"Dans tous les produits aérospatiaux commercialisés, si vous faites une analyse ADN, vous allez trouver une forte dose d'Onera" (Bruno Sainjon, PDG de l'Onera) (Crédits : Onera)
15/06/2015 Propos recueillis par Michel Cabirol – LaTribune.fr
L'Onera irrigue l'industrie aérospatiale de programmes technologiques souvent mal connus. Son président tire la sonnette d'alarme sur la nécessité de soutenir budgétairement la recherche fondamentale, prémices de futurs succès commerciaux dans vingt ans.
Quelle est la mission de l'Onera ?
A la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, au cours de laquelle l'armée française s'est retrouvée en infériorité technologique dans certains domaines opérationnels comme la dimension aérienne, l'Etat a décrété : plus jamais ça. L'Onera [Office national d'études et de recherches aéronautiques, Ndlr] a donc été créé pour mettre en place, au service de la France, un outil d'excellence technologique dans l'aérospatial. La mission de l'Onera, aujourd'hui encore, est de piloter la recherche (sur des niveaux de 2 à 6 majoritairement, sur une échelle baptisée TRL allant de 1 à 9), puis de transférer aux industriels une innovation technologique. Nos programmes de recherche irriguent l'industrie aéronautique et spatiale : avions civils, avions militaires, drones, hélicoptères, missiles, y compris missiles balistiques... Et le rôle de l'Onera est loin d'être négligeable dans la plupart des programmes des industriels français, qui sont des industriels de premier niveau mondial. Dans tous les produits commercialisés, si vous faites une analyse ADN, vous allez trouver une forte dose d'Onera.
Par exemple, dans le spatial, quelle est votre contribution ?
Sur Ariane 5, et de manière générale sur toute la filière Ariane, on a travaillé en étroite coopération avec le CNES, qui est né en 1961 et s'est notamment appuyé au départ sur les travaux du programme Diamant lancé par l'Onera. Ce lien très fort entre le CNES et l'Onera - c'est une conviction forte - est un des éléments clés de l'excellence de la France dans le spatial. Sur Ariane, l'Onera a beaucoup travaillé, aussi bien sur les moteurs solides et liquides que sur les systèmes. Ce lien s'est en revanche distendu une fois le développement d'Ariane 5 terminé. Avec Jean-Yves Le Gall [président du CNES, Ndlr], nous sommes en train de les resserrer à nouveau. Cela s'est traduit par un accord de coopération renforcée signé fin mars.
Sur Ariane 6, l'Onera a-t-il des programmes ?
Nous avons déjà lancé des programmes d'intérêt commun, qui visent à faire en sorte qu'Ariane 6 conserve le haut niveau de fiabilité d'Ariane 5, sachant qu'il ne sera pas irrigué par de grandes innovations technologiques. C'est un projet piloté principalement par des enjeux commerciaux. Nous allons travailler principalement sur les moteurs solides ainsi que sur le nouveau moteur cryogénique Vinci. Nous vérifions que les transferts d'énergie du moteur Vinci se passent de manière tout aussi fiable que la solution actuelle.
Quelle est l'une de vos plus belles réussites dans le spatial ?
Le système Graves. C'est un système qui permet à l'armée de l'air française de détecter les satellites qui passent au-dessus de nos têtes. La France a été le troisième pays au monde, après les Américains et les Russes, à se doter d'un tel système. L'Onera a conçu Graves, a piloté sa réalisation et l'a transféré à l'armée de l'air en 2005. Ce programme a notamment permis des échanges de données avec les Etats-Unis. Et, en avril 2015, cette coopération s'est renforcée, les deux ministères de la Défense voulant désormais échanger des informations classifiées. Nous sommes par ailleurs en train de travailler avec la DGA à une amélioration des performances du système, notamment de son calculateur. Nous allons lui injecter de nouvelles capacités en vue d'améliorer la détection des objets plus petits. Le système sera donc plus puissant.
Et que faites-vous sur des programmes aussi emblématiques que le Rafale et le Neuron ?
Les deux programmes, comme tout aéronef civil et militaire, ont fait l'objet de campagnes d'essais en soufflerie. Sur le Rafale et le Neuron, nous avons beaucoup travaillé sur le compromis aéro-furtivité, la surface équivalente radar, les lois de contrôle et guidage, les prises d'air, les arrières corps discrets et les aubes de turbine du moteur ... Parmi les illustrations des apports de l'Onera aux grands programmes de défense, on peut rappeler qu'il est intervenu sur l'autodirecteur du missile Scalp, ou encore sur les lois de guidage et pilotage des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et du porte-avions Charles-de-Gaulle. Du très haut au très profond en quelque sorte.
Le budget de l'Onera est en baisse constante depuis des années. Cela veut-il dire que l'industrie aérospatiale française n'est plus correctement irriguée ?
Les choix faits aujourd'hui en matière de financements étatiques tant dans la défense que dans le civil sont en faveur de démonstrateurs technologiques au détriment de la recherche plus amont qui n'est plus aujourd'hui suffisamment irriguée. L'Etat ne doit pas oublier d'aider la recherche fondamentale sur la base de crédits budgétaires. Mais nous sommes en train d'y travailler et nous devrions par exemple avoir d'ici à la fin de l'année, la première arrivée d'activités amont significatives au titre du PIA aéronautique, qui apporte une première irrigation technologique et financière satisfaisante pour l'Onera. Ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
Pourtant votre budget est en baisse...
... Le budget de l'Onera est construit majoritairement sur des contrats et non pas sur une subvention directe de l'Etat. Elle ne représente que 45% de son budget. C'est vrai que la subvention du ministère de la Défense est passée de 122 millions en 2010 à 94 millions en 2014. La direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui versait jusqu'en 2011 une subvention de l'ordre de 4 millions, l'a arrêtée alors que l'activité de l'Onera en matière d'aviation civile reste très forte. Parallèlement, l'Onera a dû faire face à une forte réduction des contrats en provenance de la DGAC et de la DGA.
L'expertise de l'Onera semble être plus reconnue à l'étranger qu'en France.
Nous avons encore une excellente image internationale, la NASA dit régulièrement que nous sommes son premier partenaire en termes de coopérations. Nous avons également des liens très forts avec des organismes comme la JAXA japonaise, le TSAGI russe, le DLR allemand...Nous venons d'ailleurs avec ce dernier de remporter deux importants contrats lors du dernier appel à projet européen Clean Sky. De nombreux organismes de recherches européens et internationaux nous demandent de travailler davantage avec eux. C'est le cas du DSO et NUS à Singapour avec lesquels nous avons un laboratoire commun depuis 11 ans. Par exemple, quand Airbus Helicopters a vendu 50 Caracal au Brésil, il y avait derrière ce contrat des offset technologiques et scientifiques. Nous avons travaillé - Onera, Airbus Helicopters et les officiels Brésiliens - sur des thématiques qui ont donné entière satisfaction aux Brésiliens au point qu'ils sont en train de réfléchir à mettre en place un Onera local. L'Etat de Minas Gerais (l'un des deux états aéronautiques de la Fédération du Brésil) nous demande - j'ai accepté - de participer aux organes de gouvernance. Mais je rappelle que la direction des affaires internationales à l'Onera n'emploie... que quatre personnes, secrétaire comprise. Nous sommes donc en train de monter en puissance afin d'intervenir en soutien de nos industriels notamment dans leurs démarches d' exportation, comme en Pologne, pour proposer ce type de coopérations. Les Polonais veulent faire de la recherche avec nous. Pourquoi cela ne se fait pas ? Parce qu'on a oublié l'Onera.
Pourquoi l'Onera tombe-t-il dans l'oubli malgré des pépites incroyables ?
Travailler majoritairement sur des sujets de défense n'incite pas à une communication tous azimuts. Et surtout la recherche fondamentale même à visée applicative n'a pas été mise en évidence ces dernières années. Pourtant sans la science et la recherche, il n'y a pas de technologie ni de programme. Par exemple, nous avons participé à la mise au point des nouvelles pales du futur hélicoptère d'Airbus, le H160, qui va arriver en service dans les années 2020. Airbus Helicopters en est au stade du démonstrateur. Mais l'Onera a commencé à travailler sur ces pales au début des années 90. Ce qui veut dire que nous avons travaillé sur des projets scientifiques portant sur ces pales pendant 10 ans, puis leur avons permis de monter en puissance grâce à un contrat financé par la DGAC à Eurocopter (devenu Airbus Helicopters) et à l'Onera.