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29 octobre 2015 4 29 /10 /octobre /2015 12:55
Une heure de vol de Rafale coûte près de 25 000 euros - photo EMA / Armée de l'Air

Une heure de vol de Rafale coûte près de 25 000 euros - photo EMA / Armée de l'Air

 

28-10-2015 Par Olivier Fourt - RFI

 

Depuis l'arrivée du président François Hollande à l'Elysée, la France s'est retrouvée engagée au Sahel, en Centrafrique, en Irak et en Syrie. Résultat : le coût des opérations extérieures devrait encore cette année dépasser le milliard d'euros. Plus de 7 000 militaires français sont engagés en missions extérieures.

 

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29 octobre 2015 4 29 /10 /octobre /2015 12:55
Credits Ulstein

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28.10.2015 par Le Fauteuil de Colbert

 

L'audition du Chef d'Etat-Major de la Marine nationale (CEMM), l'amiral Rogel, devant la commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale est l'occasion de faire le point sur le programme BATSIMAR (BATiment de Surveillance et d'Intervention MARitime). 

 

A priori, il ne ressort que très peu d'informations. Il n'aurait pas été question d'un avancement du calendrier de ce programme de 2024 à 2022. Le député Gilbert Le Bris utilisait encore la date de 2024 et l'amiral Rogel n'emploie pas un autre calendrier.

 

Toutefois, le Chef d'État-Major de la Marine (CEMM) ne cache pas la situation très difficile traversée par les moyens de l'Action de l'État en Mer. Et respecter l'actuel calendrier (Horizon Marine 2025), avec une entrée en service des deux premiers BATSIMAR en 2024, n'est pas une situation acceptable. "Si nous attendions 2024, nous serions en « rupture globale temporaire de capacité », car tous les patrouilleurs outre-mer vont s’éteindre les uns après les autres."

 

 

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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 13:54
photo EMA

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15 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 11

 

[Note RP Defense : mise en-gras du texte des réponses du CEMA par mes soins.]

 

Mme la présidente Patricia Adam. Pour clore les auditions que tient notre commission sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2016, nous entendons cet après-midi le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées. Général, nous vous recevons habituellement au début de ce cycle, mais votre venue aujourd’hui est particulièrement utile après que nous avons entendu les différents chefs d’état-major, en raison notamment du nombre et de l’importance des opérations aujourd’hui menées par les forces armées.

La question de l’exécution budgétaire a déjà été abordée devant nous, en particulier par M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement. Il s’agit d’un sujet auquel nous sommes attentifs : je proposerai que notre commission et la commission des Finances agissent ensemble afin de vérifier dans le détail que l’exécution budgétaire est bien au rendez-vous. Nous devons faire en sorte que l’ensemble des programmes de l’année 2015 soient lancés et exécutés.

 

Général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA). Je vous remercie très sincèrement de m’accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. Vous le savez, j’attache la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale, et c’est pour moi autant un rendez-vous majeur qu’un honneur de m’exprimer devant vous.

Permettez-moi de commencer – et croyez bien qu’il ne s’agit pas d’un procédé rhétorique – par vous remercier pour le soutien sans faille que vous nous avez apporté lors des débats sur la défense, et pour la dynamique que vous avez su leur insuffler. Cela a encore été particulièrement sensible lors de l’université d’été de la défense qui s’est tenue le mois dernier à Strasbourg. Votre discours, madame la présidente, en a constitué un moment fort. Merci donc pour cette relation de confiance entre vous, les parlementaires, et nous, les militaires !

La dernière fois que je suis venu m’exprimer devant vous, c’était en mai dernier à l’occasion de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM), décidée par le président de la République, sous l’impulsion du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Aujourd’hui, avec le projet de loi de finances pour 2016 qui permet d’entrer dans la première annuité de cette LPM actualisée, il s’agit donc, en quelque sorte, de l’application de votre vote du mois de juillet dernier.

Je vous parlerai, comme je l’ai toujours fait, avec objectivité et modération, en tout cas, je l’espère, mais aussi avec conviction, et en totale confiance. J’ai conscience de clore le cycle des auditions de votre commission relative au PLF pour 2016, en conséquence, si vous le permettez, je ne rentrerai pas dans les détails chiffrés du projet de loi, car ils vous ont déjà été plusieurs fois exposés. Je m’attacherai plutôt à vous présenter la vision par les armées des enjeux du PLF 2016.

En tant que chef militaire, si je voulais résumer mon propos, je dirais que j’attends de cette année 2016 qu’elle traduise la cohérence entre les moyens qui sont octroyés à nos armées et les missions qui leur sont confiées, telle que la LPM actualisée l’a décidé. J’articulerai en conséquence mon propos en trois parties : d’abord, le contexte sécuritaire, ensuite, notre modèle d’armée, et, enfin, mes préoccupations.

 

Le contexte sécuritaire se complexifie sous nos yeux ; il augmente mécaniquement les missions de nos armées. Notre modèle d’armée garantit la cohérence entre les missions et les moyens. Quant à mes préoccupations, je les aborderai en toute transparence et vérité.

Le contexte sécuritaire est marqué par la gravité, l’urgence et la complexité des crises géopolitiques, ainsi que par un niveau de menace inédit depuis de nombreuses années. Ce contexte mouvant conditionne les missions de nos armées, celles d’aujourd’hui et aussi celles de demain. Les menaces augmentent et se rapprochent. Daech au Levant, AQMI au Sahel, Boko Haram au Nigeria : nous n’avons pas le droit de détourner le regard. Demain il sera trop tard ; nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !

Pour bien comprendre les ressorts de cette violence, je voudrais vous présenter les quatre lignes de forces qui sont à mes yeux la toile de fond des crises, et qui mettent au défi l’efficacité de nos propres forces.

Le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure constitue une première ligne de force. Cette tendance se confirme. Les crises extérieures ont des répercussions directes sur le territoire national et sur l’espace européen : le retour de combattants français à l’étranger et, dans un autre registre, l’ampleur du phénomène des migrants en sont les deux illustrations les plus criantes. Dans tous les cas, les menaces et les défis sont transfrontaliers. Je constate qu’aujourd’hui, certains États se comportent parfois comme des bandes armées alors que certaines bandes armées prétendent constituer des États et agissent comme tels. Les menaces de la force et de la faiblesse décrites dans le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale sont toujours présentes, mais la menace du non-droit progresse, à l’image du phénomène Daech. Il y a donc un lien de plus en plus fort entre la défense de l’avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la sécurité de l’arrière, c’est-à-dire la protection de nos concitoyens sur le théâtre national.

Le phénomène du terrorisme international dessine une deuxième ligne de force. Incarné par Al-Qaïda, Daech et leurs affidés, il renvoie à la radicalisation djihadiste et répond à une stratégie délibérée : la recherche de la rupture par une surenchère de terreur. Sa propagande, véhiculée par les réseaux sociaux est offensive et de grande « qualité » technique. Son bilan est efficace et, ne nous leurrons pas, elle exerce une attractivité certaine sur une partie de notre propre population, notamment sur notre jeunesse. En cela, elle menace notre société et elle place la violence au cœur de notre démocratie. La menace est sérieuse. Il suffit de regarder quelques faits pour s’en convaincre : 2 700 comptes Twitter pro-Daech en langue française relaient la propagande djihadiste, et environ 20 % des combattants dits étrangers, présents aujourd’hui même au Levant, sont francophones, parmi lesquels on dénombre environ cinq cents Français.

Une troisième ligne de force peut être observée : l’avance technologique, qui nous donnait d’office l’ascendant, se réduit sous l’effet des modes d’action qui visent à la contourner. Ces modes d’action limitent les avantages liés à la technologie. Il s’agit des cyber-attaques, des engins explosifs improvisés, des snipers, des attaques suicides, des actions dans les champs de l’influence et de la perception. Nous les avons affrontés en Afghanistan, au Mali, et maintenant nous les affrontons au Levant. Qui peut dire qu’ils ne viendront pas demain jusqu’à nous ? La technologie reste indispensable, mais elle n’est pas suffisante. Nous réfléchissons à la façon d’adapter nos équipements à cette tendance.

La contradiction de plus en plus flagrante entre la gestion du temps court et la nécessité d’inscrire l’action dans le temps long constitue une quatrième et dernière ligne de force. Nous en parlions hier au colloque « COP21 et Défense ». Avec l’information instantanée et continue, la pression pour une réponse immédiate s’applique partout et à tous alors que l’histoire nous montre que la résolution d’une crise demande en moyenne une quinzaine d’années d’endurance, de constance et de persévérance. En réagissant sous le coup de l’émotion à un événement circonstanciel, nous courrons le risque de la précipitation et du micro-management, qui peuvent provoquer des réponses inappropriées au regard des enjeux réels et au regard de nos objectifs stratégiques. Plus grave encore, nos perceptions biaisées pourraient conduire à des décisions hâtives quant à nos aptitudes militaires, comme l’abandon de telle ou telle composante sous prétexte qu’elle serait mal adaptée à la menace la plus proche. Nous ne devons pas baisser la garde, ni adapter notre outil de défense aux seuls combats d’aujourd’hui. Gardons le juste recul pour appréhender l’avenir incertain et « penser l’impensable », pour reprendre les termes du stratège et diplomate que fut François de Rose ! L’histoire est parfois cruelle sur ce plan. Les choix du PLF pour 2016 s’inscrivent aussi dans cet esprit d’attention au temps long et à la complétude de notre spectre des capacités, aujourd’hui et demain. C’est en cela que ce texte me semble être un bon projet.

 

L’addition ou la combinaison de ces quatre lignes de force a pour conséquence de modifier profondément la physionomie des crises dont l’intensité et la simultanéité conduisent déjà à un engagement important de nos armées.

Cet engagement passe d’abord par la dissuasion nucléaire, qui garantit la survie de la Nation en sanctuarisant ses intérêts vitaux. C’est la première de nos missions et notre ultime assurance. Je ne développerai pas ce point aujourd’hui.

Il passe ensuite par nos opérations extérieures dont je tiens à faire devant vous un rapide tour d’horizon.

Au Levant, nous sommes engagés dans l’opération Chammal, au sein de la coalition internationale qui lutte contre Daech. Nous sommes aussi présents au Liban, avec l’opération Daman, au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) où la situation sécuritaire est en lien étroit avec les événements de Syrie et d’Irak.

En Irak, les efforts coordonnés de la coalition et des forces de sécurité ont permis de stopper l’élan initial de Daech ; il ne faut pas l’oublier. Nos actions aériennes ont été efficaces, et elles le sont toujours, mais l’opération Inherent Resolve s’inscrit dans le temps long car la victoire sera celle des troupes locales, au sol. Leur montée en puissance prendra du temps.

Parce que le centre de gravité de Daech se trouve désormais en Syrie, il était important d’étendre nos actions au théâtre syrien, et d’être capable d’effectuer, si nécessaire, des frappes de riposte si notre sol était visé. Les opérations au-dessus de la Syrie ont permis d’améliorer notre connaissance de Daech, en particulier du phénomène des combattants étrangers. Nos frappes du 26 septembre et du 8 octobre derniers ont déjà exploité cette capacité de renseignement.

Après le Levant, où nous intervenons comme équipier au sein de la coalition, je voudrais évoquer le Sahel, où nous agissons en pilote. Je crois que nous pouvons être fiers du rôle que la France y a joué depuis janvier 2013. Par notre intervention, nous avons évité que le Sahel ne devienne « l’état terroriste islamiste » du continent africain car, souvenez-vous en, le but des groupes armés terroristes au Mali était d’y installer un califat. La force Barkhane a obtenu d’indéniables succès en matière de renforcement de la sécurité et de lutte antiterroriste. Elle poursuit résolument son action contre les terroristes et conforte jour après jour son partenariat avec les forces des pays du G5 Sahel qui montent en puissance et prennent déjà à leur compte une partie de la sécurité de la région, notamment dans les zones transfrontalières, zones privilégiées de transit des groupes armés terroristes.

En agissant au Sahel et au Levant, en y combattant les groupes armés terroristes, en y recueillant des renseignements sur les intentions hostiles de nos ennemis, nous luttons contre l’installation et le développement de sanctuaires à partir desquels ces derniers pourraient venir nous frapper. En agissant au Sahel et au Levant, en contribuant à un environnement plus sûr, nous luttons également contre la misère et la terreur qui poussent des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à fuir leurs pays dans l’espoir d’une vie meilleure.

Je termine ce rapide tour d’horizon des OPEX, avec l’opération Sangaris, en République centrafricaine (RCA), et avec l’opération EUNAVFOR Med, en Méditerranée.

L’opération Sangaris a évité un véritable génocide, un désastre humanitaire ainsi qu’une probable partition de la RCA. Elle a atteint son but avec la transmission du flambeau à la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA), qui a permis à la force Sangaris d’adopter un format de « force de réaction rapide » qui compte aujourd’hui neuf cents hommes. Cette force est indispensable au soutien de la MINUSCA, car les groupes armés conservent un pouvoir de nuisance important. Dans la phase actuelle de transition, ils cherchent à tester notre détermination : les affrontements de ces dernières semaines en sont une illustration. L’étape suivante sera évidemment la tenue d’élections libres. J’espère qu’elles auront lieu dans les mois à venir.

En Méditerranée, nous sommes présents avec la frégate Courbet dans l’opération EUNAVFOR Med, désormais baptisée « Sophia », qui lutte contre les filières criminelles des passeurs. Nous sommes en effet confrontés à l’augmentation du nombre de réfugiés et de migrants. Une telle situation risque de profiter à certains terroristes qui pourraient utiliser ces mouvements à leurs propres fins. Nous ne pouvons pas l’exclure, c’est l’une de mes craintes.

 

Sans être exhaustif, je vous ai présenté les éléments qui me semblent les plus importants de cette défense de l’avant que constituent nos opérations extérieures. S’agissant maintenant de la défense territoriale, nos armées protègent les approches maritimes et aériennes. Elles sont « primo intervenantes » dans ce domaine par leur posture permanente de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des avions de chasse et des hélicoptères se tiennent prêts à décoller en quelques minutes, à partir de nos bases aériennes, pour intercepter tout aéronef suspect survolant notre espace aérien, et cinquante-neuf sémaphores de la marine se répartissent la surveillance des 5 800 kilomètres de côtes de métropole, tandis que des aéronefs et des bâtiments déployés en mer sur chaque façade maritime contribuent à cette surveillance et se tiennent prêts à intervenir en cas de nécessité. Sur ce terrain encore, les armées sont aux avant-postes de la sécurité des Français.

Sur le sol national, les armées viennent en appui et en complément de l’action des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile. Parce qu’elles sont spécialistes de l’urgence et du chaos, elles sont régulièrement sollicitées pour des missions de secours à nos concitoyens touchés par les conséquences des tempêtes ou des intempéries, ou lors d’événements exceptionnels comme le crash de l’A320 de la compagnie Germanwings, en mars dernier. J’évoque ces missions car chacune d’entre elles s’ajoute aux précédentes.

Aujourd’hui, avec la mission Sentinelle qui se déroule sur le territoire national, nous sommes face à un changement stratégique majeur. Il s’agit d’abord d’un changement en volume. Avec 7 000 soldats engagés chaque jour, et la capacité de monter jusqu’à 10 000 hommes sur court préavis, le « volume » de l’opération Sentinelle est plus de quatre fois supérieur à ce qui existait auparavant. C’est considérable ! Il s’agit ensuite d’un changement en nature : nous faisons face à une menace durable, élevée, protéiforme. Nous devons la prendre en compte et trouver la bonne réponse en complément des forces de sécurité intérieure bien sûr, sans compromettre nos engagements futurs. Une réflexion doctrinale interministérielle est en cours pour répondre à ces changements afin que la mission Sentinelle ne soit pas qu’une excroissance du dispositif Vigipirate, mais une véritable plus-value stratégique en complément des forces de sécurité intérieure.

L’apport de nos armées à la protection des Français à l’intérieur de nos frontières est essentiel. La mission Sentinelle rassure nos concitoyens ; la grande popularité de nos soldats le prouve. De plus, Sentinelle envoie un message fort à nos adversaires et montre la force et la détermination de notre pays : nous ne permettrons pas que des actions de guerre soient commises sur notre sol. La protection de la France et des Français demeure la vocation première des forces armées.

Pour autant, dans les mois à venir, le volume des forces engagées sur le territoire national restera une source de fragilité : tant que les manœuvres de recrutement et de formation de l’armée de terre ne seront pas terminées, c’est-à-dire d’ici à la fin de l’année 2016 ou au début de l’année 2017, des renoncements perdureront pour garantir les effectifs de Sentinelle.

Mon devoir est de vous dire que nous vivons actuellement sur le capital opérationnel que nous avons construit ces dernières années. Nous pouvons encore nous le permettre, mais sans une force terrestre comptant 77 000 soldats, notre capacité opérationnelle s’effriterait inexorablement. C’est la raison pour laquelle les décisions que vous avez adoptées en juillet dernier en faveur d’une moindre déflation des effectifs – vous avez sauvegardé 18 750 postes – étaient indispensables. Cet effort en effectif, caractéristique forte de l’année 2016, est plus qu’un objectif : c’est un impératif.

Je rappelle que le soldat qui est actuellement engagé dans Sentinelle est le même que celui qui, demain, partira au Sahel combattre au sein de la force Barkhane. Sa préparation opérationnelle, autrement dit son entraînement, n’est donc pas négociable, sauf à le mettre en danger, et il s’agirait d’un danger de mort.

Au quotidien, sur l’ensemble du territoire, dans une discrétion et avec une abnégation qui les honorent, nos soldats veillent sur vous, sur les Français. Ils méritent notre reconnaissance et notre attention ; ils méritent, au minimum, d’avoir les moyens de leurs missions. Le PLF 2016 que nous étudions aujourd’hui les leur donne. Tel est, en tout cas, mon opinion.

Pour conclure sur ce premier point relatif au contexte sécuritaire, je dirais que nous connaissons en la matière une situation qui se dégrade. Si l’on dresse un bilan de la situation, la tendance est toujours à plus de missions pour nos armées, car, aux missions opérationnelles, il faut encore ajouter tout le reste. Je pense à l’environnement de soutien et de gestion, mais aussi au soutien aux exportations, ou encore à nos actions en faveur de la cohésion nationale avec le service militaire volontaire. Soyons clairs : notre modèle d’armée ne pouvait plus subir davantage de réduction !

 

Cela m’amène au deuxième des trois points que je souhaite aborder : notre modèle d’armée. Quelles réponses le PLF pour 2016 apporte-t-il en la matière ?

Le PLF 2016 est la traduction cohérente des mesures prises dans le cadre de la loi actualisant la LPM. Il donne aux armées, aux directions et aux services, les moyens strictement nécessaires à leurs missions et permet de préserver la cohérence de notre modèle. Cette cohérence est d’abord celle d’un bon équilibre entre les fonctions stratégiques telles qu’elles sont inscrites dans notre Livre blanc. Ces fonctions restent une matrice pour penser la réponse à la violence, réponse qui doit être globale.

S’agissant des effectifs, l’année 2016 sera exceptionnelle puisqu’elle verra, pour la première fois depuis de nombreuses années, un solde net positif avec la création de 2 300 postes, principalement dédiés à la force opérationnelle terrestre, mais aussi aux domaines de la protection, du renseignement et de la cyberdéfense. Cela est nécessaire.

La fonction dissuasion est maintenue à son niveau actuel de juste suffisance. Le budget qui y est consacré garantit la disponibilité et la performance de la dissuasion nucléaire dans ses deux composantes complémentaires : océanique et aérienne.

Pour la fonction protection, le budget propose une consolidation en vue d’adapter la protection de notre personnel et de nos emprises aux nouvelles menaces. La défense opérationnelle du territoire devra être ajustée au nouveau contexte en assurant la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre. Est également prévue l’optimisation, voire le renouvellement dans certains cas, des moyens militaires contribuant à l’action de l’État en mer, à la défense maritime du territoire et à la posture permanente de sûreté aérienne, ainsi qu’à l’organisation territoriale interarmées de défense qui constitue la charpente de notre dispositif.

Pour la fonction connaissance-anticipation, un effort est consenti, avec un plan de recrutement à hauteur de 560 postes supplémentaires en 2016 – renseignement et cyberdéfense –, et la poursuite des grands programmes qui garantiront à la France l’autonomie de sa capacité d’appréciation des situations avec, notamment, le programme de capacité de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) spatiale et d’autres équipements pour le recueil du renseignement tactique et la surveillance de zones à risques. En 2016, le processus d’acquisition des drones MALE se poursuivra également avec la commande d’un troisième système et la livraison du deuxième.

Pour la fonction intervention, nous constatons à la fois une régénération et une adaptation. Elles nous permettront de garantir notre capacité autonome d’intervention et d’assurer notre rôle de nation cadre au sein d’une éventuelle coalition. Un premier axe d’effort concerne l’entretien programmé des matériels et leur régénération pour les plus sollicités d’entre eux en opération. Dans le contexte actuel de fort engagement que je vous ai décrit, il s’agit de reconstituer au plus tôt et durablement le potentiel des matériels les plus affectés. Un second axe est relatif aux acquisitions supplémentaires destinées à adapter notre dispositif aux conditions de nos engagements dans les domaines de la mobilité, de l’initiative, de l’endurance et de l’anticipation. Je ne citerai que l’exemple de quelques matériels qui me tiennent particulièrement à cœur : les quatre avions de transport C-130, les six hélicoptères de transport NH90, les sept hélicoptères de combat Tigre et, pour la marine, le bâtiment de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) et le bâtiment multi-missions (B2M).

Nous constatons enfin un maintien de la fonction prévention qui est essentielle, car elle permet de prévenir les crises et d’agir au plus tôt. C’est ce que nous faisons, par exemple, avec l’opération Corymbe, dans le golfe de Guinée. Elle contribue à la prévention des actes de piraterie, ainsi qu’à la protection des intérêts commerciaux français. C’est aussi le rôle très important joué par nos forces prépositionnées en Afrique : elles sont un atout majeur pour notre pays, pour sa capacité d’action et parfois de réaction.

Le PLF 2016 donne les moyens pour mettre en œuvre notre modèle d’armée, dont la cohérence est assurée par cet équilibre entre les fonctions stratégiques. Cependant, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C’est pour cela que les armées, directions et services poursuivent leur transformation portée par notre projet commun, Cap 2020, qui, autour de l’équipe des chefs d’état-major d’armée, est mis en œuvre résolument. Vous connaissez les trois projets d’armées – dénommés « Au contact » pour l’armée de terre, « Horizon Marine 2025 », et « Unis pour faire face » pour l’armée de l’air – et ceux des directions et services ; ils sont tous synchrones et coordonnés. Ce projet global de transformation opérationnelle et organique constitue une grande avancée. Il nous évitera probablement le syndrome du maillon faible, qui peut conduire à la défaite, car c’est bien toujours cette adéquation entre moyens et missions qui me préoccupe.

 

J’en viens au troisième volet de mon exposé. Mes préoccupations sont malheureusement nombreuses mais, pour rester synthétique, j’en ai retenu quatre principales : le budget, la protection et la défense de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines, j’allais parler de richesses humaines, et le moral.

Un premier point de vigilance concerne le budget. Quelle que soit la programmation budgétaire initiale, je crains toujours, d’expérience, le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu : je ne ferai preuve d’aucune souplesse sur ce sujet. Elles nous sont indispensables pour la bonne combinaison entre les moyens et les missions que je viens d’évoquer. Trois questions méritent que nous leur portions une attention particulière.

La fin de gestion de 2015, tout d’abord, car elle conditionne la bonne « mise sur les rails » de l’année 2016. L’ensemble des crédits de la mission « Défense » doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015 selon le volume prévu par la loi de finance initiale, soit 31,4 milliards d’euros, dont 2,14 milliards de crédits budgétaires substitués aux ressources exceptionnelles qui devront être inscrits dans la loi de finances rectificative de fin d’année. Au-delà de ces crédits, pour ne pas hypothéquer l’avenir, et pour respecter les décisions prises dans le cadre de l’actualisation, notamment celles relatives aux équipements, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements traditionnels de fin d’année. Cela correspond à environ 950 millions d’euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, au-delà de la provision initiale, Sentinelle, et la révision de la trajectoire de déflation des effectifs avec la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre.

À titre d’illustration, la décision de non-remboursement sur la durée de la LPM de l’opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements ainsi qu’une partie de celles dédiées à l’achat d’équipement. Cela ne serait ni raisonnable ni concevable, sauf à remettre en question l’actualisation de la LPM que vous venez de voter, sauf à accepter de dégrader encore le report de charges, sauf à remettre en question nos capacités d’engagement opérationnel.

Ensuite, le projet de loi de finances lui-même mérite évidemment notre attention. L’année 2016 constitue la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l’effort de défense dans un contexte de dégradation du contexte sécuritaire. En termes de ressources, le PLF 2016 est conforme à la LPM actualisée avec un budget de 31,976 milliards d’euros, soit 600 millions supplémentaires par rapport à la LPM initiale pour la période 2014-2019. Il sécurise la ressource de la mission « Défense » en budgétisant les ressources exceptionnelles (REX) tirées de la cession de fréquences hertziennes à hauteur de 1,6 milliard d’euros. Néanmoins, l’annuité 2016 reste soumise à plusieurs risques. À ceux que je viens d’évoquer concernant la fin de gestion de 2015, en particulier ceux relatifs au remboursement de l’opération Sentinelle, s’ajoutent ceux relatifs à la réalisation des 250 millions d’euros de cessions – il s’agit des dernières recettes exceptionnelles provenant, pour 200 millions, de cessions immobilières, et, pour 50 millions, de cessions de matériels – et ceux liés à la réalité des gains attendus de l’évolution du coût des facteurs.

Cette question du coût des facteurs constitue la troisième de mes préoccupations relatives au budget. Sur la durée de la LPM, les gains liés à l’évolution favorable des indices économiques doivent permettre de financer un milliard d’euros d’équipements dont nous avons, je vous l’ai montré, absolument besoin. Toutefois, nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Si l’effet « coût des facteurs » est indiscutable, je rappelle que nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes, notamment sur le fonctionnement. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d’achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. Ces charges nouvelles liées à l’application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduisent d’autant l’effet positif du coût des facteurs. La différence entre les économies liées à l’évolution du coût des facteurs et ces charges additionnelles constituera le bénéfice net qui, je l’espère, s’élèvera à hauteur d’un milliard d’euros sur la période. Ce sujet fait l’objet actuellement d’une nouvelle mission conjointe de l’inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA), dont les conclusions sont attendues pour la fin de l’année.

 

Un deuxième point de vigilance porte sur la protection défense : la protection des installations militaires.

La menace terroriste visant notre pays concerne aussi, peut-être même surtout, les militaires pour ce qu’ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles. Il s’agit de se protéger sans se renfermer. Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l’externalisation de certaines fonctions comme le gardiennage. Peut-être sommes-nous parfois allés trop loin depuis vingt ans ? Nous devons impliquer tout le personnel militaire et civil affecté sur chaque emprise dans une défense collective, cohérente et coordonnée. Par ailleurs, la coordination interministérielle, au niveau du renseignement, peut probablement encore progresser, notamment au niveau local. Elle est en effet nécessaire pour accroître le niveau des postures de protection au regard de la réalité de la menace d’aujourd’hui. La protection et la défense de nos emprises militaires contribuent directement à la capacité de résilience de notre pays.

 

Le troisième point de vigilance que je souhaite évoquer est relatif à notre modèle de ressources humaines (RH).

La qualité humaine est la vraie force de nos armées, j’en suis de plus en plus persuadé. C’est pour cela que le modèle RH constitue une partie intégrante du modèle d’armée, et que sa rénovation s’inscrit dans le cadre de la transformation. C’est un chantier majeur, car je crois en la jeunesse. Je crois en la jeunesse de mon pays et en celle que nous recrutons ; je crois en ses talents, en son enthousiasme. Nous pouvons lui faire confiance, et pour qu’elle puisse exprimer tout son potentiel, nous voulons un modèle RH plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus souple, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées. Nous voulons rétablir l’adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-Nation pour une armée professionnelle, et précieux renfort pour les unités d’active. Le budget des réserves est porté à 88 millions d’euros en 2016 soit 17 millions de plus que dans la LPM initiale. Sur la période 2016-2019, cela correspond à 75 millions d’euros supplémentaires. Nous avons plus que jamais besoin de ces professionnels à temps partiel. Ces éléments sont l’ambition de la refonte de notre modèle RH qui a un seul but : former l’armée de nos besoins, celle dont la France a besoin.

 

J’en viens à un quatrième et dernier point de vigilance, probablement le plus important : l’état du moral des troupes. Je l’évoque à chacune de mes auditions, car il est une part déterminante de la capacité opérationnelle. « Comment est le moral de nos armées ? » Partout où je me rends, l’on me pose cette même question. Ce moral est aujourd’hui contrasté : excellent en opération, il est plus fragile en garnison et dans les états-majors, notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller, comme le fait tout bon chef.

Oui, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service ! Face aux dangers qui montent, ils ont pleinement conscience de leurs responsabilités, croyez-moi ! Leur moral est ainsi excellent dès qu’ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate lorsque je leur rends visite en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement. Pour eux, la mission est sacrée : ils l’accomplissent jusqu’au bout, avec fierté et enthousiasme, au besoin au péril de leur propre vie. Au moment où je vous parle, nous venons de rapatrier trois blessés du Mali, l’un d’entre eux se trouvant dans un état grave.

Mais je constate aussi ce que note par ailleurs le Haut comité à l’évaluation de la condition militaire (HCECM) dans son dernier rapport : « Il existe parfois un sentiment d’une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories sociales. » Ce sentiment résulte aussi d’années d’efforts consentis par les militaires. Je rappelle qu’il y a quarante ans, l’armée de terre comptait 210 régiments contre 79 aujourd’hui, la marine nationale alignait 123 bâtiments de premier rang contre 57 aujourd’hui, et l’on dénombrait 68 bases aériennes alors qu’elles sont 25 actuellement. Nous avons aujourd’hui moins de militaires qu’il n’y avait de professionnels avant la professionnalisation !

Nous devons être attentifs à ces femmes et ces hommes qui enchaînent les missions sans se plaindre, qui supportent les dysfonctionnements de Louvois avec courage, qui font passer leur devoir avant leurs droits – ce n’est pas si courant ; ils ont besoin de notre reconnaissance et de notre soutien sans faille. Nos militaires défendent avec foi les valeurs de notre pays. La liberté, ils combattent pour elle ; l’égalité, ils la vivent sous l’uniforme chaque jour ; la fraternité est leur quotidien.

Pour éviter que le moral ne se dégrade, je suis persuadé que l’on gagnerait à prendre en compte dans les mois et les années à venir les préconisations du HCECM en matière de condition du militaire pour l’avenir. C’est un enjeu opérationnel ; c’est, pour moi, un point d’attention majeur !

 

Mesdames, messieurs les députés, pour conclure, je dirai que la force ne nourrit ni le terrorisme, ni la misère. Au contraire, quand la force avance, la violence recule, comme le montrent nos résultats dans la bande sahélo-saharienne. Madame la présidente, je reprends les mots que vous avez employés lors de la dernière université d’été de la défense : « Depuis vingt-cinq ans, les dividendes de la paix ont été largement touchés. » Alors restons particulièrement attentifs à la situation sécuritaire qui se dégrade sous nos yeux, et vigilants quant aux moyens qui sont donnés à nos armées ! Le contexte sécuritaire actuel renforce la pertinence des choix faits lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire. Ils sont déclinés dans le PLF pour 2016. Ne baissons pas la garde, restons attentifs à l’évolution de la menace, et unis derrière les hommes et les femmes qui risquent leur vie, sous l’uniforme de nos armées, pour défendre la France et les Français ! Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Au nom des membres de cette commission, qui sont pleinement conscients des enjeux actuels et des besoins de notre défense, je tenais à vous dire l’admiration que nous ressentons pour les hommes et les femmes de nos armées que nous rencontrons sur le territoire national ou en OPEX.

Les parlementaires français sont quasiment les seuls en Europe à se déplacer pour aller au-devant des militaires. Nous le faisons naturellement, et une habitude s’est désormais créée de part et d’autre en la matière. Nous tenons à ce contact qui explique peut-être aussi la très bonne connaissance qu’ont les parlementaires des sujets militaires, et le fait qu’ils comprennent les besoins que vous avez exprimés.

Je vous l’ai dit, avec la commission des Finances, nous serons particulièrement vigilants concernant la fin de gestion de l’année 2015. Notre commission sera évidemment mobilisée, comme elle l’est toujours, pour ce qui concerne le budget pour 2016. Elle le restera en 2017 et au-delà, car nous savons que la remontée en puissance de nos armées, qui a bel et bien commencé – le budget progresse et la déflation des effectifs régresse même si elle persiste –, ne peut s’opérer que sur le long cours et qu’elle n’a pas de sens sur un temps bref.

En tout état de cause, le budget pour 2016 devra être exécuté. Il sera respecté comme a été respectée la loi de programmation militaire depuis le début de la législature, ce qui constitue, je le dis en toute sérénité, une première depuis très longtemps. Il faudrait certes en faire peut-être encore plus, mais la situation financière du pays étant celle que nous connaissons, les efforts consentis sont bien réels. Ils devront se poursuivre sur le temps long.

 

M. Jean-François Lamour. Mon général, au-delà de sa franchise, je perçois dans votre intervention beaucoup de volontarisme mais surtout beaucoup d’inquiétude, en particulier lorsque vous évoquez vos préoccupations.

Où en êtes-vous des acquisitions de matériels prévues dans le cadre de l’exercice budgétaire 2015 ? Aujourd’hui, 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles (REX) sont « rebudgétisées », auxquelles il faut ajouter le financement des OPEX et des OPINT pour environ 950 millions d’euros supplémentaires. Nous sommes donc proches des trois milliards de mesures nouvelles. Nous craignons tous une transformation intégrale ou partielle en report de charges qui obérerait les efforts théoriques annoncés de 600 millions d’euros de mesures nouvelles, destinées notamment à absorber le coût de l’opération Sentinelle. Où en est par exemple le financement prévu des frégates multi-missions (FREMM) et pour l’A400M, qui devait reposer sur les sociétés de projet ou special purpose vehicle (SPV) ?

M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration, que nous entendions mardi dernier, a évoqué pour la première fois sa part de l’effort du ministère de la Défense consacré aux coûts des facteurs, soit 13 millions d’euros sur les 250 millions prévus pour l’exercice 2016. Quelle part respective revient aux trois armées dans l’effort consenti ? Il serait inquiétant que vous ne le sachiez pas encore car, comme vous disiez vous-même, il s’agit un effort important lié à l’acquisition d’équipements pour nos forces.

Vous évoquez le chiffre de 2 300 personnels nouveaux mais l’effort réel, en particulier en matière de formation initiale, concerne l’intégration de 11 000 hommes. Alors qu’il faut aussi financer les OPINT, les OPEX, et la mission Cuirasse de protection des installations militaires, serez-vous en capacité d’assurer la formation initiale et la préparation de nos troupes pour la fin de l’année 2016 ou pour le début de 2017 ? Seront-elles prêtes pour réaliser deux à trois missions OPINT et une mission OPEX, quelquefois une mission OPEX et demie ?

 

M. Pierre Lellouche. Mon général, comme Mme la présidente, je tiens à remercier à travers vous l’ensemble de nos forces qui effectuent un travail remarquable avec un engagement exceptionnel, dans les conditions que nous connaissons.

Je m’interroge tout d’abord sur la fin de gestion de l’année 2015. Un financement a été annoncé qui doit permettre de boucher un trou béant ; pour ma part, je n’ai toujours rien vu. On nous promet une loi de finances rectificative : comme Saint Thomas, je croirai quand je verrai ! Je prends néanmoins acte des bonnes intentions de notre présidente ; je sais qu’elle s’est personnellement engagée sur le sujet et je ne mets en aucun cas en cause son honnêteté.

Comme d’autres collègues, je me pose aussi des questions sur le bien-fondé doctrinal de l’utilisation de l’armée dans des missions qui, à mon sens, ne relèvent pas d’elle. Ce que je la vois faire au quotidien en tant qu’élu de Paris dans le cadre de l’opération Sentinelle, mon général, ce n’est pas un travail de militaires – et encore moins un travail de militaires qui doivent s’entraîner pour intervenir en OPEX durant la même année. Cela n’est bon, à mon avis, ni pour le moral, ni pour l’entraînement, ni pour les finances de l’armée. Dans un pays durablement engagé dans une guerre contre le terrorisme – car telle est notre réalité pour des années, que nous aimions cela ou pas –, il faut que nous disposions de moyens dimensionnés pour ce combat, qui ne soient pas ceux de l’armée de terre. Il serait bon que le Parlement soit associé à la « réflexion doctrinale interministérielle » que vous évoquiez.

Je m’interroge ensuite sur le bien-fondé dans la durée d’opérations extrêmement lourdes et complexes dans lesquelles notre pays est engagé comme Barkhane ou Chammal. À votre avis, est-il raisonnable de s’embarquer dans des opérations telles que Barkhane sans vision précise de la façon dont on peut en sortir ? S’agit-il d’une d’opération de gardiennage de la zone sahélienne pour les deux prochaines décennies ? Cela changerait tout, y compris pour l’organisation de nos forces. Les questions sont multiples également concernant l’opération Chammal, notamment en matière de coordination, alors que se croisent dans le même ciel des avions américains, turcs et russes. Comment éviter l’incident ?

Quid enfin du fondement juridique de cette opération ? L’article 51 de la Charte des Nations unies suffit-il à justifier une intervention ? Jusqu’à ce jour la France n’intervenait que si elle disposait d’un mandat de l’ONU, ou si elle y avait été invitée par un État étranger – ce qui n’est, de toute évidence, pas le cas. Le traitement de nos concitoyens qui ont la mauvaise idée de combattre nos soldats pose également un problème juridique. En France, nous les gardons en prison et nous continuons à payer leurs droits sociaux ; sur le terrain, manifestement, nous les tuons. Inévitablement, mon général, vous serez en première ligne pour régler ce problème de droit, même si vous n’êtes pas concerné puisque vous appliquez les ordres.

Mon général, je vous prie de bien vouloir excuser mon départ prématuré : retenu par d’autres obligations, je ne puis malheureusement assister à la suite de cette audition, mais je lirai avec attention le compte rendu des réponses que vous voudrez bien m’apporter.

 

M. Jean-Michel Villaumé. Lorsque nous vous avons entendu, au mois de mai dernier, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, vous vous réjouissiez de la montée en puissance de la réserve que vous comptiez réorganiser dans les territoires. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Lors de cette audition, vous aviez également insisté sur l’importance des menaces nouvelles dont la menace cyber. Qu’en est-il aujourd’hui de la réorganisation de nos services de renseignement d’intérêt militaire – je sais qu’une éventuelle mutualisation avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avait été évoquée ainsi que la création d’un centre d’analyse de la menace cyber ?

 

Général Pierre de Villiers. MM. Lamour et Lellouche ont évoqué la fin de gestion de l’année 2015. J’ai rangé ce sujet parmi mes préoccupations, mais je vous ai surtout dit qu’il faisait l’objet d’une vigilance particulière de ma part. Des engagements ont été pris et je n’ai aucune raison de ne pas avoir confiance.

Aujourd’hui deux programmes sur douze sont engagés et il en sera ainsi jusqu’à la deuxième quinzaine de décembre lorsque tomberont les 2,2 milliards d’euros de la loi de finances rectificative. Nous prenons évidemment toutes les dispositions avec la DGA pour que soient ensuite immédiatement engagés l’ensemble des programmes, ce qui est désormais techniquement possible grâce aux systèmes actuels. Je fais confiance, et je ne suis pas plus inquiet que cela. Une promesse claire a été faite, il n’y a pas de raison qu’elle ne soit pas tenue. Et puis 2,2 milliards, cela se voit un peu. (Sourires.) Cela dit, la confiance n’excluant pas le contrôle, je ferai les additions à la fin de l’année, et je verrai bien si j’ai mon contenu physique et mon contenu financier.

Il n’y a aucune raison pour que nous constations un glissement physico-financier de fin de gestion sur les programmes. S’il me manquait les 950 millions d’euros, cela se traduirait mécaniquement soit par un glissement physique soit par un glissement financier, autrement dit par un accroissement du report de charges. Aujourd’hui, le report de charges est de 3,45 milliards d’euros. Nous avons pour ambition de le réduire le plus rapidement possible car la situation l’exige.

Nous n’avons pas de raison d’imaginer le pire. Certes, dans une situation difficile, nous ne sommes pas à l’abri d’un amendement qui réduirait nos crédits, mais il reste qu’à ce stade, nous disposons d’un maximum de garanties.

En l’état actuel des prévisions, la part du coût des facteurs pour les armées s’élève, durant la période 2016-2019, à 300 millions d’euros sur un total d’un milliard. J’attends avec intérêt le rapport commun de l’IGF et du CGA modifié afin de prendre en compte les économies du coût des facteurs versus les charges additionnelles. Il faudra voir le solde net réparti annuellement. Je resterai également vigilant. Je ne conteste pas les notions de coût des facteurs et d’économies ; je demande simplement que l’exercice s’effectue honnêtement et de façon transparente.

Monsieur Lamour, vous me demandez ce qu’il en est de la capacité de l’armée à recruter, à former et à fidéliser les 11 000 militaires qui feront passer les effectifs de la FOT de 66 000 à 77 000 personnels. Avec le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, nous avions annoncé que tout serait bouclé à la fin de l’année 2016. Nous y parviendrons plutôt au mois de janvier ou de février 2017, mais nous y parviendrons. Nous avons déjà recruté plus de 5 000 jeunes supplémentaires, et vous seriez surpris, comme je le suis moi-même, de la qualité de ces recrutements, toutes catégories confondues. La crise économique et le chômage constituent sans doute une explication, mais ce n’est pas celle que nous donnent les jeunes que nous interrogeons. Avec leurs mots, ils nous répondent systématiquement qu’ils ont choisi l’armée parce qu’ils cherchent des valeurs, une institution qui fournisse un cadre, une famille, la fraternité… Ils ne disent pas en premier : « Je cherchais un emploi, j’étais au chômage. »

En termes de formation, il s’agit d’un vrai challenge pour l’armée de terre. Ce n’est pas facile, mais elle réussira. Et elle ne dispense pas une formation au rabais : après les six mois de formation initiale, je rappelle que ces personnels sont considérés comme projetables à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur. Aujourd’hui, nous relevons ce défi avec une jeunesse d’une grande qualité. Cela marche remarquablement bien ! La partie n’est pas aisée pour ce qui concerne la formation – nos centres tournent à plein régime –, mais nous avions tout de même réfléchi à tout cela avant de lancer des chiffres.

Pourquoi une partie de la jeunesse de France s’engage-t-elle chez nous et une autre chez Daech ? Comme j’ai la chance de me trouver ici, devant la représentation nationale, je voulais soulever cette question de fond à laquelle nous devons réfléchir. À mon avis, tous cherchent un cadre et des valeurs qu’ils ne trouvent plus dans la société. Les uns vont dans une direction morbide, chez Daech, croyant se rassurer, espérant trouver un sens à leur vie. Les autres choisissent l’armée pour défendre et servir la France. Ils nous le disent comme ça, quels que soient leur niveau d’études et leur catégorie socioprofessionnelle. C’est assez exceptionnel.

Je tenais à vous en faire part, alors que je suis frappé par le pessimisme ambiant, par la morosité générale. Tout n’est pas parfait dans la jeunesse, certes, mais il y a des signes d’espérance. Les jeunes dont je vous parle ne comprennent pas ce pessimisme, ils sont d’un enthousiasme incroyable ! Pensez-vous que les trois jeunes que nous avons rapatriés cette nuit du Mali se posent ces questions ? Ils sont allés jusqu’au bout de leur mission au service de la France, pour leur chef de section, pour leur capitaine, pour leur colonel. C’est ainsi qu’ils voient les choses. Vous avez raison : il n’était absolument pas évident d’incorporer et de former 11 000 jeunes en dix-huit mois. Nous y réussissons pourtant, grâce à cet état d’esprit que je viens de vous décrire.

Je remercie M. Lellouche de m’interroger sur Sentinelle. Je m’étais préparé à cette question et j’aurais été très déçu que personne ne me la pose (Sourires.) Elle me donne l’occasion de dire tout le bien que je pense de cette opération.

Au passage, je signale que je ne me contente pas d’exécuter des ordres. Ce n’est heureusement pas ainsi que les choses se passent. En tant que conseiller militaire du Gouvernement, j’ai la faiblesse de penser que le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense m’écoutent. Au sein d’un conseil de défense, je ne suis pas un simple fonctionnaire qui prend des notes. Je suis l’un des premiers à qui l’on demande de proposer des mesures. Ensuite, c’est le président de la République, chef des armées, qui décide. C’est ainsi qu’avec Jean-Yves Le Drian nous avons proposé l’intervention aérienne en Syrie. Nous ne pouvions pas continuer à être aveugles si nous voulions garder une appréciation autonome. Ces décisions sont le fruit d’une réflexion globale et nous y participons pleinement

Ce fut le cas s’agissant de Sentinelle. Quel est le rôle des forces armées sur le territoire national ? La question est légitime. Pour ma part, je considère que la mission des armées, en temps de crise comme en temps de paix, est de protéger tous les Français où qu’ils se trouvent, à l’étranger, outre-mer ou en métropole. Je ne vois pas ce que le président de la République aurait pu faire d’autre pour protéger les Français et les rassurer.

Vous pouvez légitimement considérer que l’opération dure un peu trop longtemps sous la forme actuelle. C’est pour cette raison que, dans mon propos liminaire, je vous ai dit que Sentinelle ne devait pas être une excroissance durable de Vigipirate. On ne peut pas faire à 7 000 ce que l’on faisait à 1 000 ou 1 500. On ne peut pas demander durablement aux soldats français d’aider, de remplacer, de suppléer des forces de sécurité intérieure qui ne seraient pas assez nombreuses.

Mais l’opération Sentinelle, ce n’est pas cela. Peut-être ne l’a-t-on pas suffisamment expliqué ? Loin d’être une sorte de Vigipirate bis, Sentinelle répond à une rupture stratégique : nous considérons que la situation n’est plus la même qu’il y a un an et que le niveau de menace est tel en France que les forces de sécurité intérieure ont besoin du renfort substantiel et durable des forces armées. Mais plutôt que de suppléer les forces de sécurité, les armées doivent apporter des savoir-faire complémentaires.

Nous réfléchissons à cette rupture stratégique, sous le pilotage du SGDSN. La réponse implique une synergie interministérielle, car la relation à l’autorité civile est une dimension particulière de la sécurité intérieure, et nous devons rendre notre copie au président de la République avant la fin de l’année. Vous pouvez considérer que le dispositif actuel dure un peu trop longtemps, que ce n’est pas aux soldats français de garder par exemple un lieu de culte. Pour notre part, nous cherchons à créer un dispositif cohérent, dans lequel nous apporterons nos compétences car nous avons affaire à un adversaire qui utilise des mêmes modes d’action que nous affrontons en opérations extérieures. Voilà le phénomène nouveau qu’il faut comprendre.

Le dispositif Sentinelle serait donc critiquable si nous étions dans la même situation qu’il y a un an : un soldat n’est pas formé pour rester en garde fixe au pied d’un lieu jugé – à juste titre – sensible. Mais nous allons faire autre chose, autrement. Nous pouvons être plus mobiles, opérer de nuit, utiliser des équipements et des techniques que nous sommes les seuls à avoir, faire appel aux réservistes. Les différentes armées y réfléchissent, sachant que Sentinelle n’est que l’un des aspects de la défense du territoire et que, dans ce contexte très mouvant, divers autres sujets émergent : flux de migrants, survols de drones, cyberattaques, etc. Nous ne devons pas céder à une tendance naturelle qui est de raisonner sur la situation d’aujourd’hui à partir du contexte d’hier. Pour conseiller le Gouvernement, je m’efforce d’anticiper et j’en viens à cette analyse : puisque nous avons affaire aux mêmes terroristes, nous devons pouvoir recourir, le cas échéant, à des modes d’action à l’intérieur qui s’inspirent de ceux utilisés à l’extérieur du territoire national. Le dispositif Sentinelle va donc évoluer.

Les personnels des armées, singulièrement ceux de l’armée de terre, n’ont pas toujours bien vécu la suppression de leur entraînement et de leurs activités. Mais ce que vit le plus mal un soldat professionnel, c’est de rester dans sa caserne à ne rien faire. À cet égard, il n’y a rien à craindre : 30 000 soldats sont actuellement déployés, dans les forces de présence, les forces de souveraineté, en OPEX, en OPINT. Un soldat professionnel est satisfait de remplir une mission, quelle qu’elle soit, avec honneur et fidélité.

Certains ont pu critiquer un dispositif dont l’organisation est perfectible. Les choses évoluent. Sentinelle va ainsi être commandée comme n’importe quelle autre opération. À Paris, en janvier, 4 000 soldats avaient été déployés dans l’urgence, sous un commandement Vigipirate doté pour l’occasion d’une sorte d’excroissance avec une dizaine d’états-majors tactiques (EMT). À partir de fin octobre, il y aura trois EMT, commandés par trois chefs de corps.

Qu’est-ce qu’un soldat professionnel aujourd’hui ? Quelle est la mission des armées sur le territoire national ? Il est très sain et très important de débattre de ces questions fondamentales. Les menaces nouvelles, on les voit venir. Malgré la qualité remarquable de nos services de renseignement, nous devons nous attendre à de nouveaux attentats, comme l’a dit le Premier ministre à plusieurs reprises. Dans ce contexte, quelle autorité politique pourrait décider d’enlever les 7 000 hommes déployés sur le territoire national ? Je ne le conseillerais à personne.

Venons-en à Barkhane. J’ai toujours dit que cette opération allait durer, je ne m’en suis jamais caché. D’une part, nous n’allons pas éradiquer le terrorisme en trois ans. D’autre part, nous sommes engagés dans une opération transfrontalière de partenariat élargi avec les pays du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – dont la montée en puissance va prendre du temps.

Pour ce qui est de l’opération Chammal, la coalition coordonne l’espace aérien. C’est très complexe, je ne le nie pas. Sur ce plan, l’arrivée de la Russie dans l’espace aérien au Levant ne simplifie pas les choses. Une coordination est nécessaire pour éviter que les avions ne se télescopent.

S’agissant de l’article 51 de la Charte de l’ONU, je ne souhaite pas entrer dans ce débat politique et juridique.

Vous m’avez aussi interrogé sur des Français tués en Syrie sous les frappes de Rafale. Entre nous, je vais vous le dire franchement : ces frappes visent des terroristes. On tire sur des gens qui s’entraînent dans des camps, quelle que soit leur nationalité. On ne leur demande pas leur passeport. Quand nous préparons un dossier d’objectifs – ce n’est pas simple, croyez-moi ! – nous prenons toutes les précautions, notamment pour éviter les pertes civiles. Nous le faisons de façon extrêmement professionnelle. Ces gens n’étaient pas par hasard dans ce camp ; ils ne faisaient pas leurs courses. J’essaie de répondre sans langue de bois et avec sincérité pour que vous compreniez bien mon état d’esprit. Moi, je suis un soldat français, responsable, et je vous réponds comme tel.

La dernière question porte sur les réserves, sujet qui m’est très cher. Nous avons une feuille de route claire. Depuis la professionnalisation des armées en 1996, les tentatives de réforme ne sont pas allées à leur terme. Il va falloir du temps pour mener jusqu’au bout cette réforme qui va se dérouler entre 2016 et 2019. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation extrêmement importante du budget, donc des effectifs. Reste à les organiser. Avec le ministre de la Défense, nous avons une idée : la territorialisation des réserves. C’est très important. Qui connaît mieux son territoire, son canton, son village, son pays que le réserviste ? Il faut poser le débat de cette manière.

Actuellement, nous avons quelque 2 000 réservistes citoyens qui offrent gratuitement leurs services aux armées, dans différentes spécialités. Ils nous sont très précieux depuis la disparition de la conscription.

Il nous faut par ailleurs agrandir le vivier des personnes ayant souscrit un engagement à servir au sein de la réserve opérationnelle : notre ambition est d’en recruter un peu plus de 10 000 pour atteindre un effectif de 40 000. Si nous disposons d’un budget suffisant, nous pourrons le faire car les armées bénéficient d’un grand élan de popularité. Je rencontre beaucoup de gens intéressés.

En revanche, pour la réserve de disponibilité, la durée de cinq ans, pendant laquelle le personnel ayant quitté le service actif est rappelable, est trop longue : les gens bougent beaucoup ; il est difficile de les retrouver ; ils ne sont plus véritablement mobilisables. Dans la LPM actualisée, nous allons plutôt vers une durée de deux ans. En cas de crise majeure, on pourrait faire appel à cette réserve. Cette réforme me semble aussi bonne qu’indispensable et j’ai bon espoir de la voir aboutir : les réserves, comme les armées, incarnent la Nation.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Au sein de cette commission, nous avons beaucoup travaillé sur la question des réserves et nous approuvons totalement vos propos. Lors du colloque auquel nous avons tous deux participé hier, nous avons rencontré un secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense du Royaume-Uni, général de réserve et spécialiste du sujet. Je pense que nous aurions intérêt à nous rapprocher des Britanniques et à envisager certaines actions communes, entre Européens.

 

M. Gwendal Rouillard. Mon général, je souhaite vous interroger sur les relations entre la France et le Liban. Vous avez cité deux fois ce pays où vous vous êtes rendu récemment.

Premier volet : les militaires français y sont déployés dans le cadre de l’opération Daman, nom de la participation française à la FINUL. J’ai eu le plaisir de rencontrer récemment le général Grintchenko et l’excellent colonel Augustin. Nous avons fait un point assez précis. Par ailleurs, je suis allé sur la base de Dayr Kifa, un sujet en soi. On en parle moins ici, mais il y est fait un travail remarquable, a fortiori sur la ligne bleue. Comment voyez-vous l’avenir de cette collaboration au sein de la FINUL ?

Deuxième volet dont on parle encore moins : la coopération entre nos deux armées. Le contrat Donation Arabie Saoudite (DONAS) est censé insuffler une nouvelle dynamique, ou au moins conforter celle qui existe, mais on en voit bien les difficultés. Pour ma part, j’en vois surtout les atouts puisque, plus que jamais, l’armée libanaise est la colonne vertébrale du pays. Comment voyez-vous l’avenir de cette coopération ?

 

M. Yves Fromion. Mon général, je partage complètement votre point de vue sur Sentinelle. La responsabilité majeure d’une armée, sa mission fondamentale, est de défendre la population. À partir de là, nous pouvons toujours débattre des formes que peut prendre cette défense, mais les Français ne comprendraient pas qu’on les laisse à la merci de n’importe quel terroriste venant commettre des attentats sur notre sol pendant que nos forces armées se battent au Mali, en Syrie ou ailleurs. Il est même aberrant qu’on puisse remettre en cause cette mission fondamentale qui figure dans tous les textes régissant le code de la défense. À cet égard, l’opération n’a rien de novateur.

Vous avez évoqué nos trois soldats blessés et rapatriés. Pourriez-vous nous donner le bilan humain de nos opérations depuis le début de l’année ? Il est important que nous sachions combien de nos soldats ont été tués ou blessés et dans quelles circonstances, notamment pour montrer l’intérêt que nous leur portons. La troisième dimension aéroterrestre ayant pris une importance majeure, pourriez-vous nous dire aussi combien d’hélicoptères ou d’aéronefs nous avons perdus dans le cadre de l’opération Barkhane ?

Dans le monde politique, certains nous expliquent qu’il est absolument indispensable que nous allions faire la guerre en Syrie. Nous y allons de façon prudente, si je puis dire, avec les vols de reconnaissance et les bombardements. C’est autre chose d’imaginer une participation à une opération terrestre. Dans l’état actuel de nos engagements et de nos capacités, est-il raisonnable d’imaginer que nous puissions nous lancer dans une telle aventure ? J’emploie à dessein le terme d’aventure parce que, de mon point de vue, il ne faut pas le faire. À votre avis, est-ce que nous en aurions seulement les moyens ?

Enfin, que pensez-vous de l’arrivée des Américains au Cameroun, annoncée par la presse ?

 

Général Pierre de Villiers. Mon homologue américain a cherché à me joindre…

 

M. Yves Fromion. Il ne m’a pas appelé pour que je vous pose la question !

 

Général Pierre de Villiers. J’imagine que c’était pour me prévenir, mais comme je suis venu vous voir, il n’a pas pu me joindre.

 

Mme la présidente Patricia Adam. C’est nous qui vous annonçons la nouvelle !

 

Général Pierre de Villiers. Je vous en remercie. Je pensais bien que tel était l’objet de son appel, mais je n’en étais pas sûr.

 

M. Yves Fromion. Je n’ai fait que le lire dans la presse et je n’en sais pas plus, mais c’est tout de même un signe fort sur lequel j’aimerais avoir votre avis.

 

M. Philippe Meunier. Mon général, vous avez abordé la politique étrangère de la France à travers les bombardements de notre armée sur les positions de Daech en Syrie. Nous étions un certain nombre à ne pas comprendre pourquoi la France bombardait Daech en Irak mais pas de l’autre côté de la frontière en Syrie, sous prétexte de ne pas renforcer le pouvoir de Bachar el-Assad. Nous nous réjouissons de ce changement de position.

Deuxième point : Les Républicains n’ont pas voté pour la LPM actualisée car l’augmentation du budget intervient à partir de 2017, et même principalement en 2019, c’est-à-dire dans le cadre de la prochaine législature.

Mon troisième point a trait à cette LPM actualisée : en 2015 le budget n’a pas été augmenté alors que nos armées sont sur tous les fronts puisque nous intervenons en Irak et en Afrique. Quelles pertes de capital de nos armées ont occasionné ces opérations massives ? Comme l’augmentation du budget n’interviendra qu’en fin de cette législature et surtout au cours de la prochaine, dans quel état nos armées vont-elles se trouver dans un an ou deux ?

Enfin, le ministre de la Défense s’est réjoui de l’accord de paix signé en juin dernier entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés du nord du Mali. Or vous nous apprenez que des militaires français viennent d’être blessés et que l’opération Barkhane est loin d’être terminée. L’opération Sangaris, qui tire son nom d’un papillon éphémère, est toujours d’actualité alors qu’elle ne devait durer que quelques semaines ou quelques mois. Nous avons encore des centaines d’hommes en Centrafrique. Quelle est votre analyse de la situation militaire et sécuritaire dans ces deux secteurs d’intervention ?

En ce qui concerne les victimes françaises de nos frappes aériennes, je tiens à rappeler que c’est le Premier ministre qui en a parlé le premier et non pas Pierre Lellouche. C’est une question soulevée par le Premier ministre dans les médias.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Pour ma part, je rappelle que tous les membres du groupe Les Républicains n’ont pas voté contre l’actualisation de la LPM.

 

M. Philippe Meunier. Je parle du groupe !

 

M. Éduardo Rihan Cypel. Merci, mon général, pour cet exposé remarquable de vérité et de lucidité. En tout cas, il me permet d’être plus lucide. Je suis totalement d’accord avec vous sur le fond d’un débat que nous devons avoir sans nous affronter inutilement : le contexte stratégique a complètement changé, particulièrement au cours des derniers mois, et il nous force à revenir aux fondamentaux de la défense.

Il se trouve que je m’assois souvent ici, à cet endroit de la salle, face à une déclaration du général de Gaulle encadrée sur le mur : « La Défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. » À notre époque, la réflexion que nous devons conduire au Parlement et dans les sphères de la défense et de la sécurité nationale nous ramène à des fondamentaux qui sont aussi simples que ceux-là : la première vocation de la défense est de protéger le pays et les Français où qu’ils se trouvent, particulièrement quand ils sont sur le sol national.

L’opération Sentinelle consiste à remplir le rôle premier de l’armée. C’est ainsi que je l’analyse ; c’est ce que j’entends dans vos propos. Peut-être avions-nous perdu de vue cette vocation première de la défense, des armées et des militaires, parce que nous n’étions plus en situation de guerre ? Nous y sommes revenus. C’est une guerre nouvelle, hybride, asymétrique, très difficile pour vous et pour nous. Mais vous avez démontré votre capacité à vous adapter pour protéger la France et remplir les missions qui vous sont confiées.

Pour ma part, je me réjouis de la manière dont vous voulez faire évoluer l’opération Sentinelle. Vous avez démontré que l’armée était capable de répondre aux objectifs fixés par le Livre blanc et même de faire mieux : il vous était demandé de déployer de 7 000 à 10 000 hommes sur le sol national en une semaine, vous l’avez fait en trois jours. C’est la preuve de l’excellence et de la force de vos unités. À présent, vous devez vous adapter, être plus efficace, remplir des missions que les forces de sécurité intérieure ne seraient pas en mesure d’assurer. Vous avez parlé de l’utilisation de matériel de vision nocturne, et j’imagine qu’il y aura aussi du contrôle de zone. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus ? Sinon, je patienterai jusqu’à ce que vous ayez rendu votre copie au président de la République et au ministre de la Défense.

En réalité, nous sommes en train d’appliquer un élément conceptuel de la doctrine nationale, à savoir le continuum sécurité-défense. Quand vous l’avez évoqué pour la première fois, il y a quelques années, ce concept n’était pas évident : on pouvait penser alors qu’il s’agissait d’une idée d’intellectuel des armées cherchant à obtenir ou à justifier je ne sais quoi. Et voilà que nous y sommes. Le basculement a eu lieu dans les années 1990 et au début des années 2000. Les armées – françaises, américaines ou autres – ne jouent plus seulement un rôle de gendarme ou de police à l’extérieur de leurs frontières, elles exercent aussi des missions de sécurité intérieure.

Vous avez démontré que les armées étaient capables de s’adapter très rapidement au nouveau contexte. Il reste du chemin à faire pour adapter le dispositif. S’appellera-t-il encore Sentinelle ? Quoi qu’il en soit, je vois très bien où vous voulez en venir avec vos propositions.

De notre côté, nous devons pouvoir répondre aux inquiétudes. Récemment, avec la communauté juive de ma circonscription, j’ai accueilli le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Il s’est inquiété de savoir si le dispositif de protection allait durer. Nous lui en avons donné l’assurance tout en le prévenant que les mesures allaient changer et qu’il ne fallait pas que la communauté ait peur si elle ne voyait plus de soldats en faction devant les synagogues. Les gens, y compris les premiers intéressés, peuvent comprendre que les militaires sont plus efficaces quand ils sont mobiles. Et vous pouvez aussi faire du renseignement. En résumé, je dirais que nous devons réussir ensemble car cette nouvelle chaîne de sécurité protégera mieux les Français. Nous devons débattre en étant lucides sur l’énorme changement de contexte stratégique.

L’attitude de la France évolue aussi à l’extérieur : dans le cadre de l’opération Chammal, nous intervenons désormais en Syrie. Nous étions aveugles, avez-vous dit. Je crois en effet que le renseignement est la denrée la plus utile, celle qui permet ensuite de frapper. Et, si j’ai bien compris, nous avons visé un camp d’entraînement.

J’en viens à ma question. À mes collègues qui s’impatientent, je tiens à signaler que nous sommes aussi là pour échanger, pas seulement pour une séance de questions-réponses comme dans un jeu télévisé. Mon général, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la situation sur le sol syrien ? Que savons-nous de ces frappes de l’armée irakiennes qui auraient touché le convoi d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech. Pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information ?

 

M. Jacques Lamblin. Mon général, je voulais vous remercier d’avoir préféré échanger avec nous plutôt qu’avec le chef d’état-major de l’armée américaine.

 

Général Pierre de Villiers. Vous vous rendez compte ! (Sourires.)

 

M. Jacques Lamblin. Nous en sommes flattés. J’aurais été absolument frustré si je n’avais pas pu vous questionner.

Pour continuer sur Daech, j’estime que ce sont les islamistes radicaux qui ont déclaré la guerre à notre civilisation et qui nous ont désignés comme ennemis, et non l’inverse. C’est une armée illégale, insaisissable, infiltrée partout et en particulier en France. Sur le plan de la doctrine, il est tout à fait normal que l’armée française soit présente dans le cadre d’opérations intérieures pour défendre les Français contre cette armée. Nous avons affaire à des soldats illégaux qui nous menacent et non pas à des délinquants. Je partage totalement le point de vue de mon collègue Fromion : la légitimité de l’opération Sentinelle est incontestable.

Compte tenu de l’intensification de cette guerre contre Daech, nous avons accordé plus de moyens à la défense lorsque nous avons révisé la LPM. Cependant, l’arrivée de ces moyens supplémentaires a été étalée dans le temps. Ne faudra-t-il pas revisiter une nouvelle fois ces dispositions pour faire face aux urgences qui se présentent ?

Ma question trouve une application directe en Syrie. En 2013, il n’était pas question que nous nous engagions contre Daech. En 2014, nous avons fait des frappes en Irak. En 2015, nous bombardons en Irak et en Syrie. Jusqu’à présent, il n’a jamais été question de s’investir sur le terrain. Or nous discutons, nous recevons les Russes, et l’idée semble faire son chemin. S’imposera-t-elle ou non ? Quoi qu’il en soit, je voulais vous poser cette question : si, dans le cadre d’une coalition internationale, il fallait que la France s’engage sur le terrain irako-syrien, en aurions-nous les moyens ?

 

Général Pierre de Villiers. Monsieur Rouillard, vous m’avez interrogé sur le Liban. Comme vous, je pense que nous avons adopté la bonne stratégie en aidant les Forces armées libanaises (FAL) qui sont le principal pilier stable du pays. Notre coopération avec les Libanais est très ancienne et elle s’est renforcée au cours des derniers mois. Nous avons plus d’une dizaine de détachements d’instruction opérationnelle (DIO) dont ils sont très satisfaits. Après avoir eu une réunion avec eux, je peux témoigner que la capacité opérationnelle des FAL n’a rien à voir avec ce qu’elle était il y a cinq ans. Ils sont en guerre contre le terrorisme au quotidien puisqu’ils sont confrontés à Daech et à Jabhat al-Nosra (JAN) qui est l’incarnation d’Al-Qaïda, tous ces groupes ayant à peu près les mêmes modes d’action.

Pour l’avenir du pays, je crois qu’il faut aider au maximum les FAL, et surmonter les lenteurs administratives ou politiques actuelles pour que le contrat DONAS soit mis en œuvre le plus vite possible. C’est ce qui nous permettra de maintenir le Liban dans l’état le plus stable possible. Rappelons que les réfugiés représentent un tiers de la population libanaise. C’est colossal, imaginez la même proportion de réfugiés en France ! Plus que jamais, il faut rester en contact avec ce pays et c’est pour cela que j’y suis allé. 850 soldats français y sont déployés, principalement dans la FINUL qui remplit sa mission de fort belle manière. Comme j’ai pu le constater avec le général Grintchenko, nous arrivons à contrôler la zone concernée sans qu’il y ait, pour le moment, des tensions supplémentaires.

Monsieur Fromion, nous n’avons jamais communiqué sur le nombre de blessés et de morts mais les citoyens français doivent avoir conscience que nous sommes en guerre. Je puis vous dire que les armées françaises sont organisées de manière assez exceptionnelle pour suivre chaque famille concernée. Leur style de commandement est axé sur les valeurs humaines. La réussite de nos armées tient notamment à cette caractéristique.

J’en profite pour saluer la performance de notre chaîne santé : la France et les États-Unis sont les deux seuls pays au monde à disposer d’une telle capacité d’intervention sanitaire. Les trois blessés au Nord-Mali ont été soignés par un infirmier, puis par un médecin – il y en a toujours un quand une force est engagée au contact – avant d’être évacués par hélicoptère jusqu’à Tessalit puis Gao et rapatriés à Paris. Le tout en moins de vingt-quatre heures. On peut le faire sur chaque théâtre d’opération. Tous nos soldats savent qu’ils peuvent bénéficier de ce système dès lors qu’ils sont engagés et que leur vie en dépend.

C’est la force de l’armée française. Depuis dix ans, je me suis beaucoup battu pour garder cette spécificité, menacée par la révision générale des politiques publiques (RGPP) parce que, évidemment, pour un comptable, des médecins qui n’interviennent qu’une fois de temps en temps ne sont pas « rentables ». Mais ce service de santé exceptionnel, doté d’une compétence incroyable, sauve la vie de nos soldats. Au Nord-Mali, nos soldats combattent parfois les yeux dans les yeux avec les terroristes. Il y a quelques semaines à Percy, un adjudant-chef remarquable m’a dit : j’ai vu le regard du terroriste à un mètre cinquante.

Serait-il raisonnable d’envisager une intervention au sol en Syrie ? Non. En tout cas, je ne le conseillerai pas. En Syrie, il y a 1 500 groupes terroristes, les katibats, et la situation est extraordinairement complexe. Comment envoyer une force internationale au sol et pour y faire quoi ? Seul le temps permettra à la diplomatie et à la politique de faire leur œuvre, pour qu’une solution raisonnable soit trouvée avec l’ensemble des protagonistes. Intervenir au sol aujourd’hui en Syrie me paraît à la fois inopportun et infaisable. Il ne faut pas tout confondre : se contenter de bombarder ne suffit pas, mais l’intervention sur le terrain doit être réalisée par des forces locales et régionales.

 

M. Yves Fromion. C’est dommage qu’on ne vous entende pas le dire publiquement : ça calmerait quelques esprits échauffés !

 

M. Éduardo Rihan Cypel. Allez dans une émission matinale à la radio, mon général !

 

Général Pierre de Villiers. C’est mon avis et j’ai l’habitude de dire ce que je pense. Combien avons-nous perdu d’hélicoptères ? Cette année, nous en avons perdu un à Ouagadougou. Il n’a pas été abattu mais il s’est écrasé au cours d’une manœuvre dite de posé poussière. L’enquête de commandement est en cours et nous en tirerons les meilleurs enseignements.

Pour ce qui est des Américains déployés au Cameroun, je me réjouis de voir qu’ils s’engagent dans la lutte contre ce fléau qu’est Boko Haram. Au cours des trois dernières semaines, ce groupe a perpétré de nombreux attentats qui ont fait plus de 150 morts. L’implication des Américains est une bonne nouvelle dont nous ne pouvons que nous réjouir. Pour notre part, nous faisons le job, comme ils disent, dans la bande sahélo-saharienne, avec le concours des alliés. Nous ne pouvons pas être partout.

Monsieur Meunier, pour ma part j’ai défendu la LPM actualisée. Si vous proposez d’augmenter le budget de la Défense, vous avez mon total soutien ! Vous m’avez aussi interrogé sur la perte de capital des armées, due à ces engagements à répétition.

 

M. Philippe Meunier. Nous avons l’exemple de l’armée britannique après l’Irak et l’Afghanistan.

 

Général Pierre de Villiers. C’est effectivement une vraie question. La problématique est connue : quand on s’engage, on use le potentiel ; quand on ne s’engage pas, on manque de courage. Un chef d’état-major d’armée a dit un jour : « Je suis en surchauffe et j’use mon capital. » C’est tout de même un peu le but : nos armées sont faites pour être employées.

Évidemment, je fais très attention : nous avons augmenté de 8 % les crédits d’entretien programmé du matériel (EPM) dans le PLF pour 2016 parce qu’il faut régénérer les équipements et augmenter le taux de disponibilité technique opérationnelle. Ce n’est pas un problème, à condition que nous ayons les crédits promis dans la LPM actualisée. Je serais surpris que, dans cette commission, quelqu’un se lève pour dire qu’il s’oppose à ce que nous ayons ces crédits. Nous allons nous battre pour les avoir. Certes nous usons le capital mais il est régénéré et remplacé.

 

M. Philippe Meunier. S’il est régénéré et remplacé, alors tant mieux !

 

Général Pierre de Villiers. Je lis çà et là des déclarations fracassantes sur ce plan. Il faut faire attention. Si nous obtenons les crédits et si la LPM actualisée est respectée, non seulement nous ne consommons pas notre capital mais nous accumulons de l’expérience, ce qui n’a pas de prix. Monsieur Rihan Cypel, je souscris à vos propos sur les fondamentaux de la défense. Si on se met à considérer que la défense et la protection des Français relèvent uniquement des forces de sécurité intérieures, auxquelles serait transférée une partie des effectifs des militaires, alors on revient sur les présupposés fondateurs de la défense de la France.

 

Mme la présidente Patricia Adam. D’où cette déclaration du général de Gaulle encadrée sur le mur.

 

Général Pierre de Villiers. C’est bon de le rappeler car nous avons complètement changé de contexte stratégique.

Vous m’interrogez aussi, monsieur Rihan Cypel, sur la situation en Syrie que j’ai déjà abordée. Avec l’arrivée des Russes qui, pour l’essentiel, appuient Bachar al-Assad, la situation évolue. Dans quel sens ? Je ne suis pas capable de vous dire quelles seront les conséquences finales de cette intervention. Il est clair que Daech a fait une percée là où il était absent et que les Forces armées syriennes regagnent du terrain là où elles étaient bloquées. L’opposition syrienne modérée porte bien son nom : sa présence est très modérée. La situation au sol est extrêmement compliquée. La solution est d’abord politique et diplomatique.

Monsieur Lamblin, vous me demandez s’il ne faudrait pas déjà réactualiser le budget, compte tenu de l’intensification de la guerre contre Daech et de la multiplication de nos engagements. Non, à condition que je dispose des crédits déjà prévus. Sans ces 950 millions d’euros supplémentaires, il faudra effectivement revoir la copie. Elle a été bien faite, croyez-moi ! J’ai été major général des armées pendant quatre ans et nous avons construit une méthode, sur la base d’un modèle d’armée comprenant tous les ingrédients : les hommes, les équipements, la logistique, etc. Nous nous sommes assurés de la cohérence totale entre les facteurs physiques et les données financières.

Nous avons les trois projets des chefs d’état-major, les cinq projets des directions et services, plus celui de la direction du renseignement militaire (DRM). Tout ceci est cohérent. Grâce à l’expérience acquise de nos prédécesseurs, aux techniques modernes et à notre pratique opérationnelle, nous sommes parvenus à un résultat que nous n’avions jamais atteint auparavant.

Nous pouvons donc faire face à l’emploi actuel des forces. L’intervention en Syrie ne représente pas un emploi supplémentaire car nous bombardons et nous faisons nos opérations de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR) avec des avions qui, de toute façon, volaient en Irak. À la limite, il est même plus court d’aller survoler Raqqa que Mossoul. Pour le reste, nous sommes à effectif à peu près constant dans la bande sahélo-saharienne. En République centrafricaine, l’effectif ne descendra pas en dessous de 900 en l’état actuel des choses.

Pour résumer, je pense qu’il n’y a pas lieu d’invoquer exagérément l’usure des équipements – même si la vigilance s’impose – ou le manque de moyens par rapport aux besoins supplémentaires qui se profilent. En revanche, il est vrai que c’est la première fois depuis la fin de la guerre d’Algérie que la courbe marque un arrêt dans sa chute : le budget de la Défense se stabilise à environ 1,7 % du PIB et, selon la LPM actualisée, il sera encore à ce niveau en 2019.

Après les élections de 2017, il y aura probablement un nouveau Livre blanc et une nouvelle LPM. Il faudra réfléchir à nouveau à l’adéquation entre le niveau des menaces et celui des moyens. C’est souhaitable. À mon avis, le niveau de menace aura augmenté et il ne sera plus en adéquation avec celui des moyens. Il fut une époque où, dans le Livre blanc, il était dit que le budget de la Défense devait atteindre 2 % du PIB. Je connais quelqu’un qui l’a répété récemment. (Sourires.)

 

Mme la présidente Patricia Adam. Absolument, et je le dis toujours !

 

Général Pierre de Villiers. Honnêtement, je pense que les dépenses sont couvertes jusqu’en 2017. Ensuite, le niveau du budget devra s’adapter à celui des menaces. C’est du simple bon sens : il faut une cohérence entre les missions et les moyens. Et il ne s’agit pas de faire croire que des gains de productivité permettront d’encaisser des missions supplémentaires. C’est fini !

 

M. Jean-François Lamour. Mais vous incluez tout de même les coûts des facteurs, c’est-à-dire les gains liés à l’évolution favorable des indices économiques. Ce sont des gains de productivité, que vous le vouliez ou non, que vous avez évalués à 300 millions d’euros sur le reste de la LPM.

 

Général Pierre de Villiers. Pour la partie qui me revient.

 

M. Jean-François Lamour. Si je comprends bien, ces coûts existaient sur les précédents exercices. Les industriels eux-mêmes nous ont dit qu’ils calculaient déjà le prix de vente des équipements en tenant compte de certains de ces coûts.

 

Général Pierre de Villiers. Non, les gains sont liés au changement de conjoncture économique et à la variation d’indices notamment dans le secteur de la construction ou de l’énergie.

 

M. Jean-François Lamour. En gros, il n’y a plus de marge, mon général.

 

Général Pierre de Villiers. En fait, ce phénomène est conjoncturel. Va-t-il durer jusqu’en 2019 et représenter un milliard d’euros comme prévu ? C’est toute la question. Quoi qu’il en soit, les discours sur le thème « plus petit et plus musclé », je ne veux plus les entendre. Les armées poursuivent les trente et un chantiers en cours sur les gains de productivité, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, contrairement à ce qu’espèrent certains experts. Nous sommes exemplaires : nous « déflatons » les effectifs et réduisons nos coûts de fonctionnement jusqu’en 2019 pour renforcer les dépenses liées aux opérations. Nous le faisons depuis vingt ans. Pas plus que les autres, nous ne voulons être la variable d’ajustement du budget de l’État. En tant que chef d’état-major des armées, je suis avant tout responsable de la vie de mes soldats, envers lesquels j’ai un engagement moral.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur Lamour, vous revenez régulièrement sur cette question du coût des facteurs. Au sein de la commission des Finances, vous avez des moyens dont nous ne disposons pas pour effectuer un travail sur le sujet.

 

M. Jean-François Lamour. Nous allons nous y employer.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Merci à tous.

 

*

* *

 

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Jean-Jacques Bridey, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Yves Fromion, M. Jacques Lamblin, M. François Lamy, M. Gilbert Le Bris, M. Frédéric Lefebvre, M. Philippe Meunier, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, Mme Marie Récalde, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Pierre Lellouche

 

Télécharger Audition du général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2016

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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 11:55
L’Assemblée approuve un budget 2016 de la Défense en nette hausse

 

27 octobre 2015 Liberation.fr (AFP)

 

Les députés ont approuvé mardi les crédits de la Défense pour 2016, en hausse de 3,7%, qui mettent en œuvre l’actualisation de la loi de programmation militaire (2015-2019) adoptée en juillet dans le contexte consécutif aux attentats de janvier.

 

Le PS et les Radicaux de gauche ont voté pour, les écologistes et l’UDI se sont abstenus, alors que Les Républicains et le Front de gauche ont voté contre, pour des raisons divergentes. Pour 2016, les crédits de la Défense seront donc de 32 milliards d’euros. «Depuis 2009, il n’y avait pas eu un budget aussi sanctuarisé (...) et sans ressources exceptionnelles», s’est félicité le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. «32 milliards d’euros adoptés en mode TGV», après moins de deux heures de débat dans l’hémicycle, «les militaires et les contribuables apprécieront», a réagi sur son blog le député LR François Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des Finances pour les crédits de la Défense. Outre des fonds, le ministère va gagner des postes après plusieurs années de fortes baisses des effectifs. La révision de la loi de programmation militaire (LPM) conduit à créer 2.300 postes au lieu d’en supprimer 7.500. Ce ne sont plus 33.000 postes qui seront supprimés sur 2014-2019, mais 15.000.

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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 16:56
"1,12 milliard d'euros" de surcoût pour la guerre en 2015, estime Le Drian

Pour le budget 2015, il reste à trouver un financement de 624 millions d'euros au titre des surcoûs des opérations extérieures, photo Thomas Goisque

 

27/10/2015 Par Michel Cabirol – LaTribune.fr

 

Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a estimé à 1,12 milliard d'euros le surcoût des opérations extérieures, dont les deux tiers sont imputables aux opérations dans la bande sahélo-saharienne.

 

Selon les propos du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, tenus le 21 octobre à l'Assemblée nationale, le coût prévisionnel des opérations extérieures (OPEX), réactualisé récemment, "s'élève à 1,128 milliard d'euros, les deux tiers de cette somme étant imputables aux opérations de la bande sahélo-saharienne". Ce sont des coûts provisoires, a d'ailleurs précisé le ministre. "L'année n'étant pas terminée, on ne connaît pas encore exactement le nombre final d'heures de vol des Rafale en OPEX ou de bombes délivrées", explique-t-on à La Tribune.

Ces chiffres vont être "peu à peu affinés en prévision de la préparation du prochain décret d'avance", qui déterminera comment seront réglés ces surcoûts, a d'ailleurs expliqué le ministre.

Sur ce 1,12 milliard, le ministère de la Défense a déjà inscrit 450 millions d'euros dans la loi de finances 2015. En outre, a-t-il précisé, 54 millions d'euros doivent être remboursés par des organisations internationales (ONU...) pour des opérations à laquelle participe la France. Pour le budget, il reste donc à trouver un financement de 624 millions d'euros, "qui doivent faire l'objet de dispositifs de fin de gestion", a assuré Jean-Yves Le Drian.

 

Une discussion de marchands de tapis

"Comme tous les ans, des discussions un peu sportives vont commencer, en particulier sur les OPINT [opérations intérieures, Ndlr] et les OPEX ; pour ces dernières, la loi précise les conditions de prise en charge du surcoût. Je souhaite évidemment qu'elle soit respectée", a rappelé le ministre de la Défense.

Des discussions souvent interminables entre l'Hôtel de Brienne et Bercy, qui se terminent souvent par un arbitrage de l'Élysée, voire de Matignon.

"Je le dis et le redis : il est de l'intérêt du budget de la Défense que les surcoûts OPEX fassent l'objet d'un règlement à la fin de l'année", a estimé Jean-Yves Le Drian.

Pourquoi ? "En ce qui concerne les OPEX, je maintiens que le chiffre figurant en loi de finances est un avantage pour le budget de la Défense, avait-il déjà expliqué le 30 septembre à l'assemblée nationale. C'est un moyen de faire partager à l'ensemble du budget de l'État ces surcoûts, qui seront en 2015 à peu près au même niveau qu'en 2014".

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 17:55
photo Marine Nationale

photo Marine Nationale

 

15 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 10

 

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons le plaisir d’accueillir l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Nous sommes particulièrement attentifs au rôle de la marine nationale dans notre défense, et deux de nos commissaires se sont déplacés dernièrement dans le golfe de Guinée où se déroule l’opération Corymbe. Par ailleurs, le bureau de la commission de la Défense vient de décider de la création d’une mission d’information pour 2016 sur le rôle de la marine nationale en Méditerranée, et je ne doute pas que vous nous apporterez une aide précieuse pour mener à bien des travaux qui porteront sur les équipements et l’engagement, mais permettront également de mieux faire connaître l’action de la marine nationale dans une zone particulièrement sensible en ce moment.

 

Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Répondre à vos invitations est toujours un plaisir car cela me permet de lever les yeux de mes tâches quotidiennes pour me projeter dans le futur. Or la mission d’un chef d’état-major n’est pas seulement de diriger les opérations en cours mais de préparer l’outil de combat dont la France aura besoin à l’horizon 2040. Avant d’aborder la question du PLF, je commencerai par un bref panorama du contexte stratégique, qui est particulièrement évolutif, et des missions remplies par la marine nationale, car ce sont des éléments essentiels pour comprendre nos besoins.

 

Le monde actuel se caractérise par une série de ruptures, dont quatre sont essentielles à mes yeux. La première est une rupture économique. Le centre de gravité économique s’est sensiblement déplacé vers l’Asie. Les routes maritimes qui en émanent sont aujourd’hui les artères de nos économies, le réseau sanguin qui permet de les alimenter : en vingt ans, la quantité de biens transportés par mer est passée de 4,5 à 9 milliards de tonnes et devrait atteindre 14 milliards de tonnes en 2020 – je parle ici essentiellement de marchandises en conteneurs et non du pétrole.

 

Cela nous rend plus vulnérables car, si demain le détroit de Bab-el-Mandeb ou le canal de Suez devaient être fermés à la circulation, le contournement de l’Afrique entraînerait trois semaines de délai dans les livraisons, ce qui ne serait guère supportable pour nos économies à flux tendu. C’est la raison pour laquelle nous surveillons attentivement la situation au Yémen, car si les milices rebelles disposent de missiles sol-mer, les marines occidentales n’auront d’autre choix que d’accroître leur présence dans la zone pour assurer la sécurité du transport. Il nous faut par ailleurs nous prémunir contre un autre danger : la piraterie, qui explose notamment dans le golfe de Guinée et connaît une forte recrudescence en Asie du sud-est.

 

L’explosion des volumes transportés par mer a également entraîné une course au gigantisme qui nous pose des défis en termes de sécurité. En effet, on n’assiste pas un navire comme le Bougainville de la CMA-CGM, baptisé la semaine dernière par le président de la République et capable de transporter 17 500 « boîtes », comme un petit porte-conteneurs. C’est la même chose pour les paquebots, qui peuvent désormais transporter jusqu’à cinq mille passagers, là où le Titanic « insubmersible » n’en accueillait que deux mille. Nous devons être d’autant plus au point sur les questions de sauvetage et de sécurité que ces paquebots vont de plus en plus loin, jusqu’en Arctique ou en Antarctique, ce qui nécessite que nous nous coordonnions au niveau international, en particulier avec les pays limitrophes comme la Norvège.

 

Enfin, la territorialisation croissante des mers – en Chine, en Arctique ou en Méditerranée orientale – par des pays d’autant plus soucieux de préserver leurs ressources océaniques que les ressources terrestres s’épuisent est, elle aussi, un défi pour la marine nationale, qui doit protéger notre zone économique exclusive (ZEE).

 

La seconde rupture est une rupture environnementale. Le dérèglement climatique a d’ores et déjà des conséquences en mer. Il se traduit d’abord par une augmentation de la violence des phénomènes climatiques – je pense notamment au cyclone qui a ravagé le Vanuatu, où la marine française a été la première à intervenir pour convoyer de quoi réparer les routes et les aéroports afin de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire.

 

Ces phénomènes climatiques extrêmes alourdissent nos missions, a fortiori dans nos DOM-COM, situés dans des zones sensibles et qui ne sont pas à l’abri d’une grave catastrophe humanitaire. Je me réjouis donc de l’arrivée des bâtiments multimissions qui répondent au strict besoin d’assurer les missions de sauvegarde et d’assistance confiées à la marine.

 

Les changements climatiques induisent aussi des phénomènes migratoires, sur mer comme sur terre. Dans ce dernier cas, apparaissent avec les populations qui s’agglutinent sur les littoraux des problèmes de pollution et de pêche illégale ainsi que le développement de trafics côtiers ou océaniques : cigarettes, drogue, armes ou êtres humains – car n’oublions jamais qu’avant d’être coupables, les migrants sont d’abord des victimes.

 

Nous devons enfin surveiller de près l’évolution de la zone arctique, où la fonte des glaces va donner accès à de nouvelles ressources et ouvrir de nouvelles routes qui, à la différence de celles empruntant le canal de Suez ou le détroit de Bab-el-Mandeb ne présenteront pas de point bloquant. D’où des enjeux stratégiques importants, qui poussent déjà la Russie à renforcer ses bases navales tout au long de la route du nord-est. Nous devons donc être capables de sécuriser les flux maritimes français dans la région.

 

Le troisième phénomène de rupture concerne l’émergence de nouvelles puissances en mer. Il s’opère dans l’ombre de la menace actuelle, essentiellement non-étatique, mais n’en est pas moins réel. La Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil ou le Japon, qui ont parfaitement compris la nature des enjeux maritimes, développent une stratégie navale ambitieuse et se dotent de tous les outils susceptibles d’asseoir leur puissance en mer.

 

Quant à la Russie, sa marine est partout et se déploie aussi bien dans le golfe de Guinée qu’en Amérique latine, dans le Pacifique dans la Manche ou l’Atlantique. Elle a fait à plusieurs reprises la démonstration de ses capacités, d’abord en évacuant ses ressortissants du Yémen au printemps dernier, opération qui était une première pour elle, puis en procédant la semaine dernière au tir de vingt-six missiles de croisière navals sur la Syrie, ce qui confirme ce que je prédis depuis longtemps, à savoir le retour de la Russie parmi les puissances maritimes de premier plan.

 

La Chine a pour sa part publié récemment un nouveau Livre blanc de la défense, consacré pour l’essentiel au volet naval de sa stratégie. Elle a, en 2014, mis sur cale, lancé ou livré soixante bâtiments. Les Chinois, comme les Russes, sont partout, en Baltique, dans le golfe de Guinée et dans l’océan Indien où ils déploient des outils de puissance comme les sous-marins nucléaires d’attaque. On ne peut donc plus parler à propos de la marine chinoise de marine émergente, mais bel et bien d’une marine moderne, puissante et mondiale.

 

Reste l’Europe, qui a encore du chemin à faire pour prendre la mesure de ces nouveaux enjeux. La marine française, îlot de verdure relatif dans le marasme européen, tente humblement d’agréger autour d’elle les forces européennes, ce qui est parfois couronné de succès puisque, lors de son prochain déploiement, notre porte-avions devrait être escorté par un groupe comprenant une frégate britannique, une frégate belge et une frégate australienne.

 

Enfin, la quatrième rupture est une rupture technologique. L’avance considérable dont disposaient encore il y a une dizaine d’années les pays occidentaux grâce à ce que l’on a appelé la « révolution dans les affaires militaires » s’est considérablement réduite. Cela s’explique en partie par un phénomène que nous avons mal anticipé, à savoir la démocratisation de l’accès aux technologies modernes – je pense par exemple à celles qui permettent la construction d’engins explosifs improvisés (IED) sur terre, ou de bateaux-suicides sur mer mais surtout à toutes les cybertechnologies.

 

L’informatisation croissante de nos bâtiments nous rend plus vulnérables à la cybermenace, que nous prenons très au sérieux. C’est la raison pour laquelle un amiral de mon état-major est spécifiquement chargé des opérations de cyberdéfense. De même le porte-avions, s’il se déploie en fin d’année ; embarquera une équipe vouée à la cyberdéfense. Nous ne devons en effet pas sous-estimer les capacités grandissantes de nos adversaires dans ce domaine. J’ajoute que les Américains sont très en avance en matière de cybertechnologies même si nous nous tenons actuellement à leur niveau et que parvenir à démontrer nos propres performances dans la durée est une condition nécessaire pour coopérer avec eux et intégrer leurs réseaux.

 

La capacité d’action de notre marine doit également se mesurer à l’aune de trois paramètres transverses, au premier rang duquel la contraction du temps – j’entends par là la réactivité croissante dont doivent faire preuve les militaires pour s’aligner sur l’accélération du temps politique et médiatique. À l’inverse, l’espace, lui, se dilate, ce qui signifie que notre champ d’action s’étend désormais bien au-delà de nos frontières. En d’autres termes, on nous demande aujourd’hui d’agir plus vite et plus loin. Et la France a d’autres frontières que métropolitaines, il ne faut pas l’oublier. Enfin, il ne faut pas oublier non plus que la menace d’aujourd’hui n’efface pas celle d’hier, pas plus qu’elle ne préfigure celle de demain, ce qui implique, pour adapter notre marine aux enjeux des prochaines décennies, de faire dès à présent les bons choix stratégiques.

 

J’en viens à présent aux opérations. Les moyens de la marine restent fortement sollicités et, aujourd’hui, ce ne sont pas moins de six mille marins engagés sur la moitié de la flotte qui sont en mer, en opération ou prêts à intervenir. Notre mobilité nous permet d’intervenir au plus près des menaces, et nous avons à l’heure actuelle des bâtiments déployés autour du théâtre syrien, en Méditerranée orientale et dans le golfe arabo-persique, pour des missions de renseignement et des frappes aériennes.

 

Dans le cadre de notre mission de protection, nos bâtiments sont également intervenus au printemps dernier pour évacuer nos compatriotes du Yémen, et nous poursuivons, avec l’opération Corymbe, nos actions de prévention et de lutte contre l’insécurité dans le golfe de Guinée, ce qui inclut notamment des actions de formation des marines riveraines dans le cadre des exercices NEMO.

 

Dans l’Atlantique Nord, nous participons aux mesures de réassurance de l’OTAN, dans un contexte marqué, je l’ai dit, par le regain d’activité des forces russes. Cela s’inscrit dans la perspective d’une réappropriation des eaux froides de l’Arctique, dont je vous ai souligné les enjeux.

 

Pour répondre à la crise migratoire, une de nos frégates et un de nos avions de surveillance maritime sont également engagés dans l’opération Sophia – ex-EUNAVFOR Med – opération européenne de lutte contre les passeurs de migrants en Méditerranée, dans laquelle nous occupons le second poste hiérarchique au sein de l’état-major de conduite. Dans le même temps nous poursuivons notre participation à l’opération Triton, dans le cadre de l’agence FRONTEX.

 

En matière de lutte contre les trafics, une de nos frégates de surveillance a réalisé coup sur coup ces deux dernières semaines quatre importantes saisies d’opportunité, soit au total une prise de 1,6 tonne de cocaïne pure, ce qui correspond à huit millions de doses d’un gramme sur le marché et équivaut à une perte de 500 millions d’euros pour les trafiquants. Ces saisies représentent sept tonnes cette année et quarante tonnes en quatre ans que la marine nationale est ainsi parvenue à retirer du marché. Sans doute devrions-nous mieux communiquer sur ce volet de notre action.

 

En Guyane, nous menons des opérations de grande ampleur contre la pêche illégale, confiées aux commandos marine. La dernière en date a permis le déroutement de plusieurs bâtiments de pêche qui opéraient illégalement dans nos eaux territoriales.

 

Il faut enfin mentionner les sémaphores, la gendarmerie maritime, les fusiliers marins et les centres opérationnels de la marine (COM) mobilisés en permanence pour la surveillance de nos approches maritimes.

 

Je ne m’étendrai pas sur la dissuasion dont nous assurons la composante océanique depuis plus de quarante ans, me bornant à conclure en rappelant qu’intervention, protection et dissuasion forment la marine « 3+1 », le quatrième élément renvoyant à la permanence. La permanence assurée par notre marine est en effet un élément essentiel de notre système de défense, dans la mesure d’abord où il nous permet d’être réactifs – lors de l’évacuation impromptue de nos compatriotes du Liban en 2006, de Libye en juillet 2014 ou du Yémen en mars 2015, nous avons été capables d’intervenir en moins de vingt-quatre heures – mais également parce qu’elle participe d’un dispositif d’anticipation stratégique global, la marine n’ayant pas uniquement vocation à surveiller les mers mais également certains territoires qui ne sont pas accessibles autrement.

 

L’ensemble de ces missions occupe pleinement la marine qui connaît un dépassement du contrat opérationnel défini par le Livre blanc de 2013 – je ne dis pas une surchauffe –, dépassement qui n’est rendu possible que par des arbitrages permanents. Ainsi, notre participation à l’opération Sophia en Méditerranée n’a-t-elle été possible qu’au prix de notre retrait de la mission Atalanta dans l’océan Indien. De même, nous devons remplacer un peu partout nos avions de patrouille maritime par des avions de surveillance maritime, afin de concentrer l’effort sur les théâtres d’opérations les plus sensibles.

 

Au-delà de ces arbitrages, ce dépassement du contrat opérationnel ne tient dans la durée que grâce à une diminution de l’entraînement supérieur. Nous avons dû annuler plusieurs participations à des exercices majeurs et nous sommes en deçà des normes OTAN en matière d’activités opérationnelles. Il est évident que tout cela ne peut se prolonger sans problème et qu’il ne peut s’agir que d’une situation ponctuelle, mais nous misons dès cette année sur la remontée de l’activité prévue par la loi de programmation militaire et le Livre blanc.

 

Le dépassement du contrat opérationnel est aujourd’hui compliqué par deux facteurs. En premier lieu, des problèmes de disponibilité des matériels anciens qui vieillissent : c’est le cas des Atlantique 2, qui devraient être prochainement modernisés et des Lynx, mais aussi des SNA – sous-marins nucléaires d’attaque – de type Rubis, que nous sommes impatients de voir remplacés par les Barracuda. Les Aviso A69 et les patrouilleurs de service public sont également touchés par le vieillissement, ce qui peut conduire à des ruptures nettes de disponibilité, comme cela s’est produit à Cherbourg après que le patrouilleur de surveillance des pêches Cormoran a pris un « coup de tabac » et s’est trouvé immobilisé pour un bon moment. Ces choix de vieillissement résultent d’arbitrages assumés, mais ils n’en viennent pas moins compliquer l’actuel dépassement du contrat opérationnel. En second lieu, les réductions temporaires de capacité inscrites dans le Livre blanc compliquent elle aussi ce dépassement du contrat opérationnel.

 

Enfin, ce dépassement du contrat opérationnel s’opère à budget constant. Nous dépendons en effet très peu du BOP – budget opérationnel de programme – OPEX dans la mesure où dans leur définition « technocratique » les OPEX sont avant tout des opérations aéroterrestres : en 2014, l’activité de la marine n’a ainsi été couverte qu’à hauteur de 2 % par les crédits OPEX, ce qui signifie que nos opérations à l’extérieur ne sont quasiment financées que par le PLF. Il nous importe tout particulièrement qu’il soit au rendez-vous sur les crédits permettant l’activité des forces.

 

Au-delà de ces aléas, la transformation de notre marine se poursuit. Nous sommes engagés dans le plan Horizon Marine 2025, qui, plus qu’une évolution est une révolution. Ce plan concerne à la fois les bâtiments mais aussi les RH, les soutiens, la formation. Conformément au Livre blanc, nous diminuons notre format et avons déjà perdu cinq bâtiments cette année. La marine sur FREMM, la marine sur Barracuda, c’est le prolongement de ce qui a déjà initié avec l’arrivée des bâtiments de projection et de commandement (BPC), c’est le passage à une marine automatisée et informatisée qui fonctionnera avec des équipages optimisés.

 

La phase de conception du plan est derrière nous et nous sommes entrés dans la phase de mise en œuvre. 2016 sera une année charnière, une année de bascule capacitaire avec l’admission au service actif de plusieurs FREMM, le chargement du cœur du premier Barracuda, le passage de la composante embarquée au « tout Rafale », le développement du missile M51 dans la tenue de notre posture de dissuasion et enfin la mise en service du missile de croisière navale (MdCN).

 

Parmi tous les défis que nous pose la réforme, l’un me préoccupe plus que les autres, la tenue dans le temps des ressources humaines. Le passage d’une marine mécanique à une marine informatique signifie en effet que, là où les frégates embarquaient auparavant trois cents hommes d’équipage, il n’y en aura désormais plus qu’une centaine. Cela diminue singulièrement la masse salariale mais cela modifie aussi la structure des équipages. Très pyramidale dans l’ancien système, où l’on avait une base peu qualifiée très importante, on évolue à présent vers une structure en sapin, avec une base peu qualifiée très étroite et une proportion beaucoup plus importante de techniciens et techniciens supérieurs, ce qui signifie que l’on ne peut plus compter sur le seul recrutement interne et la promotion par l’escalier social. De plus en plus, la marine va devenir une armée de microfilières, la gestion de nos ressources humaines n’obéissant plus à une logique d’effectifs mais à une logique de compétences. Les arbitrages qui nous concerneront devront tenir compte de cette logique.

 

2016 sera aussi l’année des réorganisations. Avec l’abandon des sites de l’hôtel de la Marine et de la caserne de la Pépinière, l’installation de l’état-major à Balard et la migration de services vers Tours et Vincennes, le siège de la marine nationale se « dématérialise » ce qui prouve certes que nous sommes une armée moderne mais exige une réorganisation de nos services.

 

J’en viens au projet de loi de finances pour 2016. Vous avez voté en juillet une actualisation bienvenue de la LPM, dans la mesure où, grâce à l’augmentation des crédits d’entretien, elle permet de sécuriser les ressources. En ce sens, le PLF est tout à fait conforme à cette LPM actualisée. Il va permettre de financer la remontée d’activité à partir de 2016, et les engagements du ministre sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) sont tenus. Nous sommes donc optimistes sur notre capacité à remonter l’activité de la flotte entre 2016 et 2018 pour atteindre les normes OTAN ; nous pourrons ainsi combler le déficit d’entraînement supérieur que j’évoquais plus haut.

 

Dans la marine, les contrats de MCO sont pluriannuels. Les engagements pour 2016 contribueront à consolider la hausse des crédits d’entretien dans la durée. Nous avons par ailleurs réalisé un travail de fond sur le MCO naval, explorant toutes les pistes d’optimisation. J’observe cependant que les négociations avec les industriels se durcissent et qu’il devient de plus en plus difficile de parvenir à un niveau d’accord optimum.

 

Le MCO aéronautique connaît lui aussi des difficultés, et certains aéronefs subissent encore des retards en sortie-visite mais, globalement, nos efforts ont porté et, dans le domaine naval comme dans l’aéronautique, on constate une remontée de la disponibilité globale des équipements malgré des difficultés ponctuelles.

 

Pour ce qui concerne ses équipements, la marine poursuit à la fois sa réduction de format et sa modernisation. En 2016, elle se verra livrer la FREMM Languedoc, deux bâtiments multimissions qui seront basés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, un patrouilleur léger guyanais, deux hélicoptères Caïman et six Rafale au standard multimissions, dont quatre retrofités de leur standard d’origine. Dans le même temps sera commandé le quatrième bâtiment multimissions (B2M) destiné aux Antilles, le troisième bâtiment ayant été basculé vers La Réunion, à la demande du ministère des Outre-mer. Nous attendons également deux bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), utilisés dans nos missions d’assistance, de remorquage et de soutien, en particulier dans le golfe de Gascogne où, du fait de la rudesse des conditions météorologiques, nous devons repêcher un nombre croissant de conteneurs tombés en mer et qui constituent autant de dangers pour la navigation.

 

Ces nouvelles livraisons ne suffiront pas à compenser la réduction de format inscrite au Livre blanc et n’éviteront pas certaines ruptures temporaires de capacité. J’ai déjà évoqué les patrouilleurs, mais les hélicoptères légers sont également concernés : les Alouette III et les Lynx ont leur âge, et il n’est pas convenable que certains bâtiments partent aujourd’hui sans hélicoptère. C’est pourquoi nous attendons avec impatience le futur hélicoptère interarmées léger.

 

Il nous faut également porter notre attention sur les infrastructures. L’arrivée des frégates et des sous-marins de nouvelle génération, très informatisés, a en effet une incidence sur le bilan de puissance électrique demandé aux quais. Or nos infrastructures portuaires – grues, quais bateaux-portes – et électriques datent du plan Marshall et ont besoin d’être remplacées. Les travaux peuvent certes paraître coûteux, mais il faut évidemment rapporter ce coût à la durée de vie des installations – plus de soixante-cinq ans pour celles que nous utilisons aujourd’hui.

 

En matière de ressources humaines, nous allons être l’armée qui va expérimenter le nouveau système de paiement de la solde. C’est certes une charge de travail supplémentaire et une prise de risque, mais aussi la reconnaissance du travail que nous avons fait pour maîtriser Louvois. Notre masse salariale sera cette année encore à l’équilibre, ce que l’on doit à tous les marins qui arment le Centre d’expertise des ressources humaines (CERH) à Toulon, qui ont su faire face aux dysfonctionnements majeurs que nous avons connus.

 

En termes d’effectifs, la marine poursuivra dans le cadre de ce PLF les déflations prévues par la LPM. 2 120 postes identifiés par analyse fonctionnelle seront supprimés au cours de la période 2014-2019, ce qui représente 8 % des effectifs du BOP-marine. C’est d’autant plus lourd que cela intervient après une réduction encore plus importante au cours de la LPM précédente, et que la multiplicité des compétences et des certificats nous oblige à être particulièrement vigilants.

 

La déflation des effectifs s’appuie sur la diminution de format mais aussi sur le remplacement de bâtiments anciens à forts effectifs par des bâtiments neufs à équipage réduit. Mais ce qui la rend possible, c’est que, grâce à la LPM, nous avons pu renforcer les fonctions de protection, sécurité et sûreté, avec la création de 800 postes permanents dont des fusiliers, des atomiciens, des cyber-spécialistes ou des techniciens du renseignement, auxquels s’ajoutent 250 postes temporaires répondant à des besoins nouveaux, comme la prolongation d’un an de trois frégates d’ancienne génération suite à la vente de la FREMM Normandie, ou encore la formation des équipages étrangers sur les bâtiments que nous exportons. Au total, ce sont 2 120 postes qui sont supprimés dans la structure fonctionnelle et un peu plus de 1 000 postes créés par ailleurs.

 

Le maintien des compétences est un enjeu important. Nous devons entretenir un nombre croissant de microfilières de techniciens hautement qualifiés, et les viviers dans lesquels nous les puisons se réduisent, d’une part sous l’effet des déflations mais aussi à cause d’un problème de fidélisation, ces compétences étant extrêmement convoitées par des industries qui ne connaissent pas la crise. Nous devons nous assurer de ne pas en arriver au stade où en sont certaines marines européennes, qui connaissent de graves problèmes de ressources humaines, au point que certains de leurs bateaux doivent rester à quai faute de personnel pour les faire naviguer. Aujourd’hui, notre surengagement opérationnel, le nombre et la multiplicité de nos missions, notre politique de formation interne et notre valorisation des carrières jouent en faveur de notre attractivité, mais nous devons rester attentifs à ce que pour ceux qui s’engagent au service de la Nation, la balance entre contraintes et avantages penche en faveur de ces derniers, ce qui implique de leur offrir de bonnes conditions de travail et de bonnes conditions de vie.

 

On nous demande cette année encore d’économiser sur les frais de fonctionnement mais la diminution des crédits peut avoir des incidences sur le moral des troupes. Outre que les dépenses de fonctionnement ne sont pas des dépenses de confort mais servent, par exemple, à financer des formations ou l’externalisation de certains contrats auprès de sociétés civiles – comme la société Bourbon pour les remorqueurs de haute mer –, le métier de marin a des contraintes particulières. Au port-base, il y a des astreintes, des gardes, des alertes ; quant aux conditions de vie à bord, j’invite tous les membres de cette commission à passer une semaine à bord d’un Aviso A69 dans le golfe de Gascogne… En mission, nous sommes séparés de nos familles pendant de longues durées, parfois sans pouvoir communiquer. Il est donc important, dans notre gestion des ressources humaines, de mieux prendre en compte ces familles et les questions de garde des enfants, de travail des conjoints, tout en nous adaptant aux nouvelles réalités sociales dans lesquelles les familles pèsent plus qu’autrefois : célibat géographique, familles recomposées, etc.

 

J’en terminerai en mentionnant les trois décrets signés du Premier ministre qui viennent d’étendre la superficie du plateau continental sous responsabilité française aux Antilles, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Kerguelen. Cette extension représente 550 000 mille kilomètres carrés supplémentaires, soit exactement la superficie du territoire métropolitain. C’est un nouveau champ d’action pour la marine, à qui je ne doute pas qu’on fournira les moyens pour qu’elle y accomplisse au mieux ses missions…

 

Mme la présidente Patricia Adam. J’ai été particulièrement attentive dans vos propos à ce qui concernait l’Europe. Il me semble qu’en matière de défense, s’il y a un domaine où nous pourrions progresser plus rapidement qu’ailleurs c’est bien la marine, à conditions toutefois que les autres pays acceptent de nous rejoindre dans cette dynamique.

 

M. Gwendal Rouillard. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le coût du porte-avions lorsqu’il est déployé en opération extérieure, notamment dans le cadre de l’opération Chammal.

 

En ce qui concerne les frégates de taille intermédiaire (FTI), comment arbitreriez-vous, à titre personnel, entre les besoins de la marine nationale et la volonté exprimée par le Gouvernement de pouvoir exporter ces nouveaux bâtiments dans les meilleurs délais ?

 

Vous avez évoqué nos marins, leur fierté d’exercer les missions que leur confie la marine nationale, mais également les contraintes de plus en plus lourdes qui pèsent sur eux et leurs familles. Un fusilier marin travaille soixante-dix heures par semaine, avec quarante heures d’astreinte pour un revenu qui reste modeste. Nous devons, vous l’avez dit, nous attacher prioritairement à consolider l’attractivité des métiers et la fidélisation des troupes. Il serait également bon de formaliser cette logique de compétences dont vous souhaitez qu’elle remplace la logique des effectifs en ce qui concerne les déflations, car le ministère de la Défense a, en la matière, une véritable mutation à opérer.

 

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. La préfecture maritime et la base navale de Cherbourg assurent les missions de l’État en mer sur un littoral qui va de la frontière belge à la baie du Mont-Saint-Michel, ce qui représente 870 kilomètres de côtes, avec un trafic maritime intense. Je viens de recevoir un appel téléphonique me signalant qu’une barge vient de déverser des tonnes de fioul à proximité de la rade de Cherbourg. De plus, dans un contexte de fortes menaces terroristes, la base navale assure également des missions de sécurité du littoral et du territoire. Or cette base a dû subir les déflations d’effectifs, et l’amiral Ausseur a fait une demande d’effectifs supplémentaires. Pensez-vous qu’il aura gain de cause ?

 

La marine a été choisie pour tester le nouveau système de paye « Source Solde ». Cela risque de fortement accroître la charge de travail du Centre d’expertise des ressources humaines de la marine (CERH) de Toulon : allez-vous devoir recruter du personnel supplémentaire ?

 

M. Yves Fromion. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’opération Sophia et la manière dont la marine française s’y implique ?

 

Je tiens par ailleurs à vous remercier du ton particulièrement irénique sur lequel vous nous avez fait votre exposé. Comme l’an dernier, vous nous avez expliqué que la marine dépassait largement son contrat opérationnel et les ruptures capacitaires que cela pouvait entraîner. Cela illustre bien les tensions et les impasses auxquelles fait face notre politique de défense, et ceci depuis fort longtemps. Je m’étonne dans ces conditions que la nouvelle loi de programmation militaire apporte une réponse à ce point sous-dimensionnée aux ambitions et aux exigences formulées dans le Livre blanc. Combien de temps pourrons-nous faire semblant de remplir correctement nos missions avec les moyens dont nous sommes dotés ?

 

Mme la présidente Patricia Adam. En matière de défense, nous nous inscrivons dans le temps long, mais je pense que nous sommes tous d’accord ici pour considérer qu’il est nécessaire que le budget de la défense ne soit pas inférieur à 2 % du PIB.

 

M. Jacques Lamblin. La marine nationale est confrontée à ce paradoxe qu’il lui faut raisonner sur le temps long, car la programmation des équipements oblige à des anticipations sur trente ans, alors que, dans le même temps, la technologie évolue de plus en plus rapidement. Cette équation est difficile à résoudre mais, quels que soient les projets mis en œuvre dans les temps futurs, nous avons deux certitudes. La première est qu’il nous faudra conserver notre capacité à agir car la présence française est indispensable un peu partout sur le globe. La seconde est que, sans instrument de puissance à sa disposition, la parole de l’État n’est plus que bavardage sur la scène internationale. Nous avons donc besoin d’une marine efficace, ce qui est le cas actuellement avec notre force océanique et notre force aéronavale. Concernant cette dernière, le porte-avions va prochainement être immobilisé pendant dix-huit mois. Comment est-il envisagé de pallier son indisponibilité ? Par ailleurs, notre flotille de Super Étendard doit être progressivement remplacée par des Rafale ; sera-t-on prêt dans les temps ?

 

M. Daniel Boisserie. Nos nombreux engagements imposent une maintenance accrue. Il vous a été dévolu une certaine somme : vers quelles priorités aller vous flécher les dépenses ?

 

M. Philippe Meunier. La livraison de la FREMM à l’Égypte n’est pas sans conséquence sur la déflation des effectifs. Si vous avez obtenu des postes supplémentaires pour y faire face ainsi que du personnel supplémentaire pour renforcer vos missions de protection, les objectifs de déflation, eux, n’ont pas varié entre la LPM initiale et la LPM actualisée. Dans ces conditions, où allez-vous supprimer des postes pour atteindre ces objectifs ?

 

M. Gilbert Le Bris. En ce moment même se tient à l’Assemblée nationale un colloque sur Clipperton, territoire éloigné et un peu en jachère mais qui, avec ses 500 000 km2 de ZEE, soit l’équivalent de la métropole, est un atout majeur pour la France. Or le programme BATSIMAR suscite quelques inquiétudes quant à la pérennité de nos forces de souveraineté. Notre flotte de patrouilleurs outre-mer connaît déjà des réductions temporaires de capacité, et je ne vois pas comment il sera possible de tenir jusqu’en 2024. Quelles solutions envisagez-vous pour patienter jusqu’à l’arrivée des patrouilleurs de nouvelle génération ?

 

M. Eduardo Rihan Cypel. Quand j’entends certaines des interventions précédentes, j’ai l’impression que nous n’évoluons pas dans la même réalité. Le Gouvernement actuel est le premier à avoir stoppé l’hémorragie budgétaire et de ressource humaine dans les armées. Les militaires sont d’ailleurs bien conscients de cette réalité. Le Charles-de-Gaulle a effectué dans le golfe Persique une mission extrêmement pointue, servant les intérêts de tous les alliés dans le combat contre le terrorisme et contre Daech. Où en est la situation dans la zone et est-il prévu que le Charles-de-Gaulle y soit redéployé ?

 

M. Jean-François Lamour. Vous avez évoqué les efforts nécessaires en matière d’infrastructures. Un peu plus d’un milliard d’euros est affecté au budget de la défense dans le PLF pour 2016 pour faire face à ces dépenses, mais des inquiétudes persistent sur leur financement, liées notamment aux recettes attendues des cessions immobilières. En ce qui concerne la marine nationale, pourriez-vous nous préciser à quoi correspond l’effort de rénovation ou de construction de nouvelles infrastructures ?

 

Concernant le tuilage entre FREMM et FTI, les annonces faites par le ministre il y a quelques mois sur l’avancement du programme des FTI ne me paraissent pas forcément en adéquation avec vos besoins en matière de frégates de premier rang, a fortiori si l’on tient compte de la récente extension de notre plateau continental. Quel est votre sentiment sur la révision à la baisse du nombre de FREMM, alors que la montée en puissance des FTI n’a encore d’existence que sur le papier ? Jugez-vous réaliste l’objectif consistant à doter la marine de quinze frégates de premier plan à l’horizon 2029 ?

 

Vous avez insisté sur le soutien aux exportations d’armement (SOUTEX) et les 250 postes temporaires que vous aviez obtenus pour y faire face. Comment intégrez-vous cette donnée nouvelle dans votre stratégie en matière de ressources humaines, qui doit également tenir compte des déflations d’effectifs ?

 

Amiral Bernard Rogel. Je vous remercie, monsieur Rouillard, de m’avoir interrogé sur le coût du porte-avions en OPEX, car on nous fait souvent un très mauvais procès à ce sujet. Qu’en est-il, tout d’abord, du porte-avions lui-même ? À ceux qui font remarquer qu’un seul bâtiment ne permet pas d’assurer la permanence, je réponds que nous n’avons qu’à en prendre deux, et nous n’aurons plus de problèmes... Plus sérieusement, la question n’est pas récente : elle a été examinée dans les deux derniers Livres blancs. Le porte-avions est un outil de puissance qui nous vaut la considération de nos alliés. Je fais d’ailleurs observer qu’il s’en construit partout : les Chinois devraient en construire quatre, de même que les Indiens, les Américains en possèdent onze et les Britanniques en construisent deux.

 

J’en viens à votre question. La marine, qui déploie en permanence 5 000 personnes en mission, ne coûte au BOP OPEX, notamment pour les missions Chammal et Corymbe, que moins de 100 millions par an sur 1,2 milliard d’euros ; cela ne me paraît pas excessif. Il faut donc savoir raison garder et éviter d’utiliser de mauvais arguments dans des combats de périmètre.

 

Par ailleurs, oui, les FTI sont un enjeu majeur. Oui, elles ont été voulues par la marine. Oui, elles représentent une bonne solution. Le Livre blanc recommandait d’équiper la marine de quinze frégates de premier rang, c’est-à-dire des frégates dotées de capacités anti-sous-marines et anti-aériennes pour pouvoir se rendre dans n’importe quelle zone de crise – les frégates La Fayette, qui ne disposent pas de sonar et ne sont équipées que d’une défense anti-aérienne rapprochée, n’en sont donc pas. Nous avons alors réfléchi à la manière dont nous pouvions atteindre l’objectif fixé par le Livre blanc – qui est en réalité de treize frégates de premier rang car nous disposons déjà de deux frégates anti-aériennes (FDA) –, grâce à un panachage de FREMM et de FTI. Nous avons abouti, en étroite collaboration avec le ministre de la Défense et ses services, à une solution consistant à prendre, outre les deux FDA, huit FREMM et à bâtir un navire qui corresponde au principe de différenciation énoncé dans le Livre blanc tout en ayant la capacité de frégates de premier rang. Je me félicite que le programme ait été avancé pour une première livraison en 2023, ce qui nous fait gagner deux années durant lesquelles nous aurions pâti d’une nouvelle rupture temporaire de capacité.

 

Si nous avions choisi 11 FREMM en plus des deux FDA, il nous aurait fallu deux frégates supplémentaires ; or je ne crois pas à une série de deux unités : la rupture de capacité aurait été définitive. Le plan que nous avons retenu offre donc, selon moi, la meilleure solution. Il permet à la fois de respecter l’enveloppe budgétaire, de doter la marine de quinze frégates de premier rang et d’augmenter la prestation export de l’industrie française.

 

Selon nous, la principale menace est sous-marine : aujourd’hui – et c’est inédit, me semble-t-il –, plus de 49 nations disposent de sous-marins modernes. La FTI doit donc être dotée de capacités anti-sous-marines – je précise, à ce propos, que l’une de nos difficultés actuelles est liée au nombre des frégates anti-sous-marines (ASM) car, en raison de l’effet de biseau et de l’arrivée des FREMM, nous n’en avons aujourd’hui que six au lieu de huit prévues. Pour autant, la FTI doit être également équipée de capacités anti-aériennes pour pouvoir s’approcher des zones de crise car, et c’est la deuxième caractéristique des opérations navales actuelles, dès lors que l’on s’approche de la terre, on s’expose notamment à la menace aérienne et aux missiles sol-mer.

 

J’estime que ce bâtiment, qui fera entre 4 000 et 4 500 tonnes, doit être d’abord anti-sous-marin, avec une capacité d’emport NH90, puis qu’il doit disposer une capacité anti-aérienne significative. Je ne pense pas que sa taille permettra d’y installer le missile de croisière naval. Les discussions avec les industriels se dérouleront sur cette base, qui correspond aux besoins opérationnels minimums de la marine – je me battrai pour qu’ils soient reconnus, et je ne doute pas que je parviendrai à être entendu. Ensuite, il faudra s’efforcer de faire le bateau le plus intelligent possible pour qu’il soit facilement exportable. Nous travaillons « en plateau » avec les industriels et la DGA, et j’ai bon espoir que nous arriverons très vite à une définition intéressante.

 

Par ailleurs, il est vrai que nous rencontrons des difficultés avec les Atlantique 2, en raison tout d’abord de leur vieillissement et de la suractivité opérationnelle, car ils interviennent partout, de l’Arctique à la Syrie en passant par le Sahel. Ces difficultés sont également liées à l’appréhension de cette disponibilité par le service industriel, qui a rencontré quelques problèmes avec un logiciel de commande des pièces de rechange. De surcroît, nous allons retirer certaines cellules pour, enfin, les moderniser. Cette modernisation, décidée par le ministre de la Défense, est importante car cette capacité, que n’ont plus d’autres marines européennes, et elles le regrettent – je pense à nos amis britanniques en particulier –, est un véritable couteau suisse : de la lutte anti-sous-marine à la lutte antiterroriste en passant par le sauvetage en mer, cet avion peut tout faire. Nous nous efforçons donc de concilier le retrait de certaines cellules avec l’amélioration du taux de disponibilité, qui est actuellement de 27 %. Nous avons ainsi adopté un plan d’urgence, qui crée quelques frictions, puisque nous avons imaginé d’envoyer des avions directement chez l’industriel sans passer par le service industriel de l’aéronautique.

 

Le NH90, quant à lui, pèche au contraire par sa jeunesse. Il s’agit cependant, je tiens à le souligner, d’un aéronef exceptionnel – et c’est le sous-marinier qui parle – qui va bouleverser la lutte anti-sous-marine. Les capacités de l’hélicoptère et de son sonar FLASH, développé par Thales, sont tout à fait exceptionnelles, et je puis vous dire que même les nations dont les budgets militaires sont beaucoup plus importants que les nôtres nous envient le tandem FREMM-NH90.

 

J’ajoute, car j’ai omis de l’indiquer tout à l’heure, que le Groupe aéronaval (GAN) sera escorté, outre les bâtiments étrangers, par une FREMM et une FDA. Il s’agit déjà de la marine de 2025 que j’évoquais tout à l’heure.

 

J’en reviens au NH90. Celui-ci présente des défauts de corrosion – cela provient d’une perte de compétence de l’industriel, qui du reste l’a reconnu. Nous avons donc élaboré un plan pour y remédier et prévu, avec Airbus hélicoptères, d’embarquer des ingénieurs sur les bateaux dans le cadre de leur formation. Ces machines sont également souvent immobilisées pour des opérations de soutien, de sorte que nous avons élaboré un autre plan afin d’adapter le soutien aux besoins opérationnels. Sur ces deux points, les plans d’urgence devraient nous apporter des réponses assez rapidement.

 

Vous avez évoqué ensuite les contraintes pesant sur les familles ; c’est un sujet important. Entre les jours de mer, les jours d’alerte – durant lesquels il doit pouvoir se rendre sur son bateau en 48 heures, voire 24 heures – et les jours de garde, un marin est actuellement soumis à environ 180 jours de contrainte par an, soit la moitié de l’année. Les fusiliers marins travaillent, vous l’avez dit, plus de 70 heures par semaine. J’ai donc réclamé, et j’ai été entendu, des effectifs supplémentaires, d’abord pour faire baisser la pression, que le passage au plan Cuirasse a fait monter d’un cran supplémentaire. De fait, la force professionnelle de protection des emprises n’est pas extensible : lorsqu’on augmente le niveau d’alerte, la contrainte croît d’autant.

 

Nous avons également élaboré un grand plan destiné à développer l’attractivité du métier de fusilier. Il n’est en effet guère motivant de garder des clôtures entre 70 et 90 heures par semaine, pour un salaire à peine égal au SMIC. Or, nous avons besoin de spécialistes de la protection, en particulier dans la situation actuelle. Nous avons donc décidé de favoriser la mobilité des fusiliers marins : désormais, ils changent régulièrement de centre, partent en OPEX pour garder, avec les fusiliers de l’air, les avions de l’aéronautique navale et participent à la protection embarquée des bâtiments que nous devons protéger contre la piraterie. Cet effort porte ses fruits, mais nous devons avoir cette préoccupation constamment présente à l’esprit : en améliorant l’attractivité du métier, on favorisera la fidélisation des personnels, qui est absolument nécessaire.

 

Par ailleurs, nous ne pouvons plus raisonner en suivant une logique de nombre ; nous menons une analyse fonctionnelle permanente. Ce qui m’a beaucoup frappé, lors de l’élaboration du Livre blanc, c’est que l’on n’est pas parvenu à faire le lien entre les équipements de demain et les métiers de demain, de sorte que ce qui devait arriver arriva : les déflations se fondent sur des logiques d’effectifs et non sur des logiques de compétences. Or, aujourd’hui, il y a danger, car nous ne pouvons plus raisonner en termes d’effectifs.

 

Mme la présidente Patricia Adam. C’est vrai dans le soutien.

 

Amiral Bernard Rogel. C’est vrai partout ! Lorsqu’on nous demande de réduire les effectifs, nous ne pouvons pas « taper » dans les personnels compétents, car nous en avons besoin pour faire tourner les équipements ; nous « tapons » donc sur la base, c’est-à-dire le pied du sapin, au risque de le faire chavirer. Nous devons donc être très attentifs à ce sujet. Nous avons beaucoup diminué la masse salariale : depuis 1960, le nombre en effectifs des équipages a drastiquement baissé, et le taux d’encadrement a augmenté. De fait, cette notion d’encadrement n’a plus de sens. Je n’ai pas besoin de tant d’officiers pour encadrer tant de marins ; j’ai besoin de tant d’officiers mariniers, de tant d’officiers mariniers supérieurs et de tant de matelots pour faire tourner un bateau.

 

Madame Gosselin-Fleury, permettez-moi tout d’abord de vous dire combien j’ai été heureux d’ouvrir une école des mousses à Cherbourg – et d’augmenter la capacité de celle de Brest, madame la présidente. Je suis en effet très fier de ces écoles qui forment des jeunes qui quittent le système scolaire à l’âge de seize ans, aux métiers de compétence que j’ai évoqué tout à l’heure. Cherbourg restera un port école, important pour nous. Mais c’est aussi un port nucléaire – et l’arrivée des équipages de Barracuda augmentera les effectifs – et un port d’action de l’État en mer (AEM), et je voudrais m’y arrêter quelques instants.

 

Tout d’abord, je rappelle que l’AEM ne se limite pas à la marine ; elle concerne également la gendarmerie maritime, l’administration des affaires maritimes et la douane, notamment. La Manche est un secteur sensible, où nous rencontrons actuellement des difficultés liées à l’ancienneté des bateaux. Nous n’y disposons en effet que de deux bateaux disponibles sur cinq. En cas de besoin, nous faisons donc venir des bateaux de Brest, comme c’est le cas actuellement en raison du risque de pollution provoqué par la collision de deux bateaux au large de Zeebrugge – et nous redéploierons notre dispositif pour traiter la catastrophe intervenue ce matin. Dans certains domaines, tels que la lutte antipollution en mer, la marine agit seule. C’est pourquoi je me suis battu pour que l’on nous affrète quatre bâtiments de soutien et d’assistance. En tout état de cause, nous continuerons à porter une attention toute particulière à la zone Cherbourg-Manche-Mer du Nord en interministériel, car l’augmentation des flux maritimes se traduit également par une croissance du nombre des navires qui y circulent. J’ajoute que les champs d’éoliennes implantées en Manche-Mer du Nord, non seulement risquent d’accroître le risque d’accident, mais nous ont conduits, l’année dernière, à augmenter d’un tiers le nombre de nos interventions de déminage. On estime en effet qu’il reste aujourd’hui au fond 60 % des engins historiques jetés durant les deux conflits mondiaux.

 

En ce qui concerne le projet Source Solde, j’ai obtenu des renforts d’effectifs – vingt-neuf personnes très exactement – pour le CERH de la marine à Toulon, dont le travail extraordinaire nous a permis de contenir la crise Louvois et d’être, depuis des années, à l’équilibre en titre 2, ce qui est un exploit de nos jours. Lorsque le ministre m’a annoncé que la marine avait été choisie – ou plutôt élue, devrais-je dire – pour mettre en œuvre le nouveau dispositif, j’ai donc réclamé un renfort en effectifs et j’ai demandé à être parfaitement intégré dans le processus de décision, étape par étape.

 

M. Fromion m’a interrogé sur l’opération Sophia, dont je rappelle qu’à la différence de l’opération Triton, elle est dirigée contre les passeurs – même si, de fait, elle est aussi une opération de sauvetage car on ne peut pas rester indifférent au sort de ces malheureux qui cherchent à traverser la Méditerranée. Comme l’opération Atalante et toutes les opérations d’action de l’État en mer, elle est complexe. La difficulté n’est pas tant militaire que juridique : il est inutile d’arrêter des passeurs s’ils ne peuvent pas être jugés. Des discussions sont en cours pour régler ce problème – nous y parviendrons, j’en suis convaincu, mais cela prendra un peu de temps. Comme contre la piraterie, l’action des marines est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Le meilleur moyen de lutter contre les passeurs consiste en effet à s’en prendre à leur argent. En outre, on constate qu’ils adaptent déjà leur mode d’action à la présence des marines. Il faut donc mener une action militaire, une action dissuasive et, surtout, réfléchir au meilleur moyen d’atteindre les réseaux financiers.

 

M. Yves Fromion. À quelle distance des côtes libyennes opérez-vous ?

 

Amiral Bernard Rogel. Nous sommes passés de la phase 1, de mise en place du dispositif, à la phase 2A d’intervention en eaux internationales. La phase 2B correspond à une action dans les eaux territoriales libyennes, mais elle nécessite soit un mandat de l’ONU – qui est en cours de discussion –, soit une autorisation du gouvernement libyen, qu’il est difficile d’identifier aujourd’hui. Nous sommes donc dans la phase de renseignement et de secours, et nous agissons si nous trouvons des passeurs, mais nous ne sommes pas encore dans la phase ultime qui devrait conduire à la destruction des réseaux. L’exercice n’est pas simple.

 

Par ailleurs, la marine nationale ne fait pas semblant de remplir ses missions, comme vous l’avez dit. Elle les remplit, même si celles-ci ne cessent d’augmenter en raison des événements climatiques, de la croissance des flux maritimes ou des OPEX. Le Livre blanc était fondé sur le constat d’un contexte budgétaire difficile. Certains scénarios budgétaires donnaient d’ailleurs le frisson : s’ils avaient été retenus, vous auriez pu me dire que nous faisons semblant. Mais l’équipe qui l’a rédigé a cherché la meilleure solution pour nous permettre de franchir le creux de la vague. Il s’agissait de conserver les compétences pour faire face aux difficultés budgétaires et mieux rebondir par la suite. Jusqu’à maintenant, les choix qui ont été faits doivent être assumés par tous, qu’il s’agisse des réductions temporaires de capacité (RTC), du vieillissement des équipements ou des retards de livraison. L’objectif était de parvenir au meilleur compromis entre efficacité et budget, tout en évitant de perdre des compétences. Aujourd’hui, la situation n’est certes pas facile, mais le pari est réussi : l’activité est sur le point de remonter. On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein…

 

Néanmoins, il est permis de se demander si les hypothèses du Livre blanc resteront valables en cas de multiplication des missions nouvelles. Je crois, quant à moi, que nous sommes condamnés à en rédiger un nouveau au moins tous les cinq ans. Mais un outil militaire se construit dans la durée. Il ne s’agit donc pas de donner un coup de barre à chaque révision – les coups de barre ne sont jamais bons, c’est le marin qui parle – mais de réorienter. Ainsi, en ce qui concerne la marine, il faudra se pencher sur le programme BATSIMAR – et je réponds sur ce point à M. Le Bris. En effet, si nous attendions 2024, nous serions en « rupture globale temporaire de capacité », car tous les patrouilleurs outre-mer vont s’éteindre les uns après les autres. Or, il faut tenir compte non seulement des nouvelles zones à protéger et des événements climatiques mais aussi des problématiques de souveraineté. Il ne s’agit pas seulement de Clipperton, mais de l’ensemble de la ZEE : si nous n’y sommes pas présents, d’autres viendront l’occuper à notre place. Aujourd’hui, nous faisons régner l’ordre, notamment en mettant dehors des pêcheurs asiatiques illégaux, mais si nos patrouilleurs ne sont pas remplacés – et c’est également vrai pour les patrouilleurs métropolitains –, nous rencontrerons des difficultés, car ils sont un élément important de l’action de l’État en mer.

 

En ce qui concerne la force aéronavale, les Super-Étendard vont être retirés du service. Le déploiement qui suivra celui qui interviendra prochainement sera en version « tout Rafale ». Pour aménager cette transition, nous avons travaillé en étroite relation avec l’armée de l’air ; nous avons ainsi un escadron de transition commun. Nous devons cependant trouver un partenaire possédant un porte-avions afin d’entraîner notre groupe aérien pendant l’arrêt technique majeur (ATM) – je suis en contact avec mon homologue américain à ce sujet. L’intérêt du déploiement du Charles-de-Gaulle est de partir au maximum de la compétence acquise pour pouvoir décroître un peu pendant l’arrêt technique majeur, et repartir ensuite. Nous chercherons, là aussi, à coopérer avec les Américains.

 

S’agissant du MCO, les grands enjeux à venir sont l’ATM du Charles-de-Gaulle ainsi que les négociations avec les industriels sur les frégates et les sous-marins. La gestion du MCO est une préoccupation permanente.

 

J’en viens maintenant aux conséquences des contrats export avec l’Égypte. En ce qui concerne les FREMM, ce fut assez difficile, car il nous a fallu envoyer la moitié d’un équipage à DCI-NAVFCO alors que nous avons encore peu d’équipages de FREMM, puisque c’est une capacité que la marine française est en train d’acquérir. Je suis plus serein en ce qui concerne les BPC, car les marins formés sont nettement plus nombreux. Mais il est vrai qu’il s’agit toujours d’un défi, car la gestion des compétences se fait à flux tendu, singulièrement sur les FREMM, pour lesquelles nous n’avons pas beaucoup de ressources humaines. Le moment est donc délicat : nous devons concilier nos besoins et ceux de l’export. Cela passe par un dialogue avec DCI-NAVFCO et les industriels, et par des solutions nouvelles qui nous permettent d’anticiper ces besoins. Nous devons veiller à trouver le bon équilibre.

 

Le Charles-de-Gaulle, je le répète, est un outil de puissance important, reconnu par nos alliés les plus puissants et par les marines européennes, qui nous jugent crédibles et nous considèrent comme des leaders dans ce domaine. Actuellement, nous aidons les Britanniques à remonter en puissance en vue de la mise en service de leurs deux porte-avions. Cette capacité aéronavale est un véritable signe de puissance maritime.

 

Enfin, qu’en est-il des efforts en matière d’infrastructures ? Longtemps, on a dit à la marine que celles-ci seraient rénovées lorsque les nouveaux bateaux arriveraient, ce qui était intelligent, du reste. Les écologistes nous ont décerné un satisfecit en matière de déconstruction. Grâce à la DGA, nous sommes également exemplaires dans le domaine de l’écoconstruction. La marine nationale s’est ainsi engagée à supprimer tout rejet à la mer, mais ces rejets doivent bien s’effectuer quelque part. Les infrastructures que nous sommes en train de construire doivent donc prendre en compte cette donnée environnementale, ce qui renchérit un peu leur coût.

 

Les infrastructures – portes de bassin, grues, stations hydrauliques, alimentation électrique – datent du plan Marshall ; elles ont 65 ans. Il était intelligent, disais-je, de lier la rénovation des infrastructures à l’arrivée des bateaux modernes mais, aujourd’hui, nous ne pouvons plus reculer. Sans elles, nous ne pourrons ni garer ni entretenir nos bateaux. Mais, là encore, comparons ce qui est comparable : si l’on examine tous les grands programmes de la Défense, on s’apercevra qu’ils sont équitablement répartis. Quoi qu’il en soit, nous sommes repartis pour 65 nouvelles années, de sorte que nous devrions être moins « gourmands » à l’avenir.

 

M. Jean-François Lamour. Permettez-moi de préciser ma question, amiral : quelle est la part du budget de 1,1 milliard consacré aux infrastructures allouée à la construction de nouvelles infrastructures de la marine nationale pour l’année 2016 ?

 

Amiral Bernard Rogel. Elle est de l’ordre de 200 millions. N’oublions pas, d’ailleurs, les infrastructures de vie. C’est un sujet auquel je suis très sensible et sur lequel on a fait l’impasse pendant des années, pour des raisons budgétaires. Ces infrastructures ne sont pas en très bon état ; le ministre a décrété un plan d’urgence qui a permis de rénover certaines d’entre elles, mais il faut être vigilant sur ce point car c’est un élément très important pour l’attractivité des métiers et la fidélisation du personnel. Je ne parle pas des équipages de bâtiment embarqués, mais des personnels du soutien, notamment.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Pour avoir visité la base de défense de Brest, je peux en effet en témoigner de la nécessité de réaliser des travaux dans les infrastructures de vie. Je vous remercie, amiral.

 

*

* *

 

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. David Comet, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. François Lamy, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marleix, M. Philippe Meunier, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, Mme Marie Récalde, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Assistait également à la réunion. - M. Jean-François Lamour

 

Téléharger l'Audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2016

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 17:55
photo Armée de Terre

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13 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 7

 

Mme la présidente Patricia Adam. Mon général, ce n’est pas la première fois que nous avons le plaisir de vous accueillir ; vous nous avez notamment présenté le plan « Au contact » et nous vous avons entendu dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). Aujourd’hui, vous ferez sans doute face aux questions portant sur le déploiement de l’armée de terre sur le territoire national, les investissements réalisés et les opérations extérieures (OPEX) – qui, on l’oublie parfois, mobilisent autant que l’opération Sentinelle. Nous avons d’ailleurs prévu d’auditionner à nouveau le ministre de la défense sur l’ensemble des OPEX. Enfin, notre commission est préoccupée par l’équilibre entre opérations et entraînement des forces, celui-ci pâtissant, depuis le mois de janvier, de l’effort consenti pour Sentinelle. Le bureau de la commission a décidé de se pencher sur la question des opérations militaires menées sur le territoire national, dont la doctrine doit être présentée au mois de janvier. Vous évoquerez peut-être ce sujet sur lequel vous travaillez actuellement.

 

Général Jean-Pierre Bosser. Je suis ravi de retrouver les membres de la commission, notamment ceux qui ont rendu visite à l’armée de terre le 28 mai à Palaiseau, puis à Sissonne pour la présentation dynamique du modèle « Au contact ». Certains d’entre vous, suivant l’exemple de votre présidente, nous ont honorés de leur présence aux deux événements. Merci de votre fidélité ; ces rencontres comblent bien l’intervalle entre les auditions formelles à l’Assemblée nationale et les rendez-vous pratiques sur le terrain, au contact de nos hommes.

 

Nous entamons actuellement un nouveau cycle. Depuis le mois de septembre, l’armée de terre est entrée dans la phase de réalisation pratique de son modèle, marquée notamment par l’élaboration des processus. Parallèlement, elle vit deux types de transition : la première, de court terme, est liée à la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT). Échelonnée sur deux ans, 2015 et 2016, elle doit nous ramener au plus vite au niveau de préparation opérationnelle que nous avions avant les événements de janvier. La seconde, de plus long terme, est capacitaire : elle marque la fin de vie de parcs vieillissants – en particulier le véhicule de l’avant-blindé (VAB) et l’AMX-10 RC – et l’arrivée de nouveaux matériels, notamment des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) et des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) dans le cadre du programme Scorpion.

 

Dans ce contexte, je voudrais vous dire ma satisfaction de voir que la LPM actualisée et le projet de loi de finances (PLF) pour 2016 prennent en compte les nouvelles missions qui attendent l’armée de terre. Ces deux outils n’effacent pas les grands défis que portent les années à venir, et en particulier 2016, mais nous sommes en ordre de bataille pour y faire face.

 

Je montrerai d’abord en quoi l’année 2015 est une année de pleine satisfaction pour l’armée de terre, engagée sur le territoire national – la défense de l’arrière – comme en OPEX, la défense de l’avant. Cette année marque un virage historique en termes de moral, la LPM actualisée nous donnant les moyens de nous projeter dans l’avenir. Je vous brosserai ensuite les quatre grands défis qui nous attendent en 2016 : le positionnement de l’armée de terre sur le territoire national, le recrutement et la fidélisation qui doivent amener les effectifs de la FOT à 77 000 hommes, la préparation opérationnelle et le renouvellement de nos capacités.

 

L’année 2015, tout d’abord, a initié une dynamique positive en matière de missions – à l’intérieur comme à l’extérieur –, d’adéquation des moyens aux missions et enfin en matière psychologique, la décroissance des effectifs n’étant désormais plus vécue comme une fatalité.

 

Sur le territoire national, notons la réactivité de l’armée de terre qui a engagé 10 000 hommes en trois jours dans le cadre de l’opération Sentinelle. Pour elle-même comme pour les soutiens, ce fut une action très bénéfique : elle a donné confiance au personnel, validé certains concepts dans le domaine du soutien et, surtout, rassuré les Français sur la capacité de leur armée de terre à les épauler dans les moments difficiles. L’opération est, depuis, maintenue au niveau élevé de 7 000 hommes, avec une capacité de remontée en puissance à 10 000. Au total, ce sont 57 700 terriens qui se sont relayés à Sentinelle depuis le 11 janvier. Pour autant, aucun incident majeur mettant en cause un soldat français n’est à déplorer depuis neuf mois. J’y vois la récompense d’un très grand professionnalisme et la preuve de la bonne transposition sur le territoire national des qualités individuelles et collectives acquises en OPEX : endurance – nos soldats ont été déployés en plein hiver –, résilience, maîtrise de la force – souvenez-vous de l’incident de Nice – et réversibilité. Un incident reste toutefois toujours possible. Avec Sentinelle, l’armée de terre fait ensuite la démonstration d’une grande adaptabilité. Exclusivement statique de janvier à avril, l’opération est aujourd’hui aux deux tiers constituée de dispositifs dynamiques, plus efficaces et plus valorisants pour nos hommes. Sentinelle a beaucoup évolué et les préfets, dans la rédaction des réquisitions, insistent de plus en plus sur les effets à obtenir et non sur les critères précis d’exécution de la mission. En Île-de-France, l’opération sera réarticulée fin octobre en trois états-majors tactiques commandés par des chefs de corps. On redonnera ainsi de la verticalité à un système jusque-là très horizontal : un soldat, un trinôme, une porte, peu ou pas de chefs de groupe, pas de chefs de section, encore moins de commandants d’unités, et un chef de corps qui restait en base arrière dans son régiment. Nous allons inverser cette tendance.

 

Cet engagement opérationnel a par ailleurs fortement rapproché l’armée de terre des Français. Cet été, selon le baromètre IPSOS, 66 % de nos concitoyens jugeaient Sentinelle efficace et 87 % d’entre eux estimaient que l’armée de terre avait sa place sur le territoire national. Nos hommes ont répondu présents malgré l’activité intense induite par cette mission qui leur demande beaucoup d’efforts physiques. Certains doivent ainsi effectuer 20 à 25 kilomètres à pied par jour ! Je souhaite rendre hommage à la constance et à la fiabilité de leur engagement.

 

Si l’on en parle moins, les OPEX, ou la défense de l’avant, n’ont pas pour autant disparu. Ces trois derniers mois, l’armée de terre déplore d’ailleurs onze blessés au combat. Ces opérations entraînent également une usure prématurée du matériel : à titre d’exemple, si en métropole un véhicule de l’avant blindé (VAB) roule en moyenne 1 000 kilomètres par an, il en fait 50 000 par an à Barkhane ; au bout de quatre ans, il doit être régénéré au prix de 500 heures de travail qui représentent une indisponibilité de dix-huit mois. Aujourd’hui, 7 000 hommes sont engagés hors de l’Hexagone, 4 500 en OPEX et 2 500 en missions de courte durée. L’armée de terre est ainsi entrée dans un juste équilibre entre intervention et protection, entre OPEX et opérations intérieures (OPINT), ce fonctionnement ayant entièrement modifié sa vie courante, sa préparation opérationnelle et son cycle de projection. Cette année a été particulièrement difficile parce que nous avons dû agir sans avoir pu adapter notre rythme à nos nouvelles missions. S’agissant des OPEX, je voudrais encore mentionner le rôle essentiel des forces prépositionnées, forces de proximité qui nous permettent de réagir rapidement et d’améliorer la préparation opérationnelle de nos unités qui effectuent des missions de courte durée.

 

La LPM actualisée a pris la mesure de ce changement de paradigme, et je vous en remercie. L’armée de terre est désormais engagée massivement et durablement à la fois sur le territoire national et en OPEX. Je suis pleinement conscient des efforts consentis par la Nation ; les outils dont elle nous dote témoignent d’une réelle prise de conscience des enjeux. La fin de gestion 2015 sera délicate pour le ministère comme pour les armées. Pour l’armée de terre, restent à ce stade non couverts les surcoûts des OPEX – 122 millions d’euros hors titre 2 –, ceux de Sentinelle – 141,9 millions – et ceux de la remontée en puissance de la FOT – 88,8 millions d’euros. Le chef d’état-major des armées (CEMA) appelle à la vigilance ; il évoquera certainement le sujet avec vous. Toutefois, à partir de 2016, nos besoins sont couverts jusqu’en 2019. Le « paquet protection » de la LPM actualisée est cohérent avec la masse salariale des 11 000 hommes supplémentaires prévus pour la FOT. Le « paquet capacitaire » permet d’améliorer sensiblement notre équipement, avec la commande de sept Tigre, de six Caïman, de roquettes de précision pour les Tigre et de lunettes de vision nocturne pour les forces spéciales, la revalorisation des VBL en attente du plan Scorpion et l’avancement des livraisons du porteur polyvalent terrestre (PPT). Enfin, le « paquet régénération » couvre nos besoins en entretien programmé du matériel (EPM), l’EPM terre augmentant de 8,5 % entre 2015 et 2016. Ces ressources supplémentaires s’ajoutent à la mise en place progressive d’une nouvelle organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres et aéroterrestres, dont l’objectif est de gagner de la disponibilité technique opérationnelle (DTO). En effet, celle-ci reste suffisante en OPEX, mais pas en métropole. Cette lacune n’était pas manifeste lorsque l’on organisait les entraînements dans les camps, y concentrant momentanément le matériel ; mais si l’on veut développer la préparation opérationnelle décentralisée dans les garnisons – notamment pour éviter de trop longues absences de nos cadres de leur domicile –, il nous faudra une DTO à la hauteur de nos besoins.

 

Enfin, 2015 représente pour l’armée de terre un virage historique aux conséquences positives en matière de moral. La manœuvre globale des effectifs nous est favorable : la déflation de 9 938 postes que nous devions subir sur la durée de la LPM est contrebalancée par la moindre déflation de 11 244 postes. En 2019, l’armée de terre emploiera donc 103 000 militaires. Lors de ma première intervention à l’Assemblée nationale, j’avais estimé que le seuil critique pour l’armée de terre tournait autour de 100 000 hommes ; le chiffre actuellement prévu nous permet donc de construire un modèle « Au contact » équilibré. Pour la FOT, l’augmentation est significative : la création de trente-trois compagnies de combat – dans l’infanterie, l’arme blindée cavalerie et le génie –, comme la remontée en puissance de deux régiments – le 5e régiment de Dragons à Mailly et la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) de retour des Émirats arabes unis – représentent une véritable inflexion. La directive ministérielle de 2016, parue avant l’été, nous permet de mettre en place une véritable gestion prévisionnelle à un an pour nos hommes.

 

Cette inflexion exerce un effet positif sur le moral de l’armée de terre, mais elle n’est rendue possible que par un gros effort de recrutement qui représente un des enjeux pour 2016. Certains s’interrogent sur la capacité de l’armée de terre à le réaliser, mais nous atteindrons notre objectif au 31 décembre : 5 600 militaires dont 4 430 par le recrutement et 1 170 par la fidélisation, conformément aux prévisions. Le taux de sélection – un pour deux – demeure tout à fait acceptable : un peu moins rigoureux que l’année dernière, mais bien plus qu’au début de la professionnalisation où il n’était que de un pour 1,5. La qualité des jeunes que nous recrutons est identique à celle des autres militaires.

 

Si l’année 2015 offre à l’armée de terre la promesse de lendemains intéressants, la dotant de nouveaux moyens, 2016 est porteuse de lourds défis.

 

Le positionnement sur le territoire national, tout d’abord – sujet qui me préoccupe d’autant plus qu’il fait l’objet de débats, notamment avec certains d’entre vous – ne se réduit pas à la seule opération Sentinelle qui elle-même ne se réduit pas à un renforcement du plan Vigipirate. Une fois l’urgence et l’émotion passées, comment donner un cadre durable à l’action de l’armée de terre ? Celle-ci ne pourra pas rester à l’écart des événements affectant le territoire national ; l’on peut débattre des modalités de son engagement, mais la nécessité de son implication paraît indiscutable.

 

Les travaux actuellement menés visent à définir une posture de protection terrestre. La défense opérationnelle du territoire (DOT) en tant que telle a vécu ; comment penser une posture de protection qui ne soit pas une posture permanente de sûreté (PPS), au sens où l’entendent les autres armées ? Comment élaborer une doctrine d’emploi permettant à l’armée de terre de se réapproprier le milieu terrestre et de trouver sa place, rien que sa place, mais toute sa place ? Comment, sans remettre en question le cadre juridique – l’état d’urgence, l’état d’exception, le rôle et la place des préfets –, mieux prendre en compte notre action ? L’armée de terre participe aux réflexions conduites par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), le ministre de la Défense et l’état-major des armées autour de ces axes. La marge de manœuvre est réduite car nous ne voulons devenir ni une force de sécurité démarquée, ni des auxiliaires d’une force de sécurité. Mais nous avons des atouts importants : la capacité de travailler jour et nuit, une grande mobilité, un savoir-faire en matière de renseignement – tant humain que via des drones. Je suis convaincu qu’il y a une place pour les forces armées sur le territoire national pour faire face aux menaces à venir, dont il ne faut pas attendre la concrétisation pour se poser la question de l’emploi des moyens militaires.

 

Il faut également souligner le rôle et la place de l’armée de terre dans la cohésion nationale. Après-demain, le premier centre de service militaire volontaire (SMV) ouvre ses portes à Montigny-lès-Metz ; 187 candidats ont été présélectionnés pour cent places, dont 25 % de filles. La structure se déploie avec l’appui des autorités locales, des élus et des sociétés. Deux autres centres ouvriront dans les prochains mois, le 3 novembre à Brétigny-sur-Orge et le 13 janvier à La Rochelle. L’expérimentation du SMV devrait être une réussite. L’infrastructure et le soutien sont d’ores et déjà opérationnels et l’encadrement est motivé, malgré les difficultés initiales. Le lien entre l’armée et la Nation passe également par le renforcement de la réserve opérationnelle dont les effectifs, pour l’armée de terre, doivent passer de 15 500 à 24 000 sur 2015-2019. Cela permettra notamment de créer des unités de réservistes dans onze départements qui représentent aujourd’hui des déserts militaires.

 

Enfin, à la suite de l’incident de Miramas, la prise en compte de la « protection défense » (PRODEF) est devenue prioritaire. À la demande du CEMA, qui en fait l’un de ses principaux sujets d’attention, l’armée de terre est en train d’étudier les postures qui lui permettraient de mieux surveiller ses emprises et de mieux protéger ses hommes et leurs familles, la PRODEF allant de la protection des cibles « dures » aux cibles « molles ».

 

Le deuxième défi qui nous attend en 2016, celui du recrutement, n’est pas financier. En effet, dans le PLF 2016, le titre 2 du budget opérationnel de programme (BOP), dimensionné à 4 217 millions d’euros, est conforme au plan de remontée en puissance de la FOT qui doit atteindre 77 000 hommes fin 2016. Le défi réside en revanche dans la réalisation de ce recrutement. L’année prochaine, l’armée de terre devra recruter 14 000 militaires du rang, soit 16 % de plus qu’en 2015. Nous serons alors le premier recruteur de France pour des contrats supérieurs à un an. Cette année, nous avons dû commencer les recrutements en avril, sans préparation, avec l’objectif de 5 000 hommes en huit mois ; en 2016, nous continuerons sur cette lancée.

 

L’enjeu porte également sur la fidélisation. Je me réjouis des dernières décisions concernant la nouvelle grille indiciaire des militaires du rang, qui l’ancrent définitivement, dès le premier indice, dans le nouvel espace statutaire de la catégorie C, le NES-C, et jusqu’à un point d’indice de sortie de 433. Il s’agit d’un facteur important de fidélisation, qui nous manquait jusqu’à présent. Nous souhaitons conserver nos militaires du rang pendant huit à quinze ans. Le modèle de l’armée professionnelle tablait sur une durée de service moyenne de huit ans, mais cet objectif n’avait jamais été atteint du temps des anciennes forces professionnelles. En effet, fidéliser les militaires du rang n’a rien d’évident ; bon nombre d’entre eux s’engagent pour un premier métier et nous quittent au bout de cinq ans. Pour les conduire à rester, il faut leur offrir des avantages ; la solde en est un. Jusqu’à présent, la grille indiciaire des militaires du rang manquait d’attractivité, mais les derniers travaux validés par le ministre la semaine dernière leur offrent une grille dont les étapes peuvent leur laisser espérer jusqu’à vingt-deux ans de service avec des hausses certes minimes, mais progressives, de solde.

 

M. Yves Fromion. Sur quelle durée les contrats sont-ils reconduits : deux ans, cinq ans ?

 

Général Jean-Pierre Bosser. Le contrat initial est aujourd’hui de trois ou cinq ans, cette dernière version étant privilégiée ; ensuite, les contrats évoluent à la carte – de cinq à huit ans, puis de huit à onze, de onze à quinze, de quinze à dix-neuf ans et demi. En effet, certains militaires sont prêts à s’engager d’emblée sur une longue durée ; d’autres allongent les contrats au fur et à mesure, en fonction de l’avancement en grade. Cela rend l’estimation de la fidélisation difficile.

 

M. Yves Fromion. La reconduction du contrat peut-être être l’occasion de changer d’arme ? Existe-t-il une mobilité professionnelle horizontale ?

 

Général Jean-Pierre Bosser. Tout à fait, on peut changer d’arme comme de région ; c’est même conseillé pour garder un individu.

 

En matière de fidélisation, contrairement à des idées reçues, je n’ai pas d’inquiétude sur l’adhésion de nos militaires du rang à Sentinelle.

 

Un auditeur de l’IHEDN m’a récemment demandé jusqu’où je serais allé si je devais imaginer l’armée de terre de mes rêves ; or si j’avais bien réfléchi au seuil critique inférieur, je n’avais pas envisagé la question des seuils supérieurs. Pourtant, ceux-ci existent. Je serai au rendez-vous le 31 décembre pour atteindre la cible des 5 500 recrutements en 2015, puis le 31 décembre 2016 pour atteindre les 11 000. Mais des recrutements supérieurs nous confronteraient à des problèmes en matière de capacité de la chaîne de recrutement, de la formation initiale, de l’habillement, du service de santé et de l’infrastructure.

 

L’effort de recrutement et de fidélisation n’exclut pas la manœuvre des départs, notamment dans la population sensible des officiers. En 2015, une déflation de 984 postes est attribuée à l’armée de terre ; le mouvement se poursuivra en 2017, 2018 et 2019. En 2015, avec 41 % des effectifs d’officiers du ministère, nous assumons 53 % de la charge de déflation qui pèse sur cette catégorie. Nous faisons partir ceux d’entre eux dont nous n’avons pas besoin pour encadrer la FOT : il s’agit de manœuvres internes complexes. La préparation opérationnelle représente un autre défi. L’armée de terre vit aujourd’hui sur l’expérience acquise depuis vingt ans ; elle peut le faire pendant trois ans, mais non pendant cinq ans. Si j’ai souhaité effectuer les 11 000 recrutements en 2015 et 2016, c’est pour retrouver l’équilibre au printemps 2017. En effet, sans ces effectifs supplémentaires, au-delà de l’été 2017, l’armée de terre Serval deviendrait inévitablement l’armée de terre Sentinelle. Nous essayerons d’atteindre l’objectif de 83 journées de préparation opérationnelle (JPO) en 2016 puis celui de 90 en fin de LPM.

 

Nous devons enfin faire un effort majeur en matière capacitaire. Si, avec le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), le camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAR) et le Tigre, l’armée de terre a obtenu un renouvellement important de ses matériels, l’usure des parcs anciens – VBL, AMX-10 RC, VAB et hélicoptères – est réelle. D’ici aux années 2020-2025, nous allons donc vivre une transition capacitaire importante. La première vague de renouvellements est aujourd’hui en place ; mes prédécesseurs ont fait en sorte que ces matériels équipent les unités projetées afin que nos soldats bénéficient du meilleur dans les OPEX, et nous nous tiendrons à cette ligne. La première étape du programme Scorpion est validée ; reste maintenant à envisager la suite. À court terme, mon attention porte sur la notification des programmes prévus, notamment du système de drone tactique (SDT) fin 2015, de l’arme individuelle future (AIF) en 2016 et du VBMR léger en 2017. À moyen et à long terme, il faut veiller à ce que les marchés notifiés se concrétisent par des livraisons conformes aux calendriers prévus.

 

En 2015, la France a dû faire face à de nouvelles menaces, et l’armée de terre, à de nouvelles missions en matière de protection du territoire national et de sa population. Les enjeux sont nombreux, mais les hommes et les femmes que je commande ont toute ma confiance. Je voudrais partager avec vous le message de rentrée que je leur délivre. Au-delà de la mise en place du nouveau modèle d’armées, j’ai mis en avant trois étendards pour l’année 2016. Le premier est celui de la remontée en puissance de la FOT, qui exige de combiner tous les moyens, tous les leviers et toutes les bonnes volontés – jusqu’à celles des élus. Au lieu d’évoquer les seuils critiques, je présente cette remontée en puissance comme une opportunité et une chance, un amplificateur de dynamisme et d’optimisme pour l’armée de terre. Je suis prêt à mettre l’organique « dans le rouge » pour permettre à l’opérationnel d’être « dans le vert » rapidement. Le deuxième étendard – que l’armée de terre était seule à vouloir porter – est celui de la contribution à la cohésion nationale, au travers du SMV et de la montée en puissance du service militaire adapté (SMA) de 6 000 hommes. Enfin, le troisième étendard concerne l’esprit de résistance. Cette femme qui, la première des sentinelles, a résisté à son agresseur à Villejuif, ces trois hommes qui se sont dressés contre le terroriste dans le Thalys – j’aurais été fier qu’ils fussent des soldats français, mais le hasard en décida autrement – montrent que le mal qui nous guette renvoie à l’affrontement entre deux volontés, réclamant bien plus que la simple vigilance. Nous sommes bien dans une guerre. L’armée de terre – qui agit depuis 2008 en Afghanistan, depuis 2012 au Mali, où elle a interdit à la barbarie d’atteindre la capitale, et maintenant dans le cadre de Sentinelle – incarne parfaitement cet esprit de résistance et en porte l’étendard dans notre pays.

 

M. François Lamy. Vous prévoyez une réorganisation du maintien en condition opérationnelle des hélicoptères ; comment la concevez-vous ?

 

À Sissonne, on avait évoqué la nécessité de disposer de drones de plusieurs genres, tactiques et d’endurance. Pour l’instant, on prévoit la livraison d’un système de drones de moyenne altitude longue endurance (MALE) pour 2016 et une commande pour l’année prochaine. Ces acquisitions vous semblent-elles suffisantes ? Qu’est-ce qui détermine les choix dans ce domaine ?

 

M. Alain Marty. Mon général, je prends note de votre remarque sur l’effet de Sentinelle sur la préparation opérationnelle de nos militaires. À vous entendre, les savoir-faire de l’armée de terre restent suffisants pour deux ans ; le déficit de préparation opérationnelle ne vous handicape pas encore dans le cadre des projections, mais ne saurait constituer une politique durable.

 

Où en est-on de la disponibilité des matériels de l’armée de terre ? Le nombre des JPO étant aujourd’hui réduit, on peut sans doute se contenter du matériel existant ; mais si vous voulez l’augmenter, en avez-vous les capacités ?

 

Je me réjouis de la remontée des effectifs de la FOT, marquée notamment par la création d’une cinquième compagnie dans la plupart des régiments. Mais avez-vous les moyens financiers pour assurer la base vie de ces recrutements dans les différentes garnisons ?

 

M. Jean-Jacques Candelier. Alors que, depuis 1717, le fusil français fait la force et la fierté de nos armées, le Gouvernement envisage de remplacer le FAMAS par un fusil étranger. Le FAMAS, dit-on, s’enraye, mais avec des munitions importées ; les douilles en acier ayant été remplacées par des douilles en laiton, comment s’en étonner ? Le FAMAS, mon général, est-il supérieur à l’AK-47 – qui remonte à 1947 et équipe nos adversaires au Moyen-Orient et en Afrique ? Son remplacement est-il si urgent ?

 

Le plan Sentinelle gêne-t-il l’entraînement des unités de l’armée de terre ?

 

M. Joaquim Pueyo. Dans le cadre d’une mission d’information sur les dispositifs citoyens du ministère de la Défense, ma collègue Marianne Dubois et moi-même nous sommes penchés sur la question de la réserve. Après les attaques de juin 2015, le président de la République avait fait des annonces fortes, promettant quasiment de doubler le nombre de réservistes. Lors de notre déplacement sur le site de la tour Eiffel, nous avons constaté que le dispositif Vigipirate était à ce moment assuré par des réservistes. Leur rôle me paraît donc très important. Dans le cadre de la LPM, on avait prévu de passer de 27 700 à 40 000 réservistes, le budget de cette enveloppe devant augmenter de quatre millions d’euros pour passer de 71 à 75 millions. Au-delà de cet objectif quantitatif et du budget qui lui est alloué, les réservistes nous ont alertés non sur leur condition – même s’il reste des choses à améliorer en matière d’accueil et de sites –, mais sur la nécessité de faciliter l’entrée dans la réserve en mobilisant les entreprises. Beaucoup nous ont confié ne pas informer leur patron de leur engagement, préférant prendre des jours sur leurs congés annuels, quasiment en secret. Cette augmentation budgétaire vous semble-t-elle suffisante pour permettre l’objectif de croissance de la réserve et pour déployer les politiques qui faciliteraient auprès des entreprises et des services publics la participation des réservistes ?

 

Général Jean-Pierre Bosser. S’agissant des hélicoptères, les chiffres de disponibilité technique doivent être mis au regard de l’emploi que les armées font des appareils. Pour un même type d’aéronef et avec un soutien pratiquement équivalent, la DTO peut varier fortement d’une armée à l’autre ; il faut donc exploiter ces données avec précaution. Pour les hélicoptères de l’armée de terre, la pression en OPEX est très forte : nous avons eu jusqu’à soixante-six appareils engagés, dont quarante-trois déployés en OPEX et outremer, pour un contrat opérationnel de quarante-deux. Dès lors qu’on dépasse le contrat opérationnel, la DTO n’est pas toujours au rendez-vous.

 

Enfin, nous avons dû faire face à un ralentissement des chaînes industrielles, notamment autour du Cougar rénové, les durées d’intervention passant du simple au double. Des fragilités ont été constatées : vous avez entendu parler des anomalies du moteur du Caracal, dues à un problème des filtres à sable, actuellement en traitement ; on découvre également des fragilités « normales » dans les hélicoptères de nouvelle génération qui se comportent davantage comme des aéronefs. C’est notamment le cas du Tigre pour lequel on rencontre encore des difficultés dans l’exploitation de la documentation électronique. En même temps, nous avons adopté de bonnes pratiques : en rapprochant le MCO des deux armées, nous nous sommes notamment aligné sur le ravitaillement en pièces détachées de l’armée de l’air, qui le pratique depuis toujours en s’appuyant sur les compagnies civiles. Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), nous avons mis en place des tapis pour éviter aux hélicoptères de se poser dans la poussière. Ces petits détails ont leur importance ; ils visent à améliorer la disponibilité technique et à allonger la durée de vie des aéronefs. Grâce aux mesures de la LPM, on s’oriente vers une homogénéisation des flottes : donner à chaque armée une flotte d’hélicoptères devrait en faciliter le soutien. La marge de manœuvre repose beaucoup sur l’industrie, et nous devons en débattre. Je doute qu’une entreprise civile qui disposerait d’un nombre d’aéronefs comme le nôtre – en volume, l’armée de terre est la première entreprise d’hélicoptères lourds d’Europe ! – pourrait survivre avec des disponibilités techniques aussi faibles.

 

Pour notre part, nous avons besoin d’un drone tactique et non des drones « moyenne altitude longue endurance » (MALE), relevant de l’armée de l’air. Il faut échelonner l’espace aérien et l’horizon tactique ; les drones MALE, aujourd’hui utilisés en BSS, font un travail remarquable, mais dont le chef militaire local n’a pas la certitude de pouvoir disposer ; le système de drone tactique intérimaire (SDTI) vise à renseigner le chef sur un compartiment de terrain beaucoup moins haut et moins profond, mais avec une information disponible quasi instantanément. Le SDTI est complété par le drone de reconnaissance au contact (DRAC), petit appareil qui évolue pratiquement à vue. Le SDTI, en fin de vie, nous coûte très cher en entretien. Nous en envisageons le renouvellement. Celui-ci semble acquis ; le marché est en cours et devrait être conclu avant la fin de l’année.

 

Nos soldats ont l’habitude d’exécuter les ordres qu’on leur donne et respectent tant les conditions d’ouverture du feu ou les règles d’engagement en OPEX que la définition de la légitime défense en France. Une partie des savoir-faire est donc commune à toutes les opérations. En revanche, Sentinelle a mis l’accent sur des savoir-faire spécifiques, notamment les moyens d’action non létaux tels que le corps-à-corps, afin de donner à nos soldats davantage d’assurance physique.

 

La remontée des effectifs a-t-elle une incidence sur la vie de nos soldats ? Pour réaliser les 5 500 recrutements dans les délais, je n’ai pas pu étudier dans le détail les capacités d’accueil de chaque régiment. Une répartition sur mesure, prenant en compte l’infrastructure et les moyens aurait constitué une solution rationnelle, mais les régiments comme les élus n’auraient pas compris cette inégalité de traitement. En effet, affecter trente ou cent cinquante militaires dans une ville comme Charleville-Mézières n’a pas le même effet, l’implantation d’une compagnie du génie supplémentaire représentant presque trois PME en plus ! Au lieu de suivre cette piste, j’ai préféré élargir la base, affectant dix postes à tel type d’unités, trente à tel autre, et donnant à quelques-unes d’entre elles un chèque en blanc. Par conséquent, dans certains régiments, les militaires sont bien installés ; dans d’autres, il a fallu ajouter des lits superposés dans des chambres, le temps que l’infrastructure suive. La priorité a été donnée au recrutement : on peut se serrer pendant un moment, comme on le fait en OPEX, même si cela peut occasionner des tensions dans la vie courante.

 

M. Alain Marty. Les moyens financiers dont vous disposez à cet effet sont-ils suffisants ?

 

Général Jean-Pierre Bosser. Pour l’infrastructure, ils ont été prévus, mais ils ne suivent pas au même rythme que les recrutements. Il est donc possible que dans certains régiments l’on mette en place des abris CORIMEC pendant quelques mois ; c’est ce qu’on a dû faire au 2e régiment d’infanterie de marine (RIMa) pour constituer sa compagnie de combat.

 

Un mot sur le FAMAS. Depuis le mois de juin, je vois grandir l’inquiétude. C’est l’achat des Ford Ranger qui a lancé l’alerte : pourquoi l’armée de terre n’achète-t-elle pas français ? Le ministre a répondu à cette question ; en outre, aucun constructeur automobile français n’est intéressé par un segment de 4 000 véhicules. On retrouve la même problématique à propos de l’AIF : pour la première fois de leur histoire, les armées françaises vont acquérir un fusil étranger. Symboliquement, l’interrogation a du sens : on est capable de construire des hélicoptères et des avions d’excellente technologie, mais nos constructeurs ne sont plus capables de fabriquer un canon de fusil de guerre, alors même que la chasse est une tradition bien ancrée dans la population française. Nous avons perdu ce savoir-faire ; c’est pourquoi seuls les constructeurs européens – qui le possèdent encore – ont répondu à l’appel d’offres. Je souhaite cependant que le chef d’état-major de l’armée de terre ait son mot à dire dans le choix de ce fusil, afin de ne pas imposer à nos soldats une arme dont je ne veux pas.

 

M. Yves Fromion. Le pire, c’est que GIAT Industries a revendu la FN Herstal qui aujourd’hui présente une offre…

 

Général Jean-Pierre Bosser. J’ai déjà longuement répondu à la question relative aux réserves. Vous avez vu des réservistes au pied de la tour Eiffel ; j’ai visité, au mois de juillet, une compagnie entière de réservistes : la 6e compagnie d’infanterie du 152e régiment d’infanterie de Colmar, seule compagnie décorée de la croix de guerre de 1914-1918 dans ce régiment qui a une longue tradition de réservistes. À côté d’un jeune en lycée militaire et d’un autre en université, j’y ai vu deux jeunes travaillant dans des sociétés locales. Le commandant d’unité travaille dans une grande entreprise de Colmar ; son chef l’avait libéré pour un mois, considérant que Sentinelle représentait un devoir. On revient donc toujours à la relation entre l’employeur et le réserviste. La LPM actualisée a écarté la tenaille du préavis et de la durée dans l’emploi ; elle a doté la réserve de budgets et de volumes adéquats. Mais elle n’a pas vraiment répondu à cette question délicate. En tout état de cause, il m’a semblé qu’il était bien plus facile d’être réserviste à Colmar qu’en d’autres endroits en France.

 

Mme Marianne Dubois. Mon général, pouvez-vous nous parler de la réorganisation du service de santé des armées (SSA), notamment de la fermeture programmée du Val-de-Grâce ?

 

Que pouvez-vous dire de la prise en charge des militaires traumatisés psychiques revenant d’OPEX ?

 

M. Olivier Audibert Troin. Vous l’avez dit, les effectifs de nos armées, et en particulier de l’armée de terre, ont été réévalués, leur permettant d’assumer leurs missions. Pour autant, au-delà des 218 PPT et des Tigre, n’avez-vous pas l’impression que l’armée de terre, qui a été bien servie en effectifs, est aujourd’hui le parent pauvre en matière d’équipements ? Si je ne me trompe pas, 520 VBCI ont été livrés jusqu’en 2015, rien au-delà ; la soixantaine de canons CAESAR qui nous manquait en 2012 est depuis passée par pertes et profits. Il en va de même pour le lance-roquette unitaire (LRU) : tout a été livré avant 2015, mais rien n’est prévu pour 2016. Même si le budget de l’EPM a été augmenté de 500 millions d’euros sur la période de la LPM, ne pensez-vous pas qu’avec l’engagement qui est le nôtre, qui use nos matériels, et sans commandes en vue, nous risquons d’être confrontés à un effet de seuil ?

 

M. Jean-Michel Villaumé. Le taux de féminisation de l’armée de terre, de l’ordre de 11 %, est faible ; avec les recrutements nouveaux, notez-vous un progrès dans ce domaine ?

 

Dès le printemps 2015, la presse a évoqué les anciens militaires ayant rejoint des réseaux djihadistes, notamment Daech. L’armée française a également exprimé des inquiétudes quant aux risques de radicalisation en son sein. Pouvez-vous nous faire le point sur la situation ? Comment prévenir ces dérives ? Ce phénomène prend-il de l’ampleur ?

 

Les forces armées seront fortement mobilisées à l’occasion de la COP21 ; bénéficieront-elles, à cette occasion, de moyens supplémentaires par rapport à Sentinelle ? L’état-major semble inquiet à ce sujet.

 

M. Jean-François Lamour. Lors du lancement de Sentinelle, vous avez réussi à mobiliser les 10 000 hommes requis – une véritable prouesse. Le président de la République et les experts ont ensuite fixé le format de l’opération à 7 000 hommes. Un mois après le déploiement, le ministre a évalué le coût de Sentinelle à environ un million d’euros par jour. Or dans le cadre de la loi de finances pour 2016, la ligne OPINT est évaluée à 180 millions ; vous avez, de votre côté, avancé le chiffre de 148 millions. Comment passe-t-on d’un million d’euros par jour à 180 millions par an, alors même qu’à l’indemnité pour service en campagne (ISC), de 40 euros par jour, est venue s’ajouter l’indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle (AOPER), de 5 euros par jour ? Quelles économies avez-vous pu réaliser pour trouver cette marge de manœuvre ?

 

Sur douze mois glissants, les militaires de nos régiments effectuent quelquefois une projection et demie en OPEX par an. Avec la remontée en puissance de la FOT, comptez-vous rétablir le principe d’une OPEX par an ? On a bien senti la tension des régiments projetés, entre une petite partie en OPINT, une, voire deux OPEX sur la période de douze mois, sans parler du repos, de la transformation et de l’entraînement.

 

Général Jean-Pierre Bosser. Madame la députée Dubois, je laisse au directeur du SSA le soin de répondre à votre question sur cette institution.

 

En revanche, le chef d’état-major étant chargé de la préparation des forces, je m’occupe en effet de la préparation psychologique de nos hommes avant le départ tout comme du traitement de la blessure pendant et souvent après l’action. Nous accordons beaucoup d’attention à ce sujet. Dans ma génération, on ne parlait jamais de syndrome post-traumatique (SPT), même si je pense avoir vu en Centrafrique, comme jeune officier, la même chose que voient les jeunes d’aujourd’hui. Désormais le SPT est reconnu et doit être traité. Quand je visite Percy, après les blessés physiques, je termine toujours par les garçons affectés de blessures invisibles, extrêmement difficiles à vivre, qui resurgissent parfois plusieurs années plus tard.

 

Lorsque nos garçons et nos filles rentrent d’opération, nous les plaçons dans un sas en quelque sorte de décompression, car on s’est rendu compte qu’il n’était pas souhaitable de quitter le matin un théâtre d’opérations pour se retrouver, le soir, avec son épouse et ses enfants. Les forces spéciales néerlandaises avaient d’ailleurs instauré cette pratique bien avant nous. Ce sas était déjà actif en Afghanistan ; on l’a remis en place pour les interventions africaines. Une fois que les jeunes rentrent en métropole, ils sont systématiquement vus tous les mois par un médecin qui vérifie que tout va bien et que le garçon dort bien la nuit ; le commandement de contact le voit tous les matins au rassemblement. On essaie de surveiller au mieux ces blessures, de plus en plus prégnantes au retour des interventions.

 

S’agissant des matériels, nous avons atteint le nombre prévu de VBCI – 630 –, ainsi que de systèmes « fantassin à équipement et liaisons intégrés » (FÉLIN). Certes, nous n’avons pas atteint la cible initiale de CAESAR et de LRU ; mais les objectifs ont été ajustés par rapport au contrat opérationnel : nos 77 CAESAR et nos 13 LRU correspondent à notre besoin actuel. 32 CAESAR « NG », blindés, sont toutefois prévus en remplacement des derniers AUF1 à l’horizon 2030. Aujourd’hui, nos équipements en artillerie sont suffisants et le problème est davantage celui d’emploi des moyens que de stock. Nos artilleurs aimeraient notamment que l’on recoure plus souvent à leurs drones, mais aussi aux LRU, dans le cadre des opérations.

 

S’agissant de la féminisation, son taux apparent a baissé du fait d’un changement de périmètre de la mission, qui n’englobe plus les activités de soutien où les femmes sont plus nombreuses. Depuis un an, je n’ai entendu aucune interrogation dans les unités au sujet de la féminisation, je vous l’avoue. Le sujet semble avoir trouvé sa place et son point d’équilibre. Les femmes sont plus nombreuses dans les unités de transmissions, de maintenance et de génie, où elles peuvent accomplir des parcours professionnels complets ; elles sont moins nombreuses dans les régiments de mêlée. Ce sujet ne présente plus le même caractère sensible qu’auparavant.

 

Il est vrai que mon prédécesseur rencontrait systématiquement le représentant ou la représentante de la mixité, lors de sa visite des unités. Je ne le fais pas, car le problème ne se pose pas ; les femmes ont trouvé leur place. Je rappellerai tout de même que les femmes constituaient non moins de 10 % de nos forces engagées au Mali, dans l’opération Serval.

 

Le harcèlement reste cependant un sujet de préoccupation du ministre. Je le partage et nous serons impitoyables, le cas échéant, sur le plan disciplinaire. Une mauvaise presse sur le sujet a cependant peut-être contribué à baisser l’attractivité des concours d’officier pour les candidates, comme on l’a récemment observé – ce qui va à l’encontre du but recherché.

 

Je ne dispose pas d’informations sur les anciens soldats ou anciens militaires qui se projettent de leur propre initiative sur des théâtres d’opération. Mais j’y suis attentif, comme à la question plus générale des relations entre les plus anciens et les plus jeunes.

 

Quant à une possible radicalisation qui découlerait du recrutement de 11 000 recrues, certains ont même évoqué un afflux d’apprentis djihadistes, je dirais que je n’observe rien de tel et que ce recrutement se fait dans les mêmes conditions de contrôle d’antécédents que d’habitude. Aucun incident relatif à la religion des uns ou des autres n’est à déplorer depuis un an que je commande l’armée de terre. Je ne vois pas d’état d’âme qui soit apparu, malgré la nature des théâtres où nous intervenons.

 

S’agissant de la sécurité de la COP21, elle ne conduira pas à un renforcement des effectifs, puisqu’elle sera assurée sur la base de l’opération Sentinelle.

 

Colonel Patrice Quevilly. Si le coût de l’opération Sentinelle est divisé par deux dans les documents budgétaires, cela est dû au fait que, dans l’évaluation initiale, le nombre d’hommes nécessaires était estimé à 10 000 sur l’année, alors que 7 000 seulement sont en réalité nécessaires. Cela fait donc baisser la facture. En outre, le projet est moins coûteux à mettre en œuvre qu’il n’était d’abord prévu, ce qui fait gagner 30 millions d’euros par an. L’intendance est ainsi rationalisée.

 

M. Jean-François Lamour. Mettriez-vous nos soldats au régime ? (Sourires.)

 

Colonel Patrice Quevilly. Non, bien entendu. Mais leur alimentation est désormais prise en charge par des restaurants administratifs ou par notre propre intendance. Enfin, certaines factures, bien qu’étant rattachées à l’exercice 2015, ne seront réglées qu’après le 31 décembre. Combiné à l’effet de volume et à la rationalisation des dépenses, cet effet mécanique explique que le décaissement prévu pour l’opération Sentinelle ne s’établisse finalement qu’à 180 millions d’euros.

 

Général Jean-Pierre Bosser. Quant aux perspectives d’opération extérieure pour nos soldats, je souligne que l’année 2015 reste exceptionnelle. L’opération Sentinelle, mobilisant 7 000 hommes, s’est en effet imposée dans le cycle de projection de nos forces. Celles qui étaient présentes sur le territoire ont pris la totalité de la charge. Ce n’était pas un choix de ma part, mais simplement un état de fait. La brigade d’infanterie de montagne, mais aussi la deuxième brigade blindée ont par exemple contribué lourdement à Sentinelle.

 

Ma consigne est d’adapter le cycle de préparation opérationnelle pour alterner les missions sur le territoire national et les missions extérieures. Ainsi, un jeune qui fait deux ou trois missions par an sur le territoire national peut avoir pour objectif de partir en opération extérieure l’année suivante. C’est ce qui a permis à la brigade d’infanterie de montagne de garder le moral, car l’année 2016 sera pour elle une année de projection massive sur les théâtres d’opération extérieurs. Nous nous orientons donc vers un cycle global à deux temps. Ce cycle est particulièrement exigeant, car tant les missions extérieures que les missions sur le territoire national induisent pour le soldat une absence du domicile, de même que la préparation opérationnelle, si elle a lieu en camp.

 

Une de nos unités a même effectué plus de 220 jours de terrain, au cours de cette année. C’est pourquoi je veux revenir, dans l’intervalle, à une préparation opérationnelle dans les garnisons, à un entraînement sous la responsabilité des capitaines. Pour cela, ils doivent récupérer le matériel qui a été réparti dans les camps et dont la disponibilité technique opérationnelle (DTO) doit être améliorée. Les unités devraient retrouver ainsi un temps de respiration.

 

Mais nous ne sommes bien sûr pas maîtres du rythme des opérations extérieures. Il n’y aura une opération extérieure par an pour les hommes qu’aussi longtemps que 7 000 seront engagés sur des théâtres extérieurs ou outremer ; si leur nombre devait baisser à 5 000, la situation serait sans doute différente.

 

M. Yves Fromion. Je voudrais mieux comprendre la manœuvre en termes de ressources humaines. Il y avait autrefois huit brigades : à tour de rôle, deux étaient employées aux opérations extérieures, deux étaient en récupération, deux étaient en préparation et deux vaquaient aux autres occupations.

 

Devant le foisonnement actuel de vos missions, y compris la formation et la préparation opérationnelle, comment comptez-vous stabiliser le fonctionnement de l’armée de terre ? Vous l’avez déjà évoqué, je crois, mais des précisions seraient utiles.

 

Si l’on compare de l’opération Sentinelle réalisée par l’armée de terre avec ce qu’il serait si elle était assurée par la gendarmerie ou par la police, quel est le différentiel ? Nous avons le sentiment que certains coûtent plus cher que nos militaires, qui se contentent de conditions spartiates. La propension à mettre l’armée de terre à contribution pourrait à mon sens être induite par le fait qu’elle coûte moins cher.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Le bureau de notre commission a souhaité travailler sur ce sujet du rôle des armées sur le territoire national et les deux rapporteurs s’y attelleront dès qu’ils auront été désignés.

 

M. Alain Moyne-Bressand. Nous avons appris que des avions français ont ciblé un camp de djihadistes en Syrie, y faisant d’ailleurs des victimes françaises. Pour cibler si exactement une attaque, ne faut-il pas disposer de renseignement au sol ? Aurions-nous des soldats au sol à cet effet en Syrie ?

 

Quelle est l’évolution du camp militaire du Larzac. Nous recevons des messages nous enjoignant de nous opposer à la venue de la Légion étrangère. Ce n’est certes pas notre intention, mais quelle est l’ampleur réelle de l’opposition à l’implantation envisagée ?

 

M. Michel Voisin. Je compléterai la question de notre collègue Yves Fromion sur l’opération Sentinelle et la gendarmerie, mais en la prenant par l’autre bout. Quel est le complément de coût que représenterait la mise à contribution d’autres forces que l’armée de terre ? Je rappelle que l’opération Sentinelle requiert de toute façon la présence d’officiers de police judiciaire.

 

M. Nicolas Dhuicq. Ma question portera sur les drones. Je m’étonne que ceux mis en œuvre par le 61e régiment d’artillerie n’aient pas été engagés en République centrafricaine. Je suis inquiet pour nos compétences industrielles et je redoute qu’il advienne avec la question du renouvellement du fusil d’assaut ce qui est advenu avec l’industrie des machines-outils. Notre industrie d’armement doit rester une industrie nationale, car certains domaines sont l’apanage du domaine régalien et ils doivent échapper à la loi du marché.

 

Voulons-nous qu’il arrive la même chose à nos matériels qu’à ceux des armées britanniques, qui ont littéralement fondu en Irak ? La même chose pourrait en effet nous arriver au Mali. Combien de temps attendrons-nous encore que des supplétifs locaux, les Touaregs par exemple, ne viennent nous relayer ? Il ne s’agit plus en effet que d’assurer l’accès à l’uranium du Niger.

 

Ce ne sont pas 3 000 hommes, mais 15 000 hommes, que nos armées vont perdre. Je redoute cette perte de compétences dans le corps des officiers, alors que les armées nouvelles reposent sur une technologie et une forte densité humaine. Quel est le coût psychologique à terme chez les officiers, qui reçoivent désormais des informations, dès leur recrutement, sur les moyens de quitter l’institution ? N’y a-t-il pas là un risque de déclassement de nos armées ?

 

De manière générale, les effectifs consacrés au soutien baissent alors que leurs missions sont de plus en plus difficiles à assurer, comme par exemple dans le cas du service interarmées des munitions. Comment comptez-vous accroître l’entraînement de nos soldats dans ces conditions ? Tant que la promesse ne sera pas tenue d’affecter 2 % du PIB à la défense, nous ne trouverons pas d’issue.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Je partage cet objectif affirmé depuis vingt-cinq ans, sans jamais avoir été atteint par personne.

 

M. Nicolas Dhuicq. Ce n’est pas une raison pour continuer à faire mal.

 

M. Claude de Ganay. Mon général, ne pensez-vous pas que la présence de régiments sur l’ensemble du territoire national participe aussi à sa sécurité et que la politique de dissolution de ces régiments doit subir un coup d’arrêt ?

 

M. Damien Meslot. Les médias se sont fait l’écho d’anciens militaires qui partiraient en Syrie pour y soutenir des Kurdes, je crois, et combattre l’État islamique. Disposez-vous d’informations sur le sujet ? Quelle est la position de l’armée ?

 

Général Jean-Pierre Bosser. J’ai étudié les modalités de la prochaine remontée en puissance de 11 000 hommes de l’armée de terre, tandis que beaucoup m’appelaient à recréer des régiments. Et je sais que nombre d’élus se précipiteraient pour les accueillir –vous m’en apportez la preuve aujourd’hui ! Mais, en parfait accord avec le ministre, je n’ai pas voulu de recréation, mais plutôt une densification.

 

J’ai ainsi densifié à Mailly, le centre d’entraînement au combat (CENTAC), autour d’équipements prévus pour Scorpion. Ainsi, le 5e régiment de Dragons montera en puissance pour devenir un véritable régiment, qui s’appuiera sur ce complexe Mailly, Sissonne, Mourmelon. Nous développerons ainsi un camp à dominante d’entraînement à haute intensité. Tout l’environnement est déjà adapté pour cela.

 

J’ai également envisagé de densifier notre présence aux Émirats arabes unis (EAU). Nos tankistes manquent d’une capacité d’entraînement en zone désertique en permanence sur toute l’année. L’engagement de quatre-vingt-dix chars Leclerc par les EAU au Yémen facilite nos projets actuels.

 

En remplacement du drapeau de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère, je vais lui attribuer celui du 5e régiment de Cuirassiers, l’un des régiments les plus anciens et les plus décorés de l’armée française.

 

M. Yves Fromion. Très bien ! Le Royal Pologne !

 

Général Jean-Pierre Bosser. Ou rapatrier la 13e DBLE ? J’ai pensé au Larzac, où 21 millions d’euros ont été dépensés pour faciliter et fortifier le combat et l’entraînement au tir de l’infanterie. L’endroit me semble donc bien adapté au repositionnement de la DBLE. J’ai compris que beaucoup d’élus sur place étaient heureux de voir la Légion arriver. Quelques mouvements de protestation sont cependant possibles, réminiscences d’un passé somme toute assez récent. Mais le ministre a annoncé clairement qu’il n’y aurait ni extension du camp, ni moyens lourds.

 

S’agissant de l’opération Sentinelle, je ne me suis pas préoccupé de comparer le coût de notre intervention avec celui de la gendarmerie ou de la police.

 

Quant aux moyens de remplir nos obligations dans l’avenir, monsieur Fromion, nous disposerons de deux divisions comptant chacune trois brigades à sept régiments. Les deux divisions alterneront entre les missions en opération extérieure et sur le territoire national. Le cycle sera un cycle annuel. C’est tout l’objet du modèle au contact.

 

Sinon, à ma connaissance, nous n’avons aucun soldat au sol en Syrie.

 

Combien de temps devrons-nous encore rester au Mali ? Personne ne peut maîtriser la durée de notre engagement. Notre action sur place a été menée tous moyens réunis, une fois l’opération décidée, sans prédestination du matériel au terrain. Deux volontés s’affrontaient. Nous avons mené à bien un mouvement de freinage puis d’arrêt, parfaitement maîtrisé. Nous allons modifier notre dispositif au Mali et dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Deux groupements tactiques seront engagés : à l’Est, un groupement légèrement blindé ; à l’Ouest, un groupement légèrement motorisé. Nous adaptons ainsi le matériel au terrain et aux conditions d’usure.

 

La situation a évolué, car nous avons désormais pris une forme d’ascendant. Mais la réorganisation ne sera pas purement tactique ; elle prendra aussi en compte les impératifs des matériels, qui doivent durer.

 

Sur l’arme individuelle du futur, je partage, comme Français, vos préoccupations.

 

Quant à la réforme du soutien, les armées sont de plus en plus soutenues par les industriels. C’est le cas pour le char Leclerc et le VBCI. Nous allons ainsi vers un changement majeur du mode de soutien, le partage entre soutien industriel et soutien opérationnel évoluant. Tout tourne autour de la question de savoir de quoi nous avons besoin dans les forces pour réparer en opérations.

 

Composé quasiment intégralement de militaires, le soutien opérationnel dépendra du commandement de la maintenance des forces. Le Service de la maintenance industrielle terrestre (SMITEr) conservera son nom, mais sera profondément rénové, pour prendre en charge la maintenance industrielle proprement dite. Les sections de maintenance régimentaire (SMR) reviendront dans les forces.

 

Vous avez raison sur le maillage territorial, élément majeur de la sécurité de notre pays. Le ministre a annoncé qu’il n’y aurait plus de dissolution de régiment. En outre, les onze unités de réserves innerveront des départements isolés ; elles ne pourront être en suspens, mais seront rattachées à des unités d’active.

 

Sur les anciens militaires qui partiraient en Syrie, je n’ai pas d’information particulière, comme je vous l’ai dit.

 

*

* *

 

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Claude de Ganay, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Jacques Lamblin, M. François Lamy, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, Mme Geneviève Fioraso, M. Serge Grouard, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, Mme Marie Récalde, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel

Assistaient également à la réunion. - M. Yves Albarello, M. Jean-François Lamour

 

Télécharger l' Audition du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2016

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 16:55
Quatre C-130 en 2016: neufs ou d'occasion ou un mixte des deux?

16.10.2015 par Philippe Chapleau - Lignes de Défense

 

Lors de son audition, le 7 octobre, par la commission de la défense nationale et des forces armées, Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, a apporté quelques précisions sur l'achat envisagé de C-130:

 

"S’agissant des C130, il était prévu un remplacement de la flotte après 2025, compte tenu de son âge. La question est désormais de savoir s’il ne faut pas anticiper une partie du renouvellement de cette flotte en introduisant sur les appareils que nous pourrions acquérir plus tôt des capacités de ravitaillement en vol des hélicoptères – ce qui éviterait de poser ceux-ci au sol, notamment dans les opérations sahélo-sahariennes, et d’améliorer la disponibilité des moteurs.
Nous avons envoyé une demande de proposition il y a quelques jours à l’US Air Force, qui a pris conscience de l’urgence que nous attachions au traitement de ce point. La DGA recommandera fortement que ces C130 soient capables de voler en Europe et soient donc aux standards européens.
Dans l’actualisation de la LPM, cette affaire est provisionnée pour 330 millions d’euros. Or le prix de quatre C130J, dont deux ravitailleurs en vol est d’autant plus supérieur à ces prévisions que la logistique n’est pas analogue à celle des C130H, en service à l’heure actuelle dans l’armée de l’air.
Nous avons par ailleurs lancé un avis d’appel à candidature européen pour acquérir des avions d’occasion, des C130H, avec un potentiel technique important, suivant deux lots : deux avions aptes au transport uniquement et deux avions ayant également la capacité de ravitaillement des hélicoptères. Nous y avons associé une demande d’information sur la capacité des fournisseurs à les transformer en ravitailleurs.
Je n’exclus pas qu’on aboutisse à un panachage des deux solutions. Le ministre tranchera avant la fin de l’année. Si le montant prévu est supérieur à 330 millions, nous lui demanderons de nous indiquer les commandes qu’il conviendrait de décaler. "

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 14:55
 photo V Lamigeon (Supersonique)

photo V Lamigeon (Supersonique)


16.10.2015 par Vincent Lamigeon - Supersonique

 

Quand Laurent Collet-Billon s’exprime, ce n’est jamais pour ne rien dire. Il n’y a qu’à lire le compte-rendu de l’audition du délégué général pour l’armement à la commission de la défense de l’Assemblée nationale, organisée le 7 octobre, dont le compte rendu a été publié hier. Le DGA y a fait le point sur les grands enjeux de cette fin 2015. A sa façon : directe. Revue de détail des points chauds.

 

Plus un rond dans les caisses

Devant les députés, LCB n’a pas tourné autour du pot : « Le programme 146 [qui finance l’équipement des forces françaises, NDLR] connaît, en cette fin d’année, des tensions de trésorerie inédites », souligne-t-il. Pourquoi ? Pour rembourser les navires Mistral à la Russie, ce budget a été ponctionné de 950 millions d’euros début août, ce qui a nécessité de vider intégralement la réserve de précaution (615 millions). Certes, cette avance a été remboursée partiellement par le constructeur DCNS, lui-même remboursé par l’assureur-crédit Coface, mais il reste un trou de 57 millions à combler en fin d’année.

La DGA attend aussi impatiemment les 2,2 milliards de crédits qui doivent être apportés fin décembre par la loi de finances rectificative (LFR). Car l’organisme est en situation de quasi-cessation de paiements : le 7 octobre, il restait 217 millions dans les caisses pour finir l’année. La DGA veut en garder 200 pour payer en priorité les PME. « Il reste donc 17 millions utilisables pour les autres dépenses ordinaires », souligne le DGA. Autant dire rien : les grands groupes attendront probablement 2016 pour être payés. Même si les 2,2 milliards sont bien au rendez-vous, le DGA bouclera 2015 avec un report de charges de 1,7 milliard d'euros.

 

Les drones MALE sous leadership allemand

C’est l’autre scoop de l’intervention du DGA. La France a accepté de laisser le leadership sur les futurs drones de surveillance MALE (moyenne altitude, longue endurance) à l’Allemagne. « Sur le drone MALE européen, nous avons longuement discuté cet été avec l’Allemagne, qui souhaite être leader sur ce programme : elle aura une part d’un peu plus de 30 %, sachant qu’il existe trois autres coopérants ayant chacun 23 %, la France, l’Italie et l’Espagne, détaille Laurent Collet-Billon. Les spécifications d’un contrat d’étude et de définition et les projets de protocole d’accord sont en cours d’établissement, la notification de ce contrat étant prévue pour mars 2016. Ce programme, auquel tient le ministre de la Défense, devrait déboucher un peu avant 2025 ».

Laurent Collet-Billon affirme qu’il sera très attentif au niveau d’implication française sur la charge utile : « La définition des capteurs compte autant que le porteur : nous serons vigilants au fait que notre industrie soit prise en considération avec les égards qu’elle mérite, compte tenu de son niveau de technicité. »

 

Un nouveau programme d’hélicoptères pour Airbus ?

Faut-il un nouveau programme d’hélicoptères pour les forces françaises ? LCB n’est pas loin de le penser. « Nous allons lancer une réflexion sur la nature du parc d’hélicoptères, très hétéroclite et qui comporte plusieurs centaines d’appareils, dont certains très anciens », a indiqué le DGA.  Le raisonnement est le suivant : « Nous avons un hélicoptère d’attaque avec le Tigre, un hélicoptère de transport et de manœuvre avec le NH90, et un hélicoptère pour les forces spéciales avec le Caracal : il conviendrait d’en trouver un quatrième, multi-rôles, remplissant les autres missions, comme le transport léger, le sauvetage en mer ou l’accompagnement du porte-avions. Les Britanniques, qui ont conduit cette démarche, sont ainsi passés de 26 types d’hélicoptères à quatre. »

Cette réflexion, explique le DGA, pourrait conduire au lancement d’un programme d’hélicoptères , destiné à « améliorer sensiblement la gestion et les coûts de la logistique » par rapport à des appareils anciens (Panther, Dauphin Alouette III…) Un dérivé de modèle civil serait la solution idéale : « Ce type d’hélicoptère devra reposer sur un modèle commercial, de manière à disposer d’une communauté logistique maximale avec le monde civil, les aménagements militaires devant être à la marge », indique le DGA. Pourquoi pas un dérivé du H145, voire du tout nouveau H160.

 

A400M vs C-130

Sur l’A400M aussi, le DGA ne tourne pas autour du pot : « Concernant l’A400M, se pose la question de la capacité de livraison d’Airbus et celle du standard des avions, qui a été posée avec rudesse par le ministre de la Défense à la direction d’Airbus dans le courant de l’été. » Deux avions devraient être livrés en 2015 et trois en 2016. Jean-Yves Le Drian veut disposer fin 2016 de six avions au standard 1.5, soit des capacités opérationnelles bien supérieures aux seules capacités de transport logistique actuelles. « Nous demandons à Airbus de faire des efforts dans ses rythmes de développement, notamment sur les questions de parachutage […]et de mise au point du dispositif d’autoprotection. »

Sur la question du ravitaillement des hélicoptères, mission essentielle que l’A400M pourrait bien ne jamais arriver à mener à bien malgré les promesses initiales d’Airbus, le DGA regarde de l’autre côté de l’Atlantique pour l’achat sur étagère de C-130 de Lockheed Martin. « S’agissant des C130, il était prévu un remplacement de la flotte après 2025, compte tenu de son âge. La question est désormais de savoir s’il ne faut pas anticiper une partie du renouvellement de cette flotte en introduisant sur les appareils que nous pourrions acquérir plus tôt des capacités de ravitaillement en vol des hélicoptères – ce qui éviterait de poser ceux-ci au sol, notamment dans les opérations sahélo-sahariennes. »

Le prix des C-130J, la version la plus récente, est trop élevé pour le budget prévu (330 millions d’euros). La DGA a donc lancé un appel à candidature européen pour acquérir des avions d’occasion, des C130H : deux avions aptes au transport uniquement et deux avions ayant également la capacité de ravitaillement des hélicoptères.

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 10:55
Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2016

 

8 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 6

 

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes heureux de recevoir le général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, pour une audition sur le projet de loi de finances pour 2016.

 

Général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale. Permettez-moi de commencer par vous éclairer sur la fin de gestion 2015. La situation budgétaire que nous connaissons aujourd’hui est moins tendue qu’il y a deux ans : une partie de la mise en réserve, environ 40 %, soit 38 millions d’euros – vient d’être levée, ce qui est essentiel, car notre marge de manœuvre est étroite. Il reste toutefois 51 millions d’euros à débloquer d’ici à la fin de l’année pour payer, notamment, les loyers du mois de décembre dus aux collectivités locales. Le ministre et moi-même sommes pleinement engagés dans cet objectif.

Pour 2016, malgré un cadre général où la nécessité de redresser les finances publiques demeure, le gouvernement a décidé d’accorder des moyens supplémentaires à la gendarmerie. Ce budget me permettra ainsi de mettre en œuvre trois priorités : conserver ma capacité de manœuvre, prendre la mesure des évolutions de la délinquance et de la menace terroriste, enfin adapter nos modes d’action par l’innovation.

Conserver notre capacité de manœuvre. Je voudrais d’abord souligner l’efficacité de notre action depuis le début de l’année. Ainsi, à Dammartin en Goële, c’est bien l’engagement coordonné à l’échelon central des unités territoriales, renforcées par des escadrons de gendarmerie mobile, des réservistes et les forces aériennes qui a permis de déceler les frères Kouachi, les contraignant à se retrancher avant que le GIGN ne procède à leur neutralisation.

En ce qui concerne le drame de l’Airbus A320 de la compagnie Germanwings nous avons conduit une opération extrêmement lourde dans une région d’accès difficile, quasi inaccessible. Nous avons, dans cette opération, coordonné des moyens spécifiques au profit des unités territoriales. L’organisation même de la gendarmerie, fondée sur la complémentarité entre les unités spécialisées et les brigades, a trouvé à s’exprimer pleinement à cette occasion. Sans hélicoptères, la manœuvre n’aurait pas été envisageable. Sans les unités de haute montagne pour encorder les techniciens qui ont fait les relevés d’empreintes, le travail de la police judiciaire aurait été impossible. Et sans techniciens capables de procéder à des prélèvements d’ADN sur le site, l’identification des victimes n’aurait pas pu se faire. Notre système intégré nous a permis de déployer une efficacité saluée par tous. La Chancelière allemande a d’ailleurs été fortement impressionnée par ce modèle permettant de s’engager efficacement dans une zone aussi déshéritée.

En dehors de ces opérations qui relèvent d’un caractère extraordinaire, nous sommes pleinement engagés au quotidien sur 95 % du territoire et au profit de 50 % de la population. Je voudrais rappeler plusieurs réussites marquantes en 2015. Je prendrai par exemple notre priorité, que constitue la lutte contre les atteintes aux biens, en premier lieu les cambriolages. Nous sommes en effet parvenus, au premier semestre 2015, à endiguer ce fléau. Les renforts d’escadrons de gendarmerie mobile et de réservistes dans les départements les plus touchés ont obtenu des succès probants. Nous avons pu garantir un dispositif estival conséquent grâce à l’engagement d’escadrons dans les zones d’activité saisonnière, ce qui a donné des résultats remarquables. Enfin, il y a quelques jours, nous avons pu redéployer des unités de gendarmerie mobile afin de relancer le plan anti-cambriolages dans les départements les plus concernés. C’est donc en manœuvrant que nous obtenons des résultats positifs contre la délinquance.

S’agissant de la lutte contre le terrorisme, il n’est pas aujourd’hui de zones préservées sur le territoire national et des ramifications de réseau peuvent s’implanter quel que soit l’endroit, urbain ou rural. Il nous faut donc travailler, sur l’ensemble du territoire national, à une perception fine des signaux faibles de la radicalisation.

C’est dans ce contexte que, quelques mois après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier, le ministre de l’Intérieur a décidé de créer un état-major opérationnel capable de rassembler les informations venant de tous les services de police et de gendarmerie pour s’assurer que les individus signalés étaient bien suivis. La gendarmerie est pleinement associée à cet état-major et des officiers sont présents dans cette structure.

Ma deuxième priorité vise à prendre la mesure des évolutions de la délinquance et de la menace terroriste. Le budget 2016 correspond bien à cet objectif. Ma première préoccupation en la matière concerne les créations de postes. La seconde concerne le budget hors titre 2, qui nous permet de fonctionner et d’équiper nos forces.

L’année 2016 sera conséquente en termes de création de postes. D’abord dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, engagé après les attentats de janvier. La gendarmerie sera renforcée de 210 postes sur la période 2015-2017 dont cinquante-cinq postes au titre de 2016.

Ensuite au titre de l’engagement présidentiel de créer 200 postes opérationnels en 2016, nous bénéficierons de 129 créations nettes auxquelles s’ajoutera le redéploiement de 71 postes de l’administration centrale.

Enfin, récemment, il a été décidé de doter la gendarmerie de 370 créations de postes sur les 900 accordées au ministère de l’Intérieur dans le cadre du plan « Migrants ». Ce sont des postes de sous-officiers de gendarmerie, qui iront renforcer les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile, très sollicités.

Au total, 2016 verra donc la création de quelque 500 postes. Cette dynamique nous permettra de mieux faire face aux demandes en matière de sécurité.

S’agissant des moyens, la dotation prévue hors titre 2 atteindra 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une légère augmentation de 17 millions d’euros par rapport à 2015. Ce budget permettra de maintenir le fonctionnement courant des unités opérationnelles au niveau de 2015, soit 208 millions d’euros, et d’acquérir près de 2 000 véhicules, pour un coût de 40 millions d’euros, soit un chiffre identique à celui de 2015 et supérieur à ceux des années 2012 – 900 véhicules – et 2013 – 1 350 véhicules. Nous rattrapons un peu notre retard, même si c’est encore insuffisant, le besoin étant de 3 000 véhicules par an.

Nous poursuivrons notre plan de modernisation en matière d’informatique et d’outils d’aide au commandement, avec l’achat de 16 000 ordinateurs, pour un montant de 8,4 millions d’euros.

Nous améliorerons également l’équipement des forces, avec l’achat de gilets pare-balles, d’armements plus adaptés à nos nouvelles missions et de munitions, en complément des dotations déjà existantes. Tirant les enseignements des attentats de janvier, nous avons pris des dispositions pour durcir nos capacités d’intervention et renforcer notre protection.

La dotation hors titre 2 permettra également, en 2016 comme en 2015, le financement du plan d’urgence immobilier à hauteur de 70 millions d’euros. Ce plan est indispensable au regard de l’état du parc domanial. Compte tenu de l’ampleur des travaux à mener, cet effort devra être poursuivi dans la durée pour permettre la remise à niveau des casernes domaniales.

En ce qui concerne le plan de lutte contre le terrorisme, 23 millions d’euros ont été ouverts en 2015 et cinq millions d’euros de crédits seront ouverts en 2016 pour poursuivre l’achat de matériels destinés à la lutte antiterroriste. Ma troisième priorité vise enfin à renforcer notre capacité opérationnelle par l’innovation dans les techniques et les modes d’action. Je souhaite évoquer dans ce cadre le lancement d’un projet stratégique, baptisé NeoGend, qui vise à doter chaque gendarme d’une tablette numérique pour lui permettre, où qu’il soit, d’être en quelque sorte à lui seul « la brigade qui se déplace ». Le gendarme disposera ainsi, où qu’il se trouve, de toutes les applications « métier » indispensables à l’accomplissement de ses missions. L’outil numérique va donc développer une nouvelle proximité. L’innovation est présente également dans des secteurs extrêmement importants, comme la lutte contre la cybercriminalité ou le renseignement criminel. Comment traiter les informations de masse, ce que l’on appelle le big data ? Et comment, à partir de ces informations, bâtir une forme de renseignement prédictif pour bien orienter les services ? C’est un dossier sur lequel nous sommes très engagés. Enfin, nous poursuivrons nos efforts en criminalistique, notamment dans le domaine de l’ADN. Nous avons d’ailleurs installé, cette année, un remarquable pôle de police judiciaire à Pontoise, où nous avons regroupé ces trois capacités : criminalistique, renseignement criminel et lutte contre les cybermenaces. C’est une remarquable réalisation, essentielle pour notre performance en matière judiciaire, je vous invite à la visiter.

À l’innovation s’ajoute la modernisation du dispositif territorial. Vous le savez, la question sensible du maintien de petites unités dispersées et de faible activité continue de se poser.

 

M. Daniel Boisserie. Cette année, mon général, nous vous avons vu à la manœuvre. Je pense aux attentats de Charlie Hebdo et au crash de la Germanwings, sans oublier la lutte contre les cambriolages. Paradoxalement, c’est cette année qu’il y a eu, dans ma circonscription, une inflation considérable des cambriolages. Cela étant, les statistiques sont globalement excellentes et marquent une baisse de la délinquance dans ce domaine.

Les crédits consacrés à la gendarmerie seront, en 2016, plus que préservés : ils seront revalorisés et atteindront 8,23 milliards d’euros en crédits de paiement. Compte tenu des tensions qui pèsent sur les finances publiques, la gendarmerie s’en sort bien. C’est la sécurité des Français qui en dépend : nous pouvons donc tous nous en réjouir.

Ma première question porte sur la mise en réserve initiale. Comme l’an dernier, elle atteindra 8 % dès le début de la gestion. Cela étant, vous avez dit que 40 millions d’euros avaient été levés au titre de l’exercice 2015. Avez-vous des informations sur cette levée de la réserve initiale pour 2016, la pratique de la réserve bloquant depuis plusieurs années les commandes de la gendarmerie ?

Dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme notamment et au titre du schéma d’emplois pour 2016, nous attendons 184 postes de gendarmes supplémentaires. Les chiffres que vous avez donnés étant supérieurs à ceux que nous espérions, nous ne pouvons, là aussi, que nous en réjouir. Sur ce nombre, combien correspondent à des créations nettes et combien à des réaffectations en unités ? Je pense notamment aux militaires relevant du service du renseignement territorial.

Ces postes devaient être ouverts au sein des unités les plus mobilisées par la lutte antiterroriste. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la répartition géographique de ces postes ? Vous avez dit qu’il fallait lutter contre le terrorisme sur tout le territoire, y compris dans les campagnes les plus reculées. Pourrions-nous en savoir un peu plus ?

J’en viens à une question sur un sujet qui m’est cher : la politique immobilière et le casernement. Nous avons hérité d’une situation difficile…

 

M. Yves Fromion. C’est récurrent !

 

M. Daniel Boisserie. Nous avons essayé d’y remédier, mais c’est loin d’être parfait. Dans beaucoup de casernements, on trouve encore des logements insalubres. Un gros effort a été fait, mais il y a des communes qui ne savent pas comment elles vont faire pour financer leurs nouvelles gendarmeries. Pouvez-vous nous donner des informations sur le déroulement du plan de réhabilitation triennal 2015-2017 ?

S’agissant de l’opération Sentinelle, on nous a dit qu’une masse budgétaire serait dégagée selon les unités. La gendarmerie étant concernée par l’opération Sentinelle, la réhabilitation de locaux et le budget qui y est consacré pourraient-ils bénéficier d’un financement interministériel qui ne serait pas affecté uniquement à la gendarmerie ?

En ce qui concerne les tablettes numériques, je crois savoir qu’une expérimentation est en cours au sein du groupement de gendarmerie du Nord. Toutefois, n’y a-t-il pas de problème au niveau du territoire, dans la mesure où il n’est pas entièrement couvert par les opérateurs de téléphonie ?

Parmi les décisions du comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre dernier, la mesure 5 m’inquiète, en tant que citoyen. Il s’agit de l’expérimentation des drones radars. En outre, 10 000 radars leurres vont être installés. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La réorganisation des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) est une question qui m’intéresse au plus haut point en zone rurale. Je pense qu’il est possible d’améliorer leur efficacité.

Enfin, à travers les visites que j’ai pu faire dans différentes unités, j’ai constaté que le moral des gendarmes était en hausse, ce qui est extrêmement important. Ils sont très fiers de leur grand chef et pensent qu’ils n’en ont jamais eu de meilleur.

 

M. David Comet. Il y a une « spécificité gendarmique », eu égard aux défis que nous devons relever aujourd’hui. La gendarmerie est une force vieille de 800 ans, qui présentait, selon mon professeur François Dieu, une dualité organique de force militaire et de force publique : force militaire en ce qu’elle assurait à la fois les missions d’une police militaire et la défense du territoire national ; force publique au travers de sa force de contrainte, de son activité policière et de sa participation au maintien de l’ordre.

Certes, c’est le ministère de l’Intérieur qui est maintenant votre autorité de tutelle. Il n’en demeure pas moins que la spécificité gendarmique repose toujours sur un système de valeurs particulier. J’aimerais avoir votre point de vue sur la nécessité d’éviter, à terme, un processus de fusion des forces gendarmiques et policières.

Depuis 800 ans, cette institution a réalisé un maillage territorial complet avec son réseau de brigades territoriales. Force armée chargée d’une mission de police, rattachée aujourd’hui au ministère de l’Intérieur, la gendarmerie s’est développée principalement dans les campagnes. S’adaptant au mouvement de périurbanisation, elle est également présente dans les zones les plus reculées, où elle est le symbole de la présence de l’administration de l’État.

Son utilité est grande en matière de renseignement. Elle participe à la défense du territoire et à la lutte contre le terrorisme au travers de la surveillance générale qu’elle exerce, dans une logique de proximité et de réseau. Pouvez-vous faire le point sur ce rôle de surveillance générale de la gendarmerie au profit de nos concitoyens ?

Peut-on dire que les crises, concernant ses institutions, qui ont secoué la gendarmerie en 1989, puis en 2001, sont aujourd’hui définitivement terminées ? Quid du moral des troupes ?

 

M. Yves Fromion. Mon général, vous avez parlé du rôle de la gendarmerie dans « la perception fine des signaux faibles ». Cette formule admirable me conduit à vous poser une question sur l’évolution du maillage de la gendarmerie sur le territoire, c’est-à-dire la présence des brigades ou des communautés de brigades.

Je suis député d’une circonscription à la fois urbaine et rurale. Quel que soit le Gouvernement, j’ai vu se fermer un certain nombre de gendarmeries. Il est évident que le maillage, qui est la force de la gendarmerie, a perdu aujourd’hui de sa densité, donc de son efficacité.

Quelle politique entendez-vous mener dans les années à venir ? Allez-vous continuer à fermer des brigades ? Les communautés de brigades, qui devaient être la version définitive du dispositif sur le territoire, vont-elles à leur tour être remises en cause ?

L’un de vos prédécesseurs, Pierre Mutz – qui fut par ailleurs mon camarade de promotion à Saint-Cyr – est venu dans ma commune mettre en place une communauté de brigades. Comme on est loin, aujourd’hui, de cette époque ! Dans mon département, il est envisagé des regroupements qui devraient prendre la taille d’une demi-compagnie ! Pendant ce temps, c’est le vide qui se crée tout autour. À l’origine, les communautés de brigades devaient permettre d’accroître la mobilité des gendarmes en évitant qu’ils ne restent derrière un guichet : aujourd’hui, ils manquent de véhicules et de carburant, et, chaque fin d’année, on les voit venir réclamer un peu d’essence aux services techniques de la ville. Il y a donc une contradiction entre le regroupement d’unités et les moyens dont vous disposez.

Que comptez-vous faire dans les années qui viennent pour maintenir le maillage sur le territoire et faire en sorte que la « perception fine des signaux faibles » soit une réalité et pas seulement une formule magique ?

La gendarmerie a la chance d’avoir un dispositif de réserve souvent cité en exemple. On le voit sur le terrain, vos réservistes participent à des missions, qui ne sont pas forcément les missions de sécurité extrêmes. Quels changements le dispositif de réserve va-t-il connaître dans le cadre de l’évolution générale de la gendarmerie et de la sécurité ?

À Saint-Martin-d’Auxigny, chef-lieu de canton de ma circonscription, les élus attendent depuis des mois que la gendarmerie apporte la subvention promise de 400 000 euros pour lancer la construction des bâtiments de la brigade. J’ajoute que les élus de ce territoire seraient ravis que vous veniez poser la première pierre.

 

Général Denis Favier. J’ai déjà été invité par M. Pillet, sénateur du Cher, pour poser la première pierre d’une brigade dans sa commune.

 

M. Yves Fromion. C’est à côté de chez moi ! Ainsi, vous pourriez faire d’une pierre deux coups, si je puis dire ! (Sourires.)

 

Général Denis Favier. Je vous remercie pour vos questions qui montrent tout l’intérêt que vous portez à la gendarmerie et auxquelles je vais répondre successivement.

Vous me demandez si, en plaçant la gendarmerie sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et non plus du ministère de la Défense, on a touché à sa militarité. Très clairement non. Je pense même qu’elle est plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’était lorsque j’y suis entré il y a une trentaine d’années, à ma sortie de Saint-Cyr. La gendarmerie a vraiment affirmé au sein du ministère de l’Intérieur, peut-être par une forme de réflexe identitaire, son statut militaire.

Y a-t-il un risque de fusion entre la police et la gendarmerie ? Non. Tous les jours, je suis en contact avec le ministre de l’Intérieur et tous les jours il se loue des services de la gendarmerie. Dans une affaire comme le crash de la Germanwings, il faut un corps militaire capable de s’engager jour et nuit dans une zone hostile afin d’aller rechercher les victimes. Dans le cadre des attaques terroristes du début de l’année, une force militaire est très bien adaptée pour conduire un contrôle de zone sur une vaste étendue de jour comme de nuit. Cela correspond bien à nos capacités, et à notre vocation. La pérennité de la gendarmerie sous statut militaire est une garantie pour les gouvernements de disposer d’une force capable d’être engagée dans des conditions très dégradées. Il ne me semble pas possible que cela soit contesté.

Vous m’avez demandé si les crises de 1989 et de 2001 étaient derrière nous. En 1989, je commandais une compagnie de gendarmerie et, en 2001, j’étais commandant de groupement : je peux attester que les problématiques le sont désormais bien mieux prises en compte grâce au dialogue interne qui s’est instauré. Des relations de confiance se sont installées entre les personnels représentant leurs pairs et la hiérarchie. Quant aux associations professionnelles nationales de militaires (APNM), qui font leur apparition, elles auront une place à tenir dans le dialogue. Certes, il faut toujours être prudent dans nos jugements, mais je suis plutôt optimiste et je ne perçois pas de situation préoccupante à l’échelle de l’institution.

Monsieur Fromion, la gendarmerie a pour mission d’être présente dans tous les territoires, car aucun n’est aujourd’hui préservé. Mon intention est bien de capter les signaux faibles sur tout le territoire. Mais dois-je le faire avec le dispositif qui existait au xixe siècle et au début du xxe ? Je ne suis pas efficace avec des brigades dispersées de quatre ou cinq gendarmes car elles n’ont plus la capacité de faire face aux enjeux actuels. En concertation avec les élus, en lien avec le préfet et les autorités locales, j’essaie donc de procéder, chaque fois que cela a un sens opérationnel, à la fermeture de petites unités et d’en regrouper les effectifs et les moyens au sein de brigades plus importantes. Certes, cela augmente les distances à parcourir et nécessite des véhicules, mais je dégage davantage de puissance avec des gendarmes qui sont plus mobiles.

Une fois posé ce principe, je ne peux pas être statique. J’innove donc. En la matière, je crois beaucoup au numérique. La 4G arrivera même dans les territoires les plus reculés. Le gendarme sera beaucoup plus performant grâce à sa tablette numérique. Il sera capable d’enregistrer les plaintes partout, d’interroger des fichiers, de dresser un procès-verbal d’accident de la circulation et d’y intégrer des photographies. Cet outil, NeoGend, nous permettra de mettre en place une nouvelle proximité qui ne sera pas nécessairement territoriale, mais numérique. Ces tablettes numériques sont expérimentées actuellement dans le département du Nord. Nous en avons acheté 1 200 avec toutes les applications « métier ». Les retours que nous avons sont extrêmement positifs et dépassent même ce que j’avais imaginé lorsque le projet a été lancé. Nous tirerons les enseignements de cette expérimentation qui sera ensuite déployée dans les quatre départements de la Bourgogne, dont la Nièvre qui n’est pas parfaitement couverte par la 3G et la 4G. Lorsque nous en aurons dressé le bilan, nous étendrons le dispositif à l’ensemble du territoire.

Je dois offrir également des alternatives à la fermeture des brigades. Par exemple, nous nous abonnons à des maisons de services au public et travaillons parfois avec La Poste en occupant, dans certains villages, par exemple le jour du marché, un local où nous accueillons le public.

Dans certaines brigades, très peu de personnes se présentent à l’unité, il n’y a guère d’appels la nuit. Les gendarmes sont bien présents, mais ils ne produisent pas de sécurité. Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner de la sorte.

Cette politique avance pas à pas. Cette année, nous procédons au redéploiement de quatre-vingts brigades. Cela se fait de manière consensuelle. Il n’y a pas eu, dans les territoires, de blocage. Les élus ont naturellement été associés. En définitive, le service de sécurité que nous proposons est de meilleure qualité, en tout cas il est jugé comme tel localement.

 

M. Yves Fromion. Mon général, en tant que responsable de la gendarmerie, vous assumez vos responsabilités au mieux de la perception que vous avez de votre mission. J’appelle votre attention sur des remarques que j’ai très souvent entendues de la part des gendarmes, qui nous disent rencontrer davantage de difficultés aujourd’hui pour capter le renseignement auprès de la population, parce qu’ils sont moins présents, plus éloignés. Je comprends vos arguments, mais la tablette numérique ne remplacera pas les contacts réguliers. Dans la ville dont j’ai été maire pendant vingt-cinq ans, il n’y a plus de gendarmes les jours de marché. Le danger de la politique que vous menez, c’est de couper le gendarme du contact de terrain, et donc du renseignement.

 

Général Denis Favier. Monsieur le député, comme je viens moi-même des territoires, je mesure la portée de ce que vous dites. Il nous faut développer d’autres possibilités de recueil du renseignement. Je pense à la concertation avec les maires qui sont bien informés de ce qui se passe dans leur commune.

Je pense également à la « Participation citoyenne qui s’implante bien. Elle consiste à encourager l’alerte en temps réel et la remontée d’informations venant de la population dès lors qu’un fait anormal se produit.

Il ne faut pas non plus ignorer que la gendarmerie a vu l’organisation générale de la fonction renseignement évoluer autour d’elle et que les personnels, sur le terrain, ont pu avoir le sentiment qu’ils étaient moins sollicités qu’autrefois. C’est donc avec beaucoup d’énergie que nous avons remis l’accent sur le recueil du renseignement. Je suis par exemple très attentif, à l’acculturation rurale des gendarmes issus du milieu urbain, notamment pour aller au contact d’un monde agricole qu’ils méconnaissent parfois.

Je considère que les effectifs de la gendarmerie sont suffisants pour faire le travail sur le territoire national. Encore faut-il que ces 100 000 gendarmes soient bien positionnés, ce qui n’est pas toujours le cas. En quoi est-il utile de maintenir l’enseigne de la gendarmerie devant une caserne quand le service se prend chaque jour à quelques kilomètres de là pour des raisons d’efficacité et de service à la population ? On donne l’impression d’être présent, alors que ce n’est pas vrai.

Quant à la réserve, elle est essentielle à la manœuvre que nous conduisons. Chaque jour, ce sont près de 2 000 réservistes qui travaillent avec nous alors qu’ils ont une activité professionnelle par ailleurs. Ce sont des citoyens qui participent à l’exercice de leur propre sécurité. Je constate que les armées se tournent vers nous car ce dispositif a une excellente image. Cette réserve opérationnelle, forte de 25 000 personnels, est donc un élément précieux. Elle a besoin d’un budget lui permettant de bien fonctionner, ce qui est le cas. Je salue également le rôle de la réserve citoyenne, qui comprend 1 300 personnes. Elle est un relais de la société civile dans de nombreux segments de la vie économique, comme la transition professionnelle, la recherche. Grâce aux deux leviers que sont la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne, il existe ainsi un lien très fort entre la gendarmerie et la Nation.

Chaque année ont lieu les assises de la réserve citoyenne de la gendarmerie. Nous recevrons demain, à Pontoise, dans le pôle « Police judiciaire », des cadres d’entreprise, des personnels du monde enseignant, etc. Des partenariats se développent et montrent qu’il y a une véritable communion d’idées en matière de sécurité.

 

M. Yves Fromion. Quel est le coût d’un gendarme réserviste pour une journée ?

 

Général Denis Favier. Tout dépend de son grade. En moyenne le coût est de 80 euros par jour.

Pour 2016, un peu plus de 40 millions d’euros ont été inscrits au budget pour la réserve, ce qui est considérable. La réserve est vraiment utile.

Vous l’avez compris, ce qui me pose problème, c’est la faiblesse de ma masse manœuvrable dans le cadre de la dotation prévue hors titre 2, qui s’élève à 1,2 milliard environ. J’ai des loyers à payer pour 500 millions environ, ainsi que d’autres dépenses obligatoires. Une fois toutes ces dépenses couvertes, il me reste environ 300 millions d’euros de marge manœuvrable pour équiper mes forces. Et c’est sur cette somme-là que la mise en réserve doit être appliquée. Quand le taux est de 8 %, on aboutit à 100 millions d’euros. C’est pour cela que, chaque année, je lutte pour obtenir ces 100 millions, sans lesquels je ne peux équiper la gendarmerie. Si le taux de réserve est de 9 %, ce qui n’est pas impossible, cela nous met dans une position très difficile. Dès le début de l’année, il me faut rechercher avec l’appui du ministre la levée de la mise en réserve.

J’en viens aux effectifs. La gendarmerie bénéficie, au titre du plan de lutte antiterroriste, de 210 postes budgétaires entre 2015 et 2017 répartis de la façon suivante : 100 effectifs en 2015, 55 en 2016, 55 en 2017. Par ailleurs, le président de la République a pris l’engagement de créer 200 postes par an pour la gendarmerie tout au long du quinquennat. Pour 2016, cela se traduira par la création de 129 postes et le redéploiement de 71 postes en état-major de l’administration centrale. Quand on additionne 129 et 55, on aboutit à 184 créations nettes auxquelles il faut désormais ajouter les 370 postes du plan de lutte contre l’immigration irrégulière qui vont venir abonder les escadrons de gendarmerie mobile. Au total, cela nous fait quasiment 500 postes budgétaires. L’année est donc positive.

L’immobilier domanial qui n’était pas budgété depuis plusieurs années à la hauteur du besoin a conduit à la mise en œuvre d’un plan d’urgence de 70 millions d’euros par an. Dans ce cadre, nous avons, cette année, engagé la rénovation de cinq casernes – au Havre, à Bouliac, à Gap, à Metz et à Niort. D’autres opérations moins importantes sont également initiées. Au total, cela permettra de réhabiliter 3 400 logements environ au titre de l’exercice 2015.

 

M. Daniel Boisserie. Sur ce point, je voudrais évoquer un problème récurrent. Aujourd’hui, les promoteurs privés s’intéressent de moins en moins à la construction de gendarmeries en raison d’un problème de loyer d’équilibre. Ce sont souvent les offices départementaux d’HLM qui se chargent de l’opération. Mais ce n’est pas toujours le cas. Les collectivités ne peuvent plus construire de gendarmerie, parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Comment peut-on améliorer la situation ?

 

Général Denis Favier. C’est assez difficile. Une solution consiste à travailler directement avec la collectivité. M. Fromion a évoqué la subvention attendue dans sa circonscription. Elle relève du décret de 1993. La masse budgétaire que l’on m’octroie dans ce cadre-là ne me permet pas de financer plus d’opérations.

L’opération Sentinelle ne nous concerne pas au plan budgétaire. Les crédits que vous évoquez ne vont pas abonder la gendarmerie. Ces montants concernent par exemple les infrastructures pour l’accueil des forces des armées. Opérationnellement, il n’y pas non plus d’impact direct de l’opération Sentinelle dans ma zone de compétence, seuls 89 militaires des armées, sur les 7 000 qui sont déployés y travaillent.

Au-delà de l’opération Sentinelle, l’engagement des armées sur le territoire national est une question majeure car nous sommes face à des menaces terroristes importantes sur le territoire national. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) doit rendre ses conclusions dans le courant du mois de décembre. Une vraie réflexion dans laquelle nous prenons notre part a lieu sur ce sujet.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Nous tenons à ce qu’un débat ait lieu ici.

 

Général Denis Favier. Faire l’économie de l’engagement de l’armée de terre sur le territoire national serait une erreur considérable, ne serait-ce qu’en termes d’apport de capacité de recueil de renseignements. Se posera immanquablement la question de savoir comment coordonner les opérations. Le rôle du préfet est bien sûr primordial.

Monsieur Boisserie, vous évoquez la question de l’utilisation des drones en matière de sécurité routière. Il s’agit en effet de faire face à un véritable fléau face auquel il faut mobiliser toutes les volontés et tous les moyens technologiques. Je dois rendre une première évaluation sur ce thème dans les prochains jours.

À travers le rôle des PSIG, vous évoquez la question des territoires et des limites administratives. Il me semble que l’on peut aller plus loin. Il faut dépasser le cadre du département. Votre circonscription est elle-même située aux confins de trois départements : il existe des options pour renforcer sous plafond le dispositif opérationnel. Mais il s’agit de régions différentes, avec des parquets différents, des cours d’appel différentes. S’ajoutent à cela des blocages administratifs et des questions d’habilitation d’officiers de police judiciaire. L’année dernière, j’ai travaillé sur un cas similaire entre la Lozère et le Cantal, une brigade de Lozère pouvant intervenir plus rapidement dans le sud du Cantal. Nous y sommes finalement parvenus.

 

M. Daniel Boisserie. Il suffirait que le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur s’entendent. Je pense que l’on peut débloquer les choses assez facilement.

Je comprends mal l’attitude des préfets qui ne tiennent pas à ce qu’il puisse y avoir des PSIG interdépartementaux. Certains mettent en demeure des élus de construire une gendarmerie. Or ce n’est pas leur rôle. Vous serez certainement obligé de ramener certains à la réalité.

 

Général Denis Favier. Cela demandera du temps, mais les choses sont en marche. Ces sujets font débat dans le cadre de la réorganisation régionale. En tout cas, s’agissant des interventions, les limites administratives ne pourront pas perdurer. Demain, grâce à sa tablette NeoGend, on engagera le gendarme qui est le plus proche du lieu de l’opération. Il y a encore trop de barrières, notamment en zone de montagne. Cela n’a pas de sens. Mais la situation va évoluer dans les années à venir. On avance à pas comptés, mais on progresse.

 

M. Yves Fromion. C’est mieux que de fermer des brigades !

 

Mme la présidente Patricia Adam. Général, je vous remercie.

 

Télécharger Audition du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2016

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* *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. David Comet, M. Yves Fromion

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Michel Voisin

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 07:56
Le budget de la défense confronté à des tensions de trésorerie inédites

 

Si les crédits pour le programme 146 ne sont pas au rendez-vous en loi de finances rectificative, "les créances dues par ce programme atteindront près de quatre milliards d'euros", selon le Délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon

 

16/10/2015 Par Michel Cabirol – LaTribune.fr

 

Selon le Délégué général pour l'armement (DGA) Laurent Collet-Billon, les tensions sur le budget de la défense (Equipement) sont "inédites". Il restait que 17 millions d'euros début octobre.

 

A en croire le délégué général pour l'armement (DGA) Laurent Collet-Billon, il ne reste plus grand chose dans les caisses du programme 146 (budget d'équipement militaire). Au soir du 6 octobre, "nous avions 217 millions d'euros de crédits de paiement : nous envisageons de mettre de côté 200 millions d'euros pour payer notamment les PME ; il reste donc 17 millions utilisables pour les autres dépenses ordinaires", a-t-il précisé le 7 octobre aux députés de la commission de défense. C'est-à-dire que dalle...

"En ce qui concerne l'exécution budgétaire 2015, sur le programme 146, les besoins de paiements actualisés sont estimés à environ 12,7 milliards d'euros, contre 11,7 milliards l'année dernière, cette hausse étant liée au règlement du différend franco-russe concernant les BPC Mistral, qui a transité par ce programme", a rappelé Laurent Collet-Billon.

Selon le Délégué général, cette rupture de trésorerie pourrait être retardée "d'une à deux semaines grâce à la consommation des intérêts remboursés par l'OCCAr - de l'ordre de 180 millions d'euros -, dont la mise en place est en cours. Enfin, la récupération du reliquat des provisions SOFRANTEM - provisions constituées pour couvrir les risques financiers liés au contrat export de DCN avant son changement de statut -, à hauteur de 148 millions d'euros, pourrait retarder d'une semaine encore la date de fin de paiement. Mais leur attribution au programme 146 est contestée par la direction du budget".

 

Des tensions de trésorerie inédites

Pourquoi une telle tension dans la trésorerie du programme 146? "La mise à disposition tardive de crédits budgétaires sous forme d'une LFR (Loi de finances rectificative, ndlr) en décembre, se substituant aux recettes exceptionnelles (REX) prévues initialement en septembre, place ce programme en rupture de paiement très tôt", a-t-il expliqué aux députés.

Pourtant le programme 146 a déjà bénéficié de la levée de la réserve de précaution en août (615 millions d'euros en crédits de paiement) pour payer le remboursement aux Russes les deux Mistral non livrés (950 millions d'euros) et du report en fin d'année de l'ensemble des versements prévus à l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAr) et à l'agence NAHEMA (NATO Helicopter Management Agency) sur les programmes FREMM et NH90.

 

Quel report de charge?

Sous réserve de la tenue des engagements arbitrés par François Hollande (2,2 milliards d'euros de crédits supplémentaires en LFR prévue fin décembre en compensation à la fin des REX), le report de charge sur le programme 146 ne serait que "de l'ordre de 1,74 milliard d'euros", a assuré Laurent Collet-Billon. C'est-à-dire un report de charge "maîtrisé". Si cela n'était pas le cas, "les créances dues par ce programme atteindront près de quatre milliards d'euros" dans le pire des cas.

Toutefois, d'autres scénarii sont également possibles. Le ministère de la Défense pourrait être amené à annuler des crédits pour couvrir les surcoûts générés par les opérations extérieures (OPEX), par l'opération Sentinelle (180 à 200 millions d'euros) ou par une éventuelle insuffisance sur le titre 2 (Fonctionnement), qui ne seraient pas intégralement pris en charge par le budget général.

Le report de charge sur le programme 146 "pourrait être abaissé à un peu moins de 1,6 milliard d'euros fin 2016 si l'intégralité de la LFR lui était attribuée fin 2015. Cette amélioration temporaire est nécessaire pour limiter le report de charges de fin 2019 à 2,8 milliards, compte tenu des profils de paiements des années 2017 à 2019 consécutifs, en particulier, aux commandes d'équipements décidées par la loi d'actualisation".

 

 

photo DCNS

photo DCNS

Le programme 146 mis à contribution pour les deux BPC russes

Le programme 146 a été amené à avancer la somme de 950 millions d'euros dans le cadre du règlement des BPC russes au début du mois d'août. "Or il ne disposait plus d'assez de crédits de paiements disponibles à cette date : la réserve de précaution de 615 millions d'euros a été entièrement levée", a détaillé Laurent Collet-Billon.

Cette avance de 950 millions d'euros a été partiellement remboursée par DCNS, après règlement de la COFACE, via un fond de concours de 893 millions d'euros. La différence de 57 millions d'euros, à la charge de ce programme, a vocation à être compensée en fin d'année par des crédits budgétaires.

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 19:55
Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2016

 

7 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 3

 

Mme la présidente Patricia Adam. Nous accueillons aujourd’hui M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2016 ainsi que sur l’exécution budgétaire de fin 2015, exercice toujours délicat. Je souligne à cet égard les enjeux liés à la suppression des ressources exceptionnelles et aux contrats de vente des bâtiments de projection et de commandement (BPC).

 

M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement. Je vous remercie de me recevoir dans le cadre de l’examen du PLF 2016, relatif à la troisième année d’exécution de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019.

Je commencerai par faire un point sur l’exécution du précédent budget, qui a été marquée par l’actualisation de la LPM. Je détaillerai ensuite le projet de loi de finances 2016 pour ce qui concerne le programme 146 « Équipements des forces » et le programme 144, qui inclut des études amont conduites par la DGA.

En ce qui concerne l’exécution budgétaire 2015, sur le programme 146, les besoins de paiements actualisés sont estimés à environ 12,7 milliards d’euros, contre 11,7 milliards l’année dernière, cette hausse étant liée au règlement du différend franco-russe concernant les BPC Mistral, qui a transité par ce programme. Je vais y revenir.

Les ressources en crédits de paiements s’établissent, quant à elles, à 11,2 milliards d’euros, répartis comme suit : 7,686 milliards d’euros de crédits budgétaires initiaux, réserve levée ; 67 millions d’euros de reports de 2014 sur 2015 ; 990 millions de prévisions de ressources extrabudgétaires liées aux fonds de concours, à l’attribution de produits et à des transferts et virements avec les autres programmes – 97 millions hors BPC – ; 23 millions de ressources exceptionnelles sur le CAS-Fréquence provenant des redevances des opérateurs ; 250 millions de crédits de paiements de 2014 ouverts sur le programme d’investissements d’avenir (PIA) pour financer les besoins de 2015.

Nous attendons, par ailleurs, 2,201 milliards d’euros de crédits budgétaires complémentaires qui doivent être ouverts fin décembre par la loi de finances rectificative (LFR) de fin d’année, en compensation, notamment, de la disparition des ressources exceptionnelles actée par le vote de la LPM actualisée. Ces derniers incluent 57 millions d’euros correspondant au solde de l’avance faite par le programme 146 pour le paiement de la transaction avec la partie russe concernant les BPC.

À ce sujet, le programme 146 a été amené à avancer la somme de 950 millions d’euros dans le cadre du règlement des BPC russes au début du mois d’août. Or il ne disposait plus d’assez de crédits de paiements disponibles à cette date : la réserve de précaution de 615 millions d’euros a été entièrement levée. Cette avance de 950 millions d’euros a été partiellement remboursée par DCNS, après règlement de la COFACE, via un fond de concours de 893 millions d’euros. La différence de 57 millions d’euros, à la charge de ce programme, a vocation à être compensée en fin d’année par des crédits budgétaires.

Sous réserve de la mise en place effective du montant prévu de crédits budgétaires en fin d’année en LFR, le report de charge sur le programme 146 serait de l’ordre de 1,743 milliard d’euros sur le périmètre incluant les dépenses obligatoires, estimées à 300 millions d’euros.

Le niveau d’engagement prévu en fin d’année est de 13,3 milliards d’euros – 12,357 milliards d’euros hors BPC. Ce fort niveau d’engagement traduit en particulier le lancement de commandes liées à l’actualisation de la LPM et l’engagement du remboursement des BPC russes.

Par ailleurs, le programme 146 connaît, en cette fin d’année, des tensions de trésorerie inédites.

La mise à disposition tardive de crédits budgétaires sous forme d’une LFR en décembre, se substituant aux recettes exceptionnelles (REX) prévues initialement en septembre, place ce programme en rupture de paiement très tôt ; et ce, malgré la levée de la réserve de précaution en août – 615 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement – et le report en fin d’année de l’ensemble des versements prévus à l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAr) et à l’agence NAHEMA (NATO Helicopter Management Agency) sur les programmes FREMM et NH90.

Cette rupture de trésorerie pourrait être retardée d’une à deux semaines grâce à la consommation des intérêts remboursés par l’OCCAr – de l’ordre de 180 millions d’euros –, dont la mise en place est en cours. Enfin, la récupération du reliquat des provisions SOFRANTEM – provisions constituées pour couvrir les risques financiers liés au contrat export de DCN avant son changement de statut –, à hauteur de 148 millions d’euros, pourrait retarder d’une semaine encore la date de fin de paiement. Mais leur attribution au programme 146 est contestée par la direction du budget.

À la veille de la LFR, les créances dues par ce programme atteindront près de quatre milliards d’euros. Si la LFR est au rendez-vous au montant prévu, le report de charge sera, comme je l’ai dit, maîtrisé, mais à la condition qu’il n’y ait pas d’annulations de crédits pour couvrir les surcoûts induits par les OPEX, Sentinelle ou une éventuelle insuffisance sur le titre 2. Hier soir, nous avions 217 millions d’euros en crédits de paiement : nous envisageons de mettre de côté 200 millions d’euros pour payer notamment les PME ; il reste donc 17 millions utilisables pour les autres dépenses ordinaires.

S’agissant des études amont, leur exécution au titre du programme 144 sera, quant à elle, conforme, en engagements et en paiements, aux objectifs de la LPM si la levée de la réserve intervient, à savoir 727 millions d’euros d’engagements et 768 millions d’euros de paiements – dont 50 millions au profit du dispositif Régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID), à destination des PME et PMI innovantes. Je souligne à ce sujet le grand succès de la tenue de l’assemblée générale du club RAPID – à laquelle le ministre de la Défense a participé il y a quinze jours – qui a réuni 200 PME et 17 grands groupes et a permis 1 200 à 1 300 rencontres.

Il convient de noter que les ressources consacrées à l’effort de R&T en 2015 – qui, outre les études amont, comprend principalement les subventions vers l’ONERA et l’Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis (ISL) – représentent 861 millions d’euros d’engagements et 902 millions d’euros de paiements.

Les principales études en 2015 portent sur un démonstrateur de sonar actif, qui permettra d’améliorer les capacités de nos sous-marins nucléaires, un démonstrateur pour le futur standard MK3 de l’hélicoptère Tigre, la nouvelle génération de missile de croisière et antinavire lourd, les études d’avant-projets détaillés du SNLE 3G, qui entrera en service à l’horizon 2032-2033, de nouveaux algorithmes de détection-reconnaissance-identification et la poursuite des travaux de maturation technologique du domaine aéronautique de combat, principalement tout ce qui concerne les composants actifs qui permettent d’améliorer la détection et la protection.

Sur la part des études amont du programme 144, le report de charge prévisionnel s’établit à 115 millions d’euros fin 2015, si la réserve de 60 millions d’euros est levée.

S’agissant de la maîtrise des performances, les devis et délais des programmes sont maîtrisés. Hors impact de la LPM actualisée, les indicateurs sont globalement conformes aux objectifs du projet annuel de performances (PAP).

Parmi les principales commandes déjà notifiées cette année, on peut citer la commande d’un deuxième système de drones MALE en juillet 2015, de deux navires BSAH (bâtiments de surveillance et d’assistance hauturiers) en août 2015, du troisième satellite MUSIS en juillet 2015 en coopération avec l’Allemagne et de 75 stations sol COMCEPT.

La fin de l’année 2015 devrait voir aboutir plusieurs autres commandes majeures : sept Tigre et six NH90 au titre de l’actualisation de la LPM ; la réalisation des futurs satellites de télécommunications COMSAT NG ; huit avions MRTT, le lancement du programme frégates de taille intermédiaire (FTI) et l’acquisition d’un nouveau système de drone MALE pour lequel nous avons reçu la lettre d’offre américaine fin septembre 2015.

Les livraisons importantes en 2015 concernent le troisième vecteur aérien pour compléter le premier système Reaper et deux avions A400 M – sachant que cette année connaît une baisse des prévisions de livraisons de ces appareils résultant des retards industriels actuellement constatés, notamment sur la mise au point des nouvelles capacités tactiques contractuellement dues pour le troisième avion de 2015.

S’y ajoutent six hélicoptères NH90, cinq Rafale, une frégate FREMM, des équipements FELIN et des missiles Aster 15 et 30.

En 2015, plusieurs urgences opérations (UO) ont en outre été lancées pour un montant de 83,4 millions d’euros. Elles concernent, entre autres : des matériels visant à améliorer le déploiement, la préparation opérationnelle et la communication pour le Tigre, pour 11,4 millions d’euros ; des équipements supplémentaires pour le Rafale pour quatre millions – je pense notamment aux premiers essais réussis de communication par satellite, il y a quelques semaines – ; des capacités d’appui électronique dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) avec l’opération STERNES pour 10 millions d’euros ; des postes radio et des jumelles de vision nocturnes pour le commandement des opérations spéciales (COS).

Nous nous plaçons donc à la fois sur le temps long et le temps court.

En matière de base industrielle et technologique de défense (BITD), j’avais déjà mentionné l’année dernière le rapprochement entre Krauss-Maffei Wegmann et Nexter. Ce dernier a été scellé en juillet dernier.

Je citerai, par ailleurs, le rapprochement de Safran et Airbus Group sous l’entité Airbus Safran Launcher Holding (ASLH) qui rassemblera, à terme, les systèmes de lanceurs d’Airbus Group et les systèmes de propulsion spatiale de Safran. Il s’agit d’une étape majeure vers la consolidation de la filière spatiale européenne. Nous avons aussi signé des accords constituant une marche importante avec nos partenaires britanniques dans le cadre de l’initiative « One Complex Weapon».

S’agissant des exportations, les prises de commandes des entreprises françaises de défense ont atteint 8,2 milliards d’euros – pour les contrats entrés en vigueur en 2014 –, le meilleur résultat des cinq dernières années et le second depuis dix ans.

En 2015, la France a remporté ses premiers contrats export Rafale. Le premier, qui est entré en vigueur, a été signé avec l’Égypte et porte sur 24 Rafale, avec les armements associés, pour un montant total de 5,2 milliards d’euros (ce montant incluant également la vente d’une FREMM). Le second a été signé avec le Qatar pour 24 avions, avec les armements associés, pour un montant de 6,3 milliards, sachant qu’il n’est pas encore entré en vigueur et que des points restent à traiter autour de la formation des personnels qataris.

Ces succès ont permis de lever l’hypothèque principale qui pesait sur la LPM – nous devions prendre 26 Rafale dans le cadre de cette loi et en exporter au moins 40. Cet objectif est pratiquement atteint et le sera à coup sûr si nous formalisons le contrat indien dans des délais raisonnables.

Le montant des contrats entrés en vigueur fin août atteint 4,4 milliards (hors contrats Rafale) et les prévisions de prises de commandes pour l’année 2015 seront probablement dépassées. Pour mémoire, l’objectif du PAP 2015, hors Rafale, est fixé à 5,7 milliards d’euros.

L’année sera donc historique en termes d’exportations, même si tout cela reste encore conditionné par un certain nombre de négociations en cours avec différents pays du Moyen-Orient ou d’Asie.

Concernant les effectifs, pour la DGA, l’actualisation de la LPM conduit à un allégement de la déflation de 150 emplois équivalents temps plein (ETPE), portant sur des métiers sous tension contribuant à l’effort en matière de sécurité, de renseignement ou de lutte contre le terrorisme et répondant aux orientations gouvernementales. Par ailleurs, un renforcement de la cyberdéfense, pour un volume complémentaire de 90 ETPE, a été décidé.

L’année 2015 est marquée, par ailleurs, par la reprise des recrutements – 361 recrutements civils et militaires confondus pour 370 besoins exprimés –, ce qui a permis de compenser la déflation excessive observée en 2014.

Au final, la DGA arrivera fin 2015 à un effectif global d’environ 9 700 ETPE, soit une réduction d’environ 20 % depuis 2009. La DGA prend donc toute sa part dans l’effort de déflation du ministère.

Venons-en au PLF 2016.

S’agissant du programme 146, les besoins de paiement s’établissent à 9,8 milliards d’euros, hors report de charge de l’année 2015.

Les ressources en crédits de paiement prévues pour ce programme en 2016 s’établissent, quant à elles, à 10,016 milliards d’euros. Ces ressources incluent les crédits budgétaires qui se sont substitués aux ressources exceptionnelles initialement prévues par la LPM, suite aux mesures prises à l’occasion de son actualisation.

Ces ressources se répartissent entre des crédits budgétaires, à hauteur de 9,953 milliards d’euros, et des prévisions de ressources extrabudgétaires – fonds de concours, attribution de produits –, à hauteur de 63 millions d’euros.

On notera que le niveau de dépenses autorisé s’élève à 9,844 milliards d’euros et est inférieur aux 10 milliards de crédits de paiement que j’ai cités précédemment. Le report de charge sur le programme 146 pourrait être abaissé à un peu moins de 1,6 milliard d’euros fin 2016 si l’intégralité de la LFR lui était attribuée fin 2015. Cette amélioration temporaire est nécessaire pour limiter le report de charges de fin 2019 à 2,8 milliards, compte tenu des profils de paiements des années 2017 à 2019 consécutifs, en particulier, aux commandes d’équipements décidées par la loi d’actualisation. Je rappelle à cet égard que la réserve du programme, qui servait de « matelas » amortisseur dans les temps précédents, a été intégralement levée pour payer les BPC russes.

Une hausse du report de charge 2016 conduirait à une dégradation du report de charge 2019, qui pourrait rendre nécessaires des étalements ou des annulations de commandes d’équipements.

Enfin, les besoins d’engagements s’établissent à 9,632 milliards d’euros. Ce niveau est en baisse par rapport aux forts niveaux connus en début de LPM. La majorité des nouveaux programmes prévus par la LPM auront, en effet, été lancés comme prévu en 2014 et 2015.

Concernant le programme 144, les ressources consacrées aux études amont représenteront 680 millions d’euros d’engagements et 707 millions d’euros de paiements.

On note une légère baisse des engagements et des paiements par rapport à 2015, conforme au profil de ressources prévu de la LPM et à la valeur moyenne pour les études amont, qui est de 730 millions d’euros par an.

Les principales caractéristiques de l’année 2016 seront la poursuite de travaux sur les architectures modulaires de guerre électronique, la préparation des futurs standards du Tigre, la préparation de la future composante sous-marine océanique stratégique, la feuille de route technologique liée à la frégate de taille intermédiaire (FTI) et de nouvelles études dans le domaine de la cyberdéfense.

Même s’il n’est pas prévu en 2016 de lancement de programme majeur, on notera les commandes suivantes : un système de drones de lutte anti-mines ; un quatrième bâtiment multimissions (B2M) ; la régénération de véhicules blindés légers ; la commande du fusil d’assaut de nouvelle génération, arme individuelle future (AIF), destinée à remplacer le FAMAS ; des équipements sécurisés cyber ; des stations satellites COMSAT NG et des roquettes à précision métrique pour le Tigre, particulièrement utiles pour les opérations dans la bande sahélo-saharienne. Enfin, nous commanderons probablement en 2016 des avions de transport Cl30, le périmètre et les modalités de cette commande étant en cours d’étude, comme indiqué dans la loi d’actualisation.

Les livraisons se poursuivront à un rythme soutenu en 2016 avec 11 hélicoptères Tigre et NH90 – deux en version navale et quatre en version terrestre –, six Rafale neufs et trois Rafale marine mis au standard F3, 25 poids lourds pour les forces spéciales attendus avec impatience par le COS, trois A400M en théorie, deux premiers lots de missiles de croisières navals (MdCN) ; un lot de missiles M51 ainsi que l’adaptation du second SNLE NG, Le Triomphant. Il faut y ajouter un centre de détection et de contrôle (ARS) à Cinq-Mars-la-Pile dans le cadre du programme SCCOA, une FREMM, un système de drones MALE et 31 missiles Aster 15 et Aster 30 B1.

S’agissant des effectifs et de la masse salariale, l’objectif de déflation de la LPM devrait conduire à 9 600 ETPE fin 2016. Les recrutements au juste besoin doivent se poursuivre pour garantir les compétences indispensables à la conduite de nos missions, comme par exemple dans la cyberdéfense ou les systèmes d’ingénierie moderne.

En conclusion, la gestion de 2015 est contrainte par de fortes tensions de trésorerie, dues à la mise à disposition tardive des crédits budgétaires remplaçant les recettes exceptionnelles prévues initialement.

On prévoit une amélioration du report de charges du programme 146 fin 2015 par rapport à l’année dernière grâce à l’utilisation des crédits ouverts en 2014 sur le PIA, pour 250 millions d’euros, et à des aménagements d’échéanciers de programmes.

Pour autant, cette amélioration temporaire du report de charge n’est pas liée à une amélioration, sur le fond, de la santé financière du programme 146, dont le report de charge fin 2019 devrait atteindre le niveau très élevé de 2,8 milliards d’euros.

Par conséquent, si le programme 146 subit de nouvelles amputations, notamment s’il ne dispose pas de la totalité du montant actuellement prévu en LFR de décembre – soit 2,2 milliards d’euros –, il faudra procéder à un réexamen des commandes et de l’étalement des livraisons, nécessaire pour assurer sa viabilité financière.

 

Mme la présidente Patricia Adam. La commission devra être très vigilante à la LFR de fin d’année et nous pourrons continuer à exercer notre pouvoir de contrôle sur pièces et sur place : je ferai des propositions en ce sens.

 

M. Yves Fromion. À quelles entreprises le programme Scorpion a-t-il été attribué ?

Quel est par ailleurs le panorama de l’industrie d’armement terrestre française ? Qu’en reste-t-il et quelles sont les perspectives pour la consolider ?

Pouvez-vous nous dire un mot du programme AIF et de l’appel d’offres prévu ? Peut-on faire en sorte que les industriels français restent dans la boucle ?

S’agissant des Reaper, nos pilotes seront-ils à même de les faire décoller et atterrir ? Notre armée sera-t-elle progressivement autonome dans leur utilisation ?

 

M. Jean-Jacques Candelier. Le PLF 2016 fait apparaître la commande de 5 340 AIF. Pour moi, le FAMAS n’est pas en fin de vie : il pose problème car on a remplacé les douilles en acier fabriquées en France par des douilles en cuivre fabriquées à l’étranger. Quelles sont les mesures envisagées pour recréer rapidement une filière de production de munitions et d’armements légers ?

Le 27 juillet, un millier de scientifiques et d’experts en intelligence artificielle du monde entier ont appelé à une interdiction des armes offensives autonomes, dites « robots tueurs ». Quelle est la réflexion de la DGA à cet égard ?

Enfin, la situation dans la bande de Gaza ne s’améliore pas : selon l’ONU, depuis août 2014, Israël a ouvert le feu au moins 696 fois. Un tel comportement va entraîner probablement une troisième intifada. Quelle serait l’incidence pour la France d’un embargo sur les livraisons et les importations de matériels militaires à l’égard d’Israël ?

 

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Quel est le montant du budget alloué pour les opérations de déconstruction des SNLE, notamment à Cherbourg ? Quels sont les mesures et les crédits prévus pour renforcer les infrastructures des dépôts de munitions à la suite du vol récent annoncé ?

 

M. Alain Marty. Quels sont les partenaires concernés par le programme Scorpion ?

Où en est la coopération européenne pour un drone MALE ?

Enfin, quelles informations pouvez-vous nous donner sur le programme d’hélicoptères intermédiaires légers (HIL), qui ne semble pas apparaître dans la programmation ? Quelle est la nature de cet hélicoptère, les missions qui devaient lui être confiées et les raisons pour lesquelles il ne constitue pas aujourd’hui une priorité ?

 

M. Laurent Collet-Billon. Les principaux industriels concernés par le programme Scorpion sont Nexter, Renault Trucks Défense et Thales. Le contrat a fait l’objet d’une négociation conjointe avec les trois entreprises. Il y a eu aussi des intervenants comme Bull, qui appartient au groupe Atos et réalise le système d’information et de combat. On a donc, au travers de ce programme, une fédération de l’industrie française et une forme de pacification des acteurs.

L’accord entre Krauss-Maffei et Nexter constitue un axe franco-allemand fort, qui, selon nos partenaires, pourrait conduire à un char franco-allemand lourd à un moment donné, encore indéterminé. Si KMW accepte un partenariat avec Nexter, c’est parce qu’ils ont trouvé en elle des composantes technologiques qui n’existent pas en Allemagne..

J’ai rencontré récemment les dirigeants de la société RTD. Je me suis assuré auprès de l’actionnaire principal, qui est Volvo, de son engagement dans l’entreprise. La société se comporte très bien à l’export – elle a d’ailleurs remporté un marché important au Canada – et elle participe à différentes compétitions, comme celle portant sur les véhicules des forces spéciales. Le paysage se clarifie progressivement en Europe et en France de ce point de vue.

S’agissant de l’AIF, nous en sommes au choix des compétiteurs. Depuis la fermeture des ateliers munitionnaires du Mans de GIAT Industries, il n’y a plus d’activité de développement et de fabrication d’armes et de munitions de petit calibre en France. Demeure une unité industrielle nationale très limitée et une douzaine de personnes chez Nexter Mechanics à Tulle. La réponse aux besoins passe donc par un achat sur étagère. Toutes les offres initiales ont été reçues en juin 2015 et les essais d’évaluation ont été engagés à Bourges. Nous verrons à la fin du premier trimestre 2016 ce qu’il en est au plan technique et nous conduirons le processus de sélection finale et d’attribution du contrat, qui sera passé en 2016.

Quant à l’association d’industriels français, elle ne fait pas partie des conditions d’appel d’offres, toutefois ce dernier laisse la possibilité à des entreprises françaises de participer à la compétition en partenariat, si nécessaire, avec des entreprises européennes.

L’Allemagne a récemment annoncé son intention de remplacer son G36. Nous sommes en mesure d’échanger avec elle sur les spécifications principales de l’AIF et, le moment venu, de lui faire part des résultats des essais techniques effectués à Bourges et de notre choix, sans compromettre la compétition. L’idéal serait que l’Allemagne, qui s’intéresse au dossier, se cale sur nos spécifications et rejoigne nos critères de choix, ce qui pourrait créer une conjonction favorable pour la communauté des armes. Je rappelle que la procédure d’acquisition applicable est européenne.

Il existe d’autres industriels, comme EURENCO, que nous nous attachons à préserver, notamment parce qu’il est le producteur exclusif de certaines charges destinées aux obus du char Leclerc. Nous avons eu des discussions serrées avec la maison mère de cette société et des plans d’investissement et de modernisation devraient permettre une fiabilisation de son activité.

S’agissant des drones Reaper, un troisième appareil a été livré au début de l’été. Nous avons émis notre demande de proposition à l’armée de l’air américaine pour un nouveau système, qui devrait faire l’objet d’un traitement ultrarapide pouvant conduire à une commande à brève échéance, sachant qu’elle exige un paiement immédiat – qui pourrait être initialement de quelques dizaines de millions d’euros.

Quant à l’autonomie de pilotage, elle viendra. Nous avons deux objectifs : l’autonomie dans la conduite de nos missions et la possibilité d’avoir une charge utile de ROEM à terme. Nous examinons comment nous pourrions faire dériver une charge utile pour nos propres drones MALE ou d’autres porteurs. Pouvoir corréler le ROEM et le renseignement image est très important.

Il y a effectivement 5 340 AIF prévus au PLF 2016. Nous utilisons des cartouches produites soit par les pays de l’OTAN, soit par d’autres. On vérifie toujours que les munitions fonctionnent correctement, notamment sur les FAMAS, même s’il y a un débat sur la nature des étuis.

Le débat sur la reconstitution d’une filière de cartouches de petit calibre en France revient régulièrement ; nos autorités politiques y ont assez clairement répondu par la négative.

Quant aux robots tueurs, nous n’en développons pas. Nous avons des activités de robot dans le domaine du déminage et en lançons en matière de lutte anti-sous-marine. Il s’agit donc d’outils de protection et le débat éthique ne nous a pas atteints sur ce point.

Sur la bande de Gaza, je préfère m’abstenir, car ce n’est pas mon domaine de compétence.

 

M. Christophe Fournier, directeur des plans, des programmes et du budget à la DGA. Madame Gosselin-Fleury, tous les navires retirés du service en rade de Cherbourg sont en passe d’être démantelés au plan nucléaire. Les opérations liées à leur déconstruction sont en cours de contractualisation. La première va commencer l’année prochaine et elles dureront quelques années, sachant que ces bateaux contiennent aussi de l’amiante, du plomb et d’autres produits toxiques et qu’il faut dix-huit mois à deux ans pour traiter une coque – une forme sera adaptée à cet effet. Cette « flotte du Nord », selon l’expression consacrée, a vocation à disparaître, étant donné qu’elle sera réalimentée par les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) à la fin de la décennie.

 

M. Laurent Collet-Billon. Ce sera une activité pérenne car, après les SNLE type Le Redoutable, il y aura les SNA et les SNLE de la génération actuelle. Je ne puis vous dire combien d’emplois seront mobilisés, mais je pourrai vous le préciser ultérieurement si vous le souhaitez.

Les affaires de protection des dépôts munitionnaires relèvent principalement du service de l’infrastructure de la défense et de la nouvelle direction de la protection des infrastructures de défense (DPID). Nous sommes concernés à la DGA par quelques dépôts situés dans certains établissements, à Bourges ou Biscarrosse. Un audit rapide a été mené par l’Inspection générale des armées, suite à l’affaire du dépôt de Miramas, montrant que nous aurons seulement quelques travaux d’amélioration à faire pour ce qui nous concerne, non significatifs financièrement et qui pourront être entrepris dès 2016. Nous souhaitons être d’autant plus exemplaires dans ce domaine que lorsque nous commencerons les essais de missiles de moyenne portée, nous en aurons un certain stock. Cette question, par son ampleur, pose problème pour l’ensemble du ministère.

Monsieur Marty, s’agissant de SCORPION, les contrats se déroulent bien et tout le monde est conscient du fait que l’état du parc des véhicules roulants de l’armée de terre nécessite la livraison des matériels dans les forces dans les délais prévus.

Mais cela ne dispensera probablement pas d’un effort accru pour le soutien logistique et la refonte de certains matériels. Chez RTD, par exemple, on expérimente un véhicule de l’avant blindé (VAB) à propulsion hybride, qui a l’avantage de délivrer une puissance instantanée forte, de 500 chevaux, et d’effectuer quelques kilomètres d’approche dans un silence absolu.

Sur le drone MALE européen, nous avons longuement discuté cet été avec l’Allemagne, qui souhaite être leader sur ce programme : elle aura une part d’un peu plus de 30 %, sachant qu’il existe trois autres coopérants ayant chacun 23 %, la France, l’Italie et l’Espagne. Les spécifications d’un contrat d’étude et de définition et les projets de protocole d’accord sont en cours d’établissement, la notification de ce contrat étant prévue pour mars 2016. Ce programme, auquel tient le ministre de la Défense, devrait déboucher un peu avant 2025. La définition des capteurs compte autant que le porteur : nous serons vigilants au fait que notre industrie soit prise en considération avec les égards qu’elle mérite, compte tenu de son niveau de technicité.

S’agissant du programme HIL, la LPM a repoussé les premières livraisons un peu avant 2030. Nous examinons fréquemment la question de l’amélioration de la disponibilité du parc d’hélicoptères, notamment en Afrique, avec le chef d’état-major des armées et l’industriel Airbus Helicopters.

Parallèlement, nous allons lancer une réflexion sur la nature du parc d’hélicoptères, très hétéroclite et qui comporte plusieurs centaines d’appareils, dont certains très anciens. Nous avons un hélicoptère d’attaque avec le Tigre, un hélicoptère de transport et de manœuvre avec le NH90, et un hélicoptère pour les forces spéciales avec le Caracal : il conviendrait d’en trouver un quatrième, multi-rôles, remplissant les autres missions, comme le transport léger, le sauvetage en mer ou l’accompagnement du porte-avions. Les Britanniques, qui ont conduit cette démarche, sont ainsi passés de 26 types d’hélicoptères à quatre.

Cette réflexion pourrait conduire au lancement d’un programme d’hélicoptères avant l’heure, car il ne faut pas écarter a priori une solution qui permettrait d’améliorer sensiblement la gestion et les coûts de la logistique. Entretenir des appareils de type ancien en reculant l’avènement de matériels plus faciles d’entretien n’est en effet pas nécessairement une bonne chose. Ce type d’hélicoptère devra reposer sur un modèle commercial, de manière à disposer d’une communauté logistique maximale avec le monde civil, les aménagements militaires devant être à la marge.

 

Mme Isabelle Bruneau. Je constate avec satisfaction que les crédits dévolus au programme 144 se maintiennent. Mais comment expliquer la réduction de 32 millions d’euros de ceux des études amont, qui passent de 738 à 706 millions ?

Par ailleurs, l’ONERA, qui est un organisme de recherche indispensable à l’aéronautique militaire et civile, rencontre des difficultés de plusieurs ordres, notamment financières. La soufflerie stratégique S1 de Modane, qui est la plus puissante au monde, voit son sol s’affaisser depuis plusieurs années, avec un épisode brutal en 2015. Les travaux de consolidation du sous-sol sont évalués à 20 millions d’euros, que l’ONERA ne peut financer sur son budget. Quelle est la solution envisageable et à quelle échéance ?

 

M. Damien Meslot. Quel a été le coût précis des Mistral russes et la perte financière pour l’État ? Quand doit intervenir le paiement de leur vente à l’Égypte ?

 

M. Daniel Boisserie. Devant le succès du Rafale à l’exportation, la France peut-elle servir de variable d’ajustement, compte tenu de la production limitée d’appareils ? Les livraisons pourront-elles être assurées comme elles devraient l’être ?

 

M. Alain Moyne-Bressand. Nous sommes souvent alertés en tant qu’élus sur le fait que l’État ne respecte pas la loi selon laquelle les règlements aux entreprises doivent intervenir dans un délai de 45 jours. Comment pensez-vous apporter des solutions à cette situation, qui est gravement préjudiciable à nos entreprises, notamment les PME, à l’emploi et à l’image du ministère de la Défense ?

 

M. Laurent Collet-Billon. Madame Bruneau, nous avons eu 768 millions d’euros pour les études amont en 2015 : si ces crédits diminuent en 2016, la moyenne de 730 millions par an annoncé par le ministre sur la période de la LPM est respectée et cela ne nous gêne pas dans l’exécution du plan triennal relatif à ces études.

L’ONERA, qui est sous tutelle de la DGA, est confronté à plusieurs types de problèmes : un problème d’infrastructure globale – il occupe un immeuble de grande hauteur à Châtillon qu’il faudra évacuer, le coût de cette opération étant initialement estimé à 70 millions d’euros – ainsi que des problèmes sur les bancs d’essai, comme celui de Modane, affecté par un glissement de terrain et d’affaissement de plusieurs centimètres par an, qui met en cause la viabilité de l’installation – des estimations seront produites sur le coût de sa sécurisation. Nous sommes attentifs à la soufflerie S1, que nous utilisons pour nos programmes d’armement, mais la réparation entraîne une charge importante, qui ne peut être assumée dans le cadre de la subvention à l’ONERA ou des recettes de celui-ci. En ce qui concerne plus globalement les perspectives de l’Office, nous avons demandé des travaux à différentes personnalités de manière à pouvoir disposer rapidement d’un plan stratégique tenant compte des contraintes d’infrastructure et de ce que doit faire l’ONERA en matière de recherche. Cela devrait nous permettre de disposer d’une vue d’ensemble d’ici la fin de l’année. Les travaux menés doivent notamment vérifier que le lien entre cet organisme et le monde industriel se fait bien, sachant que nous souhaitons que le rôle du premier se place très en amont et que les travaux puissent être transférés de façon fluide vers l’industrie lorsqu’ils s’approchent de la réalisation, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il faudra également vérifier la capacité d’embauche de l’ONERA, afin de renouveler la pyramide des âges, le personnel étant en moyenne assez âgé.

S’agissant des BPC, l’affaire est relativement transparente pour le programme 146. Nous avons utilisé le programme 146 pour payer 950 millions d’euros aux Russes et on me doit 57 millions : je m’arrête là, le reste étant l’affaire de DCNS avec son client. Cela dit, le président de DCNS est dans son rôle en réclamant un certain montant. Par ailleurs, le prix du contrat des BPC destinés à l’Égypte comporte des coûts d’adaptation, comme le remplacement des caractères cyrilliques ou des moyens de communication. L’Égypte réglera la facture par des recettes budgétaires ou extrabudgétaires, sachant qu’elle va tirer grand bénéfice de la détection de gisements gaziers importants en Méditerranée.

Quant aux Rafale, nous allons examiner avec Dassault Aviation et ses coopérants principaux, notamment Thales et Safran, une montée en puissance de la chaîne de production, car il faudra probablement passer à une production de deux ou trois appareils par mois. Nous n’excluons pas que d’autres clients puissent être intéressés et nous tiendrons compte des besoins des forces nationales, en particulier de la montée en puissance des escadrons nucléaires et de ce que le groupe aéronaval puisse disposer de flottilles complètes. Reste que nous ne pourrons plus prêter cinq appareils à des clients dans un délai de trois mois par exemple. Cette augmentation de production pourrait engendrer, selon le président de Dassault Aviation, 7 500 emplois dans la région Aquitaine.

Monsieur Moyne-Bressand, nous payons nos entreprises tard, généralement au bout de 45 jours, parfois plus tard, mais, contrairement à d’autres, nous réglons toujours les intérêts moratoires, avec un montant forfaitaire minimal de 40 euros par facture. Nous cherchons à améliorer cette situation, sachant qu’il y a d’autres acteurs dans la chaîne de paiement. Comme je l’ai dit, nous mettrons 200 millions d’euros de côté pour continuer à régler les PME, contre 150 millions en 2014 et 100 millions en 2013, l’augmentation provenant du fait que la cessation de paiements du programme 146 intervient de plus en plus tôt dans l’année Nous savons bien que la trésorerie des PME ne supporte pas une coupure d’alimentation de l’ordre de trois mois, le problème ne se posant pas pour les grands groupes, qui disposent d’une trésorerie suffisante.

S’agissant des sous-traitants, nous regarderons la situation de près. Le pacte PME-Défense y contribue et nous vérifions que les précautions que nous prenons s’appliquent bien à eux. Les premiers résultats d’enquête montrent que certaines entreprises traitent très bien ceux-ci.

 

Mme Geneviève Fioraso. Merci d’avoir signalé l’accord sur Airbus Safran Launcher. J’ai noté aussi avec plaisir que vous vous engagiez dans la voie des satellites et des constellations de satellites, où nous sommes un peu en retard par rapport aux Américains.

De nombreux salariés de l’agglomération grenobloise de l’entreprise STMicroelectronics expriment leur inquiétude, à la suite des annonces de son président italien de réduire les activités digitales, qui concernent la défense. L’État actionnaire va-t-il préserver lors du prochain conseil d’administration de la société les intérêts stratégiques de la défense ? La DGA pourrait-elle élargir le champ de ses coopérations avec cette entreprise, notamment dans le domaine spatial, aéronautique ou de la cybersécurité, ce qui serait bénéfique à l’emploi.

 

M. Francis Hillmeyer. Les militaires nous font part d’une mauvaise qualité des munitions fournies pour le FAMAS, qui pourraient représenter jusqu’à un tiers de l’ensemble. Je rappelle que nous avons en France une usine exceptionnelle, Manurhin, qui fabrique des machines permettant de faire des cartouches et pourrait à nouveau produire celles-ci.

 

M. Christophe Guilloteau. Où en est-on des qualifications de l’A400M, notamment pour la partie parachutistes ? Où en est-on également des C130 ? Et à qui faut-il s’adresser pour connaître le coût exact des BPC pour la France ?

 

M. Philippe Vitel. Nous avons dans la rade de Toulon un problème majeur d’infrastructures, lié à un vieillissement des quais, au moment où nous devons aller de l’avant pour l’accueil des FREMM et des Barracuda. Où en êtes-vous de la programmation des travaux de rénovation ? Les moyens seront-ils au rendez-vous ?

Par ailleurs, l’indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du Charles-de-Gaulle a été décalée, dans la LPM, d’octobre 2016 à février 2017. Peut-on garantir que le chantier commencera bien à la date prévue ?

DCNS va déménager du Mourillon, où elle est logée par la DGA, pour s’installer à la Technopôle de la mer d’Ollioules. Quelles sont les possibilités pour faire évoluer le site après son départ ? Y a-t-il des projets en cours ?

Enfin, le PA2 est totalement abandonné : toutes les études que nous avons réalisées jusqu’à aujourd’hui passent-elles par pertes et profits ?

 

M. Laurent Collet-Billon. S’agissant d’ASLH, nous apportons aussi toute l’industrie d’Airbus en matière de M51.

La question sur STMicroelectronics est encore en débat au sein de l’État.

Manurhin produit en effet des machines à fabriquer des munitions, mais nous souhaiterions que la question de son actionnariat et celle de sa trésorerie soient clairement traitées. Reste qu’aucun ministre de la Défense n’a souhaité revenir sur la situation prévalant aujourd’hui en France.

Monsieur Vitel, la rénovation des quais de Toulon relève du service des infrastructures de la défense (SID). Néanmoins, la DGA suit cette affaire de très près, la partie infrastructure ayant été intégrée dans le périmètre du programme d’ensemble Barracuda. Sur FREMM, notre implication est un peu moindre l’adaptation des quais à la FREMM étant pilotée par la marine.

L’IPER du Charles-de-Gaulle a été décalée essentiellement pour des raisons opérationnelles et il n’est pas question de la repousser davantage, en raison de contraintes réglementaires en matière nucléaire. Le travail de la DGA avec le service de soutien de la flotte de la marine se passe très bien.

S’agissant du Mourillon, la question se reposera probablement le jour où celle d’un port de plaisance pouvant accueillir des bateaux d’un fort tonnage sera soulevée. Elle suppose aussi la mise en place d’un financement adéquat. Je n’ai pas de nouvelles de la municipalité de Toulon, sachant que c’est un sujet irritant pour les personnels du Mourillon, qui habitent tous à proximité. Il faudrait peut-être que les autorités locales traitent de façon définitive la question du tunnel et de la traversée de Toulon.

 

M. Philippe Vitel. Ce dossier avance bien et le déménagement de DCNS a réveillé les consciences.

 

M. Laurent Collet-Billon. Concernant l’A400M, se pose la question de la capacité de livraison d’Airbus et celle du standard des avions, qui a été posée avec rudesse par le ministre de la Défense à la direction d’Airbus dans le courant de l’été. Deux avions devraient être livrés en 2015 et trois en 2016. Le ministre tient à disposer fin 2016 de six avions au standard 1.5 – donc ayant des capacités opérationnelles bien supérieures aux seules capacités de transport logistique. Nous demandons à Airbus de faire des efforts dans ses rythmes de développement, notamment sur les questions de parachutage, les derniers essais n’ayant pas été totalement satisfaisants, de logiciels de soute, pour extraire les charges de fort tonnage, et de mise au point du dispositif d’autoprotection. Le ravitaillement des hélicoptères sera traité dans un second temps.

C’est d’ailleurs cet état de fait qui a amené à la réflexion d’acquérir cette capacité de ravitaillement sur C130. S’agissant des C130, il était prévu un remplacement de la flotte après 2025, compte tenu de son âge. La question est désormais de savoir s’il ne faut pas anticiper une partie du renouvellement de cette flotte en introduisant sur les appareils que nous pourrions acquérir plus tôt des capacités de ravitaillement en vol des hélicoptères – ce qui éviterait de poser ceux-ci au sol, notamment dans les opérations sahélo-sahariennes, et d’améliorer la disponibilité des moteurs. Nous avons envoyé une demande de proposition il y a quelques jours à l’US Air Force, qui a pris conscience de l’urgence que nous attachions au traitement de ce point. La DGA recommandera fortement que ces C130 soient capables de voler en Europe et soient donc aux standards européens. Dans l’actualisation de la LPM, cette affaire est provisionnée pour 330 millions d’euros. Or le prix de quatre C130J, dont deux ravitailleurs en vol est d’autant plus supérieur à ces prévisions que la logistique n’est pas analogue à celle des C130H, en service à l’heure actuelle dans l’armée de l’air.

Nous avons par ailleurs lancé un avis d’appel à candidature européen pour acquérir des avions d’occasion, des C130H, avec un potentiel technique important, suivant deux lots : deux avions aptes au transport uniquement et deux avions ayant également la capacité de ravitaillement des hélicoptères. Nous y avons associé une demande d’information sur la capacité des fournisseurs à les transformer en ravitailleurs.

Je n’exclus pas qu’on aboutisse à un panachage des deux solutions. Le ministre tranchera avant la fin de l’année. Si le montant prévu est supérieur à 330 millions, nous lui demanderons de nous indiquer les commandes qu’il conviendrait de décaler. Je rappelle que l’actualisation de la LPM est financée pour une partie par les crédits inscrits tardivement dans la loi et pour une autre par des économies qui doivent être trouvées dans les exécutions budgétaires des programmes 178, 212 et 146.

Pour le reste, nous sommes satisfaits des prestations fournies par le nouveau responsable du programme A400M.

 

M. Gwendal Rouillard. Pouvez-vous nous faire un point sur les évolutions du standard du Rafale, notamment sur les liaisons de données ?

S’agissant du programme FTI, quel est votre point de vue sur notre capacité à concilier la version française et la version export ?

Concernant l’ATL2, croyez-vous à une filière de bouées acoustiques, pour lesquelles nous avons d’ores et déjà les compétences ?

 

M. Jean-Yves Le Déaut. Au sujet des études amont, j’ai une inquiétude, que j’avais déjà indiquée dans mes rapports successifs sur la recherche amont : compte tenu de l’accroissement des dépenses sur les études des systèmes de dissuasion, si on augmente également la part consacrée à la cyberdéfense, sur quoi rognera-t-on ?

Nous sommes tous d’accord sur l’augmentation de l’effort en faveur de la cyberdéfense, mais est-ce compatible avec un contrat ordinaire de système informatique exploitant des produits de la société Microsoft, qui peut présenter des failles, connues de nos amis américains ?

Vous avez dit vouloir favoriser l’accès des PME à la commande publique. Or j’ai une entreprise en Meurthe-et-Moselle, Manoir Industries, au sujet de laquelle je vous ai écrit, qui a frôlé la mort parce que les commandes de la DGA sont passées de six millions d’euros à un million en 2014. DCNS a dit bénéficier grâce à elle d’un savoir-faire exceptionnel et nécessaire : mais peut-on avoir finalement des résultats pratiques ?

 

M. Nicolas Bays. Si la livraison des BPC à la Russie avait été exécutée, les marchés polonais et des pays baltes se seraient-ils ouverts aux entreprises d’armement françaises ?

L’absence de production de cartoucherie française peut peser dans certaines commandes. La police et la gendarmerie commandent chaque année 32 millions de cartouches de 9 millimètres par le groupement d’achat de l’OTAN : or, celui-ci a accusé beaucoup de retard cette année avec la crise ukrainienne, ce qui les a conduites à entamer leurs stocks stratégiques. Est-il donc envisageable de rétablir une filière cartoucherie nationale ?

S’agissant du Rafale, qui a près de 40 ans depuis sa conception, ne serait-il pas temps d’envisager d’ouvrir des études pour son remplacement futur ?

 

M. Jean-Michel Villaumé. Quel premier bilan pouvez-vous faire du plan défense-PME ? Qu’en est-il plus précisément du dispositif RAPID ?

 

M. Jacques Lamblin. Le contrat de renouvellement des sous-marins de la flotte australienne offre de larges perspectives. L’Allemagne, le Japon et la France pourraient être des fournisseurs : qu’en est-il précisément ?

 

M. Philippe Meunier. Nous sommes nombreux à être inquiets sur la filière de l’avenir de l’armement terrestre, notamment des munitions de petit et gros calibres, pour lesquelles nous avons des capacités industrielles ; en outre, l’Allemagne occupe une place de plus en plus importante. Comment voyez-vous l’avenir de notre filière nationale de l’armement terrestre à l’horizon 2020-2025 ?

 

M. Laurent Collet-Billon. S’agissant du standard des Rafale, nous procédons à des adaptations ponctuelles du standard F3R, comme le fait de le doter de capacités de communication par satellite. Nous allons commencer à réfléchir à ce que pourra être un standard F4, qui correspondra vraisemblablement à la cinquième tranche Rafale, acquise au-delà de 2020.

 

M. Gwendal Rouillard. Quelles seront les complémentarités entre le standard 4 et les drones de combat ?

 

M. Laurent Collet-Billon. Nous avons quasiment terminé les essais du démonstrateur de drone de combat – UCAV – Neuron. Il a effectué ses essais en Italie et c’est aussi le cas ou en passe de l’être en Suède. Nous sommes donc en phase de conclusion. Les résultats sont excellents parfois même au-delà de nos espérances, comme sur la furtivité, et démontrent une grande maîtrise technologique. Nous estimons avoir en mains la base technologique nécessaire pour réfléchir utilement aux UCAV, ce que nous avons commencé à faire avec les Britanniques. Ceux-ci doivent, dans le cadre de la revue stratégique, dire ce qu’ils veulent réaliser en la matière, sachant qu’ils se sont pour l’instant engagés seulement pour une phase de deux ans, qui s’achèvera en 2016. Nous pouvons aussi être sollicités par des pays tiers sur la faisabilité d’un drone de combat. Cela nous pousse à nous interroger dès maintenant sur la réalité du marché pour cet appareil, ainsi que sur son accessibilité technologique et financière. Nous constatons par ailleurs qu’il y a une myriade de développements aux États-Unis et en Chine dans ce domaine. La question est de savoir quand il faut être sur le marché, pour éviter d’en être exclu, en tenant compte des perspectives d’export, des besoins de nos armées et de nos capacités financières – sachant que 2035 me paraît beaucoup trop tard. Le drone de combat arrivera à coup sûr beaucoup plus vite que le chasseur du futur, et il faut d’abord traiter la question de l’UCAV et de l’amélioration du Rafale avant de se poser la question du successeur du Rafale, qui arrivera vers 2045. Reste ensuite à savoir ce qu’on tire en termes opérationnels d’un mixte Rafale/drone de combat – question passionnante que la DGA doit traiter en lien étroit avec l’armée de l’air et l’aéronautique navale.

Concernant la FTI, nous avons suggéré au ministre de prendre une décision positive, considérant qu’avec un tonnage limité à environ 4 000 tonnes, elle serait beaucoup plus exportable que la FREMM. L’armement sera adapté, sachant que les pays clients veulent une défense aérienne sérieuse.

S’agissant de la rénovation de l’ATL2, nous sommes préoccupés : ce programme, qui est de l’ordre de 700 millions d’euros, se déroule avec difficulté à Cuers. La charge de travail est très importante, à la fois sur l’électronique et la cellule de l’aéronef, qui est complexe : le système de combat doit être revu de fond en comble et nous sommes peut-être allés un peu loin dans ce qui a été demandé à l’établissement. La cible de rénovation de 15 avions et des consoles de visualisation sur l’ensemble de la flotte demeure. Nous examinons avec Dassault comment faire les ajustements nécessaires dans la répartition des charges de travail pour que les choses se passent mieux. Se posera la question de savoir ce qu’on fera à l’avenir en matière de patrouille maritime – composante que les Britanniques ont décidé de supprimer, ce dont ils se mordent les doigts.

Sur la filière des bouées acoustiques, je vous apporterai une réponse précise.

Monsieur Le Déaut, il y a de fait un effet d’éviction au sein des études amont. Notre objectif est de passer à une phase de programme, financée par le programme 146, pour épargner rapidement le programme 144. Nous devons respecter la LPM : à partir de 2017, la part du nucléaire dans les études amont doit commencer à baisser.

S’agissant de la cyberdéfense, nous sommes en effet très abonnés à Microsoft. Mais nous cherchons à mieux connaître l’ensemble des matériels et ceux que nous utilisons pour l’ensemble des réseaux de niveau confidentiel défense du ministère de la Défense présentent toutes les garanties, même s’ils ne sont pas d’une utilisation toujours très facile. Nous poursuivons l’effort dans ce domaine, notamment en effectifs. Mais va se poser un problème de capacité à embaucher, en raison de la forte concurrence existante avec les entreprises privées pour l’emploi de spécialistes.

 

M. Jean-Yves Le Déaut. C’est un peu la faute de notre système. Je disais déjà il y a trois ans que les liens entre l’université, la DGA et les industriels étaient insuffisants. Nous n’avons pas formé assez de personnes et suffisamment associé la cyberdéfense civile et la cyberdéfense militaire. Il y a un programme franco-allemand dans ce sens, qu’il faut soutenir, faute de quoi le personnel spécialisé sera de plus en plus cher car de plus en plus rare.

 

M. Laurent Collet-Billon. Il faut en effet étendre la base de recrutement. Cela étant, le nôtre est très large. Reste qu’il faut développer notre marketing vers l’université, ce qui n’est pas propre à la DGA. Il faut revoir tout un écosystème d’éducation dans ce domaine. Aujourd’hui, nous sommes encore au prix du marché dans la fonction publique pour les jeunes sortant de l’université, en revanche nous devons maintenir un niveau de rémunération comparable au secteur privé pour fidéliser notre personnel.

S’agissant de Manoir Industries, il est clair qu’il y a un problème de réactivité globale du dispositif et que les commandes ont diminué. Le problème avait notamment été signalé à Safran, sans résultat probant. Nous ne disposons pas des outils d’intervention adaptés. Un fond spécifique pourrait ainsi investir dans les PME et les aider à franchir certaines étapes.

Monsieur Bays, je pense aussi que si nous avions livré les BPC à la Russie, le marché polonais se serait fermé.

Même si nous créions une filière munitionnaire en France, l’appel d’offres serait européen et la question de la viabilité de telles entreprises au travers des commandes nationales se poserait. Nous avons peut-être d’ailleurs été tous collectivement un peu excessifs dans la transposition de la directive européenne sur les marchés de défense – les Britanniques ont été nettement plus prudents.

S’agissant de RAPID, il fait l’objet cette année d’une enveloppe de 50 millions d’euros, en augmentation permanente. Nous sommes en train d’en faire le bilan avant d’envisager une nouvelle augmentation des crédits. Je vous invite d’ailleurs à participer au forum sur l’innovation à l’École polytechnique de novembre prochain.

Le marché des sous-marins australiens – six de classe Barracuda sans propulsion nucléaire – est un sujet essentiel, sachant que les Australiens demandent beaucoup de transferts de technologie et la capacité à faire évoluer eux-mêmes le bateau et son système de combat, donc à disposer des droits de propriété intellectuelle. Nous savons que le système de combat sera essentiellement d’origine américaine, que les Japonais refusent les transferts de technologie et que les Allemands n’ont pas de bateaux de la classe océanique de 4 500 tonnes dont les Australiens ont besoin. À nous de ne pas rater le coche, d’autant que nous avons les éléments techniques et la base industrielle pour le faire !

Monsieur Meunier, s’agissant du char franco-allemand, notre industrie à des compétences à faire valoir face à l’industrie allemande, notamment sur la tourelle. En fait, on pourrait avoir un châssis allemand avec une tourelle et un système d’armes français – qui pourraient s’accompagner de munitions de gros calibre français. De ce point de vue, le Leclerc a fait ses preuves au combat au Yémen et les Émirats arabes unis s’en servent beaucoup.

S’est aussi posée la question de l’avenir de Krauss-Maffei, qui est détenue entièrement par une famille bavaroise, laquelle souhaite légitimement avoir une société profitable. Or le fait d’avoir des partenariats avec des pays étrangers conforte cet objectif. Nous serons très attentifs à l’évolution de la société, de l’emploi en France, et au choix des dirigeants futurs. Nous préférons que la gestion du rapprochement entre Krauss-Maffei et Nexter soit bien avancée avant de passer à autre chose – sachant qu’il y aura toujours une société indépendante qui est RTD.

 

M. Yves Fromion. Il y a aussi TDA.

Et, sur le gros calibre, il n’y a plus que le site de La Chapelle Saint-Ursin…

 

M. Laurent Collet-Billon. Oui, dans votre circonscription. Nous y ferons donc doublement attention !

 

M. Yves Fromion. J’en prends bonne note !

 

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures trente.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, Mme Carole Delga, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Fromion, M. Claude de Ganay, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Alain Rousset, M. François de Rugy

 

Télécharger Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2016

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 18:55
Audition du général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, sur le projet de loi de finances pour 2016

 

7 octobre 2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 4

 

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir le général André Lanata, qui intervient pour la première fois devant notre commission en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air. Outre la situation de cette dernière, que nous avons déjà pour partie abordée ce matin lors de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, nous évoquerons la fin de gestion de l’année 2015, comme il se doit à cette période de l’année. Je précise qu’après votre exposé, général, je donnerai la parole à Marie Récalde et Alain Marty, afin qu’ils nous rendent compte de leur récent déplacement en Jordanie.

 

Général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. En préambule, et puisqu’il s’agit de ma première audition en tant que chef d’état-major de l’armée de l’air devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, je tiens à dire combien je suis fier de pouvoir évoquer devant vous l’extraordinaire niveau d’engagement des aviateurs au service de la protection des Français. Je veux également remercier la représentation nationale pour le soutien sans faille qu’elle apporte à nos militaires. J’attache une importance particulière à ce rendez-vous et à nos échanges.

Après deux semaines passées à la tête de l’armée de l’air, je dresserai deux constats : tout d’abord, les aviateurs sont au rendez-vous, quels que soient les sollicitations et le contexte sécuritaire ou opérationnel ; ensuite, rien ne permet de penser que la pression des opérations, qui s’est encore accrue, notamment ces deux dernières semaines en Syrie, diminuera en 2016.

Partant de ces constats, je commencerai par témoigner de l’engagement opérationnel de l’armée de l’air, en opérations extérieures comme sur le territoire national, avant de montrer que le seul moyen d’honorer ces missions au niveau actuel et dans la durée est de poursuivre la modernisation engagée par mon prédécesseur, le général Mercier. Nous continuerons donc à transformer l’armée de l’air en un système de combat complet, cohérent, dynamique et réactif, à la disposition de la Nation, du président de la République et du chef d’état-major des armées. Enfin, je vous indiquerai quelles sont mes priorités dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

Quelle est ma vision de l’armée de l’air au moment où j’en prends le commandement ?

Premièrement, je veux souligner sa réactivité, qui est une qualité essentielle pour figurer dans l’élite mondiale. En vingt-quatre heures, une crise peut changer de visage. Ainsi, moins de vingt-quatre heures se sont écoulées entre la décision du Président de la République de réaliser des missions de reconnaissance en Syrie et le survol effectif de ce pays par nos Rafale, le 7 septembre dernier. Nous nous tenions prêts à y effectuer des frappes pour continuer à réduire le potentiel militaire de Daech et, dans la nuit du 26 septembre, cinq Rafale ont frappé un camp d’entraînement de terroristes dans le nord de la Syrie. En janvier 2013, Bamako serait tombée si la chasse française n’était pas intervenue en l’espace d’une nuit. Les actions aériennes combinées à une manœuvre interarmées ont alors porté un coup d’arrêt puis réduit considérablement les capacités des groupes armés djihadistes et leur ont interdit les sanctuaires dans le nord du Mali. L’armée de l’air est donc capable, et elle le montre, d’intervenir de façon rapide, où que ce soit dans le monde, en moins de vingt-quatre heures. Il s’agit d’une qualité essentielle : l’armée de l’air est l’armée du temps court.

Le deuxième trait essentiel de l’armée de l’air est son caractère global et cohérent. Aux ordres du chef d’état-major des armées et dans le cadre d’une manœuvre globale interarmées, l’ensemble du spectre des missions aériennes est mobilisé. Reconnaissance et surveillance de vastes étendues, frappes de précision de nos chasseurs Rafale ou Mirage 2000, ravitaillements en vol, transports stratégiques avec l’A400M et largages tactiques avec nos vénérables Transall et C-130, forces spéciales avec les commandos parachutistes de l’air : tout cela est commandé, organisé et contrôlé par un système de commandement performant. Il s’agit là, non pas d’un inventaire, mais des capacités réellement utilisées tous les jours sur les théâtres d’opérations. Parce que nous ne savons pas aujourd’hui de quoi demain sera fait, nous aurons toujours besoin d’un outil complet pour mettre en œuvre un large éventail de capacités cohérentes entre elles. C’est une question d’efficacité opérationnelle et de souveraineté nationale.

Troisièmement, il convient de souligner l’importance de la permanence des actions aériennes. Pour couvrir des étendues de plus en plus vastes avec des moyens en constante réduction, pour traquer un ennemi fugace et le frapper au moment opportun, pour imposer à la bataille un rythme toujours plus proche du temps réel, il est nécessaire de disposer de toujours plus de permanence. Il s’agit, me semble-t-il, d’une tendance lourde de notre développement, qui se traduit en particulier par le recours aux moyens de surveillance de longue endurance ou l’importance du ravitaillement en vol.

Quatrièmement, cette permanence s’accompagne de la nécessité de renforcer la connexion des forces dans un cadre interarmées et interallié. Les forces aériennes ont en effet besoin de combiner leurs actions entre elles et avec celles des autres armées dans des délais très brefs. Moyens de surveillance, forces spéciales, avions de combat, forces terrestres, avions de transport, hélicoptères de combat ou de manœuvre : cette mise en réseau élargie facilite le quadrillage de vastes étendues et accroît la réactivité des forces. C’est pourquoi j’estime indispensable de penser le développement de nos capacités d’abord en système de combat global interconnecté et donc, si possible, nativement connectable.

Cinquièmement, existe aujourd’hui le risque de croire que la maîtrise de l’air est définitivement acquise. Nous, aviateurs, avons le devoir de répéter inlassablement qu’il y aura toujours une condition préalable essentielle au bon déroulement de toutes les opérations : la maîtrise de l’air et de l’espace. La présence d’avions russes dans le ciel syrien aujourd’hui en apporte la démonstration. Cette maîtrise garantit non seulement la protection du territoire national, mais aussi la capacité d’entrer sur un théâtre d’opérations. Elle est donc un gage de liberté pour l’action politique et de souveraineté. Il faut le rappeler et préparer les capacités qui nous permettront demain de toujours pouvoir tirer parti de l’exploitation, à des fins militaires, de l’air et de l’espace, comme nous le faisons actuellement.

Notre aptitude à réaliser ces opérations, à garantir l’efficacité et la cohérence et à durer repose sur quatre piliers.

Le premier est la capacité de commander et de conduire des opérations aériennes, qui est une des clés de l’efficacité des opérations aériennes, dans le Sahel, au Levant ou sur le territoire national. La situation tactique est suivie en temps réel, les ordres sont adaptés, transmis et exécutés au même rythme. Il s’agit d’une aptitude centrale, héritée de nos missions permanentes : la défense aérienne et la dissuasion, qui constituent le cœur de nos obligations et répondent à des ordres directs de l’exécutif. En cinquante ans, ces deux missions ont structuré notre système de commandement. Les moyens de commandement et de contrôle associés à des moyens de communication longue distance constituent l’intelligence et le système nerveux de ces opérations.

Deuxième pilier : nos bases aériennes. L’armée de l’air opère à partir de ses bases, que ce soit dans le cadre de ses missions permanentes, d’alertes ou pour intervenir dans des délais très brefs où que ce soit dans le monde. Les premières missions au-dessus de la Libye, du Mali, de l’Irak ou de la Syrie ont toutes décollé de nos bases aériennes métropolitaines ou pré-positionnées. Ainsi, la base aérienne, système complet, réactif et cohérent, participe à part entière du système de combat global de l’armée de l’air. En outre, elle matérialise la présence de l’armée de l’air sur le territoire national et sert de point d’appui à des actions interministérielles ou de service public. Compte tenu de leur importance et de menaces croissantes à l’intérieur de nos frontières, le renforcement de la protection des bases aériennes est l’une de mes priorités – j’y reviendrai en détail ultérieurement, si vous le souhaitez.

Troisième pilier : la préparation opérationnelle, qui se situe au cœur de mes responsabilités, donc de celles de l’armée de l’air. Elle regroupe l’ensemble des actions qui vont permettre aux capacités de l’armée de l’air d’être prêtes le jour où le président de la République décidera de les engager – je pense notamment à l’entraînement de nos équipages ou à l’entretien de nos systèmes d’armes. Elle est essentielle car elle est le gage de notre efficacité, donc de notre crédibilité opérationnelle à l’égard tant de nos autorités politiques, qui doivent avoir confiance dans les possibilités d’emploi de l’arme aérienne, que de nos adversaires, sur lesquels elle procure un ascendant, de nos alliés, qui savent pouvoir se reposer sur un partenaire robuste, et de nos propres forces, qui ont confiance dans les chances de réussite de leurs missions car elles se savent bien entraînées. La préparation opérationnelle fonde notre réactivité ; elle est donc la clé.

La raison d’être et l’enjeu de cette préparation sont les hommes et les femmes de l’armée de l’air, qui forment le dernier pilier, et non le moindre ; il est au centre de mon attention. Actuellement, 5 800 aviateurs sont mobilisés en opération, de jour comme de nuit, dont plus de 4 000 sur le territoire national, forces de souveraineté comprises. Il ne s’agit pas ici uniquement de chiffres et de bilans comptables, même si ceux-ci sont éloquents. Si l’armée de l’air est reconnue comme l’une des meilleures du monde sur l’ensemble du spectre des opérations, depuis les missions humanitaires jusqu’aux opérations de combat de haute intensité, c’est bien grâce à la valeur des aviateurs qui accomplissent ces missions, à leur professionnalisme, à leur expérience opérationnelle et, avant tout, à leur esprit de service. On ne salue jamais assez ce que j’appelle l’« épaisseur opérationnelle », cette qualité humaine, cette abnégation doublée d’une exceptionnelle maturité opérationnelle qui fait la véritable valeur d’une armée.

Aujourd’hui, pour faire face à un contexte sécuritaire exceptionnel, l’armée de l’air est fortement engagée, depuis plus d’un an, à une hauteur qui dépasse les contrats opérationnels issus du Livre blanc. En l’espace d’un an, elle a ouvert deux théâtres supplémentaires, notamment en Syrie ces derniers jours. Nos avions opèrent aujourd’hui simultanément à partir de quatorze territoires. Nos chasseurs ont largué cent tonnes de bombes depuis le début de l’année. Nous sommes engagés sur tout le spectre des missions pour traquer un ennemi qui dispose de ramifications sur notre propre territoire, et ces perspectives me semblent durables.

Face à cette situation, l’armée de l’air est au rendez-vous. Elle l’a encore prouvé il y a un peu plus d’une semaine, lorsque le président de la République a ordonné des frappes sur la Syrie. Nos opérations constituent un exercice de vérité pour nos armées, en particulier pour l’armée de l’air. Vérité sur nos capacités réelles, sur l’efficacité de nos systèmes d’armes, sur le niveau de préparation opérationnelle et sur la valeur de nos soldats. Peu d’armées sont aujourd’hui mises à nu d’une façon aussi exigeante que la nôtre, qui opère au Sahel, en Centrafrique et au Levant, souvent dans des conditions très difficiles qui requièrent prouesses techniques, prouesses opérationnelles et courage. Bien plus, l’armée de l’air assure simultanément en permanence, sur le théâtre national, les missions de protection de l’espace aérien, de sauvegarde et de dissuasion.

Pour faire face à une telle tension opérationnelle, l’armée de l’air doit tout d’abord poursuivre sa transformation. Alors que l’armée de l’air vient de changer de tête, vous vous interrogez probablement sur l’avenir de l’ambitieux plan de transformation lancé par mon prédécesseur. Cette question bien légitime, les aviateurs se la posent également. Je les ai rassurés sur ce point lorsque je les ai réunis sur la base de Villacoublay le premier jour de mon commandement, le 21 septembre. Qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je m’inscris pleinement dans la continuité du plan stratégique « Unis pour faire face » lancé par le général Mercier. Je tiens du reste à dire ici publiquement toute mon admiration pour cet officier général hors pair et pour son action volontariste à la tête de l’armée de l’air. Son rôle a été déterminant à un moment où se sont ajoutées à un niveau d’engagement opérationnel hors-norme de fortes contraintes structurelles.

Nous ne nous transformons pas parce que c’est à la mode, mais parce que nous sommes convaincus que le seul moyen d’assurer dans la durée un tel niveau d’engagement est de continuer inlassablement à nous adapter. Le monde évolue en permanence, les technologies également, nos ennemis s’adaptent, la contrainte budgétaire demeure. Dès lors, l’immobilisme n’est pas de mise. Si nous voulons avoir, demain, une armée de l’air aussi performante qu’aujourd’hui, une armée de l’air opérationnelle, modernisée, ouverte aux partenariats, portée par ses aviateurs, nous devons continuer à nous transformer.

Depuis deux ans, les projets-phares du plan « Unis pour faire face » articulent, dans une dynamique d’ensemble et de façon cohérente, la modernisation des capacités de combat, la simplification de nos structures, l’ouverture et le développement de partenariats ainsi que la valorisation du personnel. Mais cette transformation n’est pas un empilement désordonné de dossiers techniques ; c’est une manœuvre globale, caractérisée par un état d’esprit. Elle passe surtout par les hommes : les aviateurs sont au centre du projet. Ce plan donne un sens à nos évolutions. Les hommes en sont à la fois le moteur et la raison d’être. Je continuerai donc à promouvoir la dynamique d’une armée de l’air qui avance avec les aviateurs aux commandes.

J’illustrerai cette dynamique par trois réalisations concrètes intervenues cet été.

Outre le regroupement du commandement des forces aériennes à Bordeaux cet été, un autre projet emblématique a pris corps le 1er septembre dernier avec la création du centre d’expertise aérienne à Mont-de-Marsan. Cet « Air warfare center » est construit sur un modèle nouveau qui a pour vocation principale de rapprocher sur un même plateau les expérimentations, c’est-à-dire le volet équipements, la réflexion conceptuelle, c’est-à-dire le volet doctrine, et les savoir-faire opérationnels, c’est-à-dire le volet tactique. Ce triptyque sera alimenté en permanence par les retours d’expérience à chaud des unités opérationnelles du commandement des forces aériennes et du commandement des forces aériennes stratégiques. Résolument tourné vers l’innovation, le centre apportera son expertise des programmes aux autorités en charge des opérations aériennes, en coordination étroite avec tous les commandements, y compris pour l’orientation de l’entraînement des forces. Ouverts à des partenariats industriels, nous comptons beaucoup sur les synergies dégagées par un tel travail en plateau.

Le deuxième exemple concerne la formation et de l’entraînement. Grâce à la création, cet été, sur la base d’Orange du CEPOCAA, le Centre de préparation opérationnelle du combattant de l’armée de l’air, nous rationalisons nos emprises et nos structures tout en renforçant la capacité socle de formation et d’entraînement. Ce centre, qui formera à terme 4 000 stagiaires par an, a été créé à partir des effectifs transférés depuis les bases aériennes de Dijon et de Saintes. Cette centralisation des structures de formation du combattant à Orange comporte d’importants effets d’échelle : valorisation des infrastructures, uniformisation des méthodes, renforcement de l’identité de l’aviateur par la transmission de valeurs communes et densification de la base aérienne 115 d’Orange. La préparation opérationnelle du combattant a désormais son pôle d’excellence.

Troisième exemple : le projet « Smart base », qui a été inauguré, cet été également, sur la base d’Évreux. Ce projet innovant consiste à développer, dans le cadre de partenariats, les applications tirées des nouvelles technologies du numérique. Il s’agit, comme pour les smart cities, d’améliorer concrètement la vie du personnel sur les bases aériennes. La vie d’une base aérienne est en effet comparable à celle d’une petite ville qui interagit avec son environnement. L’approche étant résolument expérimentale, il faut accepter un certain foisonnement au départ ; nous accompagnerons, le moment venu, les applications les plus prometteuses. Ce type d’approches est particulièrement adapté à la difficulté que nous avons à appréhender a priori toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Parmi les projets qui se concrétisent chaque jour, nous développons des applications destinées à partager entre aviateurs les informations relatives à différents domaines : protection et sécurité de la base aérienne, administration du personnel ou infrastructure.

Mais la Smart base se caractérise également par son ouverture et sa collaboration avec son environnement. Une première start-up numérique va ainsi s’installer, le 16 octobre, sur la base aérienne d’Évreux, au sein de la pépinière favorisant la synergie entre les entreprises locales et l’escadre de commandement et de conduite projetable, composée de spécialistes des systèmes d’information et de commandement projetables de l’armée de l’air.

Comme le montrent ces trois exemples, le plan stratégique « Unis pour faire face » va continuer à vivre. Si l’armée de l’air est au rendez-vous des opérations, elle démontre également sa capacité à se transformer en conduisant une modernisation d’ampleur. De la réussite de ces projets et de la mise en œuvre du nouveau plan de stationnement dépend la capacité de l’armée de l’air de réaliser les rationalisations nécessaires et les gains que nous en attendons.

Le second facteur qui nous aidera à obtenir des succès en opération, ce sont incontestablement les décisions prises au titre de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

Compte tenu du niveau d’engagement de nos forces, il est certain que nous aurions eu des difficultés à garantir la même performance dans la durée sans l’ajustement que vous avez voté en juillet dernier et qui concerne aussi bien les hommes, que les équipements, et leur régénération. L’actualisation de la LPM marque en effet une inflexion significative en ajustant la trajectoire de la programmation au durcissement du contexte sécuritaire. Ce résultat a été rendu possible par l’action volontariste du ministre de la Défense et par des décisions courageuses, compte tenu du contexte budgétaire. Je veux donc saisir l’occasion qui m’est donnée ici afin de remercier votre commission pour son appui et la diligence dont elle a fait preuve dans l’examen, mené tambour battant, de ce texte essentiel pour les capacités des armées, en particulier de l’armée de l’air.

Je souhaiterais également dire un mot de la fin de gestion 2015, qui est importante en ce qu’elle conditionne le lancement sur de bonnes bases des quatre années de la LPM actualisée. Sur le plan financier, la fin de gestion nécessite que toutes les ressources encore attendues se concrétisent. Pour l’armée de l’air, une incertitude existe, comme chaque année, sur la levée totale ou partielle de la réserve de précaution et sur le montant du remboursement des opérations. La couverture du décret d’avance OPEX permettra, par exemple, d’assurer le recomplètement au plus vite des munitions que nous consommons à un rythme élevé en opération. Il est important – et vous me pardonnerez ce tropisme probablement hérité de mes fonctions précédentes – que le ministère aborde l’année 2016 avec un report de charges raisonnable si nous voulons garantir la bonne exécution de la LPM.

Sur le plan capacitaire, je suis attentif à la notification de plusieurs contrats essentiels pour l’armée de l’air, qui doit intervenir d’ici à la fin de l’année. Rénovation des C-130 et des Mirage 2000D, lancement du programme « Avion léger de surveillance et de reconnaissance », dit « ISR léger », commande du troisième système de drones MALE et affermissement de la tranche de huit avions de ravitaillement en vol : autant d’affaires centrales pour la feuille de route capacitaire de l’armée de l’air, tant elles touchent à des domaines clés de ses capacités.

Ces précisions concernant la fin de gestion 2015 étant faites, j’en viens au projet de budget pour 2016. Celui-ci est fondamental pour notre préparation opérationnelle, pour la poursuite de la modernisation de nos capacités, pour la manœuvre des ressources humaines et pour la poursuite de notre transformation.

Le projet de loi de finances pour 2016 représente la première annuité de la LPM actualisée ; il intègre donc les ajustements apportés par cette actualisation. Pour l’armée de l’air, ceux-ci concernent principalement les crédits consacrés au maintien en condition de nos équipements, qui constitue le premier axe.

En la matière, nous poursuivons les objectifs de remontée de l’activité. L’entretien des équipements est un déterminant de l’activité, laquelle est la clé de notre préparation opérationnelle. L’investissement dans cette préparation est le prix de nos performances en opération ; les heures de vol sont irremplaçables. L’entretien des équipements est donc central. Si je devais résumer l’équation, je dirais que l’objectif consiste à équilibrer la pression des opérations – qui conduit à une surexploitation de certains parcs et au vieillissement accéléré des cellules dans des conditions sévères d’exploitation – à l’aide des mesures décidées en actualisation de la LPM et en LPM, de la poursuite des chantiers de modernisation et de différents chantiers de transformation, dont celui de la formation des pilotes de chasse. Ainsi, la remontée progressive du niveau d’activité à partir de 2016 dépend non seulement de la mise à disposition des ressources prévues par la loi de programmation militaire mais aussi de la baisse des dépenses permise par les réformes engagées dans le domaine du maintien en condition des équipements ou de la « supply chain ».

En 2015, nous observons, comme cela était prévu et malgré la pression des opérations, une stabilisation de l’activité. De fait, les effets des investissements ne sont pas immédiats et ne se font sentir que deux ans plus tard. Ainsi la stabilisation observée cette année est-elle consécutive à la progression des crédits décidée par le ministre de la Défense en 2013. Ce rebond, bien qu’inégal selon les flottes, s’observe déjà, en particulier pour l’aviation de chasse, avec une progression de 3 % attendue cette année. Pour être complet, je dois néanmoins ajouter que cette situation masque des difficultés que nous gérons sur le plan organique : le sous-entraînement des jeunes équipages qui ne sont pas encore engagés en opération et un moindre effort sur certains savoir-faire, que nous surveillons. Pour 2016, toutes choses étant égales par ailleurs, je suis confiant dans le maintien de cette dynamique : nous prévoyons une augmentation de l’activité de l’ordre de 5 % dans tous les domaines : chasse, transport, hélicoptères.

Je rappelle enfin l’importance que revêt la poursuite du projet de formation des pilotes de chasse, dit FOMEDEC. Ce projet est structurant non seulement pour la formation des pilotes mais aussi pour la cohérence du modèle de l’aviation de chasse, la rationalisation de nos emprises et la manœuvre des ressources humaines. Il importe donc que l’entrée en service de cette capacité se fasse dans les meilleurs délais. Outre une meilleure performance dans la formation de nos pilotes, elle permettrait la réalisation de nombreuses économies indispensables pour tenir les différentes trajectoires de notre transformation.

Deuxième axe : la manœuvre des ressources humaines. Je crois avoir déjà insisté sur l’importance que j’attache à nos ressources humaines. Les moindres déflations obtenues dans le cadre de l’actualisation de la LPM (1 300 postes) bénéficient principalement au soutien à l’export fourni par l’armée de l’air et aux efforts consentis en faveur du commandement et de la conduite des opérations, du renseignement et de la protection. Elles compensent enfin des contraintes structurelles comme la non-fermeture de certaines emprises. Pour le domaine fonctionnel « air », les déflations sur la durée de la loi de programmation militaire sont ramenées de 4 500 à 3 200. Si l’on tient compte de celles qui ont été réalisées en 2014 et 2015, il reste un peu plus de 500 postes nets à supprimer.

Cette logique arithmétique ne saurait toutefois rendre compte de la complexité d’une manœuvre RH plus lourde qu’il n’y paraît. Je ferai plusieurs remarques à ce sujet. Tout d’abord, il s’agit bien d’une moindre déflation, et non d’effectifs supplémentaires. Derrière les déflations, il existe un mécanisme complexe de gestion des flux, d’organisation et de gestion des filières. Ainsi l’armée de l’air a besoin de faire des efforts dans certains secteurs. Ces efforts conduisent à des créations de postes supplémentaires dans les métiers de l’aéronautique, de la protection, des structures de commandement et de conduite des opérations ou des unités de drones, qui montent en puissance. Environ 700 postes supplémentaires seront ainsi créés sur la période 2015-2019. Il est donc nécessaire d’ajouter aux déflations nettes les gages à mobiliser pour permettre ces créations. Aussi les déflations totales à réaliser s’élèvent-elles en réalité à environ 1 200 postes entre 2015 et 2019. Du point de vue des flux, le freinage des déflations conduit à doubler le taux de recrutement en 2015 et 2016. Nous ne sommes pas inquiets sur ce point, mais la vigilance reste de mise.

Tout cela montre combien les restructurations restant à effectuer sont indispensables pour atteindre nos objectifs. Nous continuons donc à densifier nos emprises, à optimiser nos transferts de personnels et à réorganiser nos métiers comme nos structures.

Il me faut, pour être complet sur ce sujet, signaler la diminution du taux d’encadrement, c’est-à-dire de la proportion des officiers dans l’ensemble de la population des aviateurs. Le modèle des ressources humaines de l’armée de l’air est, me semble-t-il, spécifique : le volume de ces officiers ne peut être évalué en fonction du seul taux d’encadrement. En effet, nos pilotes et navigateurs sont tous officiers. C’est un mécanisme différent mais comparable à celui des médecins ou des ingénieurs. Le volume de déflation et le dépyramidage ne peuvent pas être abordés sans tenir compte de cette particularité. En termes de cible, nous avons atteint, en 2015, le maximum de ce que nous pouvons réaliser compte tenu de l’augmentation de nombreux besoins, notamment dans les structures de commandement et de contrôle ou dans les structures internationales – ce raisonnement vous avait déjà été présenté par mon prédécesseur.

Enfin, la condition du personnel contribue à l’efficacité opérationnelle de nos forces. Nous demandons beaucoup à notre personnel, dans un environnement qui est incertain à de nombreux égards et suscite de l’anxiété. J’estime donc important de prendre en considération ses attentes et de lui donner le sentiment qu’il bénéficie d’un traitement équitable ; je prendrai le temps d’analyser la situation et de faire remonter les éléments qui me paraîtront les plus significatifs dans ce domaine.

En ce qui concerne la trajectoire capacitaire, le budget pour 2016 permet à l’armée de l’air de poursuivre la modernisation de ses capacités de combat dans le domaine des équipements. Compte tenu du contexte opérationnel, la tenue des feuilles de route capacitaires est indispensable dans une LPM qui ne dispose d’aucune marge.

S’agissant de l’aviation de combat, les perspectives s’organisent autour des éléments clés suivants. Premièrement, la modernisation du Mirage 2000D. En 2020, la plupart des flottes anciennes seront retirées du service ou sur le point de l’être, et l’armée de l’air possédera une centaine de Rafale. La rénovation programmée du Mirage 2000D joue donc un rôle essentiel dans la préservation non seulement de la cohérence opérationnelle mais aussi de l’équilibre du format de l’aviation de chasse.

Deuxièmement, l’export du Rafale est indispensable à l’exécution de la LPM. Nous avons en effet construit notre feuille de route capacitaire sur cette hypothèse, qui suppose une reprise impérative des livraisons en 2021 ; à défaut, il faudrait revoir à la baisse les ambitions de l’aviation de combat.

Troisièmement, la montée en puissance du deuxième escadron nucléaire sur Rafale est un point d’attention majeure. Cet escadron doit être opérationnel à l’été 2018. Sa montée en puissance a débuté cet été à Saint-Dizier, où les ressources humaines et les compétences commencent à être transférées. Vous comprenez bien que, pour une mission de cette importance, ces mouvements sont en partie irréversibles. Dans ce cadre, nous attendons dès 2016 le début de la restitution des six Rafale biplace prélevés sur nos livraisons dans le cadre de l’export Égypte. Puisque j’évoque la dissuasion, il me paraît utile de vous signaler également le lancement en 2016 des importants travaux d’infrastructure nécessaires à l’accueil des avions ravitailleurs MRTT « Phénix » sur la base aérienne d’Istres.

Dans le domaine du commandement et de la conduite des opérations aériennes, l’année 2016 sera marquée par la mise en service, à Lyon, du système de commandement et de conduite des opérations aériennes de l’OTAN, ACCS (Air command and control system), qui permet la rationalisation du dispositif autour de trois centres de détection et de contrôle au standard OTAN, tout en garantissant la robustesse du système pour les missions de souveraineté nationale. Cette intégration se fait en effet au sein du programme « Système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales » (SCCOA).

S’agissant du renseignement, outre le programme d’ISR léger que j’ai évoqué, les priorités pour 2016 concernent principalement le système Reaper. Il s’agit en effet d’une des capacités clés dans la bande sahélo-saharienne, de sorte que la demande en heures de vol augmente : celles-ci ont doublé en l’espace d’un an. Je serai attentif à la livraison, courant 2016, du deuxième système, à la commande du troisième avant la fin de l’année 2015 et à la commande du quatrième en 2016, afin que nous soyons en mesure d’atteindre le format décrit dans la loi de programmation militaire. Je veillerai également à ce que soit étudiée l’acquisition d’une capacité de pilotage des missions depuis la France, avec une station sol sur la base aérienne de Cognac, qui permettrait de soulager temporairement la pression que subit un nombre d’équipages limité à ce stade.

Quant à l’aviation de transport, il s’agit d’une capacité sensible, car extrêmement sollicitée en opération, et qui mérite en conséquence une attention particulière. L’enjeu se situe dans la poursuite de la modernisation de la flotte, avec les livraisons de l’A400M. Nous en attendons trois en 2016, qui s’ajouteront aux huit, dont nous devrions disposer fin 2015. Je suis également très attentif au dialogue engagé actuellement avec l’industrie sur la question des standards tactiques de cet appareil. Par ailleurs, la flotte de C-130, constitue un complément indispensable à l’A400M, en particulier pour les missions effectuées au profit des forces spéciales. Outre le lancement de leur rénovation en 2015, l’acquisition de quatre C-130 supplémentaires, qui vise à soutenir nos efforts en opération, est à l’étude.

Au vu de ce bilan, vous mesurez combien la fin de l’année 2015 et l’année 2016 sont déterminantes pour les capacités de l’armée de l’air.

En conclusion, qu’est-ce que l’armée de l’air aujourd’hui ?

C’est bien entendu, cette patrouille de Rafale qui délivre de l’armement de précision sur les positions de Daech en Syrie. C’est ce pilote qui a décidé récemment de ne pas ouvrir le feu en Irak parce qu’il jugeait que les conditions n’étaient pas réunies. Il n’est pas évident de prendre une telle décision aux commandes d’un avion de combat au-dessus d’une zone hostile – et je sais de quoi je parle. Ce choix démontre la maturité opérationnelle de nos forces, qui suppose une véritable intelligence des situations.

L’armée de l’air aujourd’hui, c’est aussi l’abnégation de ce caporal-chef du 25e régiment du génie de l’air qui construit une plateforme aéronautique aux confins du Niger, à Madama, dans des conditions extrêmes de température et de rusticité. C’est également le sens du service de ce sous-officier spécialiste des systèmes d’information et de communication qui, avec son équipe, a câblé tous les réseaux opérationnels de la base déployée de nos Mirage 2000D en Jordanie en moins de trois jours ; cette performance remarquable a permis l’activité opérationnelle de cette base en un temps record. C’est encore ce commando parachutiste de nos forces spéciales qui combat au corps-à-corps les groupes armés djihadistes dans le nord du Mali.

Enfin, je ne saurais oublier les victimes du terrible accident d’Albacete, qui a marqué l’armée de l’air et la communauté de défense tout entière.

Je viens de prendre la tête d’une armée de l’air opérationnelle car ses aviateurs sont engagés, entraînés, enthousiastes. Ils le sont parce que les missions, la trajectoire de la transformation et la feuille de route de la LPM actualisée sont claires. Les défis restent nombreux, qu’il s’agisse du niveau d’engagement, de la durée, des tensions sur le personnel, du maintien en condition de nos équipements ou de la poursuite de notre transformation. Vous pouvez compter sur ma franchise pour vous alerter sur les besoins de l’armée de l’air et sur le moral de ses aviateurs, qui conditionnent la poursuite de ses opérations et de sa transformation. Nous sommes au rendez-vous des opérations et de notre modernisation. J’ai confiance en mes hommes, en leur engagement, en leurs compétences et en leur équipement. J’ai confiance dans les capacités de l’armée de l’air et, surtout, dans la foi en la mission, qui constitue par-dessus tout le moteur de l’armée de l’air.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général. Nous partageons la confiance que vous avez en vos hommes.

 

Mme Marie Récalde. Alain Marty et moi-même nous sommes rendus, du 18 au 21 septembre, sur notre Base aérienne projetée (BAP) de Jordanie dans le cadre d’une mission sur les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le maintien en condition opérationnelle (MCO). Ce déplacement coïncidait, d’une part, avec le premier anniversaire du lancement de l’opération Chammal et, d’autre part, avec la décision du président de la République d’étendre à la Syrie les vols de reconnaissance. Les premières frappes en territoire syrien ont, du reste, été menées une semaine après notre départ, à partir de la base d’Al-Dhafra.

Proche des frontières irakienne et syrienne, la BAP de Jordanie est idéalement située. Cette situation privilégiée permet d’économiser à la fois le potentiel opérationnel d’appareils extrêmement sollicités – nous y reviendrons – et le carburant nécessaire aux vols. L’activité de la BAP est permanente et soutenue, et la mission particulièrement exigeante : deux patrouilles de deux avions sont effectuées six jours sur sept, le no fly day étant consacré au MCO. Les équipages réalisent ainsi vingt-quatre sorties par semaine. La base doit, en outre, être en mesure d’offrir pendant une semaine une capacité surge, qui suppose la mobilisation de deux avions supplémentaires, soit l’intégralité de la flotte présente.

À ce jour, 1 100 opérations ont été réalisées par les forces françaises dans le cadre de Chammal, dont environ 500 à partir de la BAP. Parmi les 350 objectifs détruits par les forces françaises, 300 l’ont été par les appareils de la base. Je précise que 95 % des missions menées sont dites de Close air support (CAS), c’est-à-dire d’appui des forces au sol – il s’agit de frappes d’opportunité effectuées en fonction du contexte tactique ; les 5 % restants correspondent à des missions dites deliberate : il s’agit de frappes en profondeur, sur des objectifs clairement identifiés au préalable.

Outre cette « suractivité », les conditions opérationnelles, particulièrement sévères, pèsent sur les hommes et les matériels. Les conditions climatiques ainsi que la qualité de certaines infrastructures – la base a été édifiée par les Américains en 1969 – sont des défis quotidiens. Les températures sous abri ont en effet pu atteindre près de 58 degrés au mois d’août. Pénible pour les hommes, la chaleur pose également des problèmes de gestion des matériels et des équipements, qu’il s’agisse du stockage ou du fonctionnement d’appareils sensibles aux températures extrêmes tels que les systèmes d’information et de communication. Le sable, qui infiltre les matériels, peut également compliquer leur maintenance. Quant aux tempêtes de sable, aussi violentes qu’imprévisibles, elles sont susceptibles de paralyser provisoirement l’activité de la base.

 

M. Alain Marty. Je compléterai l’intervention de Marie Récalde en citant quelques chiffres, qui permettent de comprendre l’activité de la base. Le taux de disponibilité des six appareils est supérieur à 90 %. Chaque avion réalise en moyenne 72 heures de vol par semaine – contre 21 heures sur le territoire national –, soit 4 300 heures de vol en dix mois. Dans le même temps, l’escadrille La Fayette, par exemple, qui compte 23 appareils, en réalisent 5 000. Nous avons pu constater également des tensions sur les matériels, notamment les pods de désignation laser et les jumelles de vision nocturne.

Les hommes souffrent de la fatigue. Le contrat opérationnel exigeant couplé à des vols longs – cinq heures en moyenne – mobilise durablement les personnels navigants ainsi que les équipes au sol chargées de la maintenance et de la préparation des opérations. Grâce aux efforts considérables qui ont été réalisés cette année, les infrastructures de vie sont désormais de bonne qualité et permettent de vivre sur la base de façon assez satisfaisante en dépit du contexte difficile.

J’insiste sur le stress lié à la situation tactique. Compte tenu des théâtres d’engagement, il n’existe en effet aucune zone sûre en cas d’éjection des équipages. Or, les Mirage 2000 étant mono-réacteurs, la crainte d’une panne compromettant le vol est en permanence présente à l’esprit. Nous avons abordé ces sujets avec l’ensemble des personnels, dont le courage force l’admiration. J’ajoute que les ressources humaines sont dimensionnées au plus juste, puisque 230 personnes, dont dix équipages et 68 mécaniciens, font voler les six appareils. Certaines spécialités transverses sont ainsi assurées par une seule personne.

En conclusion, je veux dire combien nous avons été impressionnés par le professionnalisme de nos militaires, leur sens de l’engagement et leur détermination. Leur participation à des missions très dangereuses dans le cadre de cette OPEX complète les efforts fournis sur le territoire national pour assurer la sécurité de notre pays. Cette mission parlementaire est la première à s’être rendue sur cette base, il est vrai récente puisqu’elle n’a qu’un an, et je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir permis de faire ce déplacement. Je crois pouvoir dire que les personnels, que nous avons assurés du soutien de notre commission et de l’Assemblée nationale, ont été sensibles à notre démarche. Nous tenons d’ailleurs à adresser tous nos remerciements au colonel commandant la base pour sa remarquable disponibilité ; il nous a permis de rencontrer l’ensemble des personnels présents, auxquels nous voulons exprimer une fois de plus notre admiration et notre reconnaissance.

 

Général André Lanata. Je vous remercie de vous être rendus en Jordanie et je transmettrai aux personnels les compliments que vous leur avez adressés. Je salue également leur engagement remarquable dans des conditions éprouvantes. C’est paradoxalement dans de telles situations que nos hommes sont heureux, car leur mission a un véritable sens. Ils parviennent toujours, du reste, à résoudre les difficultés qu’ils rencontrent, du moins celles qui ne relèvent pas des états-majors centraux. C’est sur ce point que je souhaite revenir.

Le taux de disponibilité est en effet de 90 %, car nos dispositifs en opération sont prioritaires, ce qui induit des difficultés de gestion en métropole. Il convient, du reste, de distinguer la suractivité, qui touche à la mise en condition des personnels, et la surintensité, qui affecte les équipements. S’agissant des personnels, la suractivité produit un déséquilibre entre les équipages qui sont en opération et ceux qui restent en métropole et qui volent moins. C’est notamment le cas des plus jeunes, qui ne sont pas encore suffisamment qualifiés pour partir sur des théâtres d’opérations exigeants comme celui de la Jordanie. Nous cherchons donc des solutions pour qu’ils puissent continuer à s’entraîner et à progresser régulièrement afin de pouvoir partir à leur tour sur des théâtres où ils pourront acquérir l’indispensable expérience opérationnelle. Quant à la surintensité, nous cherchons à la compenser en nous efforçant de régénérer nos équipements – je pense en particulier aux avions. Tel est l’objet de certaines dispositions de la loi d’actualisation de la LPM, dans le cadre de laquelle nous avons également réclamé l’acquisition de pods de désignation laser et de jumelles de vision nocturne (JVN) supplémentaires. L’actualisation de la LPM vise en effet à ajuster la trajectoire à l’effort que nous réalisons en opération.

Par ailleurs, j’ai bien conscience de la situation tactique et des dangers inhérents au survol d’une zone hostile. C’est la raison pour laquelle nous accordons une attention particulière à la capacité de sauvetage en zone hostile, qui est aujourd’hui principalement assurée par les Américains sur les théâtres syrien et irakien. Nous sommes en effet parfaitement conscients des conséquences humaines et politiques de l’éventuelle capture d’un équipage.

Nous disposons de deux bases aériennes à partir desquelles opérer sur ce théâtre : l’une est en Jordanie, la base aérienne projetée que vous avez évoquée. L’autre, aux Émirats arabes unis, souligne la pertinence de notre dispositif pré-positionné. Bien entendu, la base des EAU est plus éloignée, mais, pour éviter la dispersion de nos stocks, qui constitue une contrainte importante dans la tenue de nos dispositifs, nous avons préféré maintenir la cohérence des flottes. Ainsi, la base des EAU accueille exclusivement des Rafale et celle de Jordanie des Mirage 2000.

 

M. Alain Marty. Nous avons assisté au départ d’une patrouille et nous avons été touchés par la cohésion qui règne au sein de l’équipe.

J’en viens maintenant à mes questions, général. Comment l’armée de l’air va-t-elle gérer dans la durée l’extension de l’opération Chammal au territoire syrien, compte tenu des conditions opérationnelles difficiles pour les hommes et les matériels que nous venons de décrire ? En ce qui concerne la base, cette extension pourra-t-elle s’effectuer à moyens constants ou la BAP est-elle appelée à « monter en puissance » ?

 

Mme Marie Récalde. La BAP accueille actuellement des Mirage 2000D et 2000N. Les exigences opérationnelles relatives aux OPEX permettront-elles de maintenir le calendrier de passage au « tout Rafale » ou certains appareils devront-ils être maintenus en service plus longtemps – je pense en particulier aux Mirage 2000N ?

Par ailleurs, le programme « Cognac 2016 », devenu FOMEDEC, nous avait été présenté par votre prédécesseur. Le maintien d’une préparation opérationnelle différenciée, qui permet de disposer d’un premier cercle de forces employables avec un très haut niveau de réactivité, est important et salué, mais le rythme actuel des OPEX, qui créé un besoin accru de MCO, permet-il de maintenir ces objectifs ?

 

M. Christophe Guilloteau. Je m’associe, mon général, à l’hommage que vous avez rendu à votre prédécesseur, qui est parti pour Norfolk – et c’est une chance pour la France –, car il a beaucoup fait pour l’armée de l’air. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes du projet FOMEDEC, qui est important et structurant pour l’armée de l’air française ?

 

M. Jean-Jacques Candelier. Airbus aurait pris du retard dans la livraison des A400M, prévue en 2015. En outre, ces avions ne seraient pas dotés des capacités de largage de parachutistes par les portes latérales et de ravitaillement des hélicoptères en vol. Qu’en est-il exactement et qu’est-il prévu pour 2016 ? Par ailleurs, la France multipliant les opérations extérieures, notre aviation est très sollicitée. Avons-nous réellement les capacités aériennes nécessaires et les moyens de nos ambitions à moyen et long terme ? Le conflit qui nous oppose à l’EI ne se terminera pas en quinze jours. Enfin, partisan de la parité à tous les niveaux, je souhaiterais connaître le pourcentage d’aviatrices parmi les pilotes de chasse.

 

M. Yves Fromion. Est-il arrivé, au cours des dernières opérations, que nos équipages soient visés par des missiles antiaériens ou la réaction ennemie s’est-elle limitée à l’emploi d’armes légères ? Deuxièmement, en quoi l’actualisation de la LPM, qui semble avoir surtout bénéficié à l’armée de terre, améliore-t-elle la situation de l’armée de l’air ?

 

M. Joaquim Pueyo. En tant que président du groupe d’amitié France-Émirats arabes unis, j’ai visité, il y a un an et demi, lors du voyage officiel du président de la République, la base interarmées d’Abou Dhabi. Lorsque je l’ai rencontré, le ministre des Affaires étrangères des EAU m’a beaucoup parlé de cette base. Les Émirats sont en effet très actifs dans la lutte contre Daech, et le ministre m’a semblé attentif aux relations que pourraient avoir, dans ce cadre, l’aviation française et celle des Émirats, qui est composée de bons éléments et qui intervient actuellement au Yémen. Quelle est votre position sur ce point ? Par ailleurs, je souhaiterais savoir si les effectifs présents sur la base de Jordanie vous paraissent suffisants. Permettent-ils d’assurer la formation et le roulement des personnels ? Des renforcements sont-ils envisagés du fait des perspectives offertes par l’actualisation de la LPM ? Enfin, l’entretien du matériel et le budget prévu vous paraissent-ils également suffisants ? J’ai eu le sentiment, en vous écoutant, que nous étions sur la bonne voie en ce domaine…

 

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Ma première question porte sur l’éventuel report de la réalisation du projet FOMEDEC. Le général Mercier nous avait indiqué que ce projet permettrait d’économiser environ 100 millions par an. Ce retard signifie-t-il que le montant de ces économies devra être revu à la baisse ?

Ma seconde question concerne le dépyramidage. Vous avez indiqué qu’en 2015, vous aviez atteint le maximum de ce qu’il était possible de faire. Estimez-vous, compte tenu des opérations extérieures dans lesquelles vous êtes engagés, que les objectifs qui vous ont été fixés dans la LPM sont difficiles à atteindre ?

 

Général André Lanata. De nombreuses questions ont trait à notre capacité à durer. Aujourd’hui, j’estime, madame Récalde, qu’avec les six mirages 2000D et les six Rafale dont nous disposons, notre dispositif est adapté aux opérations menées au Levant. Mais il est bien évident que si celles-ci devaient s’intensifier, il nous faudrait l’ajuster. Dans les domaines où nous avons traditionnellement besoin de nos alliés, c’est-à-dire le ravitaillement en vol et la surveillance, il nous faudrait également adapter nos capacités. Pourquoi avons-nous engagé des Mirage 2000N en Jordanie – ainsi, d’ailleurs, que des Mirage 2000C au Sahel ? Nous nous sommes aperçus que les unités de Mirage 2000D étaient trop sollicitées – le taux d’engagement était de l’ordre de 50 % – pour que nous puissions poursuivre cet engagement dans la durée : nous aurions « rincé » les unités, non pas tant au plan technique qu’au plan humain. Nous avons donc allégé la pression sur les unités de Mirage 2000D en proposant la mise à disposition de Mirage 2000N de manière à organiser des patrouilles mixtes.

Pour remédier aux tensions que connaît la flotte des Mirage 2000, qui sont très sollicités, nous avons pris la décision, dans le cadre de l’actualisation de la LPM, de prolonger des Mirage 2000C, autant pour répondre aux besoins de nos opérations que pour compenser le potentiel consommé par l’accompagnement du soutien export de la flotte Rafale, puisqu’une partie des heures de vol de cette dernière est consacrée à la formation des équipages des pays clients de cet équipement.

Pour durer, la rénovation du Mirage 2000D est donc absolument nécessaire, car c’est cette flotte pivot qui nous permet de garantir le format de l’armée de l’air et notre capacité à tenir nos opérations dans la durée. Aujourd’hui, la cible de ce programme d’armement est de 45 avions rénovés, sachant que nous disposons de 71 avions en parc. Si les opérations devaient s’intensifier ou durer très longtemps, nous aurions donc toujours la possibilité de rénover davantage de Mirage 2000D. La rénovation de 10 Mirage 2000D supplémentaires permettrait en outre de prendre en compte l’attrition sur la période 2020-2032 pour maintenir 185 avions de chasse en parc au sein de l’armée de l’air.

J’en viens au projet FOMEDEC, qui a fait aussi l’objet de plusieurs questions. Ce projet participe également de notre capacité à durer et de la modernisation de nos capacités. De fait, les objectifs que nous poursuivons sont multiples en la matière. Il s’agit, en premier lieu, de moderniser la formation des pilotes de chasse. Cette modernisation est rendue nécessaire par le fossé important qui existe actuellement entre les Alpha Jet employés au début de la formation et la génération du Rafale. L’Alpha Jet est en effet un avion des années 1980 ; il ne dispose donc pas d’un système d’armes nous permettant de former correctement nos pilotes de chasse. Mais la modernisation de la formation participe d’une transformation beaucoup plus complète qui combine, outre le remplacement des Alpha Jet par une flotte plus économique, une adaptation de notre modèle RH – qui devrait permettre de réaliser des gains sur la plateforme de Tours et le soutien des Alpha Jet –, une restructuration – grâce au basculement de l’activité de Tours sur Cognac – et une évolution vers le nouveau format de l’aviation de chasse tel qu’il est prévu dans la LPM, en permettant la création d’un deuxième cercle d’équipages qui renforcera le premier si celui-ci est trop sollicité en opération.

Pour ce faire, nous prévoyons un dispositif qui inclut la formation des pilotes de chasse et la préparation opérationnelle du deuxième cercle d’équipages. Il s’agit, non pas de les former ab initio sur ce nouveau type d’appareils, mais, une fois qu’ils auront une expérience opérationnelle en unité de combat, de les maintenir à niveau grâce à une activité équilibrée comprenant 40 heures de vol par an sur avion de combat et le reste sur ces appareils modernisés qui leur permettront de se remettre à niveau pour être engagés sur les théâtres d’opérations. Ce deuxième cercle devrait être composé d’une cinquantaine d’équipages.

J’ajoute, pour être complet sur ce chapitre, que ce dispositif exige que nous nous appuyions sur des appareils plus modernes, qui embarqueront de la simulation représentative d’un système d’armes moderne, et plus économiques. Tels sont les deux paramètres que l’armée de l’air a fait figurer dans son expression de besoins. L’appel d’offres est en cours : aujourd’hui, la balle est dans le camp de la DGA. Bien entendu, le plus tôt sera le mieux. L’armée de l’air envisageait initialement une mise en service en 2016, mais les discussions ont un peu traîné et la contractualisation est longue, en raison du montage que nous voulons réaliser. En effet, cette contractualisation ne concerne pas que l’acquisition des équipements : nous achetons également la prestation permettant de produire les heures de vol sur la base de Cognac. Je pense aujourd’hui que la mise en service opérationnelle aura lieu au plus tard en 2018. Je précise que nous avons compensé au mieux, dans le cadre des travaux de VAR, le delta financier afin d’intégrer le retard du programme. J’espère que les premiers appareils seront livrés en 2017. Enfin, le chiffre de 100 millions d’économies annuelles réalisées sur l’ensemble des périmètres – RH, heures de vol et carburant – est exact.

M. Candelier m’a interrogé sur le programme A400M. Celui-ci a en effet rencontré des difficultés dont la presse s’est fait l’écho. La DGA a engagé un dialogue direct avec Airbus, car nous avons un impérieux besoin de renforcer notre capacité dans ce domaine. Initialement, nous devions recevoir quatre avions en 2015 ; en raison des capacités de production d’Airbus, seuls deux avions seront livrés à l’armée de l’air en 2015, portant notre flotte à huit avions. En tout état de cause, il nous a été garanti que ces livraisons seraient rattrapées d’ici à 2018. Par ailleurs, les premiers A400M n’ayant pas été livrés aux standards tactiques définitifs de l’appareil, il a été convenu avec Airbus que ceux-ci seraient rattrapés à partir de 2016, date à laquelle serait livré le premier avion disposant de toutes les capacités, y compris l’aéro-largage de parachutistes et le largage de charges – l’autoprotection et l’atterrissage sur terrain sommaire constituent également deux capacités essentielles pour faire de cet avion un véritable avion tactique. Aujourd’hui, l’industriel nous dit pouvoir être au rendez-vous en 2016 pour ce qui est des standards tactiques et être capable de « rétrofiter » des appareils qui nous auront déjà été livrés, de manière à ce que l’armée de l’air dispose de six avions avec leurs capacités tactiques avant la fin 2016. Nous attendons une confirmation : une discussion sur ce point est en cours entre la DGA et Airbus.

Pour être complet sur cette capacité de transport tactique, qui est essentielle en particulier au Sahel, où il faut ravitailler des forces stationnées aux confins du désert, je précise que nous nous appuyons sur des A400M en phase de maturation opérationnelle, d’une flotte vieillissante de C-160, dont les coûts d’exploitation augmentent, et d’un noyau de C-130, qui constitue en quelque sorte notre flotte pivot. Mais certains de ces avions sont également âgés. C’est pourquoi nous avons demandé, dans le cadre de l’actualisation de la LPM, l’acquisition de quatre C-130 supplémentaires. Aujourd’hui, deux options sont à l’étude : la première consisterait à acquérir des avions d’occasion, mais ces derniers sont bien souvent relativement vieux, la seconde à acquérir des avions neufs aux États-Unis. Nous pourrions ainsi moderniser cette capacité, que j’estime par ailleurs pérenne car, du point de vue de l’armée de l’air, une bonne structure de force pour les capacités de projection doit comprendre des cargos stratégiques de type A400M et des cargos médians de type C-130, qui porteraient par ailleurs la mission des forces spéciales, les deux flottes étant, il est important de le souligner, complémentaires.

Quant à notre capacité à durer sur le long terme, c’est une question que je me pose. J’estime que l’actualisation de la LPM nous permet de nous adapter à l’intensité des opérations. Nous estimons pouvoir durer au rythme d’engagement actuel–, mais si les opérations devaient encore s’intensifier, il faudrait procéder à de nouveaux ajustements.

En ce qui concerne la féminisation de l’armée de l’air, je peux vous indiquer que les femmes représentent 6 % du personnel navigant, 11 % des mécaniciens et 34 % des soutiens, pour un total supérieur à 20 %.

Par ailleurs, les avions en opération ont essuyé surtout des tirs de petit calibre en République Centrafricaine, dans le cadre de l’opération Sangaris. En revanche, au Levant, sur le théâtre Chammal uniquement, ainsi qu’en Libye en 2011 et en Afghanistan, des tirs de missile ont été détectés par les systèmes d’armes des avions.

Quant à l’actualisation de la LPM, elle visait à assurer notre capacité à durer, d’une part, sur le territoire national, d’où un effort portant principalement sur les effectifs de l’armée de terre, et, d’autre part, sur les théâtres d’opérations extérieures, d’où une série d’ajustements qui ont apporté, pour les trois armées, une réponse que nous avons estimée équilibrée, dans la limite de l’effort budgétaire possible, entre les effectifs, les équipements et le maintien en condition de ces derniers pour garantir leur régénération dans la durée. Il s’agit d’une réponse ciblée nous permettant de durer en opération.

En ce qui concerne les effectifs de l’armée de l’air, l’actualisation de la LPM a prévu une moindre déflation de 1 300 postes, qui permet principalement d’améliorer la situation de nos effectifs dans certains domaines : drones, protection, commandement et contrôle et soutien à l’export. Quant aux équipements, il s’agit de pods de désignation laser, d’équipements destinés aux forces spéciales, de C-130 et de leurs missiles. Surtout, un peu moins que la moitié de l’enveloppe de 500 millions dédiée au MCO est directement consacrée à l’entretien des matériels aéronautiques et nous permettra d’accélérer la régénération de certains équipements, en particulier pour les flottes de transport et de chasse, et, dans une moindre mesure, pour le ravitaillement en vol.

L’actualisation de la LPM est donc une réponse à la capacité à durer de l’armée de l’air, compte tenu contexte sécuritaire et opérationnel actuel.

En ce qui concerne la base d’Abou Dhabi, je partage, monsieur Pueyo, l’appréciation que vous portez sur le partenariat privilégié que nous avons avec les EAU et leurs autorités militaires, qui font preuve d’un niveau opérationnel remarquable. Je sais que mon prédécesseur entretenait d’excellentes relations avec ses homologues émiratis – que je rencontrerai en novembre – et je compte bien maintenir ces contacts pour bâtir un partenariat avec les autorités de ce pays.

 

M. Joaquim Pueyo. Je précise que l’ambassadeur de France aux Émirats est, depuis quelques mois, un général, très proche du gouvernement de la fédération.

 

Général André Lanata. S’agissant du dépyramidage, je considère en effet que nous avons atteint une limite. En conséquence, les marges de manœuvre ne peuvent être trouvées que dans le cadre d’une redéfinition du partage de la charge au sein du ministère ou en prenant de nouvelles mesures concernant la restructuration de notre dispositif. Une très grande partie de ces officiers se trouve en effet actuellement en dehors de l’armée de l’air. Il faudrait donc, le cas échéant, que nous entamions des discussions avec les organismes qui les emploient.

 

M. Philippe Meunier. Lorsque nous sommes intervenus en Serbie, deux pilotes de Mirage 2000 se sont éjectés en zone de combat. Si tel devait être le cas en Syrie, quel serait le statut de nos pilotes dans la zone tenue par le gouvernement légal ?

 

Général André Lanata. En Syrie – je compléterai ma réponse, si besoin est, en interrogeant les personnes en charge des opérations –, nous intervenons principalement pour cibler des objectifs liés à Daech, donc situés en dehors des zones contrôlées par le gouvernement légal. Aussi l’éventualité d’une éjection est-elle une véritable préoccupation. À cet égard, les capacités de recherche et de sauvetage en zone de combat sont centrales, pour des raisons humaines et politiques. C’est pourquoi nous attachons de l’importance au développement de cette capacité. Je précise cependant que le Rafale est un biréacteur, ce qui réduit les possibilités d’une éjection en zone hostile.

 

Mme la présidente Patricia Adam. Général, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, Mme Marianne Dubois, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Frédéric Lefebvre, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Jean-Claude Perez, M. Alain Rousset, M. François de Rugy

 

Télécharger Audition du général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, sur le projet de loi de finances pour 2016

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