03 février 2014 Jean-Paul Duchâteau et Charles Van Dievort - lalibre.be
Les opinions de Dirk Van Der Maelen, député fédéral (SP.A) et d'Armand De Decker, ministre d'État (MR).
Le débat vient d’être relancé, avec le témoignage d’un expert américain. Pour les uns, cette présence est devenue anachronique avec la fin de la Guerre froide. Pour d’autres, l’arme nucléaire reste garante d’une non-guerre. Interviews croisées.
NON
Armand De Decker, ministre d’Etat (MR); vice-président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense.
Le monde est plus instable que du temps de l’URSS. Il serait donc insensé que des gouvernements européens décident de renoncer à l’armement nucléaire. Nous pourrions tomber alors sous des tentatives de chantage venant de pays comme le Pakistan et peut-être demain l’Iran. Un monde qui serait dénucléarisé serait beaucoup plus dangereux.
Un expert américain reconnu a confirmé, si besoin en était, la présence d’armes nucléaires américaines sur la base de Kleine-Brogel. Il a ajouté qu’il existe un projet de modernisation de ces armes. Est-ce bien le rôle d’un petit pays comme la Belgique de participer à un tel programme ?
La Belgique accepte, dans le cadre de l’Otan, un certain nombre de missions nucléaires qui lui ont été demandées. Je ne comprendrais pas qu’on entre dans le club de ceux qui se réjouissent de bénéficier d’une sécurité offerte par l’armement nucléaire sans vouloir prendre leur part de responsabilité. Dans les années 80, des armes nucléaires ont été déployées en Europe, face aux SS-20 soviétiques. Il est généralement admis que ces missiles "Cruise" et ces fusées "Pershing" ont été démantelés dans les pays où ils avaient été installés. Ce dont on parle désormais, sans savoir s’il y en a chez nous, ce sont des armes d’un autre type, qui sont transportées par aéronef.
Régulièrement, certains partis redisent souhaiter que la Belgique se défasse de cet arsenal nucléaire. C’est le cas, historiquement, du SP.A, des écologistes, et plus étonnamment des chrétiens-démocrates flamands. Selon vous, ils se trompent tous ?
L’arme nucléaire est indispensable à la sécurité de l’Europe. C’est d’ailleurs l’évidence même : si nous n’avons pas eu de troisième guerre mondiale, c’est parce que l’arme nucléaire l’a rendue impossible. En son absence, je pense qu’on aurait dû faire face à un conflit épouvantable entre les blocs communiste et occidental. L’arme nucléaire est une arme indispensable à la paix, parce qu’elle doit rendre la guerre impossible. Ce qu’elle a d’ailleurs parfaitement rempli comme mission, puisque l’arme nucléaire n’a été utilisée qu’une seule fois, par les Américains sur le Japon, qui voulaient mettre un terme à la guerre 40-45. Cela a tellement impressionné le monde à l’époque que plus personne ne pouvait plus envisager de l’utiliser. Et c’est cela qui a protégé nos populations depuis 70 ans.
Les adversaires du système disent que la configuration du monde a complètement changé depuis la fin de la Guerre froide, et que cela n’a donc plus de sens de maintenir un arsenal nucléaire dirigé contre la Russie.
Effectivement. La Russie est devenue un allié. Il est exclu d’avoir un conflit militaire avec la Russie. Les menaces viennent désormais d’ailleurs. Lorsque le monde occidental s’émeut à ce point de la stratégie nucléaire de l’Iran, on sait pourquoi. Ce pays peut devenir directement menaçant pour le monde occidental. C’est la même chose à l’égard du régime pakistanais, qui est très fragile et donc très instable, qui peut demain tomber entre les mains d’islamistes radicaux. Il est pour moi totalement incontestable que l’armement nucléaire est consubstantiel à la sécurité de l’Europe et c’est la raison pour laquelle il faut maintenir cette capacité de dissuasion.
Votre argument sur la capacité de dissuasion de l’arme nucléaire pèse-t-il autant avec ces pays qui, comme vous le dites, sont incontrôlables et très peu réalistes, du fait même de la nature de leur régime ?
Il est certain que le monde est plus instable que du temps de l’URSS. C’est la raison pour laquelle il serait insensé que des gouvernements européens décident de renoncer à l’armement nucléaire parce que cela signifierait que nous puissions tomber sous des tentatives de chantage venant de pays possédant une capacité nucléaire militaire. C’est une question de garantie de notre liberté. Ceci étant dit, je ne suis pas un farouche partisan du surarmement nucléaire comme on a pu le connaître dans les années 70 et 80. Nous n’avons en effet pas besoin de disposer d’un grand nombre d’armes nucléaires. Mais je rappelle qu’il s’agit d’un armement qui est conçu pour ne jamais être utilisé. Un monde qui serait dénucléarisé serait beaucoup plus dangereux, parce qu’il n’existerait plus cette crainte de la certitude d’être anéanti en cas d’agression. C’est donc l’arme de la non-guerre. Et c’est donc un grand progrès pour l’humanité.
OUI
Dirk Van der Maelen, député fédéral (SP.A).
Je ne comprends pas de notre ministre de la Défense qui ne cesse de dire qu’il ne confirme pas et qu’il n’infirme pas la présence d’armes nucléaires sur le territoire belge. La Belgique n’a pas à jouer un rôle dans la politique nucléaire américaine. Un jour la sagesse l’emportera et on se libérera de ces armes.
La présence d’armes nucléaires en Belgique s’est une fois de plus invitée dans le débat politique cette semaine suite aux déclarations d’un expert américain. Le ministre de la Défense Pieter De Crem a éludé la question. Saura-t-on un jour si oui ou non de telles armes sont présentes sur notre territoire ?
C’est un secret de Polichinelle. D’anciens Premiers ministres comme Jean-Luc Dehaene et Mark Eyskens ont déjà reconnu que ces armes sont stockées en Belgique. Cette semaine, Hans Kristensen - qui est pour moi l’homme qui en sait le plus sur la politique nucléaire après le président des Etats-Unis et son ministre de la Défense - a prétendu avoir vu le document signé par le président Bill Clinton en 2000 donnant l’ordre d’installer 20 armes nucléaires tactiques à Kleine-Brogel. Jusqu’à présent, personne n’a jamais pu démentir une information donnée par ce spécialiste américain.
Pourquoi cette question est-elle si délicate ?
Je ne comprends pas. Aux Etats-Unis, les Américains ne font pas un grand mystère de leurs armes nucléaires. Ils disent qu’il n’y a aucune raison que la Belgique nie en avoir sur son territoire. Par contre, ils ne veulent pas le confirmer à notre place. Pour les Américains, c’est à la Belgique de décider si elle veut ou pas révéler l’information au public.
La Belgique a-t-elle un rôle à jouer dans la stratégie nucléaire globale de l’Otan ?
Elle ne devrait pas en jouer et nous pourrions facilement nous en libérer. D’autres pays l’ont fait avant nous tout en restant des partenaires loyaux de l’Otan. C’est le cas du Canada, de la Grèce ou encore du Danemark.
L’arme nucléaire a pourtant joué un rôle important dans l’histoire en tant qu’arme de dissuasion. Ce rôle a-t-il aujourd’hui évolué ?
Il a changé en raison de la fin de la Guerre froide. Fin de l’an dernier, celui qui était encore ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Otan, Ivo Daalder, a déclaré qu’il est certain à 99,99 % que les armes nucléaires ne seraient jamais utilisées. Elles n’ont aucune utilité, ni militaire ni politique. S’il le dit, pourquoi la Belgique devrait-elle continuer à aider la politique nucléaire américaine?
Peut-on imaginer qu’on se passe un jour de l’arme nucléaire sur la planète ?
Je l’espère, mais ça ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Le désarmement se fera pas à pas. Un des pas qui peut conduire dans la bonne direction serait de voir la Belgique se libérer de ces armes. Mais aujourd’hui, c’est le contraire qui risque de se produire. Selon Hans Kristensen, moderniser les bombes tactiques qui sont à Kleine-Brogel comme l’ont décidé les Etats-Unis, risque d’être une invitation faite aux Russes pour qu’ils modernisent à leur tour leur arsenal tactique. Cela relancerait la course à l’armement, alors que depuis des années la tendance est au désarmement. Or, le désarmement, c’est la politique officielle de notre gouvernement. L’accord de gouvernement prévoit que la Belgique va se joindre aux efforts de ceux qui veulent diminuer la présence de l’arme nucléaire sur la planète. Accepter la modernisation des bombes stationnées chez nous, c’est contraire à cet accord de gouvernement.
Existe-t-il une volonté politique d’entamer des discussions sur la présence de ces armes chez nous ?
Certains partis et certains hommes politiques, notamment notre ministre de la Défense, sont réticents. Moi, je suis convaincu que le Parlement ne peut être que le reflet de ce que pense la société. Et en Belgique, celle-ci est largement opposée aux armes nucléaires. Nous figurons parmi les quatre ou cinq nations à ne pas être propriétaire de l’arme nucléaire mais à en détenir sur notre territoire ! Le moment est venu qu’on mette fin à ça.
Croyez-vous qu’un jour, en Belgique, il n’y aura plus d’armes nucléaires ?
J’en suis convaincu. C’est le sens de l’histoire et je crois dans la sagesse de notre société et de notre classe politique.