est sous leur protection (bien que Washington évite de franchir des lignes jaunes en accordant une trop grande protection aux yeux de Pékin – autre chose à noter, les Etats-Unis se méfient, peut être trop tard, de la réussite chinoise à espionner les matériels américains vendus à Taiwan, ce qui pourrait expliquer quelques lenteurs à la livraison de matériels).
Mais ce n’était qu’un nom de baptême officieux : rien de rien n’était officiel.
C’est bien dommage, dans un sens. Il a été dit que bien des esprits se focalisent (trop ?) sur les capacités supposées du navire. Sans paraphraser ce qui a été dit plus haut, ce porte-aéronefs n’est pas la pièce d’un groupe aéronaval opérationnel. C’est la pièce maîtresse de la montée en puissance de la Chine dans le club fermé des marines dotées d’une aéronavale embarquée sur porte-aéronefs ou porte-avions. Ce qui aurait dû retenir l’attention, c’est le nom du navire. Première observation, c’est le nom de la province il a été refondu et mis en service : Liaoning. Et alors ? Il y a bien un porte-avions Charles de Gaulle qui était baptisé Bretagne au début de son programme en France et la première frégate du programme FREMM qui est nommée Aquitaine. Deuxième remarque : la Chine ne semble jamais donner un nom à un navire de premier plan à la légère…
La troisième remarque n’est que le fruit de la supposition de l’auteur : Liaoning, ce nom n’est pas inconnu dans nos manuels d’Histoire. Liaoning est donc le nom d’une province chinoise. Cette entité administrative abrite une ville, Dailan, où a été refondu et mis en service le navire. La capitale de cette entité territoriale est Shenyang. Le nom mandchou de cette ville est « assez intéressant » : Moukden. En 1931, l’empire du soleil levant organise un faux attentat sur une ligne de chemin de fer appartenant à une société japonaise. Cet « attentat » (il est avéré aujourd’hui que c’est bien le Japon qui l’avait monté de toutes pièces) a été le prétexte pour Tokyo pour occuper la Mandchourie. La suite de l’Histoire est connue : la Chine côtière fut en grande partie soumise par les armes japonaises, et ce fut un massacre parmi les chinois. Aujourd’hui encore, Pékin exige des excuses du Japon et la fureur populaire chinoise explose à chaque fois que cette période est minimisée au Japon, comme quand un manuel scolaire japonais restait bien « modeste » sur cette période.
Il faudrait donc admettre que le nom du premier porte-aéronefs chinois ait été effectivement choisi en liaison avec cet événement historique qui inaugurait une période noire pour la Chine. Les gouvernements successifs de Pékin, depuis la proclamation de la République Populaire de Chine, s’acharnent à démonter, les uns après les autres, les traités « inégaux » que la Chine aurait eu à signer au XIXe siècle (essentiellement). Cette fois-ci, la Chine pourrait (ce n’est qu’une supposition) adresser un message très fort au Japon : il y a des contentieux à régler, et cela ne peut plus se faire sur des bases que les gouvernants chinois jugent ou jugeraient inéquitables. Pékin afficherait alors une ligne géopolitique constante, mais renouvellerait également sa volonté par cet acte fort.
Dans le cadre de cette supposition, ce n’est plus seulement l’archipel nationaliste et rebelle qui est visé, mais c’est bien le Japon. Le protecteur stratégique est le même dans les deux cas. Ce ne serait pas du tout la même chose entre la réintégration de Taiwan dans le giron chinois et le lâchage du Japon par les Etats-Unis :
- d’un côté, il y a un archipel qui est divisé entre indépendantistes et un autre camp plutôt désireux de se rapprocher de la Chine (ce qui ne veut pas dire rattachement pur et simple). Si la pression des armes chinoises se fait sentir, la porte n’est pas non plus fermée à une solution politique.
- De l’autre côté, il y a le Japon. L’archipel dépositaire de l’empire du soleil levant est sous protectorat américain depuis 1945.
La sécurité nationale japonaise repose sur la volonté des Etats-Unis à rester suffisamment engagé en Asie pour défendre et leurs intérêts, et l’archipel. Si donc le message de la Chine passe par ce navire, dont le nom ferait référence à l’incident de 1931, alors un défi est lancé au Japon et aux Etats-Unis.
La Chine fait sentir sa présence navale, via ses agences paramilitaires, le long de ses côtes à travers tout les archipels et îlots qui font l’objet d’une crise larvée depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies (Taïwan donc, mais aussi les Senkaku, Paracels et les Spratleys). Ces confrontations navales qui se font via des forces civiles ou paramilitaires font craindre l’engagement des marines de guerre des pays concernés. Par son porte-aéronefs, Pékin pourrait (conditionnel, toujours) faire savoir que, à l’avenir, la volonté de la Chine est suffisamment forte pour engager un ou deux autres porte-aéronefs supplémentaires, voire un porte-avions nucléaire. Il y a donc un défi militaire qui est lancé. Le Japon a d’ores et déjà lancé deux destroyers porte-hélicoptères (16DDH) et devrait percevoir dans les prochaines années deux autres navires porte-hélicoptères (les deux destroyers 22DDH, notoirement plus grands). La question qui est posée aux Etats-Unis est celle de la volonté :
- est-ce que Washington relève le défi chinois et reste partie prenante dans les différentes crises qui secouent le Sud-Est asiatique, notamment et surtout les crises territoriales ?
- Ou bien est-ce que la stratégie d’engagement prioritaire en Asie décrétée par les derniers gouvernements américains (dont celui d’Obama) n’est pas subordonnée à une volonté politique suffisamment solide ?
Pékin fait sentir sa détermination, notamment, et pas seulement, par le poids de son engagement naval. Alors soit les Etats-Unis répondent présent et l’US Navy s’engage encore plus en Asie, soit le Japon et les autres nations asiatiques se retrouvent en tête-à-tête avec la Chine. A ce moment là, les modalités d’un équilibre des puissances entre elles seront tout autre avec une présence américaine en reflux.
Cette supposition sur le choix du nom du porte-aéronefs chinois demeure une supposition. Il est certain que la Chine ne choisit pas au hasard le nom de ses plus importantes unités navales qui constituent le fondement de sa puissance de demain. Si c’est une manière de tester la volonté politique américaine, alors la réponse façonnera pour beaucoup les équilibres géopolitiques des 20 ou 30 prochaines années. Dans ce cadre, l’Europe ne peut que s’attendre à un seul cas de figure : un désengagement américain encore plus grand du Vieux continent. Effectivement, il faut noter que :
- si les Etats-Unis relèvent le défi asiatique jusqu’au bout en continuant à construire un front d’opposition à Pékin, alors les américains auront besoin de la majorité de leurs forces disponibles dans le Pacifique, et cela se fera certainement au détriment de l’Europe (qui investit beaucoup moins sur le plan militaire que le reste du monde).
- Mais si les Etats-Unis abdiquaient face à Pékin et abandonnaient la stratégie de containment de la Chine dans le Pacifique, alors pourquoi est-ce que les Etats-Unis s’investiraient-ils en Europe ?!
L’arrivée du Liaoning au service actif peut signifier un outil supplémentaire dans les mains de Pékin pour intervenir dans les crises territoriales qui secouent la façade chinoise. Mais c’est un outil à double tranchant dans le cadre de la diplomatie navale car ce navire pourrait être un poids bien encombrant pour Pékin puisqu’il n’a pas de valeur opérationnelle. Par contre, la Chine lance deux défis à l’Asie, aux Etats-Unis et à ceux qui ambitionnent de compter dans les affaires du monde : d’une part, le nom du navire pourrait indiquer que Pékin entend disputer, à travers le Japon, le statut des Etats-Unis comme première puissance asiatique, mais exogène. D’autre part, que ce défi supposé réussisse ou non, la Chine pourrait être amené à faire rapidement, sur la période allant de 2015 à 2025, un saut quantitatif et qualitatif dans sa puissance aéronavale. Et ce défi là, il sera très difficile à contourner.
Pendant ce temps là, en France, le second porte-avions et le remplaçant du Charles de Gaulle se font attendre… Que sera la puissance aéronavale française dans le contexte des années 2020 et du défi chinois ?