C'est un exercice comme il s'en déroule des centaines chaque année qui est à l'origine de l'une des pires tragédies militaires en dehors des théâtres de guerre. Lundi, à 15 h 18, un avion de chasse F-16, piloté par deux capitaines grecs, doit s'élancer de la base aérienne d'Albacete, au sud-est de l'Espagne. Ce site est depuis cinq ans le centre de formation et de perfectionnement régulier de centaines de pilotes et de techniciens. Selon le récit des autorités militaires, le F-16 manque de puissance pour décoller et s'écrase contre la zone de parking des avions. Au moins cinq appareils partent en flammes. À leurs côtés, les militaires français et italiens qui attendaient pour décoller.
Le lourd bilan fait état d'onze morts. Huit Français et les deux pilotes grecs meurent sur le coup. Un neuvième Français a succombé mardi matin des suites de ses blessures. Neuf autres Français et onze Italiens ont aussi été blessés dans l'accident, la plupart pour des brûlures ou l'inhalation de fumée. Cinq ont dû être transférés à l'unité de grands brûlés de l'hôpital de La Paz, à Madrid, à 250 km des lieux du drame. L'incendie qui a suivi le crash ressemblait à une souricière. Les pompiers ont mis plus d'une heure à éteindre les flammes. «J'ai vu passer des dizaines de camions!», témoigne ainsi le pompiste d'une station-service située aux abords de la base. Les vidéos amateurs montrent une épaisse fumée noire, visible des kilomètres à la ronde. Mardi matin, l'odeur de brûlé se respirait encore aux alentours de la base aérienne.
Triple enquête
Une triple enquête doit permettre d'établir la cause de la tragédie. D'un côté, les investigations de la justice espagnole et de la garde civile. De l'autre, celles de l'Otan, qui dispense ses cours à la base de Los Llanos à 750 élèves. À Paris, enfin, le parquet a ouvert une enquête, comme il est de coutume lorsque des Français meurent à l'étranger de manière accidentelle. La piste du problème technique semblait pour le moment privilégiée. «Au décollage, le F-16 a visiblement eu un problème technique, il a dévié de sa route, très nettement, de 90 degrés, a percuté les avions français qui s'apprêtaient à décoller», a indiqué l'entourage du ministre français de la Défense. Selon le quotidien ABC, qui cite des sources officielles, l'avion «n'a même pas eu le temps de replier son train d'atterrissage» avant de s'écraser. Le quotidien El paísévoquait la possibilité d'une panne du seul moteur dont dispose le F-16.
Mardi, entre 7 et 9 heures, une longue queue de voitures patientait devant l'entrée de Los Llanos. Cette file ininterrompue témoignait de l'intense activité de la base aérienne qui accueille, outre les stagiaires de l'Otan venus de 10 pays, les militaires de l'armée de l'air espagnole. Les journalistes étaient tenus à l'écart. Après l'hypothèse d'une visite des lieux, l'officier de communication a remis l'invitation à plus tard. Il fallait encore nettoyer la piste des traces d'hydrazine, un composé chimique utilisé comme propulseur par les F-16. Un produit extrêmement toxique, qui retardait aussi le retrait des corps ordonné par la juge en charge du dossier. «La sécurité prime», a tranché le porte-parole.
Dans l'avion l'emmenant à Albacete où il s'est recueilli en fin d'après-midi, Jean-Yves Le Drian a indiqué que les militaires français présents au moment de l'accident étaient «manifestement traumatisés par ce qu'ils ont vécu. C'est un accident horrible et insupportable.»