C'était dans l'air depuis un bon petit moment, notamment dans les esprits des deux industriels Airbus Group et Safran, partenaires de longue date dans tous les programmes de lanceurs européens et de missiles balistiques. Derrière la coentreprise (joint-venture) entre Safran et Airbus Group dans le domaine des lanceurs spatiaux, se cache en fait le vrai objectif de cette opération : mettre enfin la main sur l'autorité de design des lanceurs aujourd'hui, un bijou de technologies logé au Centre national d'études spatiales (CNES) ainsi que sur Arianespace (détenu à 34,6 % par le CNES), responsable des approvisionnements et de l'assemblage final des lanceurs en Guyane et de l'ensemble des opérations de lancements. Ce qui était une incongruité depuis trop longtemps aux yeux des deux industriels dans l'organisation de la filière spatiale.
Arianespace et le CNES vendus ?
Le seul à jouer cartes sur table, c'est le PDG de Safran, Jean-Paul Herteman. "Dans notre idée, la nouvelle entité a vocation aussi à intégrer l'opérateur de lancement Arianespace et les compétences de la direction des lanceurs du CNES", a-t-il déclaré en présence du PDG d'Arianespace Stéphane Israël et du directeur du CNES Jean-Yves Le Gall, en sortant d'une réunion à l'Élisée. C'est ce que disait déjà dans une interview accordé à La Tribune, Stéphane Israël : "L'industrie souhaite récupérer l'autorité de design, les institutions étant davantage dans un rôle d'autorité de certification".
Pourquoi ? Pour récupérer notamment les budgets de développement de l'État français sans qu'ils ne passent entre les mains du CNES, accusé d'avoir "trop de gras" par les industriels et qui sera bientôt réduit au rôle d'une direction générale de l'armement (DGA). Cette opération en deux temps a la bénédiction du président de la République, qui a reçu les impétrants tôt lundi matin et a salué "l'ambition commune affichée par les groupes Airbus et Safran dans le domaine du spatial", une "étape majeure vers la consolidation de la filière spatiale européenne, génératrice d'emploi, porteuse d'avenir, et élément de souveraineté".
C'est ce confirme la secrétaire d'Etat chargée du dossier spatial, Geneviève Fioraso. "Les industriels seront responsables de toute la chaîne de valeur, de la conception jusqu'au lancement et la commercialisation, a-t-elle expliqué, l'Etat restant maître de la stratégie". C'est à eux de trouver la forme juridique adéquate, avec le CNES et Arianespace, a-t-elle précisé. "Le calendrier est serré, on a jusqu'à la fin de l'année pour arriver à ça". La seule question qui se pose : l'Etat va-t-il maintenant brader ses bijoux ?
SpaceX, un modèle subventionné par la NASA...
Pour forcer la main à l'Etat et ouvrir son coffre-fort, il fallait donc une action des deux industriels, qui ne pouvait que contraindre les pouvoirs publics à bouger, et un chiffon rouge. En regroupant leurs forces dans les lanceurs spatiaux, les deux industriels ont trouvé le moyen de faire bouger l'Etat, qui va très certainement abandonner son leadership dans la conception des lanceurs spatiaux. Le chiffon rouge, c'est bien sûr SpaceX, diabolisé pour le danger que l'américain représente mais surtout envié par les industriels pour son modèle intégré. Sauf que ce modèle ne tient que par les aides massives de la NASA au lanceur Falcon.
Mais les industriels ne veulent retenir que les succès de ce modèle bancal bâti dans l'un des pays les plus protectionnistes au monde, les Etats-Unis. Dans une interview accordée le 9 juin à l'AFP, Tom Enders, qui s'est beaucoup investi dans la réussite de cette opération entre Safran et Airbus Group, n'avait pas caché son admiration devant "la vitesse de décision et d'exécution, la capacité de prendre des risques" d'entrepreneurs comme le fondateur de SpaceX, Paypal et Tesla Motors, le milliardaire Elon Musk.
Des synergies ?
Airbus Group et Safran resserrent leurs liens pour proposer une nouvelle famille de lanceurs compétitifs, polyvalents et performants, afin de répondre aux besoins commerciaux et institutionnels du marché, expliquent Safran et Airbus Group. "Notre objectif principal reste l'amélioration de la compétitivité de notre activité lanceurs, a expliqué Tom Enders cité dans le communiqué commun d'Airbus Group et de Safran. Le programme Ariane est un immense succès depuis trente ans, mais pour qu'il demeure viable et compétitif, nous devons mettre en place une structure industrielle nettement plus efficace. C'est ce que les clients attendent de notre part. Notre accord avec Safran est le point de départ d'une aventure passionnante qui verra naître une filière européenne de lanceurs plus intégrée, plus performante et donc plus rentable". A suivre...
Dans un premier temps, Airbus Group, qui n'a pas hésité récemment à tailler dans ses effectifs dans les activités espace, et Safran devraient créer une joint-venture de programmes, regroupant leurs contrats de programmes civils et leurs principales participations dans le domaine des lanceurs commerciaux. A terme, des actifs industriels seraient apportés afin de créer une entreprise à part entière, leader mondial, et détenue conjointement. La création et le début des opérations de la joint-venture sont prévus avant la fin de l'année 2014.
Les deux groupes n'ont jusqu'ici guère évoqué les synergies. Mais elles devraient se jouer à la marge même si ce n'est neutre. Grâce à une entité intégrée, les deux partenaires géreront "plus efficacement les interfaces, ce qui fera gagner du temps et in fine de l'argent", explique un bon connaisseur des dossiers spatiaux. Et puis les deux partenaires devront définir la façon dont ils travaillent en commun, notamment l'organisation industrielle. Ils devront organiser enfin la gouvernance.