Le sous-marin nucléaire d'attaque "Perle" au large de La Réunion. photo Marine Nationale
14.07.2014 Par Nathalie Guibert LE MONDE
Le défilé militaire du 14-Juillet, cette exception française, est un moment crucial pour la communication des armées. Pour quelques heures, les voilà dans la lumière. Fières de montrer leur meilleur visage, en dépit des coupes budgétaires, et sans conteste populaires, dans cette brève communion nationale.
Pourtant, il n'est pas sûr que le 14 juillet 2014 reste un bon souvenir pour l'équipage du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Perle. Afin de réaliser un « direct » pour TF1, la Perle, qui naviguait en Atlantique, a dû rebrousser chemin. Direction Toulon, pleine vitesse à 200 mètres de fond. Il lui fallait accoster le 13 à son port base varois, pour accueillir l'équipe de Louis Bodin, présentateur météo de la chaîne.
Les états-majors savent qu'en ce jour de fête nationale, la visibilité de chaque armée est vitale. Or, si hélicoptères, avions et blindés investissent les Champs-Elysées, le défilé est à l'évidence moins accessible aux navires ; les frégates ne remontent pas la Seine pour l'occasion. Dans cette nouvelle guerre, les « communicants » se battent donc pour que la marine prenne toute sa place dans le concert audiovisuel.
COÛTEUX ET STRATÉGIQUE
Cette année, la défense a décidé de « vendre » l'image de sa force sous-marine. C'est son outil le plus coûteux, pilier de la dissuasion et de l'autonomie stratégique du pays. Un des plus lourds investissements de la loi de programmation militaire 2014-2019.
A bord de la Perle, l'information est tombée le 9 juillet, comme une mauvaise nouvelle. Car l'ordre de rallier le port d'attache est arrivé deux jours avant une escale à Rota, base de l'OTAN en Espagne : annulée, l'escale très attendue de la mission. A 8 h 30, après la réception des messages de la nuit, le commandant a annoncé au micro interne : « On ne va pas aller à Rota. Et on va passer sur TF1. »
La mission avait été confiée à un autre sous-marin. Il s'agissait de filmer un vrai-faux départ en patrouille, une plongée vue d'hélicoptère pour l'occasion. Mais le Saphir, en réparation au bassin, a subi de gros retards au chantier. Il n'a pu être prêt.
« ON N'EST PAS LÀ POUR TRIMBALLER DES VIP ! »
« A deux jours du bol de sangria ! », ont réagi des membres de l'équipage, dépités. Dans la petite cafétéria du sous-marin, les critiques ont fusé. « On n'est pas là pour trimballer des VIP ! » « Ils pensent attirer les jeunes, avec leur communication à deux balles ? Ils découragent ceux qui se sont engagés ! » Les 75 hommes ne pensaient plus voir remis en cause ces quatre jours de repos à l'hôtel, en baie de Cadix. Pour eux, l'escale est une reconnaissance du travail accompli. Beaucoup avaient prévu de faire venir leurs épouses.
L'équipage a le cuir épais et a connu bien d'autres aléas. Avant de partir de Toulon début juin, la Perle a aussi connu des difficultés sur le chantier de maintenance, avec une grève des ouvriers de DCNS. Passé l'appareillage, de plus, les plans de mission ont changé. Cela n'est pas rare, et tout bon sous-marinier apprend à vivre avec ces impondérables.
Car déployer des sous-marins à propulsion nucléaire reste une tâche des plus complexes. Les six SNA français Rubis ont été conçus dans les années 1970 – ils seront remplacés par les Barracuda à partir de 2017, un programme de 9 milliards d'euros. En dépit de leur âge, ils permettent à la France de se distinguer parmi les marines de guerre, à côté des Etats-Unis, de la Russie, du Royaume-Uni. Paris a déployé ces machines à collecter du renseignement dans toutes les crises récentes, de la Libye à la Syrie.
« SNA : SOUS-MARIN NUCLÉAIRE D'ACCUEIL »
Dans ce contexte, l'annulation d'une escale est aussi chose usuelle. En 2013, la Perle s'était déjà vue privée de cette pause, malgré des semaines ininterrompues de navigation en Méditerranée. Le contre-ordre avait été accepté, car il était justifié par les opérations militaires en cours. Cette fois, on invoque les impératifs de la communication. Ils suscitent l'incompréhension. « Si encore on avait annulé pour une raison opérationnelle », a résumé un des marins. « SNA : sous-marin nucléaire d'accueil », a ironisé un autre. Le bateau a reçu l'ordre de se mettre « en tenue de représentation ». Il a été repeint, comme cela se fait en de telles occasions.
Sur l'air de Si tu vas à Rio, ce 9 juillet, un troisième a improvisé une chanson qui n'a pas réussi à détendre l'atmosphère : « Si tu vas à Toulon/N'oublie pas de monter au Faron/Tu ne feras pas d'escale/Tu verras Claire Chazal/Et tu passeras pour un con. »
Dans quelques jours, la déception aura passé. Mais pas cet adage des sous-marins d'attaque, chasseurs des profondeurs : « On n'est pas là pour balader une chaufferie nucléaire. »
Lire aussi l'analyse : Un 14-Juillet marqué par le centenaire de 14-18
Lire l'analyse politique (édition abonnés) : 14-Juillet : Hollande à la recherche d'un regain de popularité