5 Juin 2012 Jean-Dominique Merchet
Un entretien avec le général Yann Pertuisel, commandant de l'Aviation légère de l'armée de terre.
Le général Yann Pertuisel commande l’Aviation légère de l’armée de terre (Alat). Pilote d’hélicoptère Gazelle Hot, il a participé à la Guerre du Golfe, puis commandé l’Ecole de Dax et servi dans les forces spéciales. Son fils est actuellement pilote dans l’Alat… comme l’épouse de celui-ci ! A l’occasion de la Sainte-Clotilde, patronne de l’arme, le général Pertuisel a bien voulu répondre à nos questions.
Avec les opérations en Côte d’Ivoire, en Afghanistan et bien sûr en Libye, l’année 2011 a été un grand cru pour l’Alat…
C’est une année historique ! D’une rare intensité. Nous avons eu jusqu’à 90 appareils engagés simultanément. Au sein de l’armée de terre, l’Alat est désormais reconnue comme étant une « fonction opérationnelle », une Arme de contact, au même titre que l’Infanterie ou la Cavalerie, alors qu’elle était auparavant considérée comme une Arme d’appui. Avec son ubiquité (être là où l’on ne nous attend pas…), l'Alat est ce que nous appelons un multiplicateur d’effets. Aujourd’hui, une armée de terre moderne ne peut se passer de cette dimension d’aéro-combat si elle veut tenir son rang.
Comment se situe l’Alat par rapport à ces homologues occidentales, étant entendu que la répartition des hélicoptères entre Terre et Air n’est pas la même dans tous les pays ?
Honnêtement, si l’on exclut les Américains qui jouent dans une autre dimension, je suis convaincu que la France dispose de la meilleure aéromobilité occidentale. Nous avons le meilleur système d’aéro-combat. Ce qui fait la différence, ce ne sont pas nos matériels, mais les hommes et les femmes qui les mettent en œuvre, notre organisation et notre doctrine d’emploi. On le voit avec les Britanniques qui ont perdu un certain nombre de savoir-faire, ce qui les conduit à utiliser leurs hélicoptères de combat comme des avions. C’est ce qu’il ne faut pas faire : un hélicoptère n’est pas un avion.
Qu’est-ce que l’Alat aujourd’hui ?
325 appareils, 5500 personnels dont un millier de naviguants, quatre régiments opérationnels, deux détachements permanents en Afrique (Djibouti et Gabon) et des écoles. Nous représentons moins de 5% des effectifs de l’armée de terre.
Parlons des régiments.
Il y en a quatre : les trois régiments d’hélicoptères de combat (le 1er RHC à Phalsbourg, le 3 à Etain et le 5 à Pau) qui fonctionnent sur le même modèle. Nous avons réorganisés les RHC sur la base de trois bataillons par régiment : un bataillon d’hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (BHRA) avec les Gazelle ou les Tigre ; un bataillon d’hélicoptères de manœuvre et d’assaut (BHMA) avec les Puma, les Cougar et bientôt les Caïmans ; et enfin un bataillon d’appui aéronautique (BAA) qui fournit l’environnement aéronautique (contrôle aérien, sécurité, simulation, etc). A noter que la maintenance est intégrée au niveau de chaque bataillon. Ces régiments sont de l’ordre d’un millier d’hommes et de femmes.
Le 4ème régiment d’hélicoptères des forces spéciales (RHFS) de Pau, rattaché pour emploi au COS, est organisé de manière différente. Il possède des Gazelle, des Puma, des Tigre et des Caracal. Une particularité de ce régiment est que deux Caracal de l’Armée de l’air y sont intégrés avec leur personnel. Le Groupement interarmées d’hélicoptères en alerte permanente sur la base de Villacoublay pour le compte du GIGN est rattaché au 4ème RHFS. Ce GIH comprend 5 Puma de l’armée de terre et 2 Puma de l’armée de l’air.
Venons-en aux écoles…
L’Ecole de l’Alat est sur deux sites : Dax (Landes) et Le Luc (Var). A Dax, les pilotes des trois armées et de la gendarmerie apprennent à piloter, puis ils se spécialisent au Luc. Depuis trois ans, le site de Dax fonctionne sur la base d’un contrat avec une entreprise privée Hélidax, qui nous donne entière satisfaction. Hélidax met à notre disposition 36 EC 120 que nous avons baptisé Calliopée. Le principe est que nous achetons des heures de vol.
Au Luc, se trouve deux autres écoles : l’Ecole franco-allemande Tigre, qui forment les pilotes alors que les mécaniciens des deux pays sont formés dans le nord de l’Allemagne. Et désormais le centre de formation interarmées NH-90, commun avec la Marine nationale.
Justement, où en est votre coopération avec la Marine nationale ?
Nous sommes vraiment amarinés. Je rencontrais récemment un jeune cadre qui, au cours de 24 derniers mois, en avait passé 9 à la mer ! Cela fait plus de vingt ans que nous embarquons et je peux vous assurer que lorsque nous sommes à bord, nous ne sommes pas perdus. L’Alat fournit ainsi les hélicoptères de la campagne Jeanne d’Arc. Et on a vu le résultat de tout cela lors d’Harmattan, avec l’engagement du groupe aéromobile à partir des BPC.
L’Alat, ce sont d’abord des hélicoptères. Mais avez vous encore des avions ?
Oui, nous avons huit TBM-700, à Rennes, au sein de l’escadrille de liaison de l’armée de terre – qui assure le transport d’autorités. Et cinq Pilatus PC 6 à Montauban, au bataillon de soutien aéromobile. Ils se consacrent au transport de pièces détachées et au largage de parachutiste.
Quels sont vos hélicoptères ?
Nous avons trois flottes : une ancienne, une intermédiaire et une nouvelle. L’ancienne, ce sont les 110 Gazelle et 80 Puma que nous maintiendrons en ligne jusqu’en 2020. A cette date, nous n'aurons plus que 90 Gazelle et 36 Puma.
L’intermédiaire, ce sont 18 Fennec, utilisés pour la formation au Luc, 23 Cougar (et bientôt 26, avec les trois que nous allons récupérer en provenance du GAM-56) et 8 Caracal, uniquement pour les forces spéciales.
La nouvelle, c’est le Tigre. Le 40 ème et dernier Tigre HAP (appui-protection) nous sera livré cette année. Nous en aurons alors 39, puisque nous en avons perdu un en Afghanistan. A la fin de l’année, nous percevrons également le premier Tigre HAD (appui-destruction), capable de tirer des missiles air-sol Hellfire. Le 1er RHC de Phalsbourg sera le premier régiment a en être doté en 2013, date à laquelle il recevra aussi ses premiers Caïman (NH-90). Un premier a été livré en décembre dernier au Gam-Stat de Valence et quatre autres le seront cette année à l’école du Luc.
Qu’en est-il du remplacement des hélicoptères légers ?
C’est le programme HIL (Hélicoptère interarmées léger) de quatre tonnes, destiné à remplacer les Gazelle, Dauphin, Fennec… Au combat, nous l’utiliserons pour préparer l’engagement des Tigre, un peu comme le font les Américains avec leurs Kiowa. Ce HIL – qui n’a pas reçu de nom de baptême – pourra également remplir des missions au profit des populations. C’est également important pour l’entrainement, car l’heure de vol sera trois fois moins couteuse que celle d’un Tigre.
Toujours pas de projet d’hélicoptères lourds, type Chinook, dont la France est dépourvue ?
En la matière, nos ambitions sont limitées par les budgets… Il n’y a pas de perspectives d’acquisition en franco-français, mais on peut imaginer des solutions de partage avec nos partenaires européens.
Qu’en est-il de la disponibilité de votre parc d’hélicoptères ?
Elle n’est pas au beau fixe. Elle est maximale (80-90%) au niveau des opérations, mais tout juste suffisante pour permettre l’entraînement en métropole. Disons que les bons jours, nous sommes à 50%. Il faut reconnaître également que le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) des appareils modernes est sans commune mesure avec ceux d’ancienne génération.
Qu’en est-il de l’idée de regrouper les hélicoptères des trois armées au sein d’une même structure ?
Il existe aujourd’hui un commandement interarmées des hélicoptères (CIH) à l’état-major des armées. C’est une structure légère qui se charge notamment de l’harmonisation des procédures, mais ce n’est pas un commandement opérationnel.
C’est différent de ce que font les Britanniques avec leur Joint Helicopter Command, mais le besoin n’est pas le même. Outre-Manche, les hélicoptères de combat sont dans la British Army alors que ceux de manœuvre sont dans la RAF. En France, les deux types d’appareils sont déjà dans l’Alat, qui avec plus de 300 voilures tournantes possède la principale flotte, devant les aviateurs et les marins – environ 80 chacun.