VAE Yves Joly, préfet maritime de la Méditerranée - Crédits photos Marie Brébel MN
27 Novembre 2014 par le CC Yann Bizien
Autorité militaire et civile pour la Méditerranée, zone maritime stratégique, fermée par le troisième détroit le plus emprunté au monde, le VAE Yves Joly s’appuie dans ses fonctions sur un état-major opératif de haut niveau qui maitrise la complexité de la conduite des opérations militaires et coordonne les opérations de protection dans le cadre de l’action de l’Etat en mer.
Amiral, vous avez pris vos fonctions le 1er septembre 2013 ; avec ce recul d’une année, quel est votre regard sur vos responsabilités aujourd’hui ?
J’ai pris mes fonctions dans le contexte post-Printemps arabe et au moment du pic de tension internationale en Syrie qui s’est accompagné d’un fort impact opérationnel en mer. Mes fonctions concentrent sur un seul homme plusieurs responsabilités que j’exerce en m’appuyant sur un état-major « pluridisciplinaire » et très optimisé : il rassemble une mosaïque de compétences civiles et militaires, et de savoir-faire opérationnels, indispensables pour aborder avec sérénité les nombreux défis liés à la diversité et à la complexité de nos missions opérationnelles de défense et de protection. Mes interlocuteurs, autorités civiles et militaires sont implantés 9 départements littoraux, soit près de 2000 km de côtes, ainsi que sur l’ensemble des pays bordant la Méditerranée. En tant que « commandant de cette zone maritime », j’exerce, sous les ordres directs du CEMA, via le centre opérationnel de la marine (COM) à Toulon, le contrôle opérationnel des forces armées déployées en Méditerranée et en mer Noire. Nous sommes les experts de cette zone complexe, riche d’opportunités mais aussi de tensions. Elle est fréquentée par les plus grandes marines : américaine, russe, française, italienne, espagnole, britannique, mais désormais aussi chinoise, indienne et brésilienne. La France y assume ses responsabilités : il s’agit de préserver nos intérêts, d’intervenir si nécessaire sur le plan militaire - notamment pour la protection de nos ressortissants -, ou d’agir dans un cadre interministériel pour la lutte contre les trafics illicites en haute mer ou pour la gestion d’un accident maritime. J’ai également la responsabilité de la surveillance de nos approches maritimes qui s’appuie sur, outre les moyens aériens et navals, un réseau de 19 sémaphores. Tout ceci nécessite de déployer des navires, des sous-marins, des aéronefs, pour entretenir notre expertise de la zone et anticiper pour être en mesure d’être réactif dans les meilleurs délais. J’ajoute que la coopération régionale avec les pays riverains est également indispensable pour accroître notre efficacité. En ma qualité de « préfet maritime », je m’appuie non seulement sur le COM mais principalement sur un autre centre opérationnel, le CROSS MED. Ce dernier assure sous ma responsabilité la coordination de 3000 opérations de recherche et de sauvetage en mer chaque année. Il exerce également, avec le concours de nos sémaphores, la surveillance de la navigation dans la zone confiée à la France, espace particulièrement fréquenté d’environ 115000 km². J’estime que notre pays, Etat côtier qui voit passer au large de son littoral un trafic maritime intense et varié, propose une organisation souple, efficace et particulièrement réactive : je dispose en permanence de trois navires spécialisés dans le remorquage d’urgence et dans la lutte contre les pollutions. Ces « Saint Bernard des mers » sont affrétés à l’année par la marine ; c’est le COM Toulon qui assure leur contrôle opérationnel ; là aussi, je relève que la boucle courte, celle qui rattache le Préfet maritime au Premier ministre par l’intermédiaire du Secrétaire Général de la Mer, me procure un avantage opérationnel significatif pour sauver des vies, maintenir l’ordre public, lutter contre les trafics, préserver le milieu marin et protéger notre littoral. Je suis enfin « commandant d’arrondissement maritime » ; implanté sur la plus grande base de défense, qui compte près de 25000 militaires et agents civils, j’ai à ce titre des responsabilités territoriales. Il s’agit de garantir en permanence la protection, la sûreté et la sécurité de nos installations à caractère nucléaire, de nos dépôts de munitions et de carburant et, si nécessaire, de traiter les événements accidentels par le biais du centre de traitement des crises (CTC) qui permet aussi d’établir les liens inter-administrations indispensables. Sous l’arbitrage du COMBdD, le personnel responsable du soutien déploie un effort significatif et continu pour appuyer nos capacités de projection de forces et de puissance déployées depuis le port militaire majeur de Toulon.
Quel est d’ailleurs le poids de la marine dans la région ?
Le port militaire concentre une somme exceptionnelle d’activités humaines, militaires, logistiques, nautiques et industrielles variées et importantes que la base navale coordonne pour les rendre compatibles en termes de sécurité. Dans le bassin d’emploi du département du Var, la défense est le 1er site industriel et le 1er employeur. La marine pèse beaucoup dans ce bassin d’emplois, en particulier sur le plan économique et social : le maintien des performances militaires et nautiques de la flotte, pour conserver des capacités disponibles et opérationnelles, représente environ 450 M€ par an dépensés au profit du tissu industriel régional de la réparation navale. La construction et l’entretien de nos infrastructures portuaires et opérationnelles nécessite 250 M€ d’investissement chaque année. Il faut aussi faire fonctionner la base de défense avec 54 M€ par an, loger le personnel et les familles … Ces budgets sont autant d’investissements essentiels et nécessaires pour la sécurité des Français.
À quoi ressemble votre quotidien, celui de votre état-major opératif, et votre zone de responsabilité ?
La permanence, la vigilance et l’action rythment notre exigence au quotidien ! Autrement dit, nous ne connaissons pas l’ennui … Le théâtre méditerranéen est un espace unique au monde qui vit au rythme de relations souvent amicales, parfois tendues, voire conflictuelles sous tendues par des enjeux religieux, ethniques, économiques et politiques. Cet espace, formé par trois bassins, occidental, central, oriental, dotés de gisements importants de ressources, concentre toutes les coopérations mais aussi toutes les tensions. C’est une mer fermée avec « trois portes » qui font le lien avec l’Océan Indien, l’Océan Atlantique et la mer Noire. C’est aussi une voie commerciale bien plus rapide et économique que le contournement de l’Afrique par le cap de Bonne Espérance. C’est également une zone historique d’échanges entre grandes civilisations et une zone de rencontre physique entre trois continents. Il s’agit d’un espace stratégique de première importance pour la France et pour l’Europe : il est bordé par 25 pays riverains aux régimes et aux maturités politiques différents. Cette zone est, de fait, très militarisée : la puissance maritime s’y exprime et s’y affirme tous les jours ; les forces navales de l’OTAN y sont très présentes ; les marines américaines et russes y fournissent un effort naval très important avec une présence permanente de bâtiments de combat fortement armés. Dans cette agitation permanente, la France reste un acteur majeur, grâce à sa marine complète, polyvalente et réactive. Le COM Toulon agrège d’importantes données militaires, douanières, géopolitiques et environnementales, collectées par les moyens déployés, pour rester constamment en phase avec les dynamiques stratégiques. Nous partageons aussi notre savoir-faire et entretenons des liens précieux en coopérant avec nos partenaires des rives de la Méditerranée : je pense au Maroc, à l’Algérie, à l’Egypte, à la Tunisie, au Liban et à nos alliés de l’OTAN.
Justement, quelles sont les interventions qui vous ont le plus marquées depuis septembre 2013 ?
Nous pouvons et nous savons faire tout ce qu’une marine de guerre et hauturière complète est en mesure de proposer au Président de la République ou au Premier ministre en coopération avec les autres acteurs de l’action de l’Etat en mer. Il y a eu la mission de transport opérationnel d’un BPC pour la relève en sécurité du détachement « Daman » du contingent français de la Finul au Liban. Je pense également à la lutte contre le narco trafic, avec la saisie en septembre 2013 de près de 22 tonnes de cannabis à 600 km au Sud de Toulon. Nous avons, sous très faible préavis, dans l’urgence et dans un contexte de guerre civile, évacués des ressortissants français et britanniques depuis Tripoli fin juillet, au moment où la mer était la seule et dernière option possible. Nous maintenons une présence navale en Mer noire depuis cinq mois et en Méditerranée orientale depuis deux ans pour préserver notre autonomie d’appréciation dans ces zones d’intérêts prioritaires tournées vers le Levant. Nous luttons aussi contre les pollutions « marines » et nous nous entraînons régulièrement avec nos partenaires italiens et monégasques dans le cadre particulier de l’accord RAMOGE, avec le concours de l’Espagne et de l’agence européenne de sécurité maritime. Nous étions prêts à protéger le littoral corse avec le BSAD Jason lors du transit de l’épave du Costa Concordia, remorquée vers Gênes en juillet dernier. Nous sommes aussi parés à engager une opération de contre-terrorisme maritime d’ampleur. A cet effet, l’action de plus de 1000 militaires, dont celle des commandos marine et du GIGN, dans le cadre de l’exercice « Esterel »a éprouvée sous mon commandement la qualité d’une organisation de type sécurité civile..
Quelle est votre conclusion ?
Je voudrais conclure sur le souvenir récent de la revue navale du 15 août organisée à l’occasion du 70ème anniversaire du débarquement de Provence. C’est un symbole fort et l’expression de la fierté légitime des acteurs qui ont contribué à son succès. La fierté de présenter en quelques heures, au chef des armées et à une délégation d’une trentaine de chefs d’Etats et de Gouvernements, le panorama complet des capacités que la marine met en œuvre tout au long de l’année. La fierté, aussi, de synthétiser sur un événement digne et populaire tout le savoir-faire des équipages dans l’action quotidienne d’une marine utile, combative, qui prépare l’avenir avec l’accueil futur des FREMM et des SNA Barracuda. Je partage cette fierté avec tous ceux qui en ont été les témoins ou les acteurs.