21/05/2012 P.C. ladepeche.fr
Le Président Barack Obama accueille depuis hier le sommet de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, à Chicago. Objectif affiché: dégager une stratégie claire de sortie du bourbier afghan, après plus d'une décennie de guerre, et alors que la France annonce le retrait de ses unités combattantes d'ici fin 2012. Les alliés doivent aussi faire face à une crise plus inquiétante : celle de la dette.
L'Afghanistan… où comment s'en sortir ? L'éternelle question. Et celle qui fait tanguer l'OTAN depuis hier, au bord du lac Michigan, puisqu'elle est au cœur du sommet de Chicago qui se poursuit ce lundi. Dans la foulée du sommet du G8 à Camp David, Barack Obama, accueille en effet dans « sa » ville, une cinquantaine de dirigeants du monde entier pour ce rendez-vous que l'Alliance atlantique n'a pas hésité à présenter comme « le plus important » depuis la création de l'Otan, en 1949.
Aux 28 pays d'Europe et d'Amérique du Nord membres de l'Alliance atlantique, se sont en effet ajoutées pour l'occasion des nations d'Asie ou du Moyen-Orient ayant participé à la coalition internationale en Afghanistan.
Réunis dans un immense palais des congrès ultra-protégé, les dirigeants doivent ainsi discuter de la stratégie à mettre en œuvre pour « terminer la mission » en Afghanistan, censée ouvrir la voie à un retrait d'ici la fin 2014 des 130 000 soldats actuellement déployés. Bref, pour en finir avec l'enlisement afghan, s'il faut appeler les choses par leur nom.
« Nous sommes entrés ensemble, nous en sortirons ensemble » reste le leitmotiv du secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, qui, hier, a cependant adapté son propos à l'exception française. Car la France, par la voix de François Hollande a fait savoir, dès vendredi, que ses troupes combattantes rentreraient au pays d'ici la fin de l'année.
Une promesse faite pendant la campagne électorale qui n'était « pas négociable » a souligné le Président de la république. Certes, « Je ne dis pas que le président Obama a adhéré à ce que je lui disais », a-t-il reconnu. Mais la position française a été « comprise », a assuré samedi le nouveau ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
De fait, écartant toute idée de retrait « précipité » et se voulant rassurant, Anders Fogh Rasmussen a fait remarquer hier que la décision française étant « une promesse de campagne », « un homme politique doit toujours tenir ses promesses ».
Pour lui, le plan français est « en accord » avec la stratégie de l'Otan d'un retrait progressif, au fur et à mesure de la prise de contrôle de la sécurité par les forces afghanes, policiers et militaires que la France continue à former elle aussi. De plus, M. Hollande « a indiqué que la France était prête à soutenir d'une façon différente », a souligné le patron de l'Otan… visiblement plus compréhensif que l'ancien ministre UMP de la Défense Gérard Longuet qui, ce dimanche, a jugé « intenable » la position de François Hollande, Jean-François Copé estimant pour sa part qu'il s'agissait d'une « mauvaise décision ».
Hier, deux soldats de l'Isaf, la force armée de l'Otan en Afghanistan, ont été tués dans une attaque suicide d'insurgés dans le sud du pays.
Avoir des alliés, c'est une garantie !
Divergence entre la France et les États-Unis sur l'Afghanistan, menace de la dette publique qui impacte directement les budgets militaires : L'OTAN joue-t-elle sa survie à Chicago, comme le pensent certains analystes ?
Non. L'OTAN a joué sa survie il y a 20 ans, au lendemain de la guerre froide, quand il s'agissait de savoir si une alliance créée pour faire face à l'Union soviétique avait toujours sa raison d'être, une fois l'Union soviétique disparue. Mais depuis 20 ans, l'OTAN s'est beaucoup transformée. C'est devenu une alliance de pays occidentaux apte à faire des opérations militaires à l'extérieur de leurs frontières. Balkans, Afghanistan, Libye : sur trois grands conflits de ces vingt dernières années, on a vu qu'elle avait trouvé sa raison d'être. On verra d'ailleurs que le gouvernement socialiste français continuera à s'y inscrire pleinement. S'il y a donc un risque pour l'OTAN, il est plus dans la crise financière et l'avenir de la zone euro qu'à ce sommet de Chicago.
Les Américains souhaitent donc que les Européens paient davantage ?
Depuis des années, les Américains voudraient que les Européens payent plus pour l'OTAN. Or il est certain que la crise de la zone euro n'incite pas ces derniers à dépenser davantage pour la défense. Cela risque donc de tendre une nouvelle fois les relations entre d'une part les Américains qui sont en train de se dégager de l'Europe au profit du Pacifique, pour faire face à la Chine, et d'autre part les Européens qui vivaient tranquilles sous la protection américaine en ne consacrant que 1 % de leur PIB à la défense. Cela fait partie des discussions à Chicago et se concrétise par le concept de la « smart defence », la « défense intelligente », en fait, la mutualisation des moyens.
C'est-à-dire ?
Les Américains disent « puisque vous n'avez pas les moyens de vous payer des systèmes de haut niveau, des systèmes de guerre électronique, de reconnaissance, des drones… eh bien ! on va mettre ça en commun et, en fonction des besoins, on utilisera ce matériel mis dans des pools ». Toute la question est de savoir qui va payer et à qui on va acheter nos matériels. Tout le monde comprend bien que si c'est un système dominé par les Américains, les pools seront à base de matériel américain et sous contrôle américain. C'est l'un des enjeux majeurs de Chicago. Car la plupart des pays européens n'achètent à l'Alliance atlantique qu'une garantie de sécurité. Ils se moquent de savoir qui fournit le matériel.
En revanche, pour des grands pays comme la France, le Royaume Uni ou l'Allemagne, qui ont une histoire militaire, une industrie d'armement et une ambition politique, c'est une menace pour leur existence en tant que puissances militaires indépendantes et crédibles.
Quelle est la position de la France aujourd'hui au sein de l'OTAN ?
La France n'est pas sur un strapontin, elle a obtenu l'un des deux commandements suprêmes de l'Alliance, celui de Norfolk, en Virginie, la « tête chercheuse » de l'OTAN, un commandement de prospective et de stratégie. Cependant… la démonstration de l'utilité du retour de la France au sein de la structure intégrée de l'OTAN n'a pas encore été faite. Ça coûte cher, ça absorbe des centaines d'officiers. Et, posons-nous la question : est-ce que ça a accru l'influence de la France dans le monde ? Cela reste toujours à démontrer. Cependant, il faut aussi rappeler qu'il n'y a aucune obligation dans l'OTAN : c'est une alliance. Et avoir aujourd'hui des alliés dans un monde instable, c'est toujours une bonne chose, une garantie.
L'OTAN est-elle adaptée aux défis militaires actuels ?
L'OTAN est une organisation internationale, lourde, bureaucratique… mais elle oblige les pays membres à se donner les capacités de travailler ensemble, à faire des opérations militaires en commun et ça, aujourd'hui, c'est fondamental. Les systèmes d'armes actuels utilisent énormément de communications, de systèmes électroniques de transmission. Pendant les opérations en Libye, les avions de dix nationalités ont volé ensemble dans le ciel avec un commandement commun et l'OTAN ça sert à ça : avoir des procédures communes. Or comme on intervient de plus en plus dans le cadre de coalitions, nos armées doivent être techniquement préparées à le faire durant les temps de paix. Et cela ne s'improvise pas.
C'est l'OTAN, mais c'est aussi l'Europe, car les procédures sont les mêmes. Une fois qu'on sait travailler avec les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Belges, que ce soit dans le cadre de l'OTAN ou dans le cadre de l'Europe, peu importe.
Mais aujourd'hui quels sont nos « ennemis » ?
Toute la question est de savoir en effet quels sont nos ennemis potentiels. La Chine est un vrai problème et voir l'Iran se nucléariser n'est pas une bonne nouvelle, mais il est vrai que nous n'avons pas d'ennemi aussi clairement désigné que du temps de l'Union soviétique et de la Guerre froide. En définitive, grâce à sa souplesse, l'OTAN est une sorte de couteau suisse, avec plusieurs lames pour faire des choses différentes selon les menaces.
* Jean-Dominique Merchet publie fin mai « La Mort de Ben Laden » aux éditions Jacob-Duvernet
Jean-Dominique Merchet
Journaliste, spécialiste des questions militaires*
Afghanistan : «le retrait anticipé nous sera reproché»
Le retrait d'Afghanistan en 2012 est au cœur du débat. Au-delà de l'aspect financier, combien coûtera-t-il politiquement à la France, vis-à-vis de ses alliés ?
Jean-Dominique Merchet.- J'aurais tendance à minimiser les conséquences politiques. Tout le monde a compris depuis longtemps que la France allait partir et je voudrais rappeler que ce départ anticipé, par rapport aux Américains et à l'OTAN, c'est Nicolas Sarkozy qui l'a décidé en janvier dernier lorsqu'il a annoncé que les Français quitteraient l'Afghanistan fin 2013 alors que l'objectif annoncé de l'OTAN c'est 2014. La première rupture avec la vieille idée selon laquelle nous étions arrivés ensemble et donc nous repartirions ensemble est de Nicolas Sarkozy et non pas de François Hollande. Lui ne fait qu'accélérer ce retrait. Mais ce n'est certes pas le genre de chose qui crée de la confiance entre alliés. Cela nous sera reproché, peut-être moins par les Américains que par les autres Européens. En effet, lorsque la France viendra leur parler de défense européenne et d'efforts, parce qu'aujourd'hui l'essentiel des efforts repose sur ses épaules et sur le Royaume-Uni, les autres pays pourraient lui renvoyer à la figure ce départ d'Afghanistan, décidé unilatéralement.
Et par rapport aux Afghans ?
Ils savent qu'on va rester sous une autre forme notamment parce que l'on va financer l'armée et la police afghane, c'est-à-dire la sécurité intérieure du pays. Une fois tout le monde parti, il faudra bien que quelqu'un paye ces 300 000 hommes. L'Afghanistan n'a absolument pas les moyens d'entretenir une armée plus nombreuse que l'armée française et ce seront donc les alliés qui vont la financeront. Soit plusieurs dizaines de millions par an sans compter les contributions civiles. Il y a déjà eu beaucoup d'argent déversé sur l'Afghanistan, qui n'a pas servi à grand-chose, mais on va continuer à payer, çà c'est sûr…
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Bouclier anti-missiles, Pakistan,les autres dossiers
A Chicago, l'Otan espère aussi obtenir un assouplissement de la position du Pakistan, sans qui « nous ne pouvons régler les problèmes en Afghanistan », a déclaré samedi M. Rasmussen.
L'Alliance souhaite en effet obtenir la réouverture de la frontière pakistano-afghane aux convois américains puisqu'elle est fermée depuis la fin novembre, en représailles à la mort de 24 soldats pakistanais tués par erreur lors de frappes aériennes américaines.
Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, devait ainsi s'entretenir avec M. Rasmussen tandis qu'une rencontre entre l'Afghan Hamid Karzaï et Barack Obama était prévue hier matin, avant l'ouverture du sommet.
Mais la réunion de Chicago devait aussi débuter par l'officialisation de la première phase du bouclier antimissile de l'Otan. Il s'agit un ambitieux projet destiné à protéger l'Europe des tirs de missiles tirés du Moyen-Orient, en particulier d'Iran. Basé sur une technologie américaine, il est fortement critiqué par la Russie, qui y voit une menace à sa sécurité, ce que récuse l'Otan.
Ce lancement devrait cependant permettre au Président Américain, actuellement en pleine campagne de réélection, de rassurer ses pairs sur l'attachement de son pays au lien transatlantique même si la priorité stratégique des Etats-Unis concerne désormais l'Asie et le Pacifique, la puissance militaire chinoise étant en pleine expansion.
Plus d' ennemi direct face à l'Europe, mais aussi moins d'argent dans les caisses des pays européens : l'Otan tente également de s'adapter à cette situation, inédite depuis sa création en pleine Guerre froide, en appelant les alliés à coopérer davantage pour ne pas perdre leur suprématie technologique malgré la réduction générale des budgets de défense.
Rationnaliser et renforcer les capacités militaires des alliés : vingt-cinq projets de coopération, dans le cadre d'un programme surnommé « Défense intelligente » (»Smart defence », lire l'interview de Jean-Dominique Merchet) devraient ainsi être approuvés à Chicago, portant sur la formation des pilotes d'hélicoptères ou les missions de renseignement et ce, afin d'améliorer la contribution des pays membres de l'Otan, en matière de défense et de sécurité, malgré un contexte budgétaire restreint.
Se retirer aura aussi un coût
L'engagement des forces françaises à un coût en Afghanistan. Un lourd coût humain, tout d'abord, puisque 83 militaires y ont perdu la vie. La première préoccupation aujourd'hui, pour les forces françaises, est donc de ne pas subir d'autres morts, avant le retrait des troupes combattantes, voulu pour la fin de l'année.
Au delà, les dépenses militaires sont allées toujours croissantes depuis 2001 et elles consomment actuellement plus de la moitié des crédits alloués aux opérations extérieures, soit environ 54 %. Concrètement, l'engagement français en Afghanistan, c'est en effet une dépense de 1,3 M€ par jour, en moyenne, soit plus de 470 m€ par an. Mais faire rentrer au pays les unités combattantes et leur matériel ne sera pas synonyme d'économies immédiates : cela devrait entraîner au bas mot un surcoût de quelques dizaines de millions d'euros.
Pour situer… début 2011, il y avait sur le théâtre d'opération afghan 1016 véhicules militaires dont 450 véhicules de l'avant blindés (VAB), 6 CAESAR (canon de 155 mm montés sur un camion), des véhicules blindés légers et des blindés VBCI pour la riposte en première ligne. Pour entretenir ce parc, il y avait 12 000 pièces référencées en stock à Kaboul… sachant qu'un Antonov 124 ne charge « que » quelques blindés à la fois, emportant 90 à 100 tonnes de fret, et qu'il coûte 300 000€ la rotation… cela donne une première idée de l'addition lorsqu'il faudra évacuer le matériel lourd, vers la base aérienne d'Al Dhafra, aux Émirats Arabes Unis, avant de le recharger sur des bateaux à destination de la France… à moins qu'une autre option soit disponible par l'Asie centrale. Ce surcoût devrait cependant être rapidement compensé par l'économie de dépense que représentera le poste afghan sur le budget opex…