16 janvier Par Edouard Pflimlin, chercheur associé à l’IRIS - affaires-strategiques.info
En matière de dépenses militaires en Asie, c’est généralement la Chine qui frappe les esprits. Mais en ce début d’année, c’est le Japon qui surprend. L’exécutif japonais affiche sa volonté d’accroître, pour la première fois depuis 11 ans, le budget de la défense de l’Archipel. Le ministère de la Défense japonais a indiqué mercredi 9 janvier qu’il souhaitait bénéficier d’une rallonge budgétaire de 180,5 milliards de yens (1,6 milliard d’euros) pour moderniser quatre avions-chasseurs F15, acheter des nouveaux systèmes antimissiles PAC-3 et des hélicoptères, dans le cadre d’un plan de relance économique préparé par le gouvernement. Devrait s’y ajouter une trentaine de milliards de yens (25 millions d’euros) supplémentaires pour l’année en cours, non inclue dans le train de mesures économiques spéciales.
Plus précisément, le grand quotidien Yomiuri Shimbun(1) , indique mercredi 9 janvier que cette hausse répond à plusieurs objectifs :
assurer le paiement des coûts du carburant et de maintenance pour les avions d’alerte précoce et de de contrôle ;
permettre la recherche sur la technologie radar capable de détecter des petits avions à longue distance.
permettre les préparatifs pour l’introduction de l’avion de transport MV-22 Osprey de l’armée américaine. Cet avion à décollage vertical peut voler plus loin et plus vite que les hélicoptères actuels du Japon, permettant à ses troupes d’atteindre plus facilement les îles japonaises lointaines.
L’annonce par le ministère de la Défense japonais est intervenue au lendemain de l’annonce par le Parti Libéral Démocrate (PLD) au pouvoir depuis le 26 décembre sous la direction du premier ministre, Shinzo Abe, que le Japon devrait augmenter ses dépenses militaires pour l’année budgétaire 2013-2014 qui commence au 1er avril.
Avec cette rallonge, le budget de la défense devrait atteindre autour de 4 700 milliards de yen, soit 41 milliards d’euros. La demande du ministère de la Défense doit encore être approuvée par celui des finances avant d’être incluse dans le paquet de relance de plus de 110 milliards d’euros pour l’année courant jusqu’au 31 mars. Le tout doit être annoncé prochainement par le gouvernement de Shinzo Abe. Le PDL et son allié clé, le parti Nouveau Komeito, ont remporté 325 sièges (sur 480) à la Chambre basse lors des élections générales le 16 décembre dernier, ce qui signifie que le parti au pouvoir pourrait faire passer ses projets budgétaires à la Diète même s’ils se voyaient opposer un veto à la Chambre haute.
Le budget militaire n’avait pas connu de hausse depuis 2002, alors que le Japon traîne une dette colossale équivalant à près de 240 % de PIB. La hausse est certes modeste par rapport à celle que connaît le budget de la défense chinois habitué aux taux de croissance à deux chiffres. Néanmoins, elle marque un tournant dans la politique de défense japonaise. Sur l’exercice budgétaire en cours, qui s’achève en mars, le budget de la défense a subi une dixième année de baisse consécutive à 4.650 milliards de yens (40 milliards d’euros environ). Fin octobre dernier, le gouvernement de Yoshihiko Noda avait toutefois débloqué des crédits supplémentaires de 17 milliards de yens (170 millions d’euros à l’époque) en faveur des garde-côtes pour, selon l’agence de presse Kyodo, se procurer quatre patrouilleurs de 1.000 tonnes, trois autres de 30 mètres de long et trois hélicoptères capables de voler par gros temps. De son côté, fin décembre, la Chine a ajouté deux destroyers et neuf autres navires de guerre à sa flotte de surveillance maritime.
La hausse est symbolique de la volonté des nouveaux dirigeants nippons d’affirmer la position régionale du Japon, surtout en période de tension avec le grand voisin chinois ainsi, quoiqu’à un degré moindre, avec la Corée du Sud. « Nous avons besoin d’améliorer nos équipements à un moment où l’environnement sécuritaire du Japon est devenu plus dur : la Corée du Nord a procédé à deux lancements tests de missiles l’année dernière, et les tensions avec la Chine se poursuivent. », en raison d’un conflit territorial en mer de Chine orientale, a précisé mercredi à l’AFP un responsable du ministère de la Défense.
Les relations sino-japonaises sont exécrables depuis quatre mois à cause d’un conflit territorial en mer de Chine orientale. Pékin clame vigoureusement sa souveraineté sur les îles Diaoyu, tandis que Tokyo, qui les administre sous le nom de Senkaku, n’entend pas en céder un pouce. Pékin envoie régulièrement des navires patrouiller dans les eaux territoriales de cet archipel inhabité à 200 km au Nord-Est des côtes de Taïwan et 400 km à l’ouest de l’île d’Okinawa (Sud du Japon), en mer de Chine orientale. Lundi 7 janvier, 4 navires de surveillance maritime chinois sont entrés dans les eaux territoriales japonaises. La Chine a même envoyé fin décembre un appareil survoler l’archipel, ce qui a provoqué le décollage immédiat de chasseurs nippons. Outre sa position hautement stratégique, l’archipel recèlerait d’hydrocarbures dans ses fonds marins. Suite à la dernière incursion maritime lundi, Tokyo a convoqué mardi l’ambassadeur chinois en poste au Japon.
Cette hausse du budget japonais est une traduction de l’engagement et de la volonté du premier ministre, Shinzo Abe, de renforcer la défense de son pays. Le budget militaire japonais est déjà le 6e de la planète. Le Japon a une des armées les plus grandes et les plus avancées en Asie, mais il a maintenu jusqu’à présent un profil bas pour éviter de remuer des souvenirs des exactions commises par l’empire japonais au XXe siècle, notamment en Chine et en Corée.
Aussi cette évolution nouvelle questionne. Assiste-t-on à un réarmement du Japon, voire à une remilitarisation de l’Archipel nippon ?
Le réarmement est en réalité à l’œuvre depuis de nombreuses années comme le montrent l’acquisition récente programmée sur plusieurs années de 42 avions de chasse américains furtifs F-35(2) à plus de 100 millions de dollars l’unité, l’augmentation – prévue par le pouvoir précédent - du nombre de sous-marins passant de 16 à 22(3) ou encore l’acquisition de destroyers porte-hélicoptères aux dimensions de porte-avions(4) . A cela s’ajoutent la volonté d’acheter des drones d’observation américains Global Hawk comme le rapporte la revue Jane’s defence weekly, le 2 janvier, afin de renforcer la surveillance des eaux territoriales japonaises. Ils pourraient être introduits pour cette mission autour des Senkaku d’ici à 2015(5) . De leur côté, les Chinois ont d’ailleurs aussi des programmes de développement de drones et pourraient « construire 11 bases de lancement de drones le long des côtes d’ici à 2015 ». Une course aux drones est lancée entre les deux pays...
Par ailleurs, d’après le quotidien Yomiuri, le 8 janvier, le programme quinquennal d’acquisitions de matériels militaires sera revu d’ici à la fin de l’année 2013. Ces évolutions ont fait s’envoler les actions de groupes industriels japonais d’aéronautique et armement mercredi 9 janvier à la Bourse de Tokyo. L’action de Mitsubishi Heavy Industries (MHI) a gagné 4,98% à 442 yens, et celle de IHI 6,49% à 246 yens. MHI fabrique sous licence les avions F-15 et systèmes PAC-3 pour lesquels IHI fournit des moteurs.
A cette modernisation des moyens et équipements s’ajoute l’évolution de la doctrine de défense. Celle-ci devrait aussi être modifiée assez rapidement. Le Japon reverra sa politique de défense d’ici à la fin de l’année, écrit aussi mardi 8 janvier le Yomiuri. L’actuel Livre blanc de la défense japonaise remonte à deux ans. Adopté pour une période de dix ans par le Parti démocrate alors au pouvoir, il prône des réductions dans le budget de la défense et dans les effectifs de l’armée de terre dont les effectifs devaient diminuer de 1 000 hommes à 154 000.
Cette politique de défense a été critiquée par Shinzo Abe, qui a ramené le Parti libéral démocrate au pouvoir à la faveur des législatives du 16 décembre dernier. Le premier ministre défend, lui, une augmentation des dépenses militaires et des effectifs des forces japonaises. Il milite également pour une révision de la Constitution pacifiste du Japon, en vigueur depuis 1947.
Remilitarisation du Japon donc ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer tant la population reste profondément attachée au pacifisme. Il convient plutôt de parler d’une réaffirmation de la place du Japon sur la scène internationale et régionale. D’ailleurs, selon le site The Diplomat(6) , le Japon envisage aussi maintenant plusieurs scénarios de guerre avec la Chine, notamment autour des îles Senkaku mais aussi sur Taïwan si l’île venait à être attaquée par Pékin.
Ces évolutions sont sources de nouvelles tensions et d’autant plus inquiétantes que, selon une étude publiée en octobre dernier par le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank américain, les dépenses de défense dans les pays d’Asie qui y consacrent le plus gros budget - Chine, Inde, Japon, Corée du Sud et Taïwan - ont pratiquement doublé en dix ans, quadruplant en Chine. Le total des budgets militaires de ces cinq pays a atteint 224 milliards de dollars en 2011, estimait le CSIS.
La course aux armements en Asie n’est donc pas prête de s’arrêter, alors qu’au Nord de l’Archipel nippon la Russie modernise ses forces, et notamment la flotte du Pacifique et que le budget de la défense japonaise ne représente que 1 % du PIB et a donc de la marge pour éventuellement s’accroître...
(1) http://www.yomiuri.co.jp/dy/nationa...
(2) http://www.defenseindustrydaily.com...
(3) http://www.affaires-strategiques.in...
(4) http://www.affaires-strategiques.in...
(5) http://www.guardian.co.uk/world/201...
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