Moderniser, rénover, renouveler… Telle pourrait être la devise des marines d'Amérique latine, qui, pour la plupart, se sont lancées ces dernières années dans des programmes ambitieux visant à restructurer leur flotte vieillissante.
La mer : une nouvelle évidence
Les façades que possède l’Amérique latine sur les océans Atlantique et Pacifique représentent un atout géopolitique et stratégique de taille, poussant les États de la région à développer à nouveau leur secteur maritime et naval. La prise en compte, l’exploitation et donc la protection des zones économiques exclusives (ZEE) sont devenues des enjeux majeurs dans un contexte de désaccords internationaux sur les délimitations maritimes. L’Amérique latine compte aujourd’hui pas moins de 22 litiges portant sur des questions de souveraineté maritime. Ainsi, un groupe de récifs coralliens situé au large du Nicaragua était l’objet d’un litige séculaire avec la Colombie, qui n’a été tranché qu’en 2012 par la Cour internationale de Justice. Le Chili et la Bolivie semblent loin d’une telle issue : depuis la guerre du Pacifique (1879 à 1884), les Boliviens souhaitent obtenir une ouverture sur la mer passant par le Chili, afin de retrouver un accès à l’océan. Ces tensions accentuent la volonté de différents pays de la région de développer une marine, principalement axée sur des missions de surveillance et de patrouilles maritimes, à proximité des côtes.
Les eaux côtières de la région recèlent des ressources halieutiques ou énergétiques qui attirent la convoitise. Le golfe du Mexique est l’une des plus anciennes régions du monde dans l’exploitation de gisements d’hydrocarbures offshore, tandis que le Brésil vient de découvrir des réserves prometteuses au large de ses côtes. Ces ressources doivent donc être protégées, tout comme l’extrême richesse de la biodiversité marine dans la zone.
Si ces nouveaux enjeux poussent les marines côtières de la région à travailler ensemble, c’est dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic que ces coopérations sont les plus importantes. Les États-Unis sont bien évidemment partie prenante avec la Joint Interagency Task Force-South (JIATFSouth), organisation qui vise à regrouper les différentes structures de lutte contre le trafic de stupéfiants. Rapidement internationalisée, la JIATF-South rassemble aujourd’hui 15 partenaires, dont la France et 9 États d’Amérique latine (1). D’autres coopérations multinationales auxquelles la France participe activement – Carib Venture (2), Atlantic Watch (3) ou Carib Royal (4) – ont également pour mission principale de lutter contre ce trafic en mer des Caraïbes.
Mais, loin de se limiter à la protection de leurs approches maritimes, certains pays aspirent au développement d’une marine de haute mer par des programmes de modernisation de leur flotte ou un développement de leurs coopérations dans le domaine maritime et naval.
Du littoral à la haute mer ?
Devenir une marine prépondérante n’est pas aisé, même au niveau régional. Et, pour le moment, aucune marine d’Amérique latine n’y est véritablement parvenue. La marine chilienne s’est longtemps illustrée comme modèle d’organisation et de rapidité opérationnelle dans la région, mais les récentes restrictions budgétaires ont freiné les différents programmes de rénovation.
Le pays a toutefois développé sa composante frégates, avec 8 nouvelles unités achetées aux Pays-Bas et à la Grande-Bretagne, ainsique sa flotte sous-marine, avec l’achat de deux Scorpène, se dotant de la flotte sous-marine la plus moderne d’Amérique du Sud.
Pour la façade atlantique, c’est le Brésil qui se distingue et conforte sa place de leader régional dans le domaine maritime et naval. Sa marine est en effet la seule du continent Sud-américain à être dotée d’un porte-avions, le São Paulo (ex-Foch), qui, malgré son âge, demeure le symbole d’une puissance maritime. Le pays est également le premier à avoir entrepris des programmes de renouvellement global de sa flotte. Prosub par exemple vise à l’acquisition, mais surtout à la fabrication locale, de nouveaux sous-marins Scorpène, qui doivent être livrés entre 2018 et 2022, ainsi que d’un sous-marin nucléaire d’attaque – une première pour les marines de la région – prévu pour 2025, et à la construction d’une base navale sous-marine à Itaguaí (région de Rio de Janeiro). Prosuper, quant à lui, vise à renouveler la flotte de surface, principalement en envisageant l’acquisition d’un transport de chalands de débarquement (TCD) et d’un porte-avions qui pourrait remplacer le São Paulo dès 2035.
Mais, si le Brésil tend à devenir une marine hauturière à dimension mondiale, les autres marines du continent restent pour la plupart au stade de puissances locales. Certaines, comme la marine argentine – pourtant de première importance dans les années 1970 avec notamment sa composante aéronavale –, peinent à se renouveler. Pour des raisons budgétaires, plusieurs constructions de nouveaux bâtiments ont été suspendues et certaines rénovations, retardées (5). Pour la marine vénézuélienne, c’est l’embargo américain qui l’empêche de mener à son terme la modernisation de ses frégates de type Lupo. C’est donc vers la Chine et Cuba que le pays s’est tourné pour obtenir un soutien dans le domaine de la construction navale. Les marines colombienne ou mexicaine, quant à elles, bénéficient de leur coopération avec des pays dotés d’une industrie navale très développée, tels que la France, l’Allemagne ou les États-Unis, afin de renouveler leur flotte. Mexique et Pérou ont beau faire partie du top 20 des plus grandes marines en termes de tonnage, leur flotte est cependant vieillissante.
La marine péruvienne peine ainsi à se séparer de son croiseur Almirante Grau, ancien bâtiment néerlandais (ex-de Ruyter). Le Mexique, lui, ne possède pas de frégates lance-missiles.
À la différence des années 1970, théâtre d’une véritable course à l’armement, les États d’Amérique latine sont aujourd’hui dans l’obligation d’investir dans leurs marines. L’enjeu est en effet d’assurer la protection des nouvelles richesses de la mer contenues dans leurs eaux sous souveraineté, des hydrocarbures aux ressources halieutiques, en passant par la biodiversité. Reste à voir si cet investissement s’inscrira dans la durée.
(1) Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Mexique, Pérou, République dominicaine et Salvador.
(2) Opération sous commandement hollandais.
(3) Initiée en 2010, cette opération a pour mission d’intercepter en mer la drogue en partance du Venezuela, de Guyana ou du Suriname, et en direction de l’Europe et de l’Afrique.
(4) Opération de lutte contre le trafic de drogues sur la façade est des Caraïbes. (5) Même si le troisième sous-marin argentin de type TR 1700, dont la construction a été interrompue en 1994, pourrait être achevé dans les prochaines années.