Le fantassin du futur pour l'armée française se résume à un acronyme : FELIN (Fantassin à Equipements et Liaisons Intégrées). Il intègre un grand nombre de technologies issus de la recherche militaire dont certaines auront des applications civiles.photo Armée de Terre
15-04-2014 Par Christelle Dufer, ingénieur en chef des études et techniques d’armement, stagiaire à l’Ecole de Guerre, promotion "Ceux de 14" - Challenges.fr
D'ici à 2019, l'Etat a prévu d'allouer 730 millions d'euros aux forces armées pour leurs activités de R&D. Un investissement dont devrait aussi profiter les entreprises civiles.
Environ 190 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB de la période. Les montants affichés par loi de programmation militaire 2014–2019 ont de quoi impressionner. Ce budget sera-t-il dépensé au profit des militaires ? Pas seulement : le montant alloué au ministère de la Défense comprend en moyenne 730 millions d’euros annuels dédiés à la recherche. Et chaque citoyen bénéficie des résultats de ces recherches, qui permettent des avancées technologiques significatives exploitables également dans les applications civiles.
Quel retour sur investissement pour nos impôts?
Prenons le domaine spatial. Qui n’a jamais utilisé un GPS ? Ce système satellitaire, développé pour des besoins militaires, est aussi devenu indispensable pour la navigation, l’automobile et pour certaines opérations bancaires. Plus largement, les satellites sont essentiels à la vie quotidienne : ils servent à communiquer, permettent obtenir des images de la Terre pour des usages scientifiques, des prévisions météo…
La recherche militaire a aussi été un outil précieux pour développer des lanceurs spatiaux performants. L’Europe a pu s’imposer dans ce secteur grâce à la maîtrise des technologies liées à la propulsion anaérobie (n’utilisant pas l’oxygène de l’air), développée pour la dissuasion militaire française. Les mêmes compétences et savoir-faire sont mis en œuvre pour les différentes générations de lanceurs européens, comme Ariane.
Les applications civiles de technologies militaires sont nombreuses : amélioration des gommes de pneus, textiles "intelligents", nanotechnologies, airbags, imagerie médicale (scanners), composants hyperfréquences pour la téléphonie mobile et les radars anti-collision des automobiles, détecteurs infrarouges non refroidis pour la sécurité (caméras de surveillance)... et même internet, développé à l’origine pour des besoins militaires.
De nouvelles pistes sont exploitées. Ainsi, les technologies mises au point pour l’équipement du fantassin, notamment pour la transmission de données, d’images et de vidéo, vont être reprises au profit des sapeurs-pompiers. Il leur sera ainsi possible d’afficher en temps réel et en trois dimensions, leur zone d’intervention en localisant les différentes personnes présentes. L’aéronautique bénéficie aussi à plein des avancées technologiques du domaine militaire, que ce soit dans le domaine des composants moteurs ou dans celui de la navigation.
Comment favoriser la synergie militaro-civile?
La défense s’est dotée d’outils pour favoriser les synergies avec le secteur civil. Depuis 2009, plus de 300 projets de recherches duales (pour applications civiles et militaires) ont ainsi été soutenus. Les investissements réalisés vont du financement de thèses à la réalisation de démonstrateurs à échelle réelle ou réduite, dont les performances ou la tenue à des environnements (vibrations, températures…) extrêmes peuvent être testées.
Les travaux à caractère dual sont de nature variée : robotique, matériaux, énergie, biologie, science de l’homme, environnement. Les travaux intègrent notamment la réduction de la consommation des moteurs d’avion et d’hélicoptère, les peintures sans solvant, la dépollution propre à base de plantes et de bactéries, l’assistance du combattant pour porter des charges lourdes et se mouvoir plus aisément (exosquelette) ou l’assistance de paraplégiques…
Les efforts entrepris dans le passé dans la recherche duale commencent à voir apparaître les premières applications civiles. L’exemple le plus emblématique est le drone aérien (avion piloté à distance) qui ouvre un vaste champ de possibilités: informations sur une scène sinistrée à la suite d’une catastrophe naturelle, mission en zone contaminée, voire livraison d’aide humanitaire.
D’autres applications sont à l’étude : surveillance quasi permanente des milliers de kilomètres de rail de la SNCF ou de sites sensibles comme les centrales nucléaires, contrôle de la dégradation des ouvrages architecturaux tels les ponts, réalisation d’études thermiques sur les bâtiments pour déterminer d’où viennent les déperditions de chaleur... Des drones sont déjà proposés aux agriculteurs pour la surveillance et la gestion de leurs terres. Un grand nombre d’applications semble possible, même s’il reste à gérer leur introduction dans la circulation aérienne.
Chaque euro dépensé est-il utile?
Au-delà des applications civiles de technologies militaires, la défense est aussi un secteur stratégique en lui-même. Sans compter les leaders bien connus (Airbus Group, Groupe Safran, Thales, Groupe Dassault…), environ 4.000 PME travaillent directement pour la défense et 30.000 ont un lien contractuel avec le secteur. Le nombre d’emplois dans l’industrie de défense s’élève à environ 165.000. Chaque euro dépensé est donc 1 euro utile: l’argent investi dans la recherche militaire voit son impact décuplé dans l’économie française. Loin d’être un seul facteur de coûts, la défense est, aussi, un accélérateur de compétitivité.