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4 mai 2015 1 04 /05 /mai /2015 16:55
Eloge funèbre à M. Robert Maloubier, prononcé par M. Bernard Bajolet

 

Eloge funèbre à M. Robert Maloubier, prononcé par M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, le 29 avril 2015 aux Invalides

 

source

 

Seul le prononcé fait foi

 

Monsieur le Sénateur,

Mesdames et Messieurs les officiers, sous-officiers, officiers mariniers et militaires du rang,

Mesdames, Messieurs

 

C’est avec une vive émotion que je prends la parole devant vous, à l’ombre des gloires de notre pays, pour rendre au nom de la DGSE, mais plus largement encore au nom de notre pays, un dernier hommage à un homme qui croyait à la France, qui a contribué à lui redonner l’honneur qu’elle avait perdu en juin 1940 et qui a pris part à sa reconstruction.

Car c’est bien la France et l’idée qu’il s’en faisait qui ont guidé les pas de Bob Maloubier dans tous ses combats... Il les a menés avec éclat, avec une force physique et de caractère hors du commun.

Aujourd’hui, la DGSE est en deuil, elle pleure  Robert  Maloubier, celui que nous appelions tous affectueusement «Bob».

 

Bob, de là où vous êtes, vous devez nous observer avec votre inimitable regard amusé. En ce moment même, nous vous imaginons décrire ce que vous voyez sous vos yeux avec votre fine ironie, qui doit plaire aux camarades qui vous entourent.

J’ai eu le plaisir de vous recevoir une dernière fois, dans nos locaux, boulevard Mortier, à l’occasion de l’inauguration d’une exposition consacrée au SDECE en Indochine. C’était le 27 mars 2014. Vous aviez 91 ans.

Vous étiez venu au volant de votre propre voiture. Vous aviez cette prestance, cette élégance, cette vivacité d’esprit qui vous caractérisaient tant ! Je vois encore votre œil friser et vos 2 moustaches frémir à chaque trait d’humour que vous décochiez au cours de cette manifestation.

Il faut dire que vous étiez surpris et presque embarrassé. Vous ne vous attendiez pas à être reçu en invité d’honneur, entouré de l’admiration et de l’affection de vos successeurs à la DGSE. Avec votre talent habituel de conteur, vous avez su improviser un discours formidable, extrêmement bien charpenté, vivant, agrémenté d’humour de bon aloi, d’émotion et de souvenirs d’un ancien du SDECE en Asie du Sud-Est. En quelques secondes, nous étions avec vous, transportés sur les plateaux du Laos!

 

Bob Maloubier, votre vie est digne d’un roman d’aventure. C’est la vie d’un homme qui a trompé la mort à de multiples reprises –et vous avez su la tromper jusqu’à la semaine dernière.

Votre parcours est exceptionnel, votre destin est hors du commun.

Vous vous êtes mis en danger à de multiples reprises. Combien de fois avez-vous été blessé, recousu, réparé! Certains y verront une bonne fée, de la chance et surtout une condition physique exceptionnelle. Car dès le plus jeune âge, vous pratiquez le sport à haute dose.

Adolescent, vous vous rêviez pilote de chasse, certainement pas agent secret.

Pourtant vous en aviez déjà toutes les qualités: résistant, espiègle, ouvert au monde, patriote et polyglotte. Chez vous, l’on parlait six langues, dont l’anglais à la perfection.

Votre rêve de rejoindre l’armée de l’air se fracasse malheureusement en juin 1940. Comme Ulysse, votre odyssée connaît alors de nombreux rebondissements.

Vous rejoignez Bordeaux à bicyclette, où votre famille s’est repliée. Sous les bombardements des Stukas, vous assistez impuissant à la débâcle. Mais l’espoir renaît vite car vous entendez la voix du général de Gaulle qui appelle à continuer le combat depuis l’Angleterre.

C’est donc vers Londres que  se tournent vos yeux!

Dans une France occupée, le jeune lycéen que vous êtes cherche par tous les moyens à rejoindre les rangs de la France Libre. A Saint-Jean-de-Luz, vous tentez d’embarquer sous l’uniforme d’un soldat polonais. Un camarade, déguisé comme vous, le remarque et trahit votre identité. Vous voyez partir, depuis le quai, votre dernier espoir de gagner l’Angleterre, et décidez de rejoindre Marseille. Vous accumulez alors les déceptions, les échecs et les passages en prison, pour avoir traversé une fois de trop la ligne de démarcation.

En 1942, le gouvernement de Vichy forme l’armée d’armistice. Vous vous engagez dans l’aviation. Vous espérez pouvoir filer vers Malte ou Gibraltar dès votre premier vol. Mais cette armée d’armistice est sans avion et vous êtes affecté à la garde de l’aérodrome de Bizerte en Tunisie.

Vous espérerez le débarquement allié sur les côtes tunisiennes, et pourtant c’est à Alger, le 8 novembre, que les Alliés débarquent, tandis que l’Afrika Korps encercle la base de Bizerte.

Après avoir dérobé le vélo du colonel commandant la base, vous prenez la direction d’Alger. La fortune vous met rapidement au contact des services secrets britanniques. Vous êtes recruté par Jaques Vaillant de Guélisle dans le Special Detachment du SOE, à la section F. Vous y retrouvez un ami d’enfance, Fernand Bonnier de la Chapelle. Lorsque ce dernier assassine l’amiral Darlan, le 24 décembre 1942, les membres de la section F sont traqués. Vous quittez Alger et rejoignez Londres.

 

Au mois de janvier 1943, vous êtes détaché comme sous-lieutenant de l’armée britannique. Pendant huit mois, vous apprenez le métier d’agent au sein des nombreuses écoles du SOE. De l’école de démolition de Wanborough Manor, à celle de filature à New Forest, vous développez un savoir-faire remarquable: vous êtes formé au parachutisme, à la clandestinité et à toutes les techniques de sabotage. Vous êtes entraîné à la manipulation des armes, des explosifs et de la radio, au codage et à l’empoisonnement, aucune technique ne vous est étrangère.

Londres prépare le débarquement. Les agents du SOE ont pour mission d’affaiblir l’industrie de guerre de l’occupant et les fortifications du mur de l’Atlantique. Dans la nuit du 15 au 16 août 1943, vous êtes parachuté pour la première fois comme saboteur au sein du réseau Salesman.

Du Havre jusqu’à Fécamp, vous formez et menez une équipe de volontaires avec laquelle vous réalisez les plus grands coups du réseau. Vous participez au sabotage d’un ravitailleur de sous-marins allemand à Rouen. Vous détruisez l’usine Française des Métaux de Déville, fabriquant les trains d’atterrissage des chasseurs allemands, et mettez hors service la centrale électrique de Dieppedalle, privant de courant une bonne partie des industries rouennaises.

Vous avez à peine vingt ans, votre courage et votre détermination forcent déjà l’admiration.

En décembre 1943, filant dans la nuit sur l’Oiseau Bleu, la moto d’urgence du SOE, pour réceptionner un parachutage près d’Elbeuf, vous êtes arrêté par des Feldgendarmes mais vous parvenez à tromper la vigilance des Allemands et vous vous échappez. Les balles sifflent. Vous êtes touché. Traqué, dans un froid glacial, vous traversez un canal à la nage et parvenez à vous cacher. Au petit matin, enveloppé de givre, vous regagnez Rouen.

Récupéré par le SOE, qui voit en vous un agent d’exception, vous êtes à nouveau parachuté en France, au lendemain même du débarquement en Normandie.

L’Halifax, bombardier de la Royal Air Force qui vous transporte, survole le sillage des 7 000 navires alliés de l’opération Overlord.

Votre groupe doit fédérer la résistance du Limousin et l’armer pour ralentir la progression de la division Das Reich vers la Normandie. Les hommes de Georges Guingouin manquent d’armes. Le 25 juin 1944, vous coordonnez à Sussac, le plus important parachutage d’armes effectué en France. Le 21 août 1944, Limoges est libéré, la guerre se termine. Vous n’avez que 21 ans.

 

Vous rejoignez alors le BCRA à Londres au mois d’octobre 1944. Dès 1945, vous êtes affecté d’office à la DGER (direction générale des études et de la recherche), comme «capitaine, chargé de mission de 1ère classe».

En Extrême-Orient pourtant, la guerre se poursuit. Vous êtes naturellement volontaire et reprenez les armes. Vous intégrez la Force 136 du SOE. Et en parallèle, la France vous nomme gouverneur provisoire de la province de Trans Hoa dans le sud du Tonkin. Parachuté au Laos comme chef de mission, commandant de région et de compagnies de guérillas, vous êtes blessé et fait prisonnier par les Japonais. Lorsque le Japon capitule, la Force 136 est dissoute, la guerre d’Indochine commence.

Pour vous et vos hommes, c’est le début d’une lutte éprouvante et d’une longue errance. Encore une fois, vous échappez à la mort.

A votre retour à Saigon, vous êtes cité le 12 février 1946 à l’ordre du corps d’armée pour votre conduite exemplaire au cours des missions de renseignement périlleuses que vous avez effectuées.

Vous quittez alors l’armée britannique décoré du prestigieux Distinguish Service Order, avec le grade de capitaine. Par ailleurs, le 23 août 1947, vous êtes élevé par décret au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour votre sang froid et votre remarquable dynamisme au Laos, où, bien que blessé, vous avez continué le combat.

Au terme de votre mandat dans la péninsule indochinoise, vous revenez en France le 18 août 1946.

Les conditions de votre retour sont bien différentes de celles qui vous avaient amenées en Extrême-Orient.  Vous montez à bord d’un confortable DC4 d’Air France qui relie alors Saigon à l’aéroport du Bourget en moins de trois jours, en passant par Rangoon, Karachi, Bassorah, Le Caire et Tunis...

 

Le SDECE qui succède à la DGER vous apparaît également très confortable. Et pour cause, puisqu’il occupe à cette époque un somptueux ensemble d’immeubles au carrefour de la Muette, et dont les façades sont encore couvertes de peinture marron, verte et noire, un camouflage choisi par la Kriegsmarine qui occupait ces bâtiments pendant l’occupation.

Jacques Morlane, créateur du service action du SDECE vous recrute immédiatement. Avec votre expérience incomparable, vous aurez pour mission de former les nouvelles recrues destinées à constituer le 11ème bataillon parachutiste de choc.

 

A Arzew en Algérie, aux côtés de Claude Riffaud, vous créez l’école des nageurs de combat. Pendant plusieurs années, vous travaillez au développement de cette section et vous vous attachez à la doter des capacités les plus modernes et les plus discrètes.

En 1953, l’école est transférée à Saint-Mandrier. En 1954, vous créez le groupement autonome des nageurs de combat du SDECE à Aspretto. Après bien des aventures - vous êtes à l’origine d’opérations secrètes de premier plan et la Nation ignore encore aujourd’hui ce que vos nageurs ont fait pour elle - vous quittez le SDECE en 1960.

Les nageurs, partis de rien disposent alors d’équipements de pointe allant du scaphandre de grande autonomie, aux propulseurs sous-marins ou encore à la mythique Fifty Fathoms, montre étanche que vous avez-vous-même dessinée, construite spécialement par l’horloger Blancpain et adoptée par les Navy Seals américains.

Vous devenez forestier au Gabon, où vous formez la garde personnelle du président Léon M’Ba, tout en travaillant auprès de Jacques Foccart, conseiller aux affaires africaines du général de Gaulle. Vous êtes ensuite recruté par la Shell puis par Elf  pour prospecter au Nigéria. Vous assistez alors à la rébellion du Biafra. Vous achevez votre carrière professionnelle au Moyen Orient en tant que Représentant des Français de l’étranger et Conseiller du commerce extérieur.

 

Mais vous restez un familier du Service. Vous êtes un membre des Bagheera, l’association des anciens du 11ème choc et ne manquez pratiquement aucune fête de la Saint-Michel à Aspretto, puis à Quelern, au centre parachutiste d’entraînement aux opérations maritimes.

Vous considérez vos camarades du Service Action comme votre famille. Vous les entourez de vos précieux conseils et ne manquez jamais de relater une anecdote pour détendre ces hommes et ces femmes d’exception, souvent sous tension et aujourd’hui très sollicités, comme vous pouvez vous en douter.

Le 23 juillet dernier, vous étiez revenu à Saint-Mandrier pour remettre à un jeune capitaine du CPEOM le 1000e brevet de nageur de combat.

Vous étiez heureux et fier de voir que la formidable aventure des nageurs se poursuit, de savoir que ces soldats d’élite continuent d’être aux avants postes de toutes les opérations clandestines du Service Action. Vous aviez vu dans le regard des huit nouveaux certifiés, marins et terriens, leur fierté d’inscrire leurs pas dans les vôtres, d’entrer dans une filiation de héros dont Claude Riffaud et vous êtes les pères fondateurs.

 

Aujourd’hui, Bob, collègue fidèle et compagnon des heures heureuses et moins heureuses de la DGSE, c’est vous qui nous quittez. Vous laissez à chacun d’entre nous une part de l’histoire de notre pays, que vous évoquez avec brio dans vos mémoires. A travers vos ouvrages, vous livrez en filigrane une histoire des services secrets français mais aussi une histoire du SOE,  longtemps ignorée en France.

Vous nous quittez aussi avec quelques secrets, les secrets des services de renseignement pour lesquels vous avez œuvré: SOE, BCRA, DGER, SDECE, DGSE...

 

Sans jamais vous renier, sans jamais oublier, vous êtes toujours resté fidèle à vous-même, au Service et à la France.

Vous avez été un homme de devoir et de convictions, d’enthousiasme et d’ironie, de force de caractère et de traits d’humour fulgurants

Vous avez été un camarade exceptionnel et êtes un héros pour les plus jeunes générations.

En juin 2014, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du débarquement, Sa Majesté la Reine d’ Angleterre, qui n’oublie pas ses soldats, vous remet l’ordre de l’Empire britannique.

La France vous rend aujourd’hui un dernier hommage.

Cher Bob, je veux rassurer les membres de votre famille et leur dire qu’à la DGSE, nous ne vous oublierons jamais!

Vive la République!

Vive la France!

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 16:55
Bob Maloubier photo L. Bessodes -Marine Nationale

Bob Maloubier photo L. Bessodes -Marine Nationale

 
 

Ancien agent secret, résistant, parachutiste, créateur des nageurs de combat… Robert Maloubier, dit « Bob », a eu non pas une, mais plusieurs vies bien remplies. En hommage à cette figure exceptionnelle qui vient de nous quitter, retrouvez le portrait qui lui avait été consacré dans Armées d’Aujourd’hui (n°392, septembre 2014).

 

Au service de la Couronne britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, puis dans les services français, Robert Maloubier, dit Bob, a mis son expérience à profit pour créer les nageurs de combat. À 91 ans, il continue de prendre la plume pour raconter ses aventures.

  
Avec sa moustache de hussard, ses traits d’esprit so british et sa voix gutturale, Bob Maloubier fait les questions et les réponses. Rien d’étonnant pour cet ancien agent secret. Malgré sa démarche fatiguée et son souffle court, sa mise est soignée. Robert, dit « Bob », a fait de sa vie un roman. Et bien avant de prendre lui-même la plume pour publier ses mémoires de guerre, il est déjà le plus célèbre des espions français. Résistant, saboteur, parachutiste, nageur de combat : « J’ai été un peu tout ça à la suite, en fonction des circonstances », confirme-t-il sobrement.

D’abord au service de la couronne britannique au sein du fameux Special Operations Executive créé par Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale, puis au Sdece, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (devenu DGSE en 1982), ce « tonton flingueur » a bâti sa réputation d’intrépide : tantôt touché par une balle allemande en plein poumon, tantôt sautant en parachute vêtu d’un complet. « Un trompe-la-mort », « un gentleman », évoquent ses proches. On oscille entre légende assumée et réalité sublime. Cultivant les paradoxes et une certaine irrévérence, Bob Maloubier se flatte d’avoir connu la reine d’Angleterre, mais ne cache pas non plus ses amitiés avec un certain Bob Denard. À 91 ans, il collectionne autant les fausses identités que les décorations. Il est détenteur de la prestigieuse Distinguished Service Order qu’une poignée de Français seulement se sont vus remettre. Mais de toutes ses distinctions, c’est celle du brevet des nageurs de combat, qu'il a contribué à créer, dont Bob Maloubier est particulièrement fier. « L’idée m’est venue en 1949. J’écrivais des comptes rendus pour les services secrets sur des opérations de débarquement. À l’époque, nous n’avions pas de nageurs de combat, or l’expérience de la guerre a largement prouvé leur efficacité, notamment pour dégager les obstacles avant les manœuvres. J’ai donc écrit une lettre au président du Conseil, dont mon service dépendait, sans trop me faire d’illusion. » Et pourtant, il est entendu. C’est ainsi que le capitaine Maloubier est envoyé s’instruire l’année suivante à Portsmouth, au Special Boat Service. Il fera deux séjours chez les Royal Marines.

 

« Au début, nous n’avions ni combinaisons, ni palmes : nous nagions en survêtements. »

Puis la nouvelle école de formation française s’installe dans une commune algérienne proche d’Oran en 1952. Pour cette mission, Bob Maloubier est secondé par un jeune enseigne de vaisseau, Claude Riffaud. Bâtiment précaire, équipement sommaire, les débuts sont chaotiques : « Nous n’avions ni combinaisons, ni palmes. Nous nagions en survêtements, se souvient-il. La première promotion était composée de quatre commandos marine et de quatre sous-officiers du 11e Choc [bras armé du SDECE, NDLR]. Très vite, la source s’est tarie. Et l’armée française nous a envoyé tout ce qu’elle comptait de bancales, d’aveugles et de paralytiques. Pour les premières sélections, nous n’avons pas retenu une seule personne. » Dans L’Espion aux pieds palmés, publié en 2013, le premier des nageurs raconte : « Tout ce qu’il nous passe par la tête, nous le mettons à l’épreuve. Nous n’observons qu’une seule règle, mais inconditionnelle celle-là : nous n’exigeons de nos hommes rien que nous n’ayons expérimenté les premiers. »

Le cours est aujourd’hui l'une des formations les plus exigeantes du podium militaire. Et pour cause, le nageur de combat est le seul combattant formé à intervenir à partir de tous les vecteurs, qu’ils soient terrestres, aériens ou maritimes. À plus de 8 000 mètres d’altitude ou à 60 mètres sous l’eau, on les retrouve au service action de la DGSE ou chez les commandos marine Hubert. Soixante-deux ans après la création de cette unité d’élite, seuls 1 000 nageurs de combat ont obtenu l’insigne aux deux hippocampes ailés. Une histoire dont Bob Maloubier est l’un des illustres auteurs. Il semble d’ailleurs que le temps n’ait pas de prise sur cet homme : « Ce qui me maintient en forme ? Je ne connais pas de meilleure discipline sportive que la guerre. »       

 

Bob Maloubier en 7 dates

1923 : Naissance à Neuilly-sur-Seine

1943 : Recruté à Londres par le Special Operations Executive

1945 : Reçoit la Distinguished Service Order  britannique

1947 : Participe à la création du service action du Sdece (aujourd’hui DGSE)

1952 : Crée l’unité des nageurs de combat

2014 : Publie Les secrets du Jour J (éd. La Boétie)

2015 : Publie La Vie secrète de Sir Dansey, maître-espion (éd. Albin Michel

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 16:55
Bob Maloubier photo L. Bessodes -Marine Nationale

Bob Maloubier photo L. Bessodes -Marine Nationale

Le Français Bob Maloubier a fait partie du SOE, l'armée secrète de Churchill chargée de missions de sabotages dans l'Europe occupée.

 

21.04.2015 Par Eric Albert (Londres, correspondance) Le Monde.fr

 

Robert « Bob » Maloubier est mort lundi 20 avril dans un hôpital parisien, à l'âge de 92 ans, après une vie à parcourir le monde et à monter des coups tordus pour le compte des services secrets français, puis de la compagnie pétrolière Elf.

 

C'était en août 1943. Le jeune Bob, neuilly-pontain bien sous tous abords, saute sur Louviers. Agé de tout juste 20 ans, il arrive avec une mission essentielle, que Winston Churchill a résumé quelques années auparavant d'une phrase-slogan : « Mettez l'Europe à feu ! »

Bob ne travaille pas pour De Gaulle et son BCRA (Bureau central de renseignements et d'action). Comme il le raconte dans son autobiographie, Agent secret de Churchill (Tallandier, 2011), il a été recruté par les Britanniques, à Alger où il était arrivé l'année précédente en voulant rejoindre Londres. Il appartient à l'ultraconfidentiel Special Operations Executive (SOE), le « bébé » de Churchill, en charge de l'action « subversive ». Face à l'Europe défaite, le Vieux Lion a imaginé d'envoyer sur le terrain des agents pour mener une guérilla de l'intérieur, à coup d'attentats et de lutte « asymétrique » comme on dit aujourd'hui. Dans chaque pays occupé, il envoie des petites équipes de trois personnes – un spécialiste des explosifs, un chargé des liaisons radio, un chef de groupe – qui ont pour mission de faire dérailler les trains, sauter les ponts, détruire les usines…

Pendant la seconde guerre mondiale, 13 000 personnes travailleront pour le SOE. Seule une minorité sont des agents sur le terrain, le reste travaillant en soutien depuis l'Angleterre. La section française comptera environ 350 agents. Bob Maloubier était l'un des deux derniers encore en vie.

En cet été 1943, le Débarquement se prépare, tout le monde le sait. Où et quand, rien n'est sûr, mais il faut affaiblir les fortifications du mur de l'Atlantique mis en place par Rommel. Bob reçoit par radio clandestine le nom des cibles industrielles qu'il doit viser : une usine qui fabrique des pièces de train d'atterrissage d'avions, une autre qui fournit en électricité la zone industrielle de Rouen, et – son plus beau coup – un navire ravitailleur de sous-marins au Havre. « J'ai fourni l'explosif à un de mes gars, qui travaillait au port. Il l'a mis dans la soute. Le lendemain, on ne voyait plus que le drapeau du navire qui sortait de l'eau ! »

 

Sauvé de la mort par le gel

Pendant cinq mois, Bob Maloubier tisse son réseau en France. Une longévité exceptionnelle, alors que la durée de vie moyenne des agents du SOE en mission est de six semaines. Ça ne pouvait pas durer. Dans la nuit du 20 décembre 1943, en route sur sa Mobylette, Bob tombe sur une voiture de la Wehrmacht. Capturé, il parvient à s'échapper, mais il est touché d'une balle qui lui transperce foie et poumon. Crachant le sang, haletant, il s'enfuit à toutes jambes, traverse un canal pour échapper aux chiens et s'écroule dans un champ. Dehors, il fait moins 10 degrés.

 « Ce jour-là, je suis mort. » Ou plutôt il serait mort d'une hémorragie par un temps normal. Mais le froid arrête le saignement. « Je me suis réveillé le lendemain, une gaine de glace autour de moi. » Il se traîne jusqu'à un médecin, qui le soigne comme il peut. Quelques mois plus tard, il est remis d'aplomb, et parvient à rentrer à Londres. Pendant que les agents du SOE mettent « l'Europe à feu », les services secrets de Sa Majesté travaillent depuis l'Angleterre à un autre plan, essentiel au succès du Débarquement : Fortitude. C'est le nom de code d'une gigantesque opération de désinformation, pour faire croire aux Allemands que le Débarquement aura lieu ailleurs qu'en Normandie. Au nord, l'objectif est de faire gober à l'ennemi qu'en Ecosse, une quatrième armée britannique – qui n'existe pas – est prête à attaquer par la Norvège. Au sud-est de l'Angleterre, il s'agit d'inventer la First United States Army Group (Fusag), qui préparerait une offensive dans le Pas-de-Calais.

 

Arabel, l'agent double venu d'espagne

Dans son livre paru en mai 2014, Les Secrets du jour J. L'Opération Fortitude ou comment Churchill mystifia Hitler (éditions La Boétie), Bob Maloubier raconte comment un improbable petit Espagnol va jouer un rôle décisif dans son succès. Quelle mouche a donc piqué Juan Pujol Garcia ? Scandalisé par la victoire d'Hitler, opposé à la dictature de Franco, il se présente un jour de 1941 à l'ambassade de Grande-Bretagne à Madrid, proposant d'être espion. On lui rit au nez, ne sachant d'où sort cet olibrius. Il se dit qu'il aura peut-être plus de chance d'être accepté s'il devient… agent allemand dans un premier temps.

Il y parvient, retourne voir les Alliés, leur propose d'être agent double. Nouveau rejet, jusqu'à ce qu'un Américain s'intéresse de près à cet étrange Juan Pujol Garcia et convainque ses homologues britanniques de l'utilisation qui peut en être faite. Enfin arrivé en Grande-Bretagne, et sous contrôle étroit, Arabel – son nom de code – envoie de multiples messages aux Allemands, s'invente un réseau et des collaborateurs, complètement fictifs. De temps à autre, il donne des informations correctes, pour gagner leur confiance.

Quand arrive le Débarquement, tout est en place : la guerre d'usure du SOE d'un côté, celle de désinformation des agents doubles de l'autre. Le 6 juin, Arabel – avec l'approbation directe de Churchill – tente un coup de maître : dès 3 heures du matin, il envoie un message avertissant d'un important débarquement sur les plages de Normandie. Son bureau de liaison en Espagne étant fermé la nuit, les officiers sur place ne recevront l'information que bien trop tard. Mais leur confiance en Arabel est désormais complète.

 

Faire sauter deux ponts par nuit

Deux jours plus tard, ils sont donc prêts à le croire quand celui ci leur révèle que le vrai Débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais. « L'offensive actuelle est un piège… Ne lançons pas toutes nos réserves… », avertit-il par radio. Le haut-commandement allemand ordonne immédiatement aux unités parties en renfort vers la Normandie de faire demi-tour.

Parallèlement, le 7 juin, Bob Maloubier et son équipage s'envolent d'Angleterre. Destination : le Limousin. Objectif : saboter la remontée de la redoutable division Das Reich, qui part à la rescousse vers la Normandie. A raison de deux ponts par nuit, Bob ralentit leur progression. « Je faisais sauter les ponts la nuit. Le lendemain, une locomotive blindée des Allemands venait, ils réparaient, se retiraient… et je recommençais la nuit d'après. » Au total, Das Reich prendra quinze jours de retard.

Entre les renforts allemands bloqués dans le Pas-de-Calais et ceux immobilisés par les embuscades du SOE, les troupes alliées ont bénéficié d'un répit inestimable. Point commun dans cette bataille : Winston Churchill, et son goût des coups tordus.

Pourtant, en France, l'existence du SOE a longtemps été passée sous silence. De Gaulle ne voulait pas en entendre parler : après la guerre, il a tout fait pour en taire les exploits. La Résistance se devait d'être exclusivement française. Le livre de référence de l'historien Michael Foot sur le SOE, publié en 1966, ne sera traduit en français… qu'en 2008 (Des Anglais dans la Résistance. Le SOE en France, 1940-1944, préfacé par Jean Louis Crémieux Brilhac, Tallandier, 2011, 2e éd.). Et soixante-dix ans plus tard, Bob Maloubier savait qu'il serait invité aux cérémonies de commémorations… par les Britanniques, pas par les Français.

Lire le récit : La bataille de Normandie en neuf points

 

Cet article est tiré du hors-série du Monde « 1944. Débarquements, résistances, libérations ».

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