20 décembre 2013 par Jacques N. Godbout – 45eNord.ca
Les responsables militaires canadiens, placés devant des choix impossibles, ne peuvent même pas en souffler mot, mais leurs prédécesseurs, qui ne craignent pas de parler, lancent un cri d’alarme, prévenant le gouvernement qu’il est en train de détruire les capacités des Forces armées.
Après le général Devlin l’été dernier, deux officiers supérieurs à la retraite, Rick Hiller et Andrew Leslie, ont pris la parole cette semaine pour dénoncer la situation.
Le général à la retraite Rick Hillier, ancien chef d’état-major de la Défense, a déclaré que le Canada n’avait plus les moyens de réaliser sa stratégie de défense alors que le général à la retraite Andrew Leslie, qui avait rédigé un rapport controversé de «transformation» sur l’avenir de l’armée avant son départ en 2011, a fustigé la gestion budgétaire des conservateurs.
De son côté, le commandant des Forces armées canadiennes, le général Tom Lawson, vient d’annoncer «ne pas aller de l’avant» avec le contrat des 108 véhicules de combat rapproché pour 2,1 milliards $ après un long et pénible processus d’achat qui a donc abouti dans une impasse.
Même si le général Lawson a pris la peine de préciser que le choix était militaire et non politique, personne n’ignore que, depuis plusieurs mois, le programme était en danger, après que l’Armée se soit inquiétée de ne pas avoir assez de fonds pour s’occuper de toute la formation, l’exploitation et la maintenance de ces futurs véhicules.
Les véhicules de combat rapproché étaient destinés à combler les lacunes en matière de protection, de mobilité et de puissance de feu entre le véhicule blindé léger et les chars Léopard, mais là, tout à coup, l’armée canadienne déclare que les capacités du véhicule blindé léger modernisé sont tellement merveilleuses qu’on va se passer des véhicules de combat rapproché… On découvre ça maintenant?
La nouvelle stratégie en matière d’acquisition: on avance, on recule, et on paye des pénalités…
Dans l’affaire de l’abandon du projet de véhicule de combat rapproché, le groupe français Nexter [avec le VBCI], associé au canadien Bombardier et à l’américain Raytheon, qui comptait sur cette commande de véhicules de combat, a déjà exprimé son amère déception. Le CV90 à chenilles du constructeur britannique BAE Systems et le futur Piranha de l’américain General Dynamics étaient également sur les rangs pour ce projet.
Nexter demande donc que le gouvernement dédommage tous les compétiteurs pour les coûts engendrés par cet appel d’offres: «Depuis quatre ans, le groupe Nexter a dépensé des millions de dollars [..] parce que nous étions convaincus que la compétition serait juste et ouverte», a déclaré à ce propos Patrick Lier, vice-président des affaires internationales de Nexter dans un communiqué.
Hillier appelle plutôt quant à lui à une refonte de l’ ensemble de la stratégie militaire – en commençant par l’impensable pour un gouvernement conservateur, une réduction du nombre de soldats.
Selon le général, on a plus les moyens de réaliser la «Stratégie de défense le Canada d’abord», on doit donc la repenser et concevoir une stratégie plus abordable.
Le gouvernement l’an dernier a annoncé des compressions totales de 2,1 milliards au budget de 20 milliards $ des Forces armées d’ici 2015.
Le hic, c’est que ces compressions ne s’accompagnent pas des choix, douloureux, mais réalistes qui s’imposeraient. Le gouvernement ne veut pas réduire le nombre de soldats, qui est actuellement de 68.000 , et il ne veut pas réduire le budget des programmes d’achat les plus visibles, ceux des avions et des navires.
Des F-35, beaucoup de soldats, mais pas d’argent pour s’entraîner…
On fait des coupes qui signifient qu’il y aura moins d’argent pour la nourriture, le carburant, les munitions pour des exercices d’entraînement, ou qui entraîneront l’annulation de programmes moins «sexy», mais qui peuvent se faire sans que le gouvernement conservateur perde la face et sans qu’il ait à payer un trop grand prix politique.
Le général Hillier, après le général Devlin l’été dernier un peu avant de prendre sa retraite, lance à son tour un cri d’alarme:«Vous allez détruire les capacités des Forces canadiennes» en allant de l’avant avec ce choix de compressions budgétaires.
«Si toutes les autres choses ne sont pas touchées parce que vous ne voulez pas réduire le personnel, ni l’équipement, alors vous allez compromettre les opérations et la formation: les soldats ne s’entraîneront pas, les marins ne navigueront pas et les aviateurs ne voleront pas», déclare l’ex-chef d’État major de la Défense.
Pour sa part, le général Andrew Leslie, qui travaille maintenant comme conseiller politique pour les libéraux a déclaré qu’il ne ne comprend pas pourquoi les Forces canadiennes sont à court d’argent quand le ministère de la Défense a sous-utilisé son budget de 1,3 milliard $ en avril.
«C’est la mauvaise gestion budgétaire sur une vaste échelle», n’a pas hésité à déclarer le lieutenant-général à la retraite.
«Notre équipe de transformation, il y a plus de deux ans, a recommandé qu’ils coupent les consultants et les sous-traitants [du secteur privé], qui représentaient en 2010 des dépenses de 2,77 milliards $ par année.
«Depuis, la Défense nationale a augmenté ses dépenses en consultants et en sous-traitants à 3 milliards $ par an».
«C’est irresponsable!», a déclaré cette semaine le général à la retraite à l’antenne de CBC.
Le bureau du ministre de la Défense, Rob Nicholson, a publié quant à lui une réponse disant, certes, que «Le gouvernement continuera de mettre l’accent en priorité sur la satisfaction des besoins opérationnels», mais rappelant surtout ses investissements passés «Notre gouvernement a fait des investissements sans précédent dans les Forces armées canadiennes. En fait, depuis 2006, nous avons augmenté les budgets de défense de 27%, environ 5 milliards $ en financement annuel».
Le ministre répond un peu comme la fourmi dans la fable de Lafontaine: «La Cigale [en uniforme], ayant chanté tout l’été [et exigé des F-35 et le meilleur équipement] se trouva fort dépourvue [quand se mit à souffler le vent glacial des compressions budgétaires]. – Vous chantiez ? J’en suis fort aise… [lui répondit l'homme politique obsédé par le déficit]. Eh bien! [Coupez] et dansez maintenant!»