15.12.2014 Le Fauteuil de Colbert
Une partie d'entre nous a pour plaisir, habitude ou constat savamment argumenté de dire que l'Union européenne n'est pas un acteur stratégique. Elle n'est pas non plus en déclassement mais sur la piste de la disparition stratégique. Cela, nous en avons entendu une version plus ou moins sophistiquée.
Il y a tout de même quelques faits qui invitent à reconsidérer la position de l'Europe dans le monde. La question de l'Europe de la défense et/ou défense européenne a peut être caché un positionnement de l'Europe sur des positions stratégiques clefs.
Partons d'un postulat : la Terre est un ensemble d'espaces naturels donnés. Selon le philosophe français Gilles Deleuze, il y aurait deux types d'espace : les striés d'un côté, les lisses de l'autre. Tous les espaces sont lisses à l'origine mais c'est l'action de la machine de guerre (la construction de l'Etat pour simplifier) qui permet à un espace de passer du lisse au strié.
Ainsi, l'Océan a toujours été un espace hostile pour l'homme. C'est par le développement des sciences, leur application à des véhicules nouveaux, leur mise en œuvre par des explorateurs qui a ouvert la voie de la navigation hauturière.
Outre cette maîtrise d'un espace naturel hostile à l'homme par nature (où il ne peut ni vivre, ni habiter sans artificialité), notons que pour transformer tous les espaces en milieu, l'être humain doit non pas établir des frontières (toujours utiles certes) mais surtout réticuler l'espace pour le maîtriser, le dominer.
L'espace donné passe du lisse au strié par l'action de le réticuler. Les réseaux sont les outils qui permettent de dominer l'espace.
Le cyberespace, lui, est le seul espace qui soit une construction entièrement artificielle. Réseaux de réseaux qui domine tous les autres réseaux, tous les autres espace.
Quelle est la place de l'Union européenne dans ce postulat ?
Premièrement, le mécanisme d'interconnexion en Europe est un plan pour interconnecter les réseaux européens afin de constituer un réseau européen. La Commission a pour ambition de connecter "tous les réseaux" sans distinction et de les orienter selon ses ambitions. Le plan est doté d'un confortable budget de 50 milliards d'euros.
Deuxièmement, la Commission européenne est accuser de rendre des décisions paradoxales à cause de son idéologique économique qui est stratifiée dans les traités. C'est par exemple l'interdiction faite à Aérospatiale et Alenia de se rapprocher de De Havilland car les trois sociétés auraient eu un monopole de fait dans les avions régionaux (alors que Boeing n'étaient sur aucune position dominante dans aucun secteur de l'aviation ou de l'espace militaire).
Mais les choses changent et une partie des députés européens semblent refuser le libre-échange idéologique d'une partie de l'Union européenne. Par exemple, une résolution d'eurodéputés appellent au démantèlement de Google considéré comme un oligopole nuisible à la concurrence (in fine, à l'émergence de concurrents européens). La Chine ne fait pas tellement différemment dans le cyberespace avec sa grande muraille numérique.
Troisièmement, l'Union européenne (qui n'est pas égale à l'Europe) s'intéresse à l'avenir de l'ICANN. Pour comprendre de manière rigoureuse les enjeux, il y a l'excellente contribution de Mme Dominique Lacroix dans "Penser les réseaux".
C'est à dire que l'Union européenne, tant par son Parlement que par sa Commission, a compris l'intérêt stratégique des réseaux et surtout de celui qui domine les autres : le cyberespace. Et là, au regard de ces enjeux, l'Union n'est pas absente. Même si cela mériterait un volontarisme politique plus poussé (pas inutile tant dans les institutions que dans les Etats membres).
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