04 mai 2015 Richard Werly - letemps.ch
François Hollande est ce lundi à Doha pour parapher l’acquisition de 24 chasseurs français par l’émirat. Un nouveau succès commercial qui permet aux ventes d’armes françaises de bondir en 2015, à la deuxième place mondiale derrière les Etats-Unis
Les partisans suisses du Rafale ont enfin quelques arguments à brandir face à tous ceux qui se liguèrent pour rejeter l’offre de l’avion de chasse français produit par le groupe Dassault face au Gripen suédois. Après l’Egypte et l’Inde, le Qatar sera ce lundi le troisième pays à acheter ces appareils multimissions qui, jusqu’à cette année 2015, avaient toujours échoué à s’exporter. Le président François Hollande se rend pour l’occasion aujourd’hui à Doha, avant d’enchaîner sur l’Arabie saoudite, premier client de l’industrie d’armement française avec 7 milliards d’euros de commandes depuis dix ans. L’armée de l’air qatarie recevra, pour un montant de 6,3 milliards d’euros, 24 Rafale livrables mi-2018, un tarif bien supérieur à celui consenti en 2012 par Dassault à la Confédération (18 avions pour 2,7 milliards de francs). Leurs pilotes seront entraînés dans le ciel hexagonal, et leur armement (missiles air-air Meteor, missiles de croisière Scalp) sera aussi très «made in France».
Ce nouveau succès du Rafale à l’exportation, le troisième en moins de six mois, est évidemment lié à la configuration géopolitique du moment. Le Qatar, pays très proche de la France, présent aussi bien dans le sport (le fonds qatari QSI possède le club de foot Paris Saint-Germain) que dans l’hôtellerie (des investisseurs qataris sont propriétaires du Carlton de Cannes), est aujourd’hui engagé contre la nébuleuse de l’Etat islamique, dont ses avions bombardent les positions en Irak et en Syrie.
Cette commande de Rafale est aussi un héritage du père de l’émir actuel, Tamim al-Thani, lequel avait promis d’acquérir ces avions avant de démissionner et de transmettre le pouvoir à son fils en juin 2013. L’armée de l’air qatarie est enfin déjà équipée d’avions Dassault, avec 12 Mirage 2000.
Pour le groupe français et ses sous-traitants ou partenaires, tels que Safran, cette acquisition n’en sonne pas moins comme une revanche et une chance de repartir enfin à l’assaut des marchés internationaux. L’Inde, qui a passé commande de 36 Rafale en avril, a besoin d’une centaine de nouveaux chasseurs pour moderniser son aviation, et discute en ce moment avec Dassault des modalités d’importants transferts de technologie, exigés par New Delhi. La Malaisie, où le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu fin 2014, a négocié l’implantation d’une chaîne d’assemblage au cas où elle achèterait des Rafale pour remplacer la vingtaine de Mig 29 russes dont son état-major ne cesse de se plaindre. Les Emirats arabes unis, autre grand client de la France, sont aussi dans le collimateur de Dassault, dont les succès propulsent les ventes d’armes tricolores vers le haut. La France vise 15 milliards en 2015, soit le second rang mondial après les Etats-Unis, alors que son propre budget de la défense (31 milliards d’euros en 2015) a été sauvé in extremis la semaine dernière par l’Elysée, qui lui a accordé une rallonge de 3,8 milliards d’euros jusqu’en 2019.
L’enjeu industriel est maintenant pour Dassault d’arracher des clients «à forte valeur stratégique», c’est-à-dire considérés comme une référence par leurs pairs régionaux. En Asie, Dassault veut faire oublier son ratage de 2003 en Corée du Sud, bastion militaire américain, puis le refus de Singapour en 2005. La Malaisie, qui a déjà acheté des sous-marins français de classe Scorpène – au centre d’un scandale politico-financier local en raison des commissions occultes souvent liées à ces contrats –, pourrait donc permettre de pénétrer l’Extrême-Orient, où les dépenses militaires ont quadruplé depuis l’an 2000, dopées par la puissance de la Chine, dont le budget de défense croît d’environ 15% par an. Autre vexation à surmonter côté pays émergents: le rejet du Rafale par le Brésil, en 2014.
L’Europe reste la grande interrogation: la fin envisagée de l’Eurofighter Typhoon (BAE Systems et Finmeccanica), dont la production pourrait cesser en 2018, et les résultats mitigés du Gripen du suédois Saab, finalement refusé par les Suisses après la votation de mai 2014, rouvrent une brèche dans laquelle Dassault veut s’engouffrer. Le Rafale et ses milliards d’euros de recettes apparaît fin prêt pour le Salon aérien du Bourget, du 15 au 21 juin prochain.
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