06/02/2015 Jean Guisnel - Défense ouverte / Le Point.fr
Dans un article discret, le service Action de la DGSE démonte les arguments de ceux qui voudraient attribuer ses moyens aux forces spéciales.
Ce n'est pas dans la Revue défense nationale (RDN), vénérable institution ouvrant pourtant largement ses colonnes depuis des décennies aux questions militaires et stratégiques, que l'on chercherait spontanément un article écrit par une personne du sérail sur le débat qui agite vivement le service Action de la DGSE et le Commandement des opérations spéciales (COS). Et pourtant, c'est bien elle qui revient sur la question, dans son numéro de janvier. Avertis de cette affaire dès le mois de juin dernier, nos lecteurs savent que des voix se font entendre au COS - qui opère en uniforme en engageant la France - pour récupérer des effectifs en absorbant une grosse partie du service Action de la DGSE. Lequel agit dans la clandestinité, en civil, mais parfois avec des moyens et des méthodes similaires à ceux des forces spéciales.
Point de vue de la DGSE
La DGSE a systématiquement refusé de s'exprimer sur ce débat pourtant vif, et a donc choisi une voie détournée pour s'engager dans la polémique. Dans un article du numéro 776 de la RDN surtitré "Contrepoint" et titré "Forces spéciales, forces clandestines : dissemblances, synergies, interopérabilité", un certain Jean-Luc, identité fleurant bon le pseudonyme, donne, sans l'écrire explicitement, le point de vue de la DGSE. L'auteur est présenté comme étant actuellement stagiaire à l'École de guerre et connaissant bien "les forces clandestines pour y avoir exercé des responsabilités de commandement sur le terrain et de conception, et de conduite des opérations". Il s'agit, on l'aura compris, d'un jeune cadre d'avenir du service Action, qui poursuivra sa carrière à la DGSE et a écrit ce texte avec l'aval de la direction du service.
SA = bombe atomique
Notre Jean-Luc s'exprime donc nettement. Il rappelle la doctrine : quand "la conjoncture politique n'autorise aucune action militaire, la raison d'État légitime l'emploi des forces clandestines." Deuxième rappel : "Ces forces agissent dans l'intervalle de notre stratégie de défense et de sécurité nationale non couvert par les forces armées et de sécurité." Elles ne servent que sur ordre du président de la République en constituant "une capacité d'action coercitive, fondamentalement régalienne, qui sert le coeur des intérêts les plus élevés de la nation". Entre elles et la bombe atomique, il n'y a guère de différence dès lors que, "à l'instar de la dissuasion nucléaire, elles concourent à l'indépendance et à la souveraineté nationales". L'argument paraîtra un peu excessif, dès lors que dans les faits l'arme nucléaire est destinée par essence à signer l'engagement français... D'ailleurs, "le succès d'une opération clandestine repose sur des capacités spécifiques qui permettent à l'État commanditaire de nier son implication".
Interstices périphériques
L'auteur réfute tout projet de mutualisation de capacités entre le COS et le SA, "qui ne manquerait pas d'affecter l'efficacité de ces deux entités". Il accuse aussi à demi-mot le COS de donner trop de publicité à ses actions, alors que "la clandestinité suppose la préservation du secret opérationnel. Ce dernier dépend d'un cloisonnement rigoureux qui ne souffre aucune mixité". Jean-Luc considère néanmoins les deux forces comme complémentaires, tout en cantonnant cette coopération à des "interstices périphériques", comme le soutien du COS à des opérations du SA (comme cela s'est passé en 2013 pour la libération ratée de Denis Allex en Somalie), ou inversement. En 2001, rappelle-t-il, c'est le SA qui a accueilli le COS en Afghanistan, non sans avoir procédé plus récemment à "l'ouverture de portes au profit des forces spéciales". L'auteur estime enfin qu'"aujourd'hui la majorité des opérations que conduit le COS en région sahélo-sahélienne repose essentiellement sur des renseignements de la DGSE". Donc, on l'a compris, on ne change rien !
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