C'est déjà une première différence avec les négociations précédentes: à Genève, aucune fausse note dans l'ambiance. La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, et le ministre iranien Mohammad Javad Zarif sont apparus souriants sur les photos. Ils avaient d'ailleurs dîné ensemble la veille. La présentation des propositions iraniennes, argumentées par un «power point», s'est faite, contrairement à d'habitude, en anglais. À Genève, tout a été fait pour préserver l'atmosphère «optimiste» qui entourait la reprise des négociations entre l'Iran et les six puissances (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne). Y compris, afin de ne pas choquer la délégation iranienne, le camouflage, à l'aide d'un grand écran blanc, d'un bas-relief en marbre représentant un homme nu, à l'entrée de la salle du conseil du Palais des nations.
La forme ne suffit pourtant pas à masquer les divergences de fond qui continuent d'opposer Téhéran aux Occidentaux sur le programme nucléaire iranien. Selon la partie iranienne, le plan «logique et équilibré» de Téhéran aurait été bien accueilli par les grandes puissances. Est-ce à dire qu'il sera suffisant pour rapprocher les deux visions et les réunir dans un compromis final? Rien n'est moins sûr. Avant l'ouverture des négociations, les points de blocage potentiels demeuraient nombreux. Lors de la dernière négociation à Almaty, au Kazakhstan, les Occidentaux exigeaient de la part de l'Iran un gel de l'enrichissement de l'uranium à 20 %, le seuil critique pour fabriquer une bombe nucléaire. Ils demandaient aussi le transfert des stocks existants à 20 % à l'étranger, un renforcement du régime d'inspection des Nations unies et une limitation du nombre de centrifugeuses. La semaine dernière, Laurent Fabius a aussi soulevé la question sensible du réacteur au plutonium d'Arak, l'autre filière permettant de fabriquer l'arme nucléaire, qui une fois qu'il sera terminé, d'ici à un an, «ne pourra plus être détruit», à cause des risques de fuite.
Paris ne baisse pas la garde
Mais juste avant d'arriver à Genève, les négociateurs iraniens ont apporté une fin de non-recevoir à la proposition d'Almaty, affirmant qu'ils ne transféreraient pas «un gramme» de leur stock d'uranium enrichi à 20 % en dehors de leurs frontières. Et que les négociations ne pourraient porter que sur «la forme, le montant et les divers niveaux d'enrichissement». En échange, ils aimeraient la fin des sanctions, qui détruisent leur économie. Le chef des négociateurs, Abbas Araghchi, a par ailleurs déclaré que le principe des inspections surprises des sites nucléaires ne figurait pas dans l'offre présentée aux grandes puissances.
Rien n'avait filtré hier des éventuels compromis qui pourraient être faits par les deux parties pour arriver à un accord. Les États-Unis, qui ont récemment assoupli leur position vis-à-vis de l'Iran, ont proposé de nouveaux pourparlers bilatéraux avec les responsables iraniens. Une offre qui pourrait bien agacer la France, déjà marginalisée par Washington et Moscou dans le dossier syrien. En face de l'Iran, Paris n'a pas baissé la garde et voudrait que toutes les options soient maintenues sur la table pour empêcher le pays de se doter de l'arme nucléaire.
Après les questions de «principes» et les «généralités», l'Iran et les six puissances devraient entrer mercredi dans les détails de la négociation. Celle-ci pourrait durer de longues semaines. La proposition iranienne sera examinée à la loupe par les puissances occidentales. «Le diable est toujours dans les détails», commente une source diplomatique. Les décisions finales seront prises à Téhéran par le Conseil suprême à la sécurité nationale, dominé par les faucons iraniens.