17.04.2012 Le Fauteuil de Colbert
Un conflit qui couvait entre l’Espagne et l’Argentine explose tout doucement. Buenos
Aires est, comme tout les Etats qui peuplent cette planète, ou presque, contrarié par le niveau actuel des cours de l’or noir. Il n’y a donc pas quatre chemins pour une puissance étatique qui
souhaite répondre aux souhaits de ses administrés : disposer d’énergie à un prix supportable. La présidente argentine, Cristina Kirchner, souhaiterait donc prendre le contrôle de la compagnie pétrolière locale,
YPF. Cette action n’a que pour objectif de contraindre ladite
société à augmenter sa production à destination du marché national argentin afin de détendre les prix de l’or noir.
Mais, cette société, est propriété de l’entreprise pétrolière espagnole, Repsol. Il
faudrait même dire qu’elle est encore la propriété de Repsol, car, bien que l’entreprise espagnole soit toujours majoritaire au capital, elle ne cesse de baisser sa participation dans la société
(57,4%). Madrid n’entend pas du tout voir l’Etat argentin monter au capital de la société. Le gouvernement de Buenos Aires a précisé ses intentions : l’Etat prendrait 51% du capital. Juste assez pour avoir la majorité des voix nécessaires faire passer les décisions intéressant
le gouvernement.
Les parties en sont là, et le projet de loi argentin a été envoyé devant le
Congrès.
L’Espagne est dans une position difficile. Les porte-paroles du gouvernement espagnol ne
peuvent que dénoncer le fait que cette mesure serait prise au moment où l’Espagne traverse de très lourdes difficultés économiques. D’un autre côté, il faut dire que l’ancien chef de gouvernement
espagnol, José Maria Aznar, avait lourdement travaillé au corps les relations diplomatiques de l’Espagne avec les Etats latino-américains lors de la crise
irakienne de 2003. Alors que Argentine et Espagne entretenaient des relations cordiales, il va s’en dire que Madrid est quelque peu démunie dans cette crise. La Commission européenne a beau dire
que… la Commission européenne ne peut rassembler ni coalition, ni moyens de coercitions pour soutenir l’Espagne. Cerise sur le gâteau, le nouveau gouvernement de Mario Rajoy prend à peine ses
marques dans une Espagne exsangue, et la contestation sociale gronde.
Cette situation n’est pas sans rappeller une autre : la Guerre des Malouines de 1982.
Londres traversait une très mauvaise période économique et financière. L’Empire britannique n’était plus, et il la puissance anglaise était en très net recul après l’abandon des
positions East of Aden et East of Suez. Pis, les Malouines n’étaient pas sujet à l’attention de la capitale britannique, un peu comme Repsol qui donne le sentiment de se désengager de sa fiiale argentine. De
l’autre côté de l’Atlantique, la situation n’était pas moins difficile pour le régime militaire qui gouvernait l’Argentine. Comme pour l’Espagne d’aujourd’hui, l’Angleterre ne comptait pas ou peu
d’alliés dans le continent sud-américain. L’invasaion des Malouines se faisait dans un contexte de faiblesse apparente de Londres.
La sage maxime dit que comparaison n’est pas raison. Certes. Il serait, peut être,
disproportionné que Madrid envoie un groupe naval centré sur le Principe de Asturias et
le Juan Carlos I, avec pour escorte les destroyers F100 et les dernières frégates ASM que compte
l’Armada. L’objet stratégique à reconquérir n’est pas le même, et l’Espagne ne va pas établir un blocus
(dont elle n’a pas les moyens matériels) ou mener une action militaire afin de retrouver la majorité du capital d’une filiale.
Qui plus est, toute action militaire espagnole au large de l’Argentine nécessiterait,
presque obligatoirement, des négociations avec Londres pour utiliser ses points d’appui.
Mais, si l’objet actuel se présente sous la forme d’une bataille financière pour deux
pour cent de capital (et les dédommagements dus à la montée au capital de l’Etat argentin), l’objet futur est bien plus onéreux. Cette société, encore filiale de Repsol, exploite les richesses
pétrolières argentines. A priori, c’est ce que l’on peut comprendre des quelques bribes d’informations qui parviennent du litige. Donc, l’entreprise exploite l’or noir à terre… et en mer. Non, ce
n’est pas là l’occasion pour l’Armada
d’aller reconquérir les plateformes. Mais… et c’est là que la crise peut prendre une
très lourde et silencieuse ampleur, c’est en mer que l’Argentine espère exploiter bien des richesses pétrolières. L’or noir a toujours coûté cher, que le baril de pétrole soit à 5, 30, 60 ou 120
dollars. C’est un fait. L’action argentine pourrait se réaliser en de bien autres occasions. Ce qui doit attirer l’attention, c’est l’autre guerre silencieuse, l’autre affrontement de volontés,
pour un trésor bien plus vaste : les ressources pétrolières espérées sous les couches de sel de la côte Est de l’Amérique du Sud…
Les Malouines !
La Guerre de 1982 consistait en une guerre de territoires. Il n’avait jamais été
question de pétrole. Le précieux or noir a fait parler de lui bien après. Des réserves de pétroles, de plusieurs milliards de dollars, se situeraient au large du fameux archipel. Il y a une
guerre des permis de forage entre les deux protagonistes du conflit de 1982. Londres prospecte ce qu’elle estime être sa zone économique exclusive, et Buenos Aires répond par des mesures de
rétorsion, tout en prospectant également.
L’Argentine mène un blocus continental contre l’archipel britannique. Les pays
sud-américains refusent d’accueillir depuis des mois dans leurs ports des navires de la Royal Navy et tout navires battant pavillon des Malouines. Ce que le gouvernement argentin n’a pas pu obtenir par la force militaire dans les années 80, il essaie, cette fois-ci, de
l’obtenir par l’usure. Le règlement du conflit de 1982 prévoyait un accord politique durable entre les deux parties. Les deux parties ont campé sur leurs positions. Si la capitale argentine
brasse beaucoup d’air à chaque renforcement militaire anglais dans l’archipel, c’est aussi pour mieux cacher ces pressions.
Il y a donc, forcément, quelques probabilités que la crise argentino-espagnole ne vienne
heurter le conflit anglo-argentin. Ces deux crises gravitent autour de la question des richesses pétrolières qui gisent au large des côtes du Brésil et de l’Argentine -et en Guyane
!
Sous cet angle, il est moins certain que l’action argentine actuelle ne vise
qu’àdétendre les cours actuels de l’or noir sur le marché argentin. Cette action n’a-t-elle pas quelques visées à plus long terme ?
Il y a également des enjeux de puissance car les richesses pétrolières brésiliennes permettrait à Brasilia de produire plus d’or noir que BP ou
Exxon. Il y a un équilibre mondial qui se
modifie.
Ces différents niveaux de crises concernent la répartition des territoires, des
richesses, la question de la souveraineté, de la protection des acteurs économiques, mais aussi les équilibres économiques, et donc, les équilibres entre puissances.
Si la Royal Navy est beaucoup trop juste actuellement (heureusement qu’il y a les forces prépositionnées dans les Malouines) pour contrer une nouvelle invasion argentine -pour laquelle Buenos
Aires n’a plus les moyens militaires-, la situation serait tout autre avec l’appui de l’Espagne… et de son aéronaval (qui existe encore, elle, grâce à ses Matador).
Bien qu’il n’y a pas de telles intentions espagnoles de se joindre à Londres (à l’heure
actuelle), les circonstances font les alliés. En outre, cette hypothèse ne peut être éluder par Buenos Aires. Il ne faudrait pas que les deux affaires soient liées afin de montrer la
« mauvaise volonté » argentine de régler pacifiquement les différents. Il ne faudrait pas que la montée au capital de l’Etat argentin soit remise en question par une nouvelle évolution
de la crise des Malouines
Quoi qu’il en soit, il est possible de se demander si Buenos Aires peut faire face à
deux crises sérieuses avec deux pays ayant des intérêts voisins dans les deux conflits.
Ces deux conflits cachent un affrontement encore plus sourd : la répartition des
richesses de l’Amérique du Sud, certes, mais surtout une certaine idée de la liberté de circulation des biens et des navires. C’est-à-dire que, que ce soit le Brésil ou l’Argentine, il s’agit
d’ériger en forteresse ces exploitations pétrolières pour les protéger de l’Etranger. Il s’agit de monter une sorte de blocus inversée. Le blocus naval vise à interdire l’accès à la mer d’une
flotte, ou d’interdire l’accès aux ports d’un pays. Ici, il s’agit d’une sorte de blocus continental qui vise à interdire aux acteurs maritimes de venir prendre les ressources
« continentales ».
Peut être est-ce là une des expressions de ce qu’est la zone économique exclusive. Ce
sont les Etats sud-américains qui ont obtenu que les ZEE portent jusqu’à 200 miles des côtes (voir Café Stratégique numéro 4, avec Hervé Coutau-Bégarie) afin d’avoir l’exclusivité sur la pêche.
Aujourd’hui, il s’agirait de faire de même avec le pétrole. Ils semblent entendre, au moins le Brésil et l’Argentine, ces espaces comme une sorte de propriété économique. C’est tout l’objet des
ZEE de permettre à l’Etat propriétaire de régir l’exploitation des richesses. Mais cela leur permettrait d’en interdire l’accès à d’autres puissances. Ce serait une exploitation exclusive, comme
pour les empires coloniaux. Ainsi, la liberté de navigation sur les mers serait atteinte à la marge.
La zone économique exclusive se territorialiserait (indirectement), tout du moins, c’est
un mouvement qui semble perceptible à l’aune de ces affaires. En tout cas, c’est le ou plus fortes puissances qui dictent les règles à la société internationale. Les Etats sud-américains ont déjà
imprimé leur marque au droit de la mer, ils peuvent tout aussi bien recommencer. Ils avaient remporté l’épreuve de force en mer, ils semblent vouloir de nouveau utiliser la puissance navale pour
protéger ce qu’ils estiment être leurs richesses.
Dans cette optique, alors les puissances maritimes ne peuvent que réagir. Ironie de
l’Histoire, c’est en réaction à l’exploitation exclusive par l’Espagne de ses possessions américaines que l’Angleterre organisa une guerre de course contre les gallions de la couronne. Le XVIe
siècle semble se répéter, avec une nouvelle répartition des rôles, et une nouvelle configuration des richesses à atteindre.